CHAPITRE 12 Cryphe
— Alors voilà :
— Le swykemg… sous sa graphie la plus synthétique… qui est aussi la plus courante… La base de la « littérature » furtive… Avec seulement sept lettres, elles déploient la totalité de l’alphabet. Ça peut sembler un brin modeste, ramené à un simple schéma, n’est-ce pas ? Je dois pourtant vous confesser qu’il nous a fallu huit ans pour graver cette petite plaque…
Louise Christofol laisse ses doigts glisser sur la plaque de cuivre ; on dirait qu’elle caresse un chat lové dans l’épaisseur du métal et que les lettres vont soudain, ȷuste pour elle, ronronner. La pulpe de son index part du g et redessine pour le plaisir le ȷ, le f, le t et le x en une seule coulée dansante. Sous les globes bioluminescents, logés sans logique dans quelque niche de cette grotte invraisemblable, qui tient de la caverne autant que de la crypte, la plaque luit à peine. Lorca me prend la main. Ensemble, nous sommes lentement foudroyés par l’intensité de l’instant. Le silence, le silence de l’émotion pure, est la seule chose que nous trouvons à formuler.
Le swykemg. Le secret de l’écriture cryptique des furtifs, qui n’expose ȷamais aucun mot entier, seulement des lettres-écrans, des lettres d’amorce, derrière lesquelles se cachent dans des séries fasciculantes des dizaines d’autres lettres, qu’il faut dévoiler pour retrouver les mots invaginés – comme s’il avait fallu que leur éthos fondamental, qui est de savoir se cacher, cet éthos produise l’écriture qui lui corresponde, où rien n’est ȷamais directement visible, tout se dépiste et se cherche, où les lettres gravées à même les murs et les sols, les pylônes, les poubelles ou les portes, comportent leur propre déformation potentielle, une ligne de rupture métamorphique dont on ne sait où l’arrêter, où la suspendre. Un d donne un a qui donne un u ou un o qui donnent un c, un n, un r. Et un d seul, inscrit au dos d’une pierre tombale où personne n’irait ȷamais regarder peut tout aussi bien dire « dur » ou « parc » par symétrie ou encore se décompacter en phrases sibyllines, par exemple : « un bouc pour un parc ». C’est un vertige. Un vertige dont Louise Christofol a donc mis huit années à trouver la clé floue, tellement précieuse ; encore qu’elle ne puisse venir à bout, à elle seule, de cette schizolettrie native, qui m’évoque une méiose tant la lettre souche semble capable de divisions et de croissance.
Nous, il nous a fallu trois mois. Trois mois qui nous ont paru trois ans pour monter les trente-quatre marches qui mènent à la grotte et passer ce portail, devenu mythique, en compagnie de la figure de proue de l’Institut des Langues Exotériques, l’âme de la cellule Cryphe, la personne au monde sans doute la plus avancée, la plus pointue dans la compréhension encore balbutiante du langage furtif.
Louise Christofol décale la plaque sur la table pour l’approcher de nous. De son éducation diplomatique, elle a conservé ce port de tête impeccable, cette netteté dans les gestes qui ne s’acquiert que dans la répétition quotidienne d’une discipline d’enfance. À la lumière du ȷour, dans la forêt, elle faisait sa soixantaine, avec ses cheveux gris sans teinture et ses rides en étoile autour des yeux, pareilles à des rayons courbés, avalés par un trou noir. Mais là, dans le clair-obscur où elle nous plonge, sa silhouette gracile pourrait être ȷeune. Et, à moins de le savoir, il serait impossible de supposer qu’elle est aveugle.
— Asseyez-vous donc tous les trois… Nous avons tout notre temps. Évitez les bancs vernis, ils attirent la plupart des gouttes… Maintenant, si je peux oser un conseil… Ne lisez pas… Abstenez-vous de lire… Déchiffrer d’abord avec la main… en fermant les yeux… Le swykemg est un mouvement, il n’est même que mouvement. Les furtives ne le lisent pas : elles le reparcourent, elles le retracent en passant leur aile ou leur patte le long de la cursive ; elles essaient de retrouver la pression, les à-coups et la vivacité du tracé de celle qui l’a laissée pour elles. Le swykemg est une écriture cinétique de part en part. Comme vous pouvez vous en douter, cette plaque est une reproduction. Platement humaine, platement recalibrée à partir de moulages de céliglyphes. Personne dans notre cellule n’a été capable d’atteindre à la pointe sèche la précision incisive des furtives qui sont, pour ces choses, d’assez stupéfiantes calligraphes…
BC’est A de l’or ou quoi ? Juste en chourant cette plaque, je me paie un loft ! Elle, la Louise, pour moi, c’était le boss de dernier niveau, le truc qui te fait fracasse ta console tellement t’as aucune chance. J’en reviens pas d’être dans la place. Toni dans le Craïppphe, les gadjos ! Je ferme ma boîte parce que l’autre, elle cause la France à un level que même en me pluggant le wikipedzouille Littré de mes couilles, je panerais pas un mot sur douze ! En vrai, j’ai un peu la latche dès qu’elle m’adresse. Je vois bien que je la fais smiler, chuis frais, chuis un bibou pour elle. Des fois elle en prend son carnet, « J’adore comment cette couche franglaise, plutôt dégradée et teintée de modernité mercatique, s’entrelace avec vos origines tziganes, c’est tout à fait piquant », qu’elle a dit. Je l’ai enregistrée. Replay. x 6. Pas mieux. J’ai dégainé ma monkey face mais je l’aurais marave, la daronne. N’empêche, c’est selfo qu’elle a emmené avec Sah et Lor pour palper du cryphe. Saskia, elle ira en deuze, et Agüero, il se tapera la Bible en attendant ! L’a pas les vibes avec la Louise, elle doit sniffer en lui le sniper, le fige-mangouste, Herr Ceramificator ! C’est comme le physio qui te scanne au clubbe : si t’as pas la bonne bagouze, t’es tricard.
·· Ŀa · plaque est mouchetée de taches, de café ou de thé. De la voûte, des gouttes viennent y tomber et éclatent, çà et là, comme des perles sur le métal. Ŀa caverne est tellement humide que le sol de dalles en est lustré de flaques ; chaque expiration relâche une traînée de buée dans l’air pourtant tiède, signe que l’eau qui s’infiltre doit être très fraîche pour la saison. Dans ċette pénombre, je distinġue à peine les lettres alors je m’assois et je ċommenċe à touċher. Reliġieusement. Ċ’est plein de stries, d’impaċts, de petits trous dont je ne sais si ċe sont des points sur les i ou des ċoups de beċ. Il paraît que lės « furtives » ċomme elle dit (elle met tous les pluriels au féminin, faut s’habituer au début, du féminisme hardċore) sont venues plusiėurs fois rayėr la plaque ou y ajouter des siġnes !
