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Jamie n'avait jamais rien éprouvé de tel. Même sur la scène du théâtre de Reno, il ne s'était jamais senti aussi mal. Il n'avait pas entendu le déclic d'arrêt de la climatisation mais il en avait subi les effets immédiatement. L'air rafraîchi s'était évaporé immédiatement, et la chaleur l'avait littéralement enveloppé. On aurait pu dire qu'il faisait chaud comme dans un four, à cette différence que ce n'était pas comme. C'était un four. Un four où il allait cuire, lentement, jusqu'à ce que mort s'ensuive.

 

Il attendit ce qui lui parut une éternité, puis se traîna à la porte pour presser le bouton d'appel. La température avait déjà dépassé quarante degrés et continuait de monter. Le soleil cognait sur les façades et sur le toit. Jamie ruisselait de sueur. Ses vêtements étaient trempés. Il n'osait pas respirer trop profondément de peur de se brûler les poumons. Personne ne venait. Il pressa une nouvelle fois le bouton d'appel, puis encore et encore, et finit par en tirer la conclusion que : soit le bouton ne fonctionnait pas, soit on l'ignorait délibérément. Cela faisait-il partie du châtiment ? Ou bien était-ce, comme il le soupçonnait, l'annonce de sévices encore plus redoutables ?

 

Il s'approcha du lavabo en métal — déjà presque brûlant— et ouvrit le robinet. Un filet d'eau froide en sortit. Jusqu'à présent, Silent Creek lui avait fourni de l'eau minérale en bouteille car l'eau courante n'était pas filtrée. Mais il n'avait pas le choix. S'il ne buvait pas, il mourrait. Il mit sa main en coupe et aspira une gorgée. L'eau avait un goût croupi et métallique. Jamie ôta son tee-shirt, le passa sous le robinet pour le mouiller, et se tamponna le visage et le corps. L'eau ruissela agréablement sur son torse, mais l'effet de fraîcheur ne dura que quelques secondes. Il essora le tee-shirt contre sa nuque. Il lui faudrait répéter l'opération jusqu'à ce que quelqu'un vienne, ou que l'air conditionné se remette en marche. Pourtant, quelque chose lui disait qu'il risquait d'attendre très, très longtemps.

 

Le temps s'écoulait impitoyablement. La vitre laiteuse de la lucarne interdisait de deviner l'heure, sauf à l'approche de midi, quand la lumière devint plus intense et la chaleur encore plus insupportable. Jamie était livré à lui-même. Il avait envie de hurler, de marteler la porte à coups de poing, mais il savait que personne ne l'entendrait et que cela ne l'avancerait à rien. D'ailleurs, il n'était même pas sûr d'en avoir la force. Respirer lui était de plus en plus difficile. Plus le temps passait, plus il dérivait entre un état conscient et une somnolence qui l'entraînait vers la mort. Il se forçait à se lever régulièrement pour marcher jusqu'au robinet. Le mince filet d'eau était sa seule chance de survie.

 

Cette fois, il avait échoué. Il aurait dû s'en douter au regard que Joe Feather lui avait lancé la veille, après le déjeuner. D'une manière ou d'une autre, l'officier d'admission l'avait reconnu et prévenu le surveillant en chef, Max Koring. Et voilà le résultat. Ils allaient l'abandonner ici jusqu'à qu'il succombe. Ensuite, ils expliqueraient aux autorités qu'il s'agissait d'un accident. Hormis son saignement de nez, on ne relèverait aucune trace de violence sur son corps. Ils l'enterreraient dans le désert et l'histoire s'arrêterait là.

 

Avaient-ils procédé ainsi avec Scott ? Dans ce cas, c'était absurde. Pourquoi les laisser mourir à Silent Creek après s'être donné tout ce mal : le kidnapping, les pistolets à fléchettes, le double meurtre de Don et Marcie ? Nightrise était censé rechercher des enfants dotés de pouvoirs paranormaux. Scott, lui-même, Daniel McGuire et bien d'autres. Mais Jamie ne comprenait toujours pas ce qu'on attendait d'eux.

