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— Je suis là depuis combien de temps ? demanda Jamie.

 

— Deux jours et deux nuits, répondit Joe Feather.

 

— Où sommes-nous, exactement ?

 

— Au sud de Boulder City. Dans les montagnes. Personne ne nous trouvera.

 

Jamie effectua un rapide calcul. Le temps où il était resté inconscient dans ce monde équivalait à celui qu'il avait passé à se battre dans l'autre. Il regarda Joe attiser le feu avec un morceau de bois. Des étincelles jaillirent. Le soleil déclinait et bientôt la fraîcheur du soir tomberait. Mais le feu était déjà prêt pour faire chauffer l'eau, cuire le repas et donner un peu de lumière une fois la nuit venue. Aucun signe de Daniel. Il dormait sous le tepee.

 

— J'ai des questions à vous poser, Joe.

 

— Tu es sûr d'en avoir la force ?

 

Jamie bougea l'omoplate. Dès l'instant où il était revenu dans son monde, sa blessure avait réapparu. Il sentait l'endroit où la balle avait pénétré. Et il le sentirait probablement pendant plusieurs années. Mais ce n'était pas trop douloureux.

 

— Il a fallu inciser pour te retirer la balle, expliqua Joe Feather. La plaie a été pansée avec de l'écorce de saule.

 

Devant l'air perplexe de Jamie, il ajouta :

 

— C'est de la médecine traditionnelle. Mais elle est très adaptée. L'écorce de saule contient de l'acide salicylique. C'est un antiseptique naturel.

 

— Qui m'a soigné, Joe ?

 

— Une amie et moi.

 

— Merci…

 

Jamie n'avait pas à se plaindre. Il avait vu tant de blessures plus graves au cours de deux derniers jours.

 

— Tiens…

 

Joe versa de l'eau bouillante dans deux chopes en fer-blanc. Ceux qui les avaient conduits ici leur avaient laissé des provisions. Joe avait fait un thé de couleur rose, au goût un peu amer.

 

— Bois. Ça purifie le sang. Avec un peu de chance, ça chassera quelques vilaines toxines de ta blessure.

 

— Merci, Joe.

 

Jamie prit la chope brûlante.

 

— Vous êtes sûr qu'on ne risque rien, ici ?

 

— Certain. Les flics ne viendront pas te chercher dans la montagne. Et même s'ils viennent, ils ne te trouveront pas. Les Washoe savent se cacher.

 

— Vous êtes Washoe ?

 

— Oui. Comme ton frère et toi.

 

— Vous connaissiez l'existence des Cinq.

 

Jamie se rappelait les paroles de Joe quand il était venu le délivrer de la cellule d'isolement.

 

— Et les Anciens, ça vous dit quelque chose ?

 

Joe resta un instant silencieux avant d'acquiescer.

 

— Ce n'est pas ainsi que nous les appelons. Chaque tribu les désigne par un nom différent. Les Navajo les appellent Anasazi. Ce qui signifie ennemi ancien. Chez nous, ce sont les mangeurs d'hommes.

 

— Comment avez-vous su qui j'étais ?

 

— Je t'attendais.

 

Joe but une gorgée de thé et invita Jamie à en faire autant.

 

— Je ne sais comment t'expliquer tout ce que tu veux savoir. Je ferais peut-être mieux de te demander ce que tu connais sur les Washoe et les autres Indiens d'Amérique.

 

— Pas grand-chose, admit Jamie. À l'école, on parle des Indiens en général.

 

— Alors tu dois d'abord comprendre que mon peuple a été décimé, dit Jo d'un ton presque détaché, sans rancœur. Les Washoe étaient une tribu de montagne et nous avons appris à nous cacher. Malgré tout, nous ne sommes plus que quelques centaines aujourd'hui, et nous ne possédons presque rien. Bien sûr, nous n'étions pas les seuls. Tous les indigènes, en Amérique, ont souffert. Les Blancs nous ont volé notre passé et nous avons grandi sans espoir d'avenir. Beaucoup de nos parents se sont réfugiés dans l'alcool pour tenter d'oublier ce qu'on nous a infligé. Et beaucoup de nos jeunes gens se sont perdus dans la drogue pour la même raison.