Je repère la rainure du w en haut à ġauċhe, refais du majeur le h puis le y… et la symétrie vertiċale me frappe tout de suite, elle pénètre en moi. Je me pėrds dans l’anġularité zézayante du z, je le penċhe mentalement pour m’offrir un i haċhé, piqueté d’un minusċule ċratère au-dessus – je ġlisse vers un v faċile à devinėr pour remonter vers le d, puis le p, le q, le b dont il ressort au touċher, aveċ évidenċe, que ċes quatre lettres sont en fait le même traċé mais retourné ou renversé : une même liġne droite aċċélérée puis ċourbée en bouċle, mais attaquée à ċhaque fois par un anġle différent. Plus bas, jė mė paume dans ċe qui doit être le a puis le u, le o ou le ċ, ça se raċċourċit à un seul arċ, ça devient plus elliptiquė pour moi…
— Ce qui nous a donné le plus de mal, ce sont les rotations. Nous sommes si statiques – sous notre prétendue vivacité intellectuelle ! Si sédentaires derrière notre vanité de philosophes censément aptes, comme l’intimait Gilles Deleuze, à mettre « de la vie dans la pensée », que nous n’arrivions pas à comprendre comment les furtives pouvaient cacher autant de lettres sous une seule. Pour nous, le g par exemple, ne pouvait cacher que le j et le q – et aucun h ne pourrait jamais cacher de y. Ça limitait, comme vous l’imaginez, énormément les possibilités de dépli du texte : nous parvenions à des suites de consonnes, des moignons de phrases, ce qui nous a égarés longtemps sur la fausse piste d’une langue proto-hébraïque. Nous étions dans l’impasse…
— Excusez-moi, Louise, je vous coupe…
— Je vous en prie, Sahar…
— Pardonnez ma lourdeur profane. Mais je comprends en réalité mal ce que vous entendez par « caché ». Quand une furtive trace un h sur un mur, rien ne peut se cacher « derrière », n’est-ce pas ? La lettre est creuse, elle n’est pas collée ni en surépaisseur… Alors, est-ce que ça signifie que ce masquage des lettres les unes derrière les autres… J’imaginais ça, pour ma part, comme des caractères découpés, en bois par exemple, que l’on placerait dans un même axe de vision, en les mettant à la suite et en les regardant de face…
— Oui, je vois ce que vous voulez dire…
— Par conséquent, est-ce qu’il faut en déduire que ce masquage reste purement « mental » ? Qu’elles ont ce processus intellectuel que nous avons, nous, d’imaginer un b se retourner, venir s’abriter derrière un p lui-même cachant un a à l’envers, etc.? Ce qui impliquerait un niveau de symbolisation ou d’agilité cognitive déjà très élevée. Je me trompe ?
— Vous raisonnez comme ma compagne Hakima, mademoiselle, ce qui ne fait pas de vous une béotienne, bien au contraire. Il faut garder à l’esprit, autant que possible, que les furtives sont des êtres hautement physiques, hautement sensuels. En réalité, si vous touchez un h gravé dans le bois ou la pierre, ou même incisé dans l’acier ou le plastique, vous pouvez – avec beaucoup d’expérience et de finesse, je le concède – sentir que l’attaque de la lettre a été faite une première fois en haut à gauche : et dans ce cas vous avez un h, la furtive a tracé un h. Puis une deuxième fois en bas à droite pour remonter vers le haut et à gauche : et là, pour elle, elle a tracé un y. Elles n’ont pas la contrainte de la lecture occidentale de gauche à droite, ni même cette norme quasi universelle de parcourir la page, le support, de haut en bas. Leur spatialisation s’affranchit, semble-t-il, de cette gravité qui nous rive à la terre. Pour une furtive, tout se lit en tous sens. C’est le point d’attaque qui décide en réalité de l’orientation de la lecture, et cette lecture est ensuite guidée par le trajet choisi pour former la lettre. Je suis plus claire ?
— Un peu plus, oui… Toutefois, si je prends un g, qui peut manifestement cacher une quinzaine d’autres lettres, comment font-elles, excusez-moi, pour savoir ? Je veux dire : pour savoir laquelle des quinze lettres est cachée derrière ce g ? Comment reconnaissent-elles les tracés, même les points d’attaque, s’il y en a sept ou huit gravés et regravés dans le même sillon ? Et comment peuvent-elles deviner l’ordre dans lequel ça a été fait ?
— Nous n’en savons rien, pour être honnête. Enfin… pas grand-chose. Certaines d’entre nous pensent que l’odeur jouerait un rôle, qu’elle les aiderait à dater les tracés successifs. Nous savons que les furtives peuvent repasser plus de dix fois sur la même lettre, et spécialement sur le g qui est leur lettre reine, la plus féconde. Mon collègue Björn, si vous me permettez cet aparté, a d’ailleurs suggéré que ce g pourrait être le gê grec, qui signifie « Terre ». À chaque fois, la gravure se creuse, des impacts multiples s’inscrivent dans le sillon que nous, nous n’arrivons pas à lire, même avec cette dextérité et cette ampleur tactiles qu’acquièrent par compensation toutes les aveugles que nous sommes. Personnellement, je peux décrypter des lettres retracées deux ou trois fois, exceptionnellement quatre. Et je parviens parfois, grâce à la largeur ou à la profondeur du sillon, à distinguer le premier du deuxième passage, parfois du troisième, s’il est rageur, violent. Mais c’est tout. Quand nous avons eu la chance de pouvoir confier des céliglyphes à des voyantes, à base d’images très haute définition, elles ont pu déterminer par les reflets si le sillon avait été davantage creusé à droite ou à gauche, un peu comme la gravure stéréophonique d’un vinyle. Cela permet de distinguer un b d’un d par exemple, qui est le cas le plus difficile…
— Donc en réalité, l’écriture ne cache rien : elle contient simplement plusieurs lettres dans le même tracé. Elle surtrace ou surgrave !
— Disons qu’elle cache dans la profondeur du sillon plusieurs passages, pour être tout à fait précise. Elle cache en pleine masse et en pleine lumière. Tout est inscrit et révélé à qui sait lire. Ou plutôt relire. Ce qu’elles savent faire. Pas nous, ou alors très mal, quoique nous progressions un brin chaque mois. Fort heureusement !
BSans A être mytho, c’te caverne, c’est un truc de malade ! Déjà le site, dans la falaise, sur une vire, avec les escaliers crantés dans le roc et le portail forgé, ça fait squat de fée. Quand t’entres, tu fais de la brume avec ta bouche, tu vois tchi, la machine à café fuit du plafond, ça fait plic-ploc à tes pieds, des gouttes te snipent, tu sursautes et tu commences à écarquiller. Et là, pfff… Ça te déboîte la rétine ! Chais pas comment dire ? Y a des autels et des statues, le sol fait comme une église, t’as des bassins, ça pourrait être une crypte ou la planque d’un shaman, sauf que c’est fait pour accueillir du monde, enfin peut-être pas ? Surtout, y a des volumes partout. Genre temple à l’abandon avec colonnes en vrac, socles tankés et blocs de marbre ? Ouais, ouais, y a de ça, mais… Quand t’avances et que t’allumes la frontale, tu vois des billes de bois, des sortes de termitières, des blobs d’argile. Y a même un container fripé-plié, que tu sais pas qui a pu l’amener là. Et des tas qui brillent… Tu t’approches et tu vois que c’est du verre, du verre pleine masse, putain de gravé/strié dans tous les sens, comme si un cheum l’avait attaqué à la meuleuse en mode youpi, fin de teuf, perf d’arteux ! À un moment, je me suis éloigné de tata Louise et j’ai figé exprès pour éclairer niche par niche, mater chaque bloc, socle, bloc, les golems de boue… Les parois, la voûte de biais, fendue, creusée comme de coupoles, les vaches de failles au fond, les puits, les nids-de-poule, tu crois que ça s’arrête mais y a toujours un bout de bulbe en plus, des bosses, une creusure. La grotte, elle est maousse en volume, et, et, et… c’est une grotte pour œil crevé ! C’est pas fait pour être vu en vrai, ça a queud de sens rayon optique/graphique ! C’est fait pour être touché, wouala ! C’est une grotte pour les mains, pour la tripote, qui se pelote, palpée. Et catégorie doigté, c’est l’orgie les gars, y a pas une surface lisse, pas un truc plat et fadasse, que du creux/bosse, du plein, du crousticrunch sous la pulpe, un total poème de glyphes sur la moindre petite paroi planquée ! J’ai été caresser dans les coins, j’ai malaxé la bouillasse, j’ai fait crisser la pâte de verre : ça fait frisson. Et même le sol, même les dalles, elles raclent la semelle, elles ont pris le riflard !
