27
Mary Ann regardait Riley. Un Riley fou de rage,
presque écumant, qui faisait les cent pas devant elle. Elle se
trouvait de nouveau dans la chambre du loup-garou, au manoir,
assise sur son lit — auquel elle ne pouvait songer sans l’associer
à un moment de douceur et de tendresse. La porte était close et
l’on entendait des pas dans le couloir. Personne n’oserait entrer,
en ce moment, même si elle se mettait à hurler — ce qu’elle ne
ferait pas, bien entendu. Mais, à vrai dire, elle aurait préféré ne
pas être seule avec Riley, pour une fois, car la colère qui
l’animait le rendait un peu effrayant.
— Aide-moi à récapituler, fit-il d’une voix
soudain étrangement mesurée mais incrédule. Tucker était dans les
bois, devant la cabane. Tu l’as vu. Il t’a fait signe. Et toi… toi,
tu y es allée. Vraiment ?
— C’est ça.
— Tu lui as parlé.
— Oui.
— C’est-à-dire que tu t’es retrouvée à portée
de sa main. Et qu’il aurait pu te toucher.
— Il ne me ferait pas de mal, jamais. Pas
physiquement, en tout cas, s’empressa-t-elle d’ajouter avant que
Riley ne lui rappelle toute l’angoisse que
lui avait inspirée Tucker et toutes les larmes qu’elle avait
versées sur lui.
— Tu ne sais pas de quoi il est capable, Mary
Ann. C’est un démon.
— Une moitié de démon, corrigea-t-elle.
Elle aurait pu ajouter : et le père du bébé
de sa meilleure amie. S’il se décidait à aider Penny et à entrer
dans la vie de l’enfant, alors il ferait également partie de la vie
de Mary Ann, puisqu’elle avait bien l’intention d’être là pour son
amie. Autant que Riley le sache dès maintenant, que ce soit bien
clair pour lui, et qu’il s’y fasse.
— Il est toujours calme quand il est près de
moi. Et tu le sais.
— Et ensuite,
poursuivit Riley, poursuivant son raisonnement comme si elle
n’était pas intervenue, tu as attendu plusieurs heures pour me
raconter tout ça.
— Encore une fois, oui.
Elle avait laissé à Tucker du temps pour s’enfuir.
Riley était un loup-garou, c’est-à-dire un expert de la traque, et
il aurait pu le retrouver sans difficulté. Alors, ils se seraient
battus.
Sauf que, franchement, il n’y avait plus de temps
à perdre en bagarres.
Aussi, quand elle avait été certaine qu’un laps de
temps assez long s’était écoulé, elle avait inventé une excuse,
pour Victoria, et avait entraîné Riley dehors, où elle lui avait
tout avoué. Et au lieu de lui être reconnaissant des informations
qu’elle daignait lui donner, il l’avait traînée ici pour la tancer
à loisir.
— Je me demande bien pourquoi j’essaie de te
protéger en permanence, alors que tout ce que
tu sais faire, c’est te mettre en danger ! s’exclama-t-il sans
décolérer.
— Parce que tu m’aimes bien, non ?
C’était vrai — au moins tant qu’ils n’en auraient
pas terminé avec les sorcières. Après cela, ils auraient de vrais
problèmes à régler. Ou pas, d’ailleurs. Comme de se quitter.
A cette pensée, Mary Ann sentit une boule se
former dans sa gorge.
Riley cessa de marcher de long en large et poussa
un profond soupir, comme si la colère l’abandonnait tout à
coup.
— Tu as raison. Je t’aime bien. Même si, à
certains moments, comme maintenant, je me demande bien pourquoi.
Allez, dis-moi encore ce que Tucker a raconté au sujet de
Vlad.
Cela, c’était facile.
— Il a dit que l’Empaleur est en vie et bien
portant, qu’il habite une crypte, derrière ce manoir. Il a dit que
l’Empaleur lui a ordonné de nous épier et de lui rapporter nos
faits et gestes. Et que ce fou est furieux à l’idée que quelqu’un
d’autre commande son peuple.
— Il est totalement impossible qu’il ait
survécu à un empoisonnement de tout son corps par la je-la-nune. Personne n’aurait pu y
survivre !
— Qu’en sais-tu ?
— J’en ai vu d’autres mourir de cette
façon.