 

» Néanmoins, certains d'entre nous vivent dans les deux mondes. Nous travaillons dans l'Amérique moderne — dans les hôtels, les casinos, les prisons. Mais nous n'avons pas oublié notre histoire. Et nous racontons encore le récit d'une grande bataille qui s'est déroulée au commencement du temps, et de deux héros, des jumeaux, qui ont aidé à remporté la victoire.

 

— Flint et Sapling.

 

— Ce ne sont pas les noms que nous leur donnons. Ce sont des noms iroquois, je pense. Mais ça n'a pas d'importance. Il fut un temps où les tribus n'en formaient qu'une. De toute façon, les récits sont oraux. Ils n'ont jamais été écrits. Et ils se modifient au fil du temps.

 

» Pourtant, aujourd'hui encore, on raconte l'histoire des héros jumeaux chez les Apaches, les Kiowa, les Navajo et bien d'autres. Les jumeaux sont toujours des garçons de ton âge. Dans la plupart des récits, Flint est mauvais. Il cause la mort de son frère, Sapling.

 

— Il n'était pas mauvais, objecta Jamie. Sapling s'est sacrifié.

 

— La légende dit que les héros jumeaux reviendront à une époque très difficile et que nous devrons les guetter. Il n'y a qu'un seul moyen de les reconnaître.

 

Joe posa un doigt sur son épaule.

 

— Ils portent une marque. Ici…

 

— Un tatouage.

 

— Tu appelles ça tatouage, mais ça n'a pas été injecté sous ta peau. Je l'ai vu tout de suite. Tu es né avec cette marque, Jamie.

 

— Que signifie-t-elle ?

 

— Les symboles indiens ont plusieurs significations. La spirale est le symbole de la vie humaine. Chaque être humain a une spirale sur le corps. Regarde les empreintes de tes doigts, ou l'implantation de tes cheveux au sommet du crâne. Une spirale n'a pas de fin. Donc elle signifie aussi l'immortalité. Quant à la ligne qui la divise en deux, elle peut avoir plusieurs sens. Le jour et la nuit. Le bien et le mal…

 

— Les jumeaux.

 

— Oui. J'ai vu la marque sur ton épaule quand tu étais sous la douche et j'ai aussitôt deviné qui tu étais. Mais tu m'as perturbé par ton mensonge, en prétendant que tu n'avais pas de frère.

 

— Je ne pouvais pas vous le dire. Je ne pouvais en parler à personne.

 

— Si j'avais su, j'aurais agi plus tôt. Mais j'ai tout de même prévenu mes amis. Ça n'a pas été facile. Il fallait que je les contacte par téléphone satellite et tous les appels, à Silent Creek, étaient surveillés. Bref, je leur ai passé le message et ils ont accepté de se rassembler. Ensuite, Max Koring a découvert ton identité et m'a confirmé que tu avais un frère. À ce moment-là, j'ai compris que tu courais un grand danger.

 

— Et vos amis ont attaqué la prison.

 

— C'est ça.

 

— Où sont-ils, maintenant ? Je n'ai même pas eu le temps de les remercier.

 

— Ils n'attendent pas de remerciements, Jamie. Ils ont été honorés de t'aider. La plupart sont rentrés chez eux. Deux ou trois ont été blessés. Mais aucun n'a été tué.

 

Il y eut un léger mouvement et Daniel sortit en rampant du tepee. Il avait dormi une partie de l'après-midi. Il cligna des yeux et sourit en voyant Jamie.

 

— Tu es réveillé !

 

— Danny, il faut que je te parle.

 

Jamie fit un effort pour se redresser et parvint à s'asseoir en tailleur devant le feu. Daniel et lui portaient encore leur pantalon de prisonnier, mais on leur avait fourni des tee-shirts propres. Celui de Danny arborait le logo d'une huile pour voiture.

 

— J'ai cru qu'ils t'avaient tué, dit Danny. Une vieille femme est venue… vraiment très très vieille. Elle a passé un temps fou à s'occuper de toi. Ils m'ont interdit de regarder. Je ne sais pas ce que la vieille dame a fait mais, ce matin, elle a remballé ses affaires et elle est partie sur son cheval. J'ai cru que tu étais mort. Je suis heureux de voir que non.

 

Joe se leva en disant :

 

— Je vous laisse bavarder tous les deux. Je vais préparer le repas.