 

Enfin la porte s'ouvrit.

 

Jamie sentit un air frais lui caresser la peau. Il était allongé sur le dos, torse nu, le pantalon trempé, son tee-shirt roulé en boule sous sa nuque. Sa poitrine se soulevait spasmodiquement, ses poumons cherchant désespérément de l'air. Il parvint à tourner la tête et distingua la silhouette d'un homme sur le seuil. L'homme avança et Jamie tressaillit en reconnaissant Joe Feather.

 

L'officier d'admission se planta dans la cellule et poussa un juron étouffé. Puis il grommela :

 

— Mais qu'est-ce qu'ils fabriquent ?

 

Il ressortit d'un bond et Jamie craignit qu'il ne l'abandonne à nouveau. Au contraire, Feather trouva le bouton de l'air conditionné et le remit en marche. Aussitôt la température suffocante commença à baisser. Jamie dut s'évanouir un instant car, en rouvrant les yeux, il découvrit Feather agenouillé à côté de lui, une bouteille d'eau fraîche à la main.

 

— Bois un peu. Pas trop. Ça te rendrait malade…

 

Il tint la bouteille contre ses lèvres et Jamie avala une gorgée. Il ne se rappelait pas avoir éprouvé une sensation aussi délicieuse que cette eau froide s'écoulant dans sa gorge.

 

Pendant un instant, aucun d'eux ne parla. Jamie reprit un peu de force et examina l'homme qui l'avait accueilli à Silent Creek. Joe Feather était probablement plus âgé qu'il ne l'avait d'abord cru. Il était difficile de donner un âge à ce visage tanné par le soleil et marqué par la vie. Il examinait Jamie avec consternation et… autre chose. Pour la première fois, Jamie se demanda si cet homme pouvait ne pas être son ennemi. Après tout, ils avaient l'un et l'autre du sang indien. Cela ne faisait-il pas d'eux des alliés ?

 

— Tu peux te lever ? demanda Feather.

 

Il jetait de fréquents coups d'œil vers la porte pour s'assurer que personne n'approchait.

 

— On n'a pas beaucoup de temps.

 

— Pourquoi ?

 

— Tu dois sortir d'ici. Ils vont te faire du mal. Mais j'ai des amis. Je les ai appelés. Ils seront bientôt là. Ils t'aideront à t'évader.

 

— M'évader …?

 

Tout allait trop vite. Jamie se redressa péniblement et prit la bouteille pour boire encore un peu. Puis il vida le reste sur sa tête. L'eau froide ruissela sur son cou et ses épaules, et il se sentit aussitôt ragaillardi.

 

— Je ne comprends pas. Pourquoi voulez-vous m'aider ?

 

— Plus tard, dit Feather. Ce n'est pas le moment de discuter.

 

— Je ne vous connais pas. Je ne sais pas ce que vous avez en tête. Pourquoi je vous ferais confiance ?

 

Feather poussa un grognement impatient.

 

— Moi, je te connais. Je sais qui tu es.

 

— Qui ?

 

— Tu es l'un des Cinq.

 

Ce n'était pas la réponse qu'attendait Jamie. Elle n'avait pour lui aucun sens. Il tenta une autre approche.

 

— À mon arrivée ici, vous m'avez demandé si j'avais un frère.

 

— Tu as nié, mais je savais que tu mentais. Hier soir, M. Koring m'a dit ton vrai nom. Tu as un jumeau.

 

Jamie passa la main dans ses cheveux mouillés.

 

— C'est vrai, admit-il. Je m'appelle Jamie Tyler.

 

Feather hocha la tête.

 

— Il y a eu un Scott Tyler à la prison. Il a été envoyé au Bloc… de l'autre côté du mur. Mais je n'étais pas là quand il est arrivé. Je ne l'ai pas vu.

 

— Vous mentez ! Vous étiez au courant pour le tatouage. Scott a la même marque au même endroit. Vous l'avez reconnue !

 

— C'est grâce à ton tatouage que j'ai compris qui tu es. J'ai beaucoup de choses à t'expliquer. Mais pas maintenant. Pas ici. Des amis à moi sont déjà en route pour venir t'aider. Cette nuit, il fait très noir, tu vas partir…

 

— Pas sans Scott !

