13
Victoria les téléporta tous à l’endroit où était détenue la sorcière. Elle commença par Mary Ann, qui aurait pourtant préféré rester où elle était plutôt que, selon ses termes, « être ballottée à travers l’espace comme une poupée de chiffons ». Ce fut ensuite le tour de Riley. Mais quand vint celui d’Aden, et qu’elle lui tendit la main, il esquiva.
— Je veux d’abord qu’on parle, exigea-t-il.
Parler ? D’abord, tu l’embrasses, ensuite tu parles ! lui ordonna aussitôt Caleb.
Ça va, laisse-le souffler un peu, rétorqua Elijah.
Aden l’aurait bien remercié de prendre son parti, mais le médium ajouta immédiatement :
La priorité, c’est qu’il lui parle du Dr Hennessy.
Sûrement pas ! C’était le meilleur moyen pour casser l’ambiance, et ils avaient d’autres sujets à aborder dans l’immédiat. D’ordre sentimental.
— Nous ne sommes pas en sécurité ici, lui fit remarquer Victoria.
Derrière eux, sous le couvert des arbres, un loup hurla.
Nathan.
Cherchait-il à les informer qu’ils étaient à l’abri ? Qu’il n’y avait pas de cadavre à proximité ? Il espérait que oui. Mais, si le hurlement avait au contraire pour but de le prévenir que d’autres morts allaient se réveiller… qu’il devait fuir… eh bien, tant pis. Il se sentait prêt à tout affronter en échange de cette conversation avec sa princesse.
— Ça ira, lui affirma-t-il.
Mais elle insista, et lui tendit de nouveau la main.
— Nous ne devons pas nous attarder, je te dis.
Je suis du côté de Caleb. Embrasse-la, intervint Julian.
Aden croisa obstinément les bras et s’appuya contre un tronc. Aussi anodin qu’il soit, le mouvement provoqua une douleur fulgurante dans son genou. Pour avoir été mordu des dizaines de fois par des cadavres, il savait à quoi s’attendre, hélas, et ce n’était que le début de ses souffrances. D’accord, ce cadavre-là était celui d’un minuscule gobelin, cependant, d’où qu’elle provienne, la salive des morts produisait toujours les mêmes effets. C’était un poison. Et, en ce moment, le poison était en train de se répandre.
Demain, il en viendrait à souhaiter être mort.
Une fois de plus.
Il faillit en rire. Aurait-il un jour la paix ?
Victoria l’arracha à ses pensées morbides.
— Aden ! lança-t-elle sur un ton impérieux. Allons-y !
— Je te dis que nous avons le temps. Les autres vont interroger la sorcière et ils n’ont pas besoin de nous pour ça.
Elle plissa les yeux et redressa la tête, visiblement agacée.
— Soit. Parlons. Tiens, je vais commencer.
A son tour, elle croisa les bras. Le clair de lune l’illuminait doucement, comme un baiser sur sa peau parfaite. De son regard bleu électrique, elle fixa Aden, et ses jolies lèvres dessinèrent une moue provocatrice. Dans cette attitude, elle était tout simplement sublime, belle et rebelle à la fois. Rien d’étonnant à ce que les âmes ne pensent qu’à lui donner un baiser.
— Raconte-moi ton rendez-vous avec ma sœur.
Aïe. Il aurait dû s’y attendre.
— Rendez-vous, c’est un bien grand mot. Nous avons parlé des éventuels changements concernant ton peuple. Comme de remplacer le noir par le rose. Et nous avons parlé de toi.
Ou plus exactement, ils en auraient longuement parlé si le gobelin n’avait pas déboulé.
— Nous avons parlé du fait que… je t’aime.
Voilà. C’était dit. Il avait prononcé les mots irréversibles. S’il y avait un moment pour passer aux aveux, n’était-ce pas celui qu’ils étaient en train de vivre ? Et puis, Aden ne voulait pas, au fond, que Victoria continue de se tourmenter et de douter des sentiments qu’il avait pour elle.
— Tu es courageuse et attentionnée. Tu me vois comme un égal, pas comme une gêne. Je me sens tout simplement bien quand je suis avec toi. Mieux avec moi-même et mieux avec le monde.
Elle le regarda, stupéfaite :
— Tu m’aimes ?
— Oui. Oui, oui, oui, je t’aime, répéta-t-il. Et je ne m’attends pas à ce que tu me dises que c’est réciproque. Je ne veux t’obliger à rien, et je comprendrais très bien que, de ton côté, tu n’en sois pas encore là.
Oui, il le comprendrait — ce qui ne signifiait pas que ce ne serait pas douloureux.