 

Tandis que Joe disparaissait derrière le tepee, Jamie observa les alentours. Ils se trouvaient dans une sorte de crevasse au milieu des montagnes. Seul un hélicoptère survolant le secteur à la verticale avait une chance de les repérer. Mais, comme l'avait dit Joe, pourquoi viendrait-on les chercher ici ? Jamie examina le tepee où Daniel avait dormi. Il avait l'air tout à fait authentique, fait de peau de bête, avec un motif simple de lignes entrelacées à la base. Le soleil était bas dans le ciel, les montagnes rougeoyaient. Rien ne bougeait hormis les doigts dansants des flammes qui léchaient le bois mort, et les volutes de fumée.

 

— Comment te sens-tu ? demanda Jamie.

 

— Bien, répondit Daniel. Mais j'ai hâte de rentrer à la maison. Joe a un téléphone mobile mais il n'y a pas de réception ici. Je n'ai pas encore pu appeler maman.

 

— Tu veux bien me parler de la prison ? Et de Scott ?

 

— Il n'y a pas grand-chose à dire, soupira Daniel en s'asseyant en face de lui. Ils m'ont enlevé quand je rentrais de l'école et m'ont conduit directement à Silent Creek. Nous étions seize dans le Bloc. J'étais le plus jeune. Il y avait quatre filles. Le premier mois a été le pire. Ils faisaient des expériences sur moi. Ils imaginaient que j'avais je ne sais quel pouvoir. C'est la seule chose qui les intéressait. Des enfants avec des pouvoirs spéciaux.

 

— Tu voyais l'avenir, c'est ça ?

 

— Maman t'en a parlé ?

 

— Oui, elle m'a raconté tes visions.

 

— C'est juste arrivé deux ou trois fois. Je ne prévoyais pas vraiment l'avenir. C'était plutôt comme un mauvais pressentiment. Un bus a eu un accident et je savais que ça allait arriver. C'est sûrement à cause de ça qu'ils m'ont repéré, parce que les journaux en ont parlé. Ils ont essayé de me forcer à recommencer, et comme ça ne marchait pas, ils m'ont battu. Ils avaient une salle spéciale. Ils disaient que c'était le seul endroit à Silent Creek où mon pouvoir marcherait. Mais ça n'a rien changé. Comme je n'arrivais à rien, ils se sont désintéressés de moi.

 

Cela au moins expliquait pourquoi Jamie n'avait pas réussi à forcer Max Koring à lui obéir. Il croyait que son pouvoir l'avait abandonné, or c'était la situation à l'intérieur de la prison qui le perturbait. Un phénomène naturel, peut-être une sorte de champ magnétique, avait neutralisé son pouvoir mental. Nightrise n'avait rien laissé au hasard.

 

— Ils cherchaient les Cinq, murmura Jamie.

 

Soudain, c'était une évidence.

 

— Ils appellent ça le Projet Psi, poursuivit Daniel. Les autres jeunes venaient de tous les coins d'Amérique. Le programme était le même pour tous. Ils faisaient des tests. Ils nous maltraitaient. Ensuite, ils nous fichaient la paix mais nous gardaient en prison. C'est dégoûtant parce qu'on n'avait rien fait de mal. Billy avait peur qu'ils finissent par nous tuer s'ils n'avaient plus besoin de nous.

 

— Qui est Billy ?

 

— C'était mon ami. Je regrette qu'on n'ait pas pu l'emmener avec nous. J'espère qu'il va bien.

 

— Parle-moi de Scott.

 

— Scott était le dernier arrivé. Ils l'ont amené il y a trois ou quatre semaines. Il était dans la cellule voisine de la mienne. J'ai pu le voir avant qu'ils commencent à travailler sur lui.

 

Daniel vit Jamie tressaillir.

 

— Je suis désolé…

 

— Ils l'ont beaucoup torturé ?

 

— Eh bien… quand il est revenu, au bout de quelques jours, il ne parlait plus. Ni à moi ni à personne. J'ai compris qu'ils avaient dû faire leurs sales expériences. C'était le chauve qui s'occupait de lui… M. Banes. On a compris que Scott était important pour eux parce qu'une femme est venue exprès pour le voir. Une femme mince, maigre, avec des cheveux gris et un visage qui faisait penser à un fruit pourri. On ne l'avait jamais vue avant. Elle faisait peur à tout le monde.