·· Toni · est venu me montrer un papier sur lequel il avait juste écrit « mate les parois et touche les blocs, tu vas halluciner ». Sans doute ne voulait-il pas que Ŀouise entende, elle avait de toute façon été préparer un thé, avec le cérémoniel compliqué des Chinois, ce qui nous laissait le temps de prendre la mesure du lieu. D’abord, je n’ai pas vraiment compris où j’étais, je veux dire : le sens de ce lieu, son statut, le pourquoi de cette accumulation incroyable de tumulus partout, et ces parois excavées, moitié organiques dans leur forme, moitié humaines par l’imposition d’un sol plat, de plates-formes, de « salles » avec quelques bureaux ou tables de réunion ? Des escaliers pour monter à une scène ? Une sorte de chaire ? Et puis j’ai commencé à scruter les parois, à y passer mes doigts. À regarder les blocs de calcaire et de grès, les bûches ciselées dans lesquelles tu cognes, le container rouillé. Des marques écrites, partout. Partout ! Des glyphes partout, sur toutes les surfaces de la grotte – voûtes, marches d’escaliers, bois des tables, dossiers des chaises, dans les tertres de boue, dans la masse du verre. Je reconnaissais de l’hébreu sur un cairn, des tablettes brisées au sol qui auraient pu être du sumérien, des caractères latins, chinois, khmers ou japonais, pour ce que j’en savais. Et au-delà des lettres, bien plus nombreux : des traits, des esquisses, des mouchetures, des arcs, un alphabet d’incision, un syllabaire autant, qu’il aurait fallu trente scientifiques pendant trente ans pour ne serait-ce que dégrossir le sens ?
C’est une bibliothèque tactile, sans doute antédiluvienne. Ici les sculptures sont des livres – ouverts oui, offerts à la main qui seule lit, puisque les phalanges ont des yeux. C’est un carnet de notes prises à même le calcaire tendre des parois, un dazibao ȷoyeux griffonné à coups de griffe, de serre ou d’ongle, à coups de patte par une nuée de furtifs, afin de se parler, afin de se taire, pour mieux savoir partir et mourir s’il le faut, quand il le faudra. Saskia me l’a appris en me racontant leur intrusion dans le centre culturel : les entres. Ces masses brutes ouvragées à l’extrême, cette dentelle de failles, d’alvéoles et de tunnels dans chaque amas de bois, ce labyrinthe en trois dimensions où l’on peut se terrer, traverser et ressortir, qui hante aussi bien la roche que les grumes, ce sont… des entres !
Nous sommes chez les ſurtiſs. Nous sommes chez eux, ça ne ſait plus aucun doute. Et cette caverne, ils l’habitent et ils l’ont habitée depuis des millénaires, ils n’ont ȷamais cessé d’y être. Tous les murs sont à lire, Sahar, intègre-le. La cellule Cryphe s’est installée ici, aux ſranges de la Provence, sur cette ſace nord du massiſ de la Sainte-Baume non pas pour imiter Marie-Madeleine en remontant l’Huveaune, non pas par une sorte de mystique retrouvée ni de suprême snobisme qui serait propre à cette élite lettrée, plutôt parce que c’est ici que se sont conservées – mieux : que se sont relues et réécrites sans cesse – les impressions vives et les ſilantes expressions d’une myriade de ſurtiſs. Ils y sont passés, ou ils y vivent, exactement là où nous sommes, à l’abri des hommes qui regardent et qui les obligeraient, en les voyant, à se ſiger pour l’éternité dans une matière inerte qui ne les signalera pas comme espèce vivante, qui les rendra donc impossibles à découvrir, à étudier. À exterminer.
C’est ici que se tient la bibliothèque sans rayonnage et sans livre des êtres qui ne savent écrire qu’en mouvement et pour qui écrire même est inséparable d’un acte physique, inséparable d’un corps qui crayonne avec ses os, du bout d’un ſémur cassé comme une craie. C’est ici qu’ils inscrivent leurs sensations de la pointe d’un bec-ciseau dont le o tracé est indissociable du coup de tête circulaire qui ſait cycle et retour et qui acte par son geste que le temps s’apprivoise. Ici le papier serait trop ſragile, trahirait ce que ȷe me suis touȷours dit de nos littératures, à savoir que si l’on y croyait vraiment, si l’on pensait que nos phrases sont des choses vitales, on ne les imprimerait pas sur des ſeuilles qui se trouent à la moindre goutte d’eau et que la plus petite colère déchire : on ſerait comme les disciples d’Épicure, on les graverait en lettres de colosse sur la plus rêche des surſaces durables, à coups de burin sur le roc têtu d’une ſalaise, au moins d’un mur, pour signer dans la masse la motricité marcescible d’une syntaxe.
Louise ne nous a pas accueillis au siège de la cellule Cryphe, bien sûr que non, il n’y a pas de siège, il n’y a que des lieux d’écoute et de toucher, où l’on apprend en vivant parmi eux. Elle nous a introduits au cœur vibrant d’une littérature en train de s’écrire, de graver ses ratures, chaque ȷour qui passe, pour peu qu’on ait la sérénité de venir s’y glisser sans vouloir voir. Heureux les aveugles et les doux, car ils recevront les ſurtiſs en héritage.
— Je n’explique jamais ce qu’est ce site, je m’en tiens au swykemg et je laisse infuser. De toute manière, vous n’êtes que la troisième mission que j’amène ici. Hors des membres de la cellule évidemment. Et il s’agissait comme vous de personnes qui ont perdu un être cher, parti avec les furtifs…
— Louise… Est-ce que ces personnes ont… retrouvé cet être cher ?
— Si vous avez une conception extensive du verbe « retrouver »… Oui. On peut dire ça…
Louise Christofol nous sert le thé avec cette élégance sobre que seul un fou rire ou le feu d’une passion semble pouvoir brouiller. À beaucoup d’égards, elle pourrait paraître hautaine tant elle est sûre de son intelligence, pourtant elle garde une grande proximité et sait raccourcir les distances (comme les rallonger, au besoin) : une aptitude de diplomate dont elle a sans doute hérité. Toni n’a ȷamais été aussi sérieux tant la spiritualité puissante du lieu l’impressionne ; Lorca réfléchit, ȷe sais qu’il pense, ȷusqu’à l’obsession, au glyphe sur le mur de la chambre de Tishka et qu’il essaie déȷà de le traduire grâce au swykemg, de le déplier ; moi ȷe ne veux pas, pas encore, ȷe veux comprendre l’ensemble, ȷe veux saisir pourquoi des êtres comme les furtifs ont voulu et pu créer leur propre littérature, dans quel but et pour exprimer quoi ? C’est ça qui nous donnera la clé. Louise souffle sur sa tasse brûlante et en chasse la vapeur. Elle demande tranquillement :
— Vous les sentez ?
