Au pays des chiens.
Un homme empruntant un chemin
Qui longeait la niche d’un chien
Se fît mordre cruellement
Par cet animal impudent,
Une créature mauvaise,
La fierté et le malaise
De tout le pays alentour.
L’homme furieux devant la Cour
Du plus proche juge arriva,
En exigeant qu’on inculpât
Comme véritable fautif
Le maître du chien agressif.
Ce fut fait. Mais l’individu,
Afin d’être mieux défendu,
Paya pas moins de cinq ou six
Avocaillons à son service,
Qui, se dressant comme un seul homme,
Tous emplis d’arguments énormes,
Levèrent une telle tempête,
Que tous les citoyens honnêtes,
Comme témoins, en foule immense,
Vinrent soutenir la défense.
Et par-dessus, le défendant
Vint sans frémir faire le serment
Qu’auparavant – il l’aurait su
Le chien n’avait jamais mordu.
« Comment eus-je pu deviner
Qu’un démon en lui se cachait ? »
Et la populace cria :
« Non non, il ne le pouvait pas. »
Ceci l’emporta – L’accusé
Sortit du tribunal porté
En triomphe, et l’accusateur
La mine abattue. À cette heure,
On ne sait si la déception
Fut fatale, ou si la boisson
Le maintient quelque part en vie.
Je vous l’avoue, à mon avis,
Vous pouvez n’être pas d’accord
Mieux vaut la boisson que la mort.
Mais revenons à notre fable,
Quand le jugement admirable
Fut su des chiens de la région
(Leur nom, dit-on, était Légion) :
Ils se transmirent à grand fracas
Les détails de ce verdict-là,
Et, comme des trompettes sonnent,
Ils clamèrent : « la loi est bonne
Pro bonos mores ! (car les chiens,
On le sait, parlent le latin
Aussi bien que les avocats.) »
On s’échauffa, on s’écria :
« Hourrah ! Hourrah ! La vie est belle !
C’est l’aube d’une ère nouvelle ! »
On salua ce jour béni.
Tout le jour et toute la nuit.
Comme, dès lors, les chiens avaient
Le pouvoir légal d’infliger
À l’homme une seule morsure,
Au moins, une chose était sûre,
C’est que ce droit qu’on leur donnait,
Ils allaient de suite en user.
Toute la contrée retentit
De grondements, de chocs, de cris,
Les crocs se dégageaient, luisants
Comme des couteaux jaillissants
De leurs étuis, et à la nuit,
Le dernier roquet du pays
Avait planté ses dents pointues
Dedans quelque partie charnue
D’un individu à deux pieds.
Seuls ne purent s’exécuter
Les très vieux cabots, chargés d’ans,
Ou ceux-là qui, étourdiment,
S’étaient crus permis à l’avance
De profiter de cette chance
Et qui crevèrent de dépit
Couverts de puces, sur leurs tapis.
Mais il y eut assez de chiots
Pour mordre et faire couler un flot
Des humeurs de l’hydrophobie,
Afin de noyer le pays !