 

Jamie avait haussé la voix et l'officier d'admission jeta un regard inquiet vers la porte.

 

— Ton frère a été amené ici il y a une semaine, chuchota-t-il rapidement. Je ne vais jamais au Bloc. Je n'ai pas l'autorisation. Mais parfois j'entends des gardiens parler et je connais les noms des détenus. Scott a été enfermé à Silent Creek mais il n'y est plus. Ils l'ont emmené ailleurs.

 

— Quand ?

 

— Juste avant ton arrivée.

 

— Où ? Où l'ont-ils emmené ?

 

— Je ne sais pas, répondit Joe Feather en baissant les yeux. On ne me l'a pas dit. Tout ce que je sais, c'est qu'il n'est plus là.

 

C'était la pire nouvelle que Jamie redoutait d'entendre. Échouer si près du but ! S'il était arrivé plus tôt, tout aurait été différent. Maintenant son frère avait disparu. Nightrise pouvait l'avoir expédié n'importe où. Jamie allait devoir reprendre ses recherches à zéro.

 

— Si tu veux retrouver ton frère, il te faut absolument quitter Silent Creek. Suis mon conseil. Si tu restes, tu n'as aucune chance.

 

— Attendez une minute…

 

Jamie s'efforçait de rassembler ses esprits.

 

— Parlez-moi d'abord du Bloc. C'est le nom que vous donnez aux bâtiments qui se trouvent de l'autre côté du mur. Mais à quoi sert-il ? Combien de jeunes y sont enfermés ? Que s'y passe-t-il ?

 

— Je t'en prie, insista Feather.

 

Mais il vit que Jamie ne céderait pas.

 

— Écoute, je travaille ici seulement depuis quelques mois. J'ignore ce qui se passe au Bloc. Je sais juste qu'il y a les détenus de la prison principale, et puis les autres. Les spéciaux. Il existe un programme qui s'appelle le projet Psi. Je ne sais pas ce que ça veut dire. Je ne travaille pas au Bloc. Parfois, je vois certaines choses. Des noms sur des listes. Et je surprends des conversations entre des surveillants. Mais tu sais, pour moi, ce n'était qu'un emploi comme un autre jusqu'à ton arrivée. À ce moment-là, j'ai compris que je devais agir…

 

— Pourquoi ?

 

— À cause du tatouage !

 

Feather n'en pouvait plus. Il s'approcha de la porte pour jeter un coup d'œil dans le couloir. Personne. Les autres cellules d'isolement étaient vides.

 

— Je te raconterai tout, c'est promis. Mais seulement quand nous serons loin d'ici.

 

— D'accord.

 

Jamie comprit que discuter ne servirait à rien. Et il n'avait pas envie de passer une minute de plus à Silent Creek si Scott n'y était pas.

 

— Mais avant de partir j'ai une chose à faire. Il y a un garçon appelé Daniel McGuire.

 

— McGuire… Oui, je crois avoir vu ce nom.

 

— Il est au Bloc ?

 

— Oui.

 

— Je l'emmène avec moi.

 

Feather ouvrit la bouche pour protester, mais Jamie ne lui en laissa pas le temps.

 

— Si je suis là, c'est grâce à la mère de Daniel. Je lui ai promis de le ramener.

 

— Mais on ne peut pas entrer au Bloc. Il y a des caméras, des gardiens…

 

— Vous allez m'aider. Vous devez m'aider !

 

Joe Feather serra les mâchoires, puis il acquiesça.

 

— Je vais voir ce que je peux faire. On n'a plus le temps de discuter. M. Koring va bientôt arriver. Je reviendrai te chercher quand il fera nuit. Ensuite, on avisera.

 

— Je n'irai nulle part sans Daniel.

 

— Je ferai de mon mieux.