— … Oui…
— Ne levez pas la tête… Ne regardez pas en dessous non plus. Je sais que vous n’êtes pas stupides à ce point mais la curiosité fait partie de notre nature humaine. Et les rares voyants qui sont passés ici ont parfois causé des drames. Vous les sentez où exactement, monsieur Varèse ?
— Sous la table.
— Bien… Êtes-vous capable d’être encore plus précis ?
— Hum… Là, ça se brouille…
— Oui, elle vient de bouger. Sentez-vous où elle se trouve maintenant ?
— À ma droite… Je dirais derrière le tertre… Juste derrière…
— Bravo… Vous semblez avoir le simţi, ce qui est rare pour un voyant. Il y en a une autre qu’on sent moins nettement… Qui est plus chafouine… Elle est sous la chaise de Toni. Elle a un peu peur.
— Comment vous arrivez à choper ça, madame ?
— Nous n’avons pas beaucoup de mérite, jeune homme. Nous développons des sixième ou septième sens en n’ayant plus à traiter la masse fastueuse d’informations qu’impose la vision à notre cerveau d’hominienne. Notre réseau neuronal et nerveux est davantage disponible, disons, à des phénomènes physiques comme les ondes, l’accumulation de chaleur, l’humidité de l’air, un frémissement de tension… Par exemple, je peux sentir votre buée se dilater quand vous parlez, puis se dissiper doucement. Les furtives ont un impact spatial éminemment discret, hormis qu’elles bougent et se transforment sans cesse, si bien qu’une aura de présence s’en dégage malgré elles. Vous trahissez aussi cela, Toni, à votre façon, même lorsque vous êtes assis…
— Désolé, madame. J’essaie de faire mon marshmallow. Mais ici, c’est trop chanmé !
— Vous n’avez rien de la chiffe molle, c’est clair. Vous seriez plutôt un chevau-léger. Vous grésillez comme une ruche… Ça se chamaille en vous…
— Désolé…
— À force d’attention, on situe très bien les furtives. Surtout si elles ne se sentent pas menacées et que nos déplacements restent lents. Les furtives apprécient notre compagnie. Particulièrement quand nous créons, ou essayons de créer. Ça les attire.
— Vraiment ?
— Selon toute vraisemblance, nous rayonnons d’une vigueur particulière dans ces moments-là. À moins que ce ne soit l’émotion qui les aimante. C’est l’une des innombrables énigmes avec lesquelles nous bataillons. Comprendre ce qu’elles trouvent à nous côtoyer de si près… Nous qui sommes pour elles si nonchalantes…
BLà, A elle m’avait tellement ambiancé, la Pachamamie, que j’ai délocké le U dans ma bouche et j’ai lâché : « C’est quand qu’ils parlent, vos fifs ? Parce que là, vous nous avez teasé à donf. Les peluches, elles ont tagué tout le squat, OK, sauf qu’on aimerait un peu les entendre moufter en live, ça fait trois mois qu’on tapine devant votre caverne ! » Vrai, j’ai savonné tout ça sous les bras pour que ça fasse tchatche proprette et qu’elle me tèje pas d’un kick hors du game. Sah et Lor m’ont maté gros yeux, genre « tu te crois où, le Gitan ? T’es en freestyle, ou bien ? » mais la Louise, ça l’a juste fait dahak, elle a claqué un « d’ac » et elle nous a dit de nous coucher fiole contre terre, sur les dalles trempasses, sans bouger l’orteil. Du keuf-copyleft quand ils te serrent en manif. Paraît que ça rassure les fifouilles si on garde le pif sur les dalles, rapport qu’ils se mettent à causer plus vite. Tous les quatre, on a fermé le capot et verrouillé les paupières. Autant vous dire que de les entendre grouiller, de les savoir dans la place, ça m’a mis des fourmis dans la tête, j’avais qu’une envie, c’était de mater ! Les téma enfin IRL ! Jamais j’en aurai autant d’un coup, jamais ! Wesh, j’ai hésité sérieux. À un cheveu, j’étais, de tourner ma bobine vers la paroi. Ça a duré une blinde : plic-ploc, flac-floc, pui-puic, la girl’s band des gouttes dans la grotte… Et au moment où je craquais, ça a fait comme si un gars avait planqué une enceinte dans la voûte et qu’il lâchait enfin la purée au vocoder. J’ai sursauté des poumons dans ma flaque. Et j’ai pris cher…
Je m’en fiche ! Juchée la niche –
Fauche sur sèche-lĩnge, chasse-neige˘ chauffe –
C’est chanmé, les chumš, ça se mailloche au sől,
le chanvre ſiloche, isiþhonne-chĩſſon –
Ĕn revanche je joue à jache-jache en revanche –
˘ Chahut sous la Louise, chat-huant, chalut à vőus les chenilles ! –
Čhalut m’en chaut leš aminches, shalom ! –
Ŗelâche la ruche sĩ m’arrache jachère, chôme˘ la friche fraîche –
Čhaleuŕ moche – lâcheur lèche ša mèche sèche, j’enchaîne, charmille charnelle
sinőn les chênes-lièges, ˘ j’enchaîne, chevau-légeŕ sus aux chamelles, j’enchaîne,
˘ leš charolaises lynchées, charogne suivant chiſſe molle˘ ou la hache,
chamaĩlle, j’enchaîne, chat mouille aussi l’averse, chavire la luge,
allège őu échoue au refuge, je ſlanche –
˘ Ça change, ça jonche, ça change, ça change, je ſlagelle –
Maršhmallow ! ˘ –
Sa joue gĩſle ! Figę ! –
·· Tout · au long de cette salve désarmante, qui rebondissait sur les parois en balles vocales, en flipper fou, j’ai entendu Ŀouise rire et savourer, comme si c’était à elle qu’ils s’adressaient ; qu’en nous écoutant discuter dans l’ombre, ils avaient épongé à la volée nos expressions ; ou que nos voix les avaient stimulés, dynamisés, et qu’il leur fallait assimiler ce flot de mots à leur façon, en les répétant par séries et saccades, par assonances, en babil habile ? En vérité, j’étais tellement sidéré que je tentais de faire écran au choc avec des concepts en barricade. Au fond de moi, je ne trouvais pas d’émerveillement comme j’en avais eu avec Saskia dans l’auditorium de poche à écouter leurs trilles : je trouvais de la peur. Je trouvais la crainte qui cerne, accule. Ŀ’effroi sobre d’être en face non plus d’animaux, mais d’une conscience qui nous assimile. D’une intelligence qui nous observerait vivre, tapie en araignée dans l’angle mort d’un double plafond, goguenarde. Ŀ’objet d’étude se retournait – et c’était maintenant nous sous la mire. Ŀouise se leva et lança quelques « pschitts » à l’encan, ainsi qu’elle l’aurait fait pour chasser des chats. À cet instant-là, c’était exactement ce dont j’avais besoin pour défragmenter mon angoisse. Ŀ’image d’un œil inquisiteur reflua…
— Les avez-vous repérés ?