L’expression de Victoria s’adoucit ; elle baissa les yeux et fit mine de s’absorber dans la contemplation de ses mains. Ses joues rosirent. Etait-elle gênée, ou bien avait-elle bu du sang tout récemment ? Et dans ce cas, où l’avait-elle trouvé ? Ou plutôt, à la gorge de qui ?
De nouveau, la jalousie désormais familière lui étreignit le cœur. « Il faut pourtant que tu l’acceptes, se dit-il. C’est une vampire, et elle ne peut pas survivre autrement ! »
— Je… je t’aime aussi, Aden.
Dieu merci. Toute trace de jalousie l’abandonna aussitôt. Elle l’aimait. Vraiment.
— Dis-le-moi encore.
Personne auparavant ne l’avait aimé. Personne.
— Je t’aime aussi. Je t’aime tellement. Tu es fort et loyal, et tu me comprends si bien… Je crois que tu me comprends mieux que je ne me comprends moi-même. Alors oui, je t’aime.
Il ne se lasserait jamais de ces mots.
— Et c’est parce que je t’aime si fort, poursuivit-elle, que je dois te prévenir que les prétendantes ne se contenteront pas de « discuter ». Ou plutôt, ce sont les pères qui attendront davantage, d’elle et de toi. Tu devras leur faire la cour. Tu ne peux pas y échapper. Cela devra ressembler à un véritable rendez-vous galant.
— Je peux refuser de les voir.
Elle l’aimait, il l’aimait, il ne voulait pas d’autre reine qu’elle. C’était aussi simple que ça.
— N’y songe pas. Je te l’ai déjà dit, cela causerait de trop grandes violences.
— Je m’en fous. A mes yeux, tu comptes plus que tout au monde.
Elle le regarda et, il lut de l’espoir dans ses prunelles. Mais bien vite elle se ressaisit et devint indéchiffrable.
— C’est toi qui comptes plus que tout au monde : tu es le souverain de mon peuple.
Etait-ce là ce que lui avait inculqué son père ? Que seul le roi importait ? Si Vlad n’était déjà mort, Aden l’aurait étranglé de ses propres mains. Agacé, il rétorqua :
— Je n’ai pas beaucoup de temps devant moi ; alors, je ne veux pas le perdre en dispute.
Victoria passa la langue sur ses dents parfaites et terriblement pointues.
— Nous sommes donc enfin d’accord : il ne faut pas s’attarder ic…
— Je ne parle pas de ce soir, coupa Aden. Je veux dire que je n’ai pas beaucoup de temps à vivre.
A ces mots, sa princesse se figea aussitôt. Evidemment, elle connaissait la prédiction d’Elijah ; elle savait qu’Aden ne vivrait plus très longtemps.
— Alors, poursuivit-il, je ne suis pas si important que ça. D’ici peu ton peuple aura besoin d’un nouveau roi.
Il en trouverait un. Riley, peut-être ? Si les vampires avaient accepté qu’un humain règne, alors pourquoi pas le représentant d’une race à laquelle ils obéissaient déjà ?… Aden hocha la tête, séduit par l’idée. C’était un plan parfait.
Sauf que… oui, bizarrement, une fois de plus, la perspective d’abandonner la couronne venait de faire naître en lui de la colère. Ce qui n’avait aucun sens.
Il se calma et se força à se concentrer sur la situation immédiate. Aucune distraction n’était permise, sinon, il risquait de tout gâcher.
— Comme je te le dis, je ne veux pas gaspiller le temps qu’il me reste en me disputant avec toi. Et je ne veux pas non plus que tu me tiennes à l’écart de ce que tu sais et penses pour des raisons que je ne comprends pas.
Victoria se tenait immobile, silencieuse, le dévisageant comme si elle cherchait… Quoi, au juste ? Mystère. Enfin, elle soupira.
— Que veux-tu donc savoir ? Je vais tout te dire, tout t’expliquer.
— Quels sont tes véritables sentiments ? Qu’éprouves-tu à l’idée que je rencontre les autres prétendantes ?
Caleb se mit à rire.
Oh là, mon gars, on dirait une nana quand tu parles comme ça. Partager ses sentiments et tout… Trop nul !
Cours de drague, première année, rétorqua Julian. Parle comme une fille, tu te feras les filles. Tu ne sais même pas ça ? Moi qui te prenais pour un expert…
Victoria laissa retomber ses bras.
— Eh bien, cela me rend… furieuse.
Contre lui ?
— Tu n’en as pas l’air. Ni ton attitude ni ta voix ne te trahissent.
Elle releva la tête, comme face à un défi.
— Stephanie dit que je verrouille mes sentiments.
— Alors, exprime-les. Laisse-les sortir ! Tu verras, tu te sentiras mieux après.
C’était bien lui qui employait ces mots ? Il avait avalé un de ses psys ou quoi ?