 

Feather parti, Jamie se rallongea, tout étourdi. Un léger déclic lui parvint et il comprit que l'Indien avait de nouveau coupé l'air conditionné. C'était logique. Si Koring jetait un coup d'œil dans la cellule, il constaterait que son prisonnier étouffait. La chaleur revint et enveloppa Jamie comme un énorme édredon. Mais il avait bu de l'eau et les heures caniculaires de la journée étaient passées. Il regretta de ne pas avoir demandé l'heure à Feather. Il en était réduit à fixer le rectangle opaque de la lucarne pour guetter la tombée du soir. Enfin, la nuit vint. L'ampoule unique, emprisonnée dans une cage métallique au-dessus du lavabo, s'alluma automatiquement. Cela aussi faisait peut-être partie du châtiment, ou bien c'était une façon de l'affaiblir avant ce qui l'attendait. Une angoisse commença à envahir Jamie. Joe Feather avait-il été démasqué ? Changé d'avis ? Il avait promis de revenir à la tombée de la nuit, or une heure au moins s'était écoulée depuis le crépuscule.

 

Ce n'est que bien plus tard que la porte s'ouvrit enfin. Joe Feather entra précipitamment. Il apportait les tennis de Jamie et un tee-shirt propre, ainsi qu'une bouteille d'eau. Jamie but avidement et regretta qu'il n'ait pas songé à lui apporter aussi à manger.

 

— Il faut faire vite, dit Feather. M. Koring est parti…

 

— Où ?

 

— Au terrain d'aviation. Il y a un petit avion qui doit se poser. Koring est allé accueillir M. Banes.

 

Banes. C'était le dernier nom que Jamie souhaitait entendre. Il se leva sans plus tarder et enfila le tee-shirt.

 

— Mes amis ne sont pas loin, poursuivit Joe Feather en jetant un coup d'œil à sa montre. Il est dix heures. Ils arriveront à dix heures et demie. Nous devrons être prêts.

 

— Et Daniel ?

 

Feather sortit une petite bouteille en plastique de sa poche et la déboucha. Elle contenait une sorte de sirop rouge.

 

— C'est du jus de cerise amère, expliqua-t-il.

 

Avant que Jamie ait pu l'en empêcher, Joe lui badigeonna le côté du visage de sirop rouge. Jamie se tâta la joue et regarda ses doigts. On aurait dit du sang.

 

— Maintenant, je te conduis à l'infirmerie, dit Feather. Tu feras semblant d'être blessé.

 

Jamie se souvint de ce que lui avait dit Baltimore. L'aile de l'infirmerie longeait le mur et servait pour les deux corps de la prison.

 

— Tu seras repéré par les caméras, poursuivit Feather. Mais les gardiens verront le sang sur ton visage et ne se poseront pas de questions. Il n'y a personne à l'infirmerie. En cas d'urgence, on est censé appeler le médecin. Mais je ne le ferai pas, bien entendu. Nous serons seuls.

 

— Et comment entrera-t-on dans le Bloc ?

 

— Viens. Je t'expliquerai.

 

Le jus avait dégouliné le long du visage de Jamie. N'importe qui, en le regardant, penserait qu'il avait été mêlé à une violente bagarre ou essayé de se suicider. Joe Feather le soutenait et Jamie trébuchait comme s'il avait du mal à se tenir debout. Au bout du couloir, désert, ils arrivèrent devant une porte menant au terrain de football. Jamie savait qu'aucun gardien n'en possédait la clé. Elle s'ouvrait électroniquement depuis le poste de contrôle central. Il sentit la présence d'une caméra, au plafond, qui pivotait pour l'examiner sous tous les angles. La ruse allait-elle fonctionner ? Silence. Il y eut un bourdonnement et la serrure s'ouvrit avec un déclic. Joe passa le premier. Ils étaient dehors !

 

Cela faisait un effet étrange de traverser le terrain de football sous l'éclairage artificiel des lampes à arc. Le désert était noir d'encre. Il n'y avait pas de lune. Pourtant la prison tout entière baignait dans une lumière électrique blafarde qui faisait luire la clôture de barbelés. Jamie jeta un regard vers les fenêtres des quatre unités et songea aux garçons dont il avait fait la connaissance — Baltimore, Yeux Verts et les autres. Son cœur se serra à l'idée de les abandonner à leur sort. Bien sûr, ils avaient commis des erreurs. Fait des choses stupides. Mais, finalement, aucun n’était foncièrement mauvais.