— Repéré quoi, Louise ?
— Le champ phonétique ? Les phonèmes ?
— J’ai entendu beaucoup de « ch », de « je » aussi, n’est-ce pas ? On aurait dit un poème sous contrainte…
— Cette furtive-ci a une dominante chuintante, oui, tout à fait. Avec des mineures en fricatives et en nasales. Et le l et le r en liquide… Par contre, il n’y avait pas la moindre plosive…
— La moindre quoi ?
— Aucune occlusive si vous préférez. Pas de p-t-k ni de b-d-g, ce qui signifie que la furtive ne ferme pas complètement sa glotte : elle laisse toujours passer un filet d’air. Et ses résonateurs sont bloqués entre l’avant de la langue et les dents. Ce qui est la caractéristique des chuintantes.
— Vous voulez dire qu’elle ne peut pas tout prononcer ? Que seules certaines syllabes sont… articulables pour elle ?
— Vous comprenez vite mademoiselle. Il faut d’abord savoir que la plupart des furtives ne parlent pas du tout. Elles n’ont pas d’appareil de phonation apte à prononcer la moindre syllabe. La plupart crient, sifflent, font des trilles, feulent, rauquent, tout ce que vous voudrez. Cependant certaines arrivent à se forger une glotte et une mâchoire anthropomorphes. Et ça donne alors ce que vous venez d’entendre… Qui reste un miracle dans le règne animal, autant le dire.
— Y avait combien de fifs à la tchatche, là ?
— De furtives ? Combien ?
— Oui ?
— Une seule, Toni.
— Mythonne pas ! Euh… pardon… Je suis désolé… ça m’a échappé.
— Ce n’est pas grave. J’adore ce néologisme.
— Je voulais dire qu’y avait plusieurs voices. Ça slamait ! C’était pas la même !
— Je crois bien que si.
— Comment vous pouvez en être si sûre, Louise ? Ça m’a aussi semblé tellement différent selon les répliques…
— Nous ne pouvons jamais être sûres, bien entendu. Simplement, le mode de scansion et de dérivation est reconnaissable. Elle a décliné un même champ phonétique tout du long. Avec des sons-totems, qu’elle s’est bien gardée de prononcer.
— Parce qu’elle ne peut pas ?
— Parfois aussi parce qu’elle refuse de les prononcer. Sciemment. Ici, je pense qu’elle a conjuré les occlusives. J’ai eu l’impression qu’elle avait la mâchoire, pourtant, pour les articuler.
— Pourquoi elle s’interdirait ça ? Par jeu ?
— Votre amie Saskia pourrait vous l’expliquer mieux que je ne le puis, je présume. Et là, je regrette de l’avoir laissée dehors. Pouvez-vous aller la quérir si vous le voulez bien ? Et l’inviter à nous rejoindre ? Notre discussion devrait fortement l’intéresser et je serais très curieuse d’avoir son contre-éclairage.
BVa A capter quèque chose ! T’es en finale de Ligue des champions, elle te scotche Saskia sur le banc en début de match alors qu’elle peut tout défoncer, et hop, tu la fais entrer à la quatre-vingt-huitième minute, quand le game est plié ! Histoire de débriefer dans le vestiaire, quoi ! Moi je pèse vent et mousse, j’ai foiré toutes mes occases, gueulé sur l’arbitre et vénèr le coach. Osef, je suis encore sur la pelouse !
·· Prendre · quelques secondes la lumière et la chaleur de ce début juillet était un délice. Mon maillot trempé d’eau froide me collait à la poitrine quand j’ai appelé Saskia, sans savoir si elle était restée dans les parages – si. Son bonnet violet vissé sur la tête, elle a escaladé quatre à quatre les marches taillées à même la falaise calcaire. Elle m’a presque poussé dans le vide tellement elle avait hâte de pénétrer dans la grotte !
)To) utes ces) années à ne rien piger, à croire savoir et à savoir que dal… Toute cette prétention bravache d’avoir identifié le frisson sans rien connaître de ce qu’il peut. De pressentir qu’ils s’échangent des trilles sans imaginer une seconde qu’ils puissent apprivoiser une langue. Cinq ans au Récif avec une bande de morveux musclés qui se prennent pour des chasseurs d’élite et en un quart d’heure, dans une grotte humide, un quarteron d’aveugles même pas capables de lancer une fléchette sur une cible en plastique dans un pub me fait mesurer à quel point j’ai été petit bras toutes ces années. Petit braquet, la petite Šaskiale, petit plateau et pédale qui ripe. Je mériterais qu’on me piétine avec un éléphant dans un manège de cirque, juste pour m’apprendre, m’apprendre à réfléchir, à penser plus loin que l’ourlet de mon bonnet. J’ai triché bien sûr : j’ai grimpé dans le cèdre sous la grotte avec mon canon à son et mon bonnet d’écoute. J’ai pointé la cavité et j’ai tout entendu bien clair, in extenso. Eh oui, c’était le même furtif, le même d’où ont giclé toutes les tirades. Ça se lisait au sonogramme comme une partition pour bébé et ça s’entendait surtout aux harmoniques, au phrasé, au flow. Et l’autre reine qui nous révèle tout ça, tranquillos, en pleine confiance ! Avec une générosité naturelle envers nous quand l’armée aurait sans problème raqué quelques millions pour s’acheter ces preuves. Ils parlent ! Les furtifs parlent ! Comme toi, comme moi ! Comme nous. J’aurais traversé la Russie en short en hiver pour découvrir ça, je vous le promets. Le lac Baïkal pieds nus sur la glace ! Ils articulent de la syllabe, pire : ils jonglent avec nos mots !?! Allez, prends ta vague, prends ta houle en pleine face, toi qui mouillais rien que de supputer qu’ils sachent communiquer. Apprends et profil bas, fais pas ta maline, t’es traqueuse phonique comme Lorca est pisteur, pas de quoi te la jouer ma chérie, juste profil bas, c’est tout. Et maintenant, assure. Tu parles quand tu peux.
— Chaque furtive naît autour d’un frisson, votre amie Saskia vient de l’exprimer très bien. Même si nous, nous disons le frème – cadre, sème et frémissement à la fois. Elle naît même, stricto sensu, du frisson, c’est-à-dire comme vous le savez, d’une certaine vibration rythmique intérieure. Disons d’une petite musique vibratoire absolument unique, absolument vitale avec laquelle elle va mettre le monde qui l’entoure en résonance. C’est ça qui lui permet d’assimiler la matière environnante, de se l’adjoindre, de la rendre compatible avec son propre corps. C’est la source de son autoplastie, qui peut s’alimenter aussi bien de minéraux que de végétaux.
— Le frisson est cymatique aussi… si je peux me permettre. Il les habite mais il impacte aussi l’extérieur…
Ça passe… Juste ce qu’il faut de frime pour me poser un peu en experte… J’ai trop envie de parler…
— Le frisson informe la matière, vous avez raison, il y imprime sa forme. C’est un son qui agit physiquement sur ce qu’il traverse. La furtive existe par cette énergie expansive. Sa cohésion interne, son autoconsistance vient de là. Reste maintenant à… Oui, Saskia ?