Cette lueur dans ses yeux verts, était-ce… de la
culpabilité ? Avait-il lui-même tué des créatures avec la
je-la-nune ? Mary Ann aurait dû en
être révoltée… Le fait qu’elle n’éprouve rien
de tel prouvait à quel point elle avait désormais accepté les
règles de l’outre-monde.
— Peut-être Vlad a-t-il guéri. Tu m’as dit
toi-même qu’il était le plus fort d’entre vous tous et que son
peuple fondait l’espoir qu’il revienne à la vie. C’est vrai,
souviens-toi. C’est même la raison pour laquelle Aden n’a pas été
officiellement couronné.
Perplexe, Riley se mit à réfléchir à haute
voix :
— Si Vlad était vivant, il serait venu nous
trouver. A moins qu’il ne soit vraiment trop faible ?… Non. Il
n’aurait pas envoyé un gosse, pour nous espionner. Et puis,
rappelle-toi : en plus d’être brûlé, Vlad a reçu un pieu en
plein cœur. Affaibli, à ce point, je ne vois pas comment il a pu se
remettre.
Il marqua une pause avant d’ajouter :
— Bon sang ! J’ai peine à croire que
j’évoque le sujet avec une humaine. Vlad a tué pour moins que
ça.
— Mais ce n’est plus lui qui règne. Et je
suis certaine que votre nouveau chef te recommanderait de me
confier ce que je veux savoir. Alors, je reviens à ce que tu
disais : Vlad serait mort d’une blessure causée par un pieu,
planté en plein cœur. La peau des vampires n’est pourtant pas
facile à transpercer…
Riley hésita.
— Tu m’as entendu dire à Aden que, quand on
voulait tatouer des protections sur les vampires, on devait d’abord
préparer les aiguilles avec un peu de je-la-nune, oui ? C’est ce qui permet à
l’encre de pénétrer. C’est la même chose lorsque tu veux empaler
quelqu’un : tu trempes ta lame dans la je-la-nune, et tu transperces le cœur. Le poison
fait fondre la peau et infecte l’organe.
De nouveau, Riley se tut, l’air pensif, anxieux.
Finalement, il soupira et tendit la main vers Mary Ann :
— Il n’y a qu’une seule façon de
vérifier.
Quoi ? Pas question !
— Ne compte pas que je t’accompagne !
s’écria-t-elle.
— Impossible que tu t’en dispenses. Il faut
que nous allions inspecter la crypte ensemble.
Les yeux de Mary Ann s’écarquillèrent.
— Je te rappelle que, selon tes propres
termes, je ne suis pas censée me mettre en danger…
— J’ai besoin d’un partenaire, et tu es tout
à fait capable de jouer ce rôle. Allez, on y va, lui ordonna-t-il
en l’invitant de nouveau du geste. Ensuite, on retournera à la
cabane et on verra si Aden en a fini avec le corps de la sorcière
et s’il a appris quelque chose.
Et si ce n’était pas le cas ? Mary Ann se
retint de poser la question. Le temps s’écoulait sans que la
moindre solution soit en vue ; elle ne savait plus comment
repousser la panique qui la gagnait. Alors, tout compte fait,
pourquoi ne pas agir, plutôt que subir, et rendre visite à Vlad —
ce cher Empaleur, dont le passe-temps préféré avait consisté, à une
certaine époque, à collectionner les têtes humaines pour les
empaler sur des piques comme des olives sur un
cure-dents ?
Malgré les frissons qui la traversaient, elle
s’obligea à saisir la main de Riley. Pourquoi, au juste, tenait-il
tant à ce qu’elle vienne avec lui ? Il voulait un partenaire,
lui avait-il, mais était-ce la véritable raison, ou bien une simple
flatterie, maladroite, de la part d’un garçon aux instincts
protecteurs ? Ou encore, Riley cherchait-il à lui prouver que Tucker avait menti en
affirmant que Vlad vivait toujours ?
Elle n’eut pas le temps de réfléchir davantage.
Riley l’enveloppa délicatement d’un manteau, et lui
dit :
— Reste derrière moi, quoi qu’il arrive, et
fais ce que je te demande. D’accord ?
— D’accord. Je ne suis pas irresponsable, tu
sais.
— On discutera de cela plus tard.
Ils gagnèrent le couloir. Passer de la chambre de
Riley au gigantesque hall noir du manoir était choquant, mais Mary
Ann s’accoutuma vite. Les murs tendus de noir, les boiseries
sombres, les scènes sanglantes des tapisseries et les motifs
mystérieux des protections — tout contribuait à créer une
atmosphère lugubre.