 

— Tu connais son nom ?

 

— Non. Elle ne l'a jamais dit.

 

Il y avait une question que Jamie redoutait de formuler.

 

— Qu'est-il arrivé à Scott ? Que lui ont-ils fait ?

 

— Je ne sais pas, Jamie. Je suis désolé. Il a disparu tout d'un coup. Personne n'a su où ils l'avaient emmené.

 

Fin de l'histoire.

 

Daniel ne lui avait rien appris de plus que Joe. Jamie sentit une vague de désespoir l'envahir, mais il résista. Il ne baisserait pas les bras. Les paroles de Matt étaient gravées en lui. Il avait mené une armée et livré une bataille… même si c'était dans un autre monde, à une autre époque. Le plus étrange était qu'il n'avait aucun doute sur la réalité de l'expérience qu'il avait vécue. Il savait que ça n'avait rien d'une illusion, ni d'un délire causé par la fièvre. C'était bien réel. D'ailleurs, Joe Feather l'avait reconnu pour ce qu'il était. L'un des Cinq. Quoi qu'il arrive, Jamie retrouverait Scott. Et peu importait le temps que cela prendrait.

 

— Quand pourrons-nous partir ? demanda Daniel.

 

Le garçon avait onze ans. Il avait été kidnappé en plein jour, séparé de sa mère, et retenu prisonnier pendant sept mois. Jamie comprenait son impatience.

 

Quand Joe revint avec une poêle, il lui répéta la question.

 

— Quand pourrons-nous partir, Joe ?

 

— Où voulez-vous aller ?

 

— À Reno. La mère de Danny attend là-bas.

 

Joe réfléchit une minute avant de répondre.

 

— Dans vingt-quatre heures. La route la plus proche est à dix kilomètres et nous devrons voyager de nuit. Des amis nous attendent. Ils vous conduiront où vous voulez.

 

— On peut vraiment partir demain ? insista Daniel.

 

— Si Jamie est en état.

 

— Ne t'inquiète pas, Danny, assura Jamie en buvant une gorgée de thé. Je serai prêt.

 


Ils partirent le lendemain soir. Jamie s'appuyait sur un bâton que Joe lui avait taillé. Il savait qu'il n'était pas vraiment en état de voyager. Son épaule et son bras gauches étaient en feu, et l'hémorragie l'avait affaibli. Mais il n'avait pas le courage de faire attendre Daniel plus longtemps. La nuit était magnifique. La pleine lune et un million d'étoiles les guidaient. Ils descendirent de la montagne lentement, mais une fois sur le plat, ils avancèrent plus vite. Joe les guidait avec assurance. Il n'hésita pas une seule fois. Jamie songea que ce sens de l'orientation se transmettait chez les Indiens de génération en génération.

 

La fatigue le gagna assez vite et il regretta d'avoir présumé de ses forces. Chaque pas amplifiait la douleur de son épaule et la diffusait dans tout son corps. Il s'appuyait sur Daniel mais serrait les dents pour ne pas se plaindre. Même quand ils firent halte pour se désaltérer, jamais il ne demanda à se reposer.

 

Il ne vit la route que lorsqu'ils débouchèrent sur le goudron. Le ruban rectiligne filait vers l'horizon. On n'apercevait aucune construction. Seule une rangée de poteaux téléphoniques ponctuaient le tracé de la route. Daniel poussa une exclamation réjouie.

 

Les fils téléphoniques signifiaient pour lui un contact prochain avec sa mère.

 

Ils avaient parcouru une centaine de mètres sur la chaussée lorsque des phares surgirent au loin. Jamie eut un sursaut inquiet, mais Joe le rassura d'un signe de la tête. C'était le véhicule qu'il attendait. Quelques instants plus tard, un minibus déglingué conduit par un Indien s'arrêta devant eux. Jamie avait du mal à comprendre comment il les avait repérés. Avait-il patrouillé sur la route toute la nuit ? Mais ce détail importait peu. Il était heureux de s'asseoir.

 

Joe échangea quelques mots avec le conducteur et tous trois prirent place dans la guimbarde. Jamie, appuyé contre la fenêtre, regarda le paysage défiler, sombre et désert.