— Je voudrais quand même préciser une chose… L’air est le support naturel de la transmission du son. Mais l’eau peut l’être aussi, tout liquide, le sang. Et mieux le bois, le métal, la pierre, toute substance solide. Le son va même plus vite dans la matière dense. Il va à 6 200 mètres/seconde dans le granite par exemple pour seulement 344 dans l’air. C’est fondamental pour comprendre le pouvoir du frisson. Le frisson, comme tout son, est une onde, un rayonnement qui se propage et ne se manifeste à nos sens que parce qu’il rencontre la matière. Exactement comme nous, les voyants, percevons la lumière parce que les photons soudain accrochent un objet, une surface. Pour moi, en l’état actuel de mes recherches, aucun furtif ne peut survivre sans la matière, sans percuter et métaboliser sans cesse la matière. Il n’existe et ne tient que par le frisson qui est comme son souffle ou sa corde. La corde tendue de ses nerfs qu’un rien effleure et fait jouer. Mais ce frisson ne prend corps et force qu’en se confrontant au monde concret. Il en a besoin, il y plonge et il y vibre. Sauf que ça le ralentit et ça l’assourdit au point qu’il doit très vite s’en extraire, reprendre de la vitesse, retrouver son sustain. Puis à nouveau, le frisson pur commence à se disperser, à perdre sa rémanence. Alors il replonge à la rencontre de la matière pour « sonner ». Je vois ça comme un cycle, un rythme, une ritournelle vitale. Et ça explique à mon sens cette nécessité perpétuelle de la métamophose. Qui sinon serait une perte sèche d’énergie.
J’adore quand elle s’exprime comme ça. Elle peut être terriblement bidasse parfois, à multiplier les blagues « de mec », et tellement fine à d’autres moments ; parler des sons la transfigure, sa passion est contagieuse. Le visage de Louise s’est allumé et elle nous a devancés pour sortir de la grotte, sans aide, alors que l’ouverture est à quinze mètres au-dessus du vide et qu’un simple faux pas sur la vire la tuerait. Orgueil ? À présent, nous sommes dans la hêtraie, assis en cercle sur des roches moussues, avec des allures de collégiens dissertant sur le dernier concert d’une botstar. À chaque bourdon qui butine près de nous, chaque oiseau qui se pose dans les ramures, ȷe ne peux m’empêcher de sortir les ȷumelles, tant ce qui se dit là ne doit pas arriver aux oreilles de l’armée. Louise fût-elle voyante, ȷe ne pourrais pas faire ça sans attirer ses questions et susciter ses doutes, mais là ȷe le peux, et ma malice fait sourire Lorca.
— Par malheur, nous ne sommes pas, dans notre cellule, aussi pointues que votre ethnomusicologue sur les aspects du son. Voilà néanmoins ce que je peux vous dire, dans la perspective concrète de vous aider à retrouver votre fille. Cela passe d’abord par la nécessité de comprendre à qui ou à quoi nous avons affaire. Le frisson est force, oui. Mais c’est aussi une faille, une fragilité possible pour une furtive… Ce qui me ramène à ces phonèmes que la furtive de tout à l’heure, notre chère Chasse-neige, s’interdit de dire.
— « Chasse-neige » ?
— Oui, enfin, certaines ici l’appellent « Sèche-linge » ou « Chêne-liège ». Nous donnons aux furtives que nous repérons des surnoms, par facilité. N’y accordez pas trop d’importance. Nous avons dans cette grotte Constellation élastique, Minimornifle, Babiluth Bodega, le collectif Cr, Svelte-Vestale, Nasifluence, Kaiser Tapioca, etc. Ce sont des noms un peu loufoques pour nous rappeler les dominantes de phonèmes. Bref, où en étais-je ? Oui, la faille du frisson. Si un adversaire, par exemple un chasseur, trouve votre frisson – j’entends par là : s’il est capable de le rejouer – il fera entrer la furtive en résonance. Et il peut, s’il insiste, parvenir à l’éclater, à la détruire. À la « sloquer » comme le dit Hakima.
)Ša)har a) un sursaut de malaise. On entend les trilles d’un monticole bleu, quelque part dans les falaises.
— Mais le frisson se reconstitue, non ? Même si le corps organique entre en résonance et éclate ? Ou bien…
— Dans le seul cas dont nous ayons été témoins, il s’est dispersé. C’est pour cette raison que les intuitions de Saskia m’intéressent hautement. Ces intuitions expliqueraient que la furtive ait effectivement besoin de matière pour s’incarner et survivre. Dans l’air pur, le frisson semble se dissiper, si bien que la furtive en meurt. Pour en revenir au langage… De ce que nous avons péniblement collecté et compris, par les glyphes beaucoup… et exceptionnellement par des échanges avec le collectif Cr qui est une sorte de meute échangiste de cinq ou six furtives – nous ne savons pas exactement combien – le frisson…
— Échangiste ? Elles échangent des pièces entre elles ?
— C’est ça. Et elles manipulent plutôt bien notre langue. Pouvez-vous arrêter de me couper ? j’ai besoin de garder le fil. Donc le frisson peut aussi bien être un thème musical complexe qu’une suite d’accords assez simples, à la guitare par exemple. Ça peut être un pattern de batterie, un beat ou un groove comme dirait sûrement Toni. Ou une certaine configuration rythmique de gouttes de pluie sur un toit en tôle. Il peut naître de sons naturels comme l’écoulement oscillant d’une cascade, le crépitement cadencé d’un feu, le frémissement d’une forêt sous le mistral. Il peut aussi venir d’un chant animal ou humain ; de sons urbains ou industriels structurés, à période. Et puis, apparemment, il pourrait naître du langage même, de la parole. Par exemple d’un sonnet ou d’un rondel, de laisses poétiques… Le collectif Cr serait né du mouvement des séracs et des crevasses, de ce qu’on en sait, dans le massif des Écrins.
)Ju)ste ces) quelques phrases, ça m’atomise le cerveau. Comment elles savent ça ? Comment elles ont appris ou déduit ça ? Qui leur a dit ? Les furtifs eux-mêmes ? Pourquoi à l’armée, on est restés si définitivement cons et si totalement à côté de la plaque ? Campés sur nos trucs de mec : chasser, choper, tuer ! Avec nos rituels de poursuite, nos armes, nos lidars, nos intechtes : toute cette quincaillerie de capteurs qui fait tellement kiffer les services. Est-ce qu’au fond le Récif a vraiment cherché à comprendre, hein ? Est-ce que l’énorme fausse piste où ils nous ont fait cavaler comme des chiots toutes ces années n’a pas été pavée exprès pour qu’on ne découvre surtout rien ? Est-ce qu’Arshavin sait déjà tout ça, lui ? Je ne sais pas si je suis plus furieuse que fascinée. J’ai ma bague allumée : qu’Agüero entende bien ça, qu’il sache !
— Si vous remarquez qu’une furtive évite certains phonèmes, c’est qu’ils sont pour elle des phonèmes-totems – nous disons « tonèmes » pour aller vite. C’est qu’ils font partie de son frisson. À telle enseigne que les entendre résonner dans l’espace s’avérerait dangereux pour elle…
— Des sons tabous alors ? Des mots tabous ? Qui font partie intégrante du frisson ?