— Est-ce que tu crois que Tucker a
l’intention de nous tendre un piège ?
Au moment même où elle posait la question, la
réponse vint d’elle-même. Si Riley avait cru cela possible, il
aurait refusé de l’emmener avec lui. Sauf, bien entendu, s’il
voulait faire la démonstration des mauvaises intentions de
Tucker.
— Laisse tomber, dit-elle. En fait, pas la
peine de répondre. Contente-toi de m’écouter. JE VEUX VIVRE. Je
veux sortir de cette aventure. Je refuse de faire quoi que ce soit
qui me mette en danger sauf si c’est absolument nécessaire.
— Très bien. Moi aussi, je veux que tu t’en
sortes vivante.
Au coin du couloir, devant eux, apparurent soudain
deux vampires. Deux filles. Deux beautés. Elles ralentirent le pas
et laissèrent traîner sur Riley des regards appuyés. Très appuyés ; elles le dévoraient
des yeux ! Au lycée, cela arrivait aussi tout le temps avec
les humaines. Riley était tout simplement trop beau pour être
vrai.
Il les salua. Elles durent croire qu’il les
invitait à bavarder car elles se ruèrent littéralement sur lui,
sans le moindre regard pour Mary Ann.
— Salut, Riley, lança la plus brune des deux
d’une voix un peu trop familière.
L’autre, une rousse, ne dit pas un mot, mais
battit des paupières en minaudant.
Je ne suis ni jalouse, ni en
colère. Vraiment pas, se répéta Mary Ann. De toute façon, sa
relation avec Riley était mourante. Pourtant, en ce moment même,
elle rêvait de planter un pieu dans de la je-la-nune.
— Nous sommes pressés, les filles.
La brune leur barra le passage.
— Pas si vite, mon loup. J’ai un sujet
important à discuter avec toi.
— Draven, soupira
Riley, pas maintenant, s’il te plaît.
Draven. Plutôt mauvais genre, comme nom. Et qui
allait comme un gant à celle qui le portait. Traits délicats,
presque angéliques, mais yeux pervers. Une sorte d’intelligence
froide et calculatrice.
— Ça ne prendra qu’une seconde,
insista-t-elle. Et franchement, c’est toi qui perds du temps,
maintenant. Tu m’écoutes ?
Il acquiesça avec raideur, et Mary Ann sentit
qu’il serrait plus fort sa main.
— De quoi veux-tu me parler ?
Elle redressa le menton, hautaine et sûre
d’elle :
— Comme tu le sais, je
fais partie des prétendantes qui ont été choisies pour séduire le
nouveau roi.
Riley acquiesça de nouveau, avec plus
d’inquiétude.
— En revanche, ce que tu ignores sans doute,
c’est que j’ai lancé un défi.
— Tu veux devenir notre souveraine à la place
d’Aden, c’est ça ? demanda Riley dans un grand rire moqueur.
Alors, bonne chance ! Maintenant, si tu veux bien nous laisser
passer…
— Détrompe-toi, reprit-elle avec un sourire
où ne perçait pas la moindre trace d’humour. J’ai présenté mon défi
devant le Conseil. Je défie Victoria pour les droits qu’elle a sur
Haden Stone.
Fureur et stupeur se peignirent sur les traits de
Riley.
— Tout le monde a le droit de lancer des
défis, reprit Draven, plus méprisante que jamais. Et tu connais la
règle : si l’opposant ne relève pas le défi, alors celui qui
l’a lancé est déclaré vainqueur et emporte ce qu’il
demandait.
— En tant que protecteur de la princesse,
gronda Riley, je me sens concerné par ce défi ; et je
l’accepte. C’est moi qui me battrai contre toi, dès que…
Draven éclata de rire.
— Allons ! Notre loi exige que
Victoria elle-même relève mon
défi ; c’est donc elle qui se battra avec moi. Et toi, tout
protecteur que tu sois, tu n’as pas le droit d’intervenir.
Riley serra les dents. Une veine palpita sur sa
tempe. Draven ignorait-elle qu’elle s’avançait là dans une zone
dangereuse ? En tout cas, elle ne semblait pas s’en soucier le
moins du monde.
— Il est possible qu’il le fasse. Mais ce
sera après que mon défi aura été relevé. Faute de quoi tout le
monde saura que j’ai réclamé un duel et que Victoria s’est défilée.
