FABLES RIMÉES31 .
Le lion endormi.
Un taureau aussi doux qu’un enfant,
Le plus aimable des habitants
Qui peuplaient un sauvage désert,
Un taureau aux paisibles manières,
Était couché sur quelque hauteur,
Occupé à ruminer, à l’heure
Où s’achève la nuit, quand il vit
Poindre au loin un éclat cramoisi :
L’aube à l’est commençait à défaire
Les plis de sa brillante bannière.
Saisi d’une colère subite,
Le taureau, avec, dans chaque orbite,
Une flamme à faire pâlir d’effroi
La meilleure âme, se dresse droit,
Fronce le mufle et gratte la terre,
Jusqu’à se recouvrir de poussière,
Et se met tout à coup à gronder :
« Comment ! Tu ne crains pas d’éveiller
Le lion qui dort dans ma poitrine ? »
Puis, telle une vengeance divine,
Il fonce devant lui, tête basse,
Rencontre bientôt une crevasse
Où il tombe et se brise le cou !
Un tigre alors descend dans le trou,
Un tigre sage, calme et serein,
Prudent, économe de ses biens,
Qui sitôt transforme en provisions
La dépouille, en disant : « Ce lion
Caché dans sa poitrine n’était
Après tout qu’un âne qui dormait. »