— Oui, au moins rythmiquement, sans que ce soit littéral. Une cadence de rimes internes dans un vers peut faire écho au frisson. Le pire est que les furtives sont très fortes pour deviner ces motifs et que régulièrement, elles se provoquent, font monter l’autre en résonance, par jeu, parce que ça suscite de l’émotion. Ça va rarement jusqu’au sloque, mais ça peut.
— Vous avez déjà assisté à ça ?
— Jamais directement. Ça peut arriver quand la furtive est piégée dans une pièce vide et fermée, sans issue possible et qu’elle n’a rien avec quoi se métamorphoser. Si elles sont plusieurs, elles vont tenter de se sloquer pour récupérer des pièces et alimenter leur métamorphose. Il faut croire qu’une furtive qui reste dix minutes sans métamorphose est en danger de mort.
— Elles pourraient échanger des pièces entre elles, sans violence… Il n’y a pas besoin de se détruire pour ça, non ?
— Oui, c’est ce qu’elles font quand elles le peuvent. Mais parfois, elles ont besoin d’un type spécifique de matière : du métal par exemple, ou du carbone. Et l’autre en a besoin aussi. Question de survie alors. Désolée de briser votre rêve d’un monde enchanté. La vie animale, pour se maintenir, est souvent féroce.
Je ne suis pas d’accord avec ça. Pures projections anthromorphiques. L’éthologie contemporaine a prouvé que la collaboration et les alliances sont infiniment plus répandues que compétition et cruauté. Le vivant lie et se lie, avant tout. Je l’interromps, sans vouloir trop lui faire la leçon :
— Louise, je crois avoir approché parfois, en utilisant la musique, le frisson d’une furtive. Je n’ai jamais eu le sentiment qu’elle voulait fuir ou se battre. Elle répondait avec intensité, au contraire et jouait avec le thème, presque comme du free-jazz.
— Vous seriez précieuse ici. Nous, nous ne savons que chanter, et encore de façon très académique. Jamais assez bien en tout cas pour faire résonner leur frisson. Et quand nous scandons des vers, ça les fait fuir. Pouvoir les jouer serait magnifique…
— Je crois que pouvoir entendre son frisson doit être pour un furtif une très forte émotion. Il revit en quelque sorte sa naissance. Sa venue au monde. Il entre en résonance, oui, au sens physique mais aussi sensuel. Il vibre alors sur ses fréquences propres, sur ses harmoniques fondamentaux. C’est certainement le plus haut degré d’excitation qu’il puisse atteindre. Pour moi, lui jouer son frisson, à l’olifant comme je l’ai parfois fait, je mesure que ça puisse le perturber… bien que chaque fois que je l’ai tenté, j’ai eu la sensation que ça lui offrait aussi une énergie neuve de composition. Un bondissement vers le monde, une joie ! Le frisson, je crois, ne peut pas se réduire à ses qualités rythmiques. Même si je suppose comme vous que son architecture périodique, qui ramène par cycles certains sons, réticule pour ainsi dire le temps, le sphérise, assure une forme d’autoconsistance. Le frisson dépend aussi de la hauteur du son, de sa durée et de sa tenue, des vibrations du spectre pour chaque note, chaque bruit utilisé, du timbre. Plein de choses.
BElle A envoie du lourd, notre DJ ! La Louise a fermé sa boîte, elle ventile un peu dans sa djellaba bleue. Moi je chille dans cette forêt fraîche. Fuck the summer sun. Ça fait trop de bien d’être là. Saskia pose une nouvelle galette sur la platine et fait riper un scribble :
— L’enjeu reste simple au fond : il est que le son reste en vie. À chaque fraction de seconde. Un frisson qui ne fluctue pas continuellement est un son mort, il n’est plus musical. Un son fixe, régulier, identique, comme l’est un bip ou un moteur, est un objet sonore tandis qu’un son musical est un être sonore. Un être qui naît et grandit, évolue puis meurt, avec élégance, furie, parfois d’une crise subite – pour mieux renaître ailleurs, plus tard. Un chef-d’œuvre musical comme l’est le frisson n’est pas une expo d’objets, Louise, un musée de tons ou de syllabes à reproduire. C’est un spectacle vivant acoustique où les sons sont des comédiennes qui incarnent, s’affrontent ou s’aiment, réagissent l’une envers l’autre dans l’écart ou la fusion, seconde après seconde après seconde. Si vos furtives fuient, ce n’est pas qu’elles craignent d’être sloquées, c’est que vous leur proposez du son mort.
Pour la première fois depuis que ȷe la côtoyais, la superbe assurance de Louise Christofol venait de chanceler. Pour la première aussi, nul doute, quelqu’un d’extérieur à sa cellule, laquelle était son enfant et son royaume, venait de lui apprendre quelque chose qu’elle ne savait pas – pas encore – sur les furtifs.
— Vous venez de sloquer mes quelques certitudes, mademoiselle. Mais je ne peux que vous en remercier. Si vous y consentez, je serais ravie de vous écouter jouer de votre olifant dans notre grotte et d’apprécier ensemble comment nos furtives réagiront.
En redescendant vers l’hostellerie de la Sainte-Baume, à travers la forêt relique, ȷe n’avais pas lâché Louise ȷusqu’à ce que ȷe comprenne. Non, les furtifs ne saisissaient pas forcément le sens de ce qu’ils disaient : de tous les enregistrements collectés et analysés par la cellule, il ressortait des interprétations divergentes et équivoques. Pour le Finlandais Bȷörn par exemple, les furtifs ȷouaient avec nos syllabes comme ils copiaient des chants d’oiseau, remixaient des boups de grenouille ou intégraient des sirènes de police à leurs vocalisations. C’était de l’expressionnisme, de l’expressionnisme ludique et foisonnant, une sorte de délice physique de dire, de répéter, de tester les sonances, comme peuvent l’avoir les enfants qui entrent dans la parole. Ça pouvait donner l’impression d’un sens parce qu’on y inȷectait, nous humains, nos intentionnalités, notre animisme, face à des furtifs qui réussissaient à bricoler avec brio des segments de phrases que nous avions prononcées et qui en elles-mêmes disaient déȷà des choses.