Ce qui veut dire qu’Aden m’appartiendra et que Victoria sera
condamnée par tout notre peuple.
Condamnée ? Quel sens cela pouvait-il avoir,
chez les vampires ? Mary Ann aurait voulu poser la question,
mais elle tint sa langue. Parce que l’étiquette n’avait peut-être
pas prévu comment exiger d’une garce qu’elle s’explique. Et parce
que Riley, dont les colères pouvaient être terribles, exsudait
littéralement la rage.
— Je lui transmettrai ta demande, siffla-t-il
entre ses dents. Et elle acceptera. Le duel aura lieu dans le
courant de la semaine prochaine.
Pour la première fois, Draven parut dépitée.
— Je veux qu’il se déroule aujourd’hui
même.
— Non. Tu devras attendre la semaine
prochaine. Si tu refuses, tu seras considérée comme ayant retiré
ton défi. Le roi seul peut choisir la date du duel, et il voudra
être présent. Cela, j’en suis tout à fait sûr. Or, il n’est pas
disponible avant la semaine prochaine.
— Très bien. J’accepte ces conditions.
Draven affichait une satisfaction égale à la
colère de Riley. Elle lança un regard plein de morgue à Mary Ann,
puis lança :
— A très bientôt !
Sur ce, les deux vampires s’éloignèrent d’un pas
léger, bavardant et riant sous cape, comme si ce qui venait de se
passer était un événement sans conséquence et non la mise en place
d’une bombe à retardement.
— Est-ce que Victoria
est une bonne combattante ? demanda Mary Ann à Riley quand ils
se furent remis en route.
— Oui. Je l’ai formée moi-même.
— Et Draven ?
— Aussi. Malheureusement. Elle aussi, c’est
moi qui l’ai formée.
— Et laquelle des deux est la
meilleure ?
Riley se crispa ; Mary Ann en tira la
conclusion qui s’imposait : Draven était la meilleure.
Elle sentit son estomac chavirer.
— Que se passera-t-il si Draven
l’emporte ? Qu’arrivera-t-il à Aden ? Et à
Victoria ?
— Ce ne sera pas un combat à mort. Elles se
battront seulement jusqu’à la capitulation de l’une d’elles. Et la
gagnante remportera Aden. Il lui appartiendra.
— Appartenir ? Mais il est
roi !
— Il est aussi humain ; c’est le
paradoxe dont joue Draven. Nos lois considèrent les humains comme
des esclaves de sang. On peut échanger et posséder ces esclaves.
Aden pourra annuler cette loi, évidemment, mais Draven a
raison : il est impossible d’agir avant que le défi de Draven
soit relevé. Dans le cas contraire, Victoria donnerait l’impression
d’être une faible.
— Du coup, elle serait condamnée, si j’ai
bien compris. C’est-à-dire ?
— Tout le monde verra en elle un défi facile.
On se mettra à la provoquer pour s’approprier tout ce qu’elle peut
posséder. Eternellement. En tout cas, jusqu’à ce qu’elle soit
obligée de quitter le groupe et de vivre à l’écart.
— Sa vie appartiendra à Victoria. Elle sera
sa propriété. C’est bien pourquoi on assiste rarement à ce genre de
défi : il n’y a pas grand monde pour prendre de tels
risques.
Donc, Draven était certaine de son
succès.
— A présent, dépêchons-nous, ordonna Riley.
Nous avons une tâche à accomplir.
Et ils dévalèrent le grand escalier à
révolution.
Sur leur chemin, ils croisèrent d’autres vampires,
eux aussi par groupes de deux ou trois ; tous n’avaient qu’un
seul sujet de conversation aux lèvres : Aden et la façon dont
il avait dompté les bêtes. Ils étaient visiblement abasourdis et
effrayés. Heureusement, toutefois, plus personne n’arrêta Riley
pour lui parler.
Dehors, depuis le matin, l’air s’était
refroidi ; une brume glaciale était tombée qui trempa aussitôt
les cheveux de Mary Ann. Dieu merci, la générosité de Riley, qui
lui avait fourni un manteau, la protégeait du pire. Riley, quant à
lui, semblait indifférent au temps qu’il faisait. Il ne portait pas
de veste, juste un T-shirt à manches courtes, et ne frissonnait pas
pour autant.
Dans le parc du manoir, on ne voyait ni vampires
ni loups-garous. Faisait-il trop froid, trop humide pour eux ?
