SERGE, je te donne ce livre qui, sans toi, n’aurait pas existé.

Une nuit de 1957 je t’ai accompagné jusqu’au train qui te ramenait vers la guerre ; les fenêtres, les portières débordaient de bérets écarlates ; j’avais le cœur serré : peur pour toi, et honte de rester.

Tu m’as écrit, peu après, qu’il valait mieux que nous n’échangions plus de lettres « car nous ne pouvions plus nous comprendre »…

Cette parole-là, que je n’ai jamais reçue sans blessure d’aucun être humain, comment l’accepter d’un petit garçon que j’ai vu naître et grandir et que j’aime ?

J’ai donc résolu de t’expliquer ici, à ma manière, certaines choses que tu n’admettais pas. Je crois avoir écrit un livre équitable-, et je te le donne, à toi et aux tiens que j’estime et qui sont légion.

Je m’y suis, par endroits, inspiré des carnets de route de tes compagnons 1. Leurs témoignages sont authentiques ; pourtant, ils ne concordent pas.

Pourquoi les opposer ? Pourquoi ne pas admettre, à l’inverse des • partisans, que la vérité est une, mais qu’elle n’est jamais simple ; et que notre honneur même commande souvent que nous soyons partagés ?

Au lieu d’écrire ce livre, j’aurais pu attendre ton retour et reprendre avec toi une discussion fraternelle. Mais le petit Serge que j’aimais est mort héroïquement pour la France le 24 février 1958.

C’est pourquoi je dédie ce livre non seulement à la mémoire mais à l’intention de SERGE DUTEY-HARISPE.

G. C.