Pour Hakima au contraire, poursuivait Louise, les furtives n’avaient rien de singes savants. Elles étaient tout à fait conscientes que nos mots, et leurs mots, avaient une signification. Si ce n’est que cette signification était pour elles polysémique, ample, variable, susceptible donc de prendre des sens bien plus vastes que pour nous, plus riches si l’on veut. Sa théorie, que ȷe trouvais très séduisante, était qu’il fallait envisager la parole furtive et sa littérature exactement de la même façon que leur biologie et leur physique, à savoir comme un champ métamorphique, à haute teneur en vitalité. La parole était pour elles aussi vivante et fluctuante que leur corps. Communiquer n’était pas transmettre de l’information à un interlocuteur, humain ou furtif, c’était « transmettre une transformation ». Des inflexions, un vecteur de mutation, un bourgeonnement, un virus. Hakima en voulait pour preuve les torsions imprimées aux préfixes et aux suffixes, le camaïeu des conȷugaisons, le dynamitage des articles et des pronoms, les ȷeux éblouissants avec les assonances, les anagrammes, les consonances, les onomatopées, la syntaxe. Leur côté agrammatical aussi, qu’elle lisait comme une licence poétique des furtifs. Pour elle, il ne faisait aucun doute que les furtives nous étaient supérieures en plasticité intellectuelle si bien qu’elle passait la plupart de ses ȷournées à translittérer les laisses entendues, et à plonger dans le swykemg pour décompacter le moindre mot gravé sur une dalle ȷusqu’à en extraire le sens caché. Aux oreilles de Louise, le travail arachnéen d’Hakima avait des accents de folie, quoique soutenu par une telle rigueur de chercheuse, une telle obstination technique qu’il était en droit impossible d’affirmer qu’elle n’avait pas raison. L’affinement quotidien des échanges, avec notamment Nasifluence et le collectif Cr, convertissait avec lenteur Louise aux thèses de sa collègue et compagne. Elle ne savait plus si sa résistance, encore forte, venait d’un orgueil spéciste mal placé ou s’appuyait obȷectivement sur la confusion du babil furtif.
Pour moi, dont toute l’obsession tenait sur les deux lettres d’un tà ? inscrites sur le mur de la chambre de ma fille, supposer que les furtifs répugnaient à la monosémie, pire qu’il y avait toutes les chances que ce mot puisse signifier des centaines de choses très divergentes – supposer ça ne faisait que maximiser mon anxiété. Louise eut cette gentillesse de tenter de me rassurer alors que nous atteignions l’hostellerie, bourrée de touristes religieux à cette heure :
— Si votre fille a bien écrit ce mot, le sens doit en être restreint et centré sur vous, ses parents. Nous allons travailler d’arrache-pied pour le décompacter ensemble, croyez-moi. Nous n’allons pas vous laisser tomber ! S’il s’agissait de salves orales comme nous en avons entendu là-haut, je serais très inquiète, je vous l’avoue. Parce que, si Hakima a raison, on peut extrapoler dans chaque mot prononcé son anagramme possible, ses déplis cachés, un origami littéraire quasi oulipien, si bien que ce serait proprement l’enfer de tenter de déchiffrer ça. Mais à l’écrit, avec un mot très court, et par la grâce du swykemg, nous avons des chances raisonnables de trouver ce qu’elle a voulu vous dire. Et grâce à ce message, de remonter vers l’endroit où elle se cache désormais.
Lorca n’avait pas perdu une miette. Il prit les deux mains de Louise dans les siennes, elle eut un petit recul, puis sembla touchée :
— Ce que vous nous avez appris aujourd’hui est juste inestimable, Louise. Je ne sais pas si vous le mesurez encore, avec l’habitude… Mais pour nous, c’est infiniment précieux. On ne pourra jamais vous remercier assez…
— Vous me direz merci si vous retrouvez votre enfant, Lorca… Sinon, tout ceci n’aura été qu’un aimable divertissement de vieille fille. Donnons-nous une semaine, chacun de notre côté, pour interpréter le glyphe. Ça évitera de nous influencer réciproquement. Puis nous ferons une réunion de synthèse collective.
˛Pas ˛mécontent, ˛je dois dire, de quitter les cryphiers. Pas trop eu l’occase de découvrir grand-chose, vu qu’ils m’ont laissé sur la touche. Ơn a d’abord débriefé entre nous, les cinq, dans mon appart, bâtons rompus, Saskia-Sahar à bloc, Toni au taquet, Lorca déjà à assimiler, à se projeter sur l’après. But ? Qu’ils me mettent au parfum, avant d’aller pointer devant Arshave. Sahar aurait voulu garder sous le coude quelques maravillas, trier ce qu’on va lâcher au patron. J’ai calmé la meute : ¡Nada de pronunciamiento! ¡Ni en pedo! Surtout qu’Arshave sait sûrement déjà tout. Pas le genre à laisser une cellule commac sans cookies dans l’arrière-boutique. Ni à nous laisser taper la discute dans les bois sans te caler un coléoptic sur un bout d’écorce, incognito. Limite pour lui, voir ce qu’on lui désosse au débrief a valeur de crash-test. Soit on cherche à l’emboucaner, et il va nous baguer serré-serré derrière, soit on ramène le steak. Vu de ma niche, voilà ce que j’en dis : Arshave a toujours été réglo avec nous. Ơn lui doit ce plan, on avance pin-pan-pun grâce à lui. Aucune raison, du coup, de pas se la jouer loyal. Même royal ! Sahar a froissé sa frimousse et elle a fini par accepter. Devant le boss, Saskia a fait péter le topo, carrée comme toujours. En gros, on a un petit tà ? sur la table, le swykemg pour la trad et deux tonnes cinq d’hypothèses sur ce qu’un fif pige ou pas, glotte ou pas glotte, et le because de ce qu’il cause. Arshave a acté la propale de Christofol. À savoir chacun dans son coin. Le lendemain, les services nous ont pondu, pour notre bague, une appli. Tu lui files n’importe quelles lettres de départ, elle te le « swykemgue » avec tous les mots que ça peut cacher derrière. Du billard pour crypher en claquettes.
Je sais pas trop à quoi les autres s’attendaient. Moi j’étais pépouf en me disant : deux lettres, ça va être les doigts dans le pif, tartines beurrées. Je pose les jetons sur la réglette et je te concocte un scrabble viteuf. Derrière, j’aurai une semaine de capoeira devant moi, pendant que les potes se mettront minables les méninges. Hop, j’ai ouvert l’appli, tapé tà ? et déjà j’ai capté que le ? allait me refiler un s. Bueno… Le t, ça allait : ça donnait juste un x au pire. Mais le a, ça bourrait déjà l’enchilada, ça pouvait planquer un o, un u, puis le o un c, puis le u un n en pivot, et le n un r encore, en bout de chaîne...
Quand l’appli a posé ça à plat en suivant l’arbre swykky, j’avais ça >
a c o r s t u x
Huit lettres qui scintillaient. Che ! j’ai fait, ça vire au burrito, mais pas de quoi fouetter un alpaga. Puis j’ai appuyé sur « décryphe », blip ! Et là, le mur de mon salon a vomi plus de 350 mots !! Un bottin ! Juste en français, hein, parce qu’on part sur l’idée que les fifs manient la langue locale, que c’est Tishka, qu’elle raisonne en fromage ! À ma bague, j’ai craché : « Appelle Arshave. » Il a décroché illico. Écran partagé, pour qu’il mate.
— C’est bien, tu viens de commencer…
— Boss, je fais quoi avec ça ? Je suis pas Sahar, je suis pas agrégé de France, comme la bande à Christofol ! Je vais me ruiner la cabeza à mouliner ça !
Il s’est marré, l’Amiral, et il a dit :
— J’imaginais bien que ce ne serait pas ta tasse de maté… J’ai mis deux pointures du service sur le décryptage. Nous travaillons en liaison étroite. Tu peux te joindre à notre équipe : tu auras sûrement un regard différent, sinon éclairant pour nous, puisque tu connais très bien le terrain. Viens donc nous rejoindre, si tu en es d’accord ? Nous allons décompacter tout ça ensemble : ce sera plus efficace.