Etaient-ils occupés à autre chose ? D’ailleurs, que
faisaient-ils, en général, pendant la journée ?
Peut-être qu’elle ne le saurait jamais.
Tu te souviens ? Il vaut
mieux éviter d’avoir ce genre de pensées.
Mary Ann soupira. Décidément, l’idée de passer son
dernier jour sur cette Terre — peut-être — à
explorer une crypte, pour y chercher un souverain vampire dont on
ne savait s’il était vivant ou mort, ne la réjouissait pas. Pas
plus que de traquer des sorcières. Elle aurait préféré, et de loin,
se retrouver de nouveau seule dans un lit avec Riley. Ou encore
rentrer chez elle, revoir son père et le serrer très fort dans ses
bras. Victoria avait bien convaincu celui-ci qu’il avait vu sa
fille au cours des dernières heures, mais c’était une
illusion ; et il manquait terriblement à Mary Ann. Alors, si
Aden ne progressait pas, de son côté, avec la sorcière, elle
rentrerait chez elle. C’était ce qu’elle ferait.
— Tu ne vas pas mourir demain, dit Riley
comme s’il avait lu dans ses pensées.
— Comment est-ce que tu… ? Oh, laisse
tomber.
Pas ses pensées — son aura.
Il venait de s’arrêter au centre d’un cercle de
béton. Il plaça ses pieds dans… des encoches creusées à même le
sol ? Oui, c’était bien ça. Puis il attira Mary Ann tout
contre lui, dans sa chaleur communicative et douce, au creux de ses
bras puissants.
Là, soudain, le sol commença à bouger sous leurs
pieds.
— N’aie pas peur, je te tiens, dit-il
doucement. Dans quelques secondes, nous allons nous mettre à
tourner et à descendre. Accroche-toi à moi.
Effrayée, elle se rappela les tourniquets et les
toboggans de son enfance.
— Doucement, je te le promets.
Effectivement, ils se mirent à tourner sur
eux-mêmes, lentement, et à descendre, lentement, dans le vaste
gouffre qui se révéla lorsque la plateforme
de béton — ou de métal ? elle n’aurait su le dire — changea de
position. Plus ils descendaient, plus l’odeur de moisissure et de…
Elle fronça le nez pour renifler… De vieilles pièces de métal
envahissaient l’air autour d’eux.
— Cette odeur… J’aurais parié… Incroyable. Ça
sent la mort. Le cadavre humain, précisa Riley.
Et il conclut gravement :
— Des morts très récents.
Avec une grande délicatesse, mais très rapidement,
il fit passer Mary Ann derrière lui ; elle eut pourtant le
temps d’apercevoir les griffes qui venaient de surgir au bout de
ses doigts. Il se préparait à l’attaque.
— Il est trop tard pour te faire remonter,
Mary Ann. Alors quand nous atteindrons le sol, je vais te pousser
de côté, contre un mur. Ce sera l’obscurité totale ; tu ne
verras rien. Donc, tu ne dois pas bouger, d’accord ? Ne te
déplace pas.
— Mais toi, tu peux y voir ?
demanda-t-elle d’une voix affolée.
— Oui.
Dès que la plate-forme toucha le sol, secouant
Mary Ann, les fondations de la crypte tremblèrent et les ténèbres
dont avait parlé Riley tombèrent instantanément. Mary Ann sentit
les mains puissantes du garçon se refermer sur sa taille, puis la
repousser jusqu’à ce que son dos rencontre une surface dure et
froide. Ensuite, le contact rassurant des mains s’évanouit, et elle
se retrouva seule, dans le noir.
Elle entendit des gouttes d’eau, des pas, puis
Riley qui jurait à mi-voix. Si Vlad était en vie, oserait-il s’attaquer à l’un des loups-garous les plus en
vue ? Tucker l’attendait-il dans l’obscurité, et aurait-il le
cran de s’en prendre à lui ? Tucker avait toujours eu un
tempérament violent et la retenue dont il faisait preuve à l’égard
de Mary Ann ne s’appliquait sans doute pas à Riley.
A présent, des bruits de pierres ; et une
nouvelle salve de jurons proférés par Riley.
— Il est parti, pesta le loup-garou. Vlad est
parti. A moins que quelqu’un ait enlevé son cadavre — et,
crois-moi, personne ici ne s’y risquerait —, il est sorti par ses
propres moyens. Donc, comme te l’a dit Tucker, il compte
probablement s’en prendre à Aden.