 

Le bâtiment de l'infirmerie se dressait devant eux, adossé contre le haut mur de parpaings. Joe Feather possédait une clé de la porte. Ils entrèrent et traversèrent un hall d'accueil, avec un bureau et deux petites salles de consultation donnant sur un couloir, derrière. Il y avait un tableau de test de vision sur un mur, et deux affiches contre la drogue sur un autre. Jamie repéra dans un angle une autre caméra. Comment allaient-ils pouvoir agir s'ils étaient observés en permanence ?

 

Joe Feather se baissa et feignit d'examiner la blessure de Jamie.

 

— La caméra nous voit mais ne nous entend pas, dit-il entre ses dents. Ils attendent que je décroche ce téléphone pour appeler le médecin. Je vais faire semblant. Toi, prends ça…

 

Jamie sentit un objet métallique glisser dans le creux de sa main.

 

— C'est le passe-partout, expliqua Feather. Il ouvre les cellules des quatre unités. Nord, Sud, Est et Ouest. Mais il devrait aussi ouvrir les cellules du Bloc. Je n'en suis pas certain. S'il ne fonctionne pas, on n'a pas d'autre solution.

 

— Comment fait-on pour entrer dans le Bloc ?

 

— Il y a une porte au bout du couloir.

 

Jamie jeta un rapide regard circulaire, tout en faisant une grimace de douleur pour la caméra, et aperçut en effet une porte, après les deux salles de consultation. Et comme on pouvait s'en douter en observant la configuration du bâtiment, le couloir était une sorte de tunnel qui traversait le mur de séparation coupant la prison en deux.

 

Pendant ce temps, Joe Feather s'était approché du téléphone et composait un numéro. Quelque part dans Silent Creek, d'autres gardiens observaient ses moindres mouvements. La règle première de la prison était l'absence totale de surprises. Chaque minute de la journée devait ressembler à celle de la veille. Le fait qu'un garçon ait été blessé et nécessite des soins médicaux rompait la routine ; tous les surveillants étaient en alerte. Feather feignit de parler avec le médecin au téléphone. En réalité, il s'adressait à Jamie.

 

— J'ai bricolé le générateur électrique qui est dans la cour. Il possède un système de déviation. On est parfois obligés de l'arrêter pour le réparer. Il va se couper dans très peu de temps et il leur faudra un moment pour mettre en service le générateur de secours. Cela nous donnera une bonne minute sans caméras, sans lumières, et avec toutes les portes de la prison en ouverture manuelle. Tu en profiteras pour faire sortir ton ami. Il est dans la cellule quatorze.

 

— Il n'y aura pas de gardiens ?

 

— Uniquement le surveillant de nuit. Je m'occupe de lui.

 

— Pourquoi faites-vous tout ça ?

 

Joe Feather leva les yeux du téléphone et se permit un bref sourire.

 

— Je te l'ai déjà dit. Tu es l'un des Cinq.

 

— Oui, mais l'un des cinq quoi ? Qu'est-ce que ça veut dire ?

 

Sans avertissement, toutes les lumières s'éteignirent.

 

— Vite ! ordonna Joe.

 

Il alluma sa lampe torche. Jamie le suivit dans le couloir et attendit qu'il ouvre la porte du fond avec sa clé. Dans l'obscurité totale, le faisceau de la torche accrochait quelques détails du décor : une unité presque identique à celle de Jamie, un couloir bordé de portes de cellule, une table fixée au sol, une rangée d'écrans de contrôle, un surveillant qui se mettait debout et tâtonnait pour décrocher la bombe de gaz CS de sa ceinture.

 

— Mais qu'est-ce que…

 

Joe l'assomma avec sa lampe torche. Le faisceau zigzagua follement sur le mur. Jamie entendit un grognement, suivi du bruit mat d'un corps s'affalant à terre.

 

— Vite ! répéta Joe, tout en hissant son collègue évanoui dans son fauteuil.