 

Une heure plus tard, ils s'arrêtèrent à l'entrée d'une petite bourgade dont on apercevait les réverbères et les silhouettes noires des maisons.

 

— C'est ici que je vous quitte, annonça Joe.

 

Jamie avait la gorge nouée.

 

— Merci, Joe. Qu'allez-vous devenir ? La police va sûrement vous rechercher et vous avez perdu votre emploi.

 

— Mon peuple me soutiendra. Ne t'inquiète pas. Et si tu as encore besoin de nous, nous viendrons.

 

Jamie n'en doutait pas. Il n'avait aucun moyen de les contacter, mais les Washoe sauraient le trouver. Et si le besoin s'en faisait sentir, ils interviendraient. Joe leur serra la main, puis il descendit du minibus qui redémarra aussitôt.

 

Sitôt après, Jamie s'endormit.

 

Quand il rouvrit les yeux, il reconnut tout de suite le paysage. Reno, la ville où toute cette aventure avait commencé. Il vit les repères familiers : l'hôtel Hilton, au loin, le grand édifice de verre noir de l'hôtel de ville qui dominait le quartier central. Les casinos et les bureaux de prêteurs sur gages. Les eaux vives de la rivière Truckee. C'était le dernier endroit où il avait envie d'aller mais Alicia et lui étaient convenus que c'était le plus simple. Comme elle voulait rester à proximité de Jamie pendant son séjour à la prison, mais pas trop près, elle avait décidé de s'installer à Reno, à quelques heures de Silent Creek. C'était là qu'elle l'attendrait.

 

— Je vous dépose où ? demanda le conducteur.

 

— Vous connaissez un endroit appelé Paso Tiempo ? C'est près de l'aéroport.

 

Paso Tiempo était en fait un camp de caravanes situé à côté du motel où Alicia était descendue lors de son dernier passage en ville. C'était une sorte de longue avenue, bordée de cubes sur roues soigneusement alignés. Le conducteur ralentit et s'arrêta devant un des mobile homes. Le numéro vingt-trois. Avec ses jardinières de fleurs, c'était le plus joli du camp. Alicia l'avait loué pour un mois.

 

Jamie donna un coup de coude à Daniel.

 

— Réveille-toi, Danny.

 

Au même instant, la porte du mobile home s'ouvrit et Alicia apparut sur le marchepied. Elle les avait sans doute entendus arriver. Ou alors elle ouvrait sa porte dès qu'une voiture approchait. Daniel fut instantanément réveillé, et une expression de bonheur intense illumina son visage. Dans son empressement, il faillit tomber du minibus en descendant et courut se jeter dans les bras de sa mère.

 

Jamie descendit plus lentement. Il avait terriblement mal. C'est à peine s'il pouvait remuer le cou et le bras, et il boitait. Des émotions multiples le traversèrent. D'abord, la joie d'avoir ramené Daniel à Alicia. Mais la tristesse aussi, en les voyant ensemble ; une tristesse immense, qui effaça presque la douleur physique. Lui, Jamie, n'avait pas de mère. Personne ne l'avait jamais serré ainsi dans ses bras, et personne ne le ferait jamais. Il eut honte de lui. Mais il savait qu'il était arrivé au bout d'une route. Alicia et Daniel s'étaient retrouvés. Ils ne pouvaient plus rien faire pour lui.

 

Alicia leva les yeux.

 

— Jamie, tu m'as ramené mon fils. Comment te remercier ? Comment pourrai-je jamais te remercier assez ? Mais… et Scott ?

 

— Scott n'était pas là.

 

Alicia écarta Daniel et s'avança vers Jamie. Ils restèrent un instant face à face, puis elle voulut le prendre dans ses bras. Mais elle hésita en voyant sa pâleur.

 

— Tu es blessé.

 

— Ça va aller. Vous voulez bien que j'entre me reposer ? J'ai besoin de m'allonger.

 

— Bien sûr, voyons. Tu me raconteras...

 

Elle se mordit la lèvre.

 

— Je suis désolée… pour Scott.

 

Mais Jamie était déjà passé devant elle. Il parvint à se hisser sur le marchepied et entra dans la caravane. C'était frais et propre, avec un coin cuisine, un canapé et une table. Il s'assit. La mère et le fils restèrent ensemble, dehors.