 

Il le plaça de telle façon contre le bureau que, lorsque la lumière reviendrait, le gardien donnerait l'impression de lire une page du livre ouvert devant lui. Jamie chercha à se repérer. Joe lui lança sa lampe torche. Il la saisit au vol et s'élança au pas de course.

 

Les numéros des cellules étaient nettement peints à côté de chaque porte. Il devait se dépêcher. Dès que le générateur de secours se mettrait en route, les caméras l'épingleraient. Pire, les portes se verrouilleraient électroniquement. Des cris retentirent dans les cellules. Certains détenus avaient dû se réveiller dans l'obscurité. Une expérience nouvelle pour eux. Ils tambourinaient contre les portes. Jamie se demanda s'il se passait la même chose dans l'autre secteur de la prison.

 

Arrivé devant la porte quatorze, il enfonça la clé dans la serrure et tourna. Il poussa un soupir de soulagement en entendant le déclic. Il ouvrit la porte et entra.

 

Sa torche éclaira un enfant noir de onze ans, allongé sur une couchette, en short et tee-shirt. Il était petit pour son âge mais musclé et nerveux. Des cheveux courts et frisés, des yeux ronds et blancs. Il portait un sparadrap au poignet, juste au-dessus de la veine, et il était amaigri. En dehors de cela, il paraissait indemne. Il était réveillé et contemplait de ses grands yeux la silhouette qui avait fait irruption dans sa cellule. Jamie poussa légèrement la porte dans son dos et dirigea la torche sur son propre visage.

 

— N'aie pas peur, dit-il. Je suis un ami.

 

— Scott ?

 

Le jeune garçon croyait l'avoir reconnu. Un bref instant, Jamie fut désarçonné. Puis il se rappela qu'il ne portait pas ses fausses lunettes et, dans la pénombre, il était facile de le prendre pour son frère, même avec ses cheveux courts.

 

— Je ne suis pas Scott. Je suis son frère.

 

— Jamie !

 

— Oui !

 

Un tourbillon d'émotions ébranla Jamie. Scott avait vécu ici. Ce garçon l'avait rencontré. Peut-être même savait-il où il était parti.

 

— Tu es Daniel, n'est-ce pas ?

 

— On m'appelle Danny.

 

— Je connais ta mère. Elle te cherche. C'est elle qui m'envoie.

 

— Tu connais ma maman ?

 

Soudain, les lumières revinrent. Danny sursauta en découvrant les traînées rouges sur le visage de Jamie.

 

— Tu es blessé !

 

— Non, ne t'inquiète pas. C'est bidon…

 

Jamie ne savait pas ce qui était censé se passer ensuite. Il était dans la cellule avec Danny, à l'intérieur du Bloc. Les autres prisonniers continuaient de marteler les portes de leurs poings en criant. Les lumières étaient revenues. Les caméras de surveillance en fonction. La prison entière en état d'alerte maximale. À quoi avaient-ils abouti, au juste ?

 

Colton Banes aussi avait vu les lumières se rallumer.

 

Il était dans la jeep qui le ramenait de l'aérodrome où s'était posé le Cessna quatre places en provenance de Las Vegas. Au volant de la jeep, Max Koring avait compris immédiatement qu'il se passait quelque chose d'anormal. Silent Creek était visible à des kilomètres et l'obscurité, dans cette zone du désert, était tout simplement impossible. C'était une sorte de tour de magie phénoménal. Les lumières revinrent alors qu'ils roulaient sur la piste cahoteuse.

 

Koring se tourna vers Colton Banes.

 

— Une coupure de courant, expliqua-t-il. Ça arrive. Le générateur tombe parfois en panne.

 

— Une panne accidentelle ? dit Banes en secouant la tête. Justement ce soir ?

 

Il glissa une main sous sa veste et sortit un revolver.

 

— Accélérez, Koring, jeta-t-il d'un ton cassant. Il faut déclencher l'alerte.

 

Mais il était trop tard. La jeep était encore à une centaine de mètres de l'entrée principale de la prison lorsque les premiers coups de feu éclatèrent.