Victoria secoua la tête. Ses cheveux noirs fouettèrent ses épaules.
— Trop dangereux.
— Dangereux pour quoi ?
— Pour toi.
— Mets-moi à l’épreuve. As-tu peur du monstre qui est en toi ?
Elle s’écarta de lui, l’air anxieux.
— Eh bien quoi ? s’écria Aden. Tu crains que ce monstre me fasse du mal si tu te laisses aller à tes sentiments ? C’est ça ?
— Non. Mes tatouages me gardent, répondit sa princesse sur un ton qui manquait pourtant de conviction. Cependant, nous ne tentons jamais le diable, avec nos bêtes. Aucun d’entre nous.
— Tous les vampires ont donc une bête en eux ?
— Oui.
— Et il est arrivé que certains en perdent le contrôle ?
— Oui. C’est… terrible. Les conséquences sont… Il n’y a pas de mot pour décrire les horreurs qui s’ensuivent.
Au moins un mystère levé : Victoria avait beau nier, elle redoutait bel et bien les pouvoirs du monstre et ce qu’il risquait de leur faire.
— Parle-moi de ces bêtes, reprit Aden. Dis-moi pourquoi tu les crains tant, et pourquoi je devrais les craindre aussi.
De nouveau cette expression butée, de défi.
— Tu es vraiment sûr de vouloir le savoir ?
Est-ce qu’elle s’imaginait qu’il la repousserait quand elle lui aurait tout dit ? Fille de peu de foi… Il n’y avait qu’une façon de lui montrer qu’elle avait tort.
— Oui, j’en suis sûr.
— Soit. Voilà. Contrairement aux loups, nous ne nous transformons pas, nous ne sommes pas des changeformes, commença-t-elle d’une voix blanche, mais le monstre peut sortir de nous. C’est une entité à part entière. Plus il reste à l’extérieur de nous, plus son corps s’incarne, devient solide, réel. Et plus son corps devient réel, plus les liens qui le rattachent à nous s’amenuisent. Ils finissent même par disparaître.
— Et c’est mal ? De vous débarrasser du monstre, ça ne vous aiderait pas ?
— Nous aider ?
Elle eut un rire inquiétant, sans la moindre trace de joie.
— Pas du tout. Une fois qu’il a pris corps, le monstre gagne en force ; alors, il se retourne contre nous, et nous devenons la proie de ce qui était jusque-là notre part la plus sombre. Il prend sa revanche, après avoir été tenu enfermé… Plus personne n’est en sécurité… Et une autre chose que tu dois savoir, c’est que depuis que je t’ai rencontré, ma bête cogne dans ma tête. De plus en plus fort chaque fois que nous sommes ensemble. Elle veut sortir.
C’était bon à savoir. Et terrifiant, aussi. Mais rien, pas même la peur, n’empêcherait Aden de désirer tout connaître de Victoria ni de lui prouver qu’il acceptait tout d’elle — même si ça voulait dire se comporter en Prince pour tuer son dragon.
— Est-ce que la bête te parle ? demanda-t-il.
— En général, elle se tient tranquille. Elle n’utilise pas les mots. Pas comme toi et moi, en tout cas. En revanche, je l’entends parfois rugir. Et quand j’ai faim, je sens sa soif de sang à elle. C’est devenu très fort, ces derniers temps.
Comment, historiquement, la bête était-elle entrée dans les vampires ? Celle de Victoria était sans doute née avec elle, puisque la princesse était le fruit de deux vampires. Mais pour les autres ? Pour ces humains transformés en vampires par du sang impur, comme Vlad et certains de ses courtisans ? Cette métamorphose primordiale ne s’était jamais répétée, au cours des siècles suivants…
Les bêtes étaient-elles à l’origine de la transformation ?
— Tu ne dis plus rien. Je t’ai effrayé ? s’enquit Victoria d’un ton glacé.
— Pas vraiment.
Simplement, il se sentait encore plus proche d’elle, maintenant. Ainsi, elle aussi savait donc ce que c’était que d’avoir une tempête dans la tête ? Elle connaissait la peur de perdre le contrôle. Comme lui.
Alors, il fallait qu’ils se lancent, songea-t-il.
Allait-il vraiment le faire ?
Oui. Elle l’avait aidé à s’accepter lui-même. Il allait lui rendre la pareille. Maintenant.
— Est-ce que je suis ton roi ? demanda-t-il sévèrement.
C’était la première fois qu’il usait d’autorité avec Victoria, et elle le regarda avec surprise.
Caleb poussa un cri d’excitation.
Ooh, vas-y, j’adore ça !
Fais attention, son monstre va te dévorer. Elijah, tu as des tuyaux à ce sujet ?
Désolé, rien là-dessus.
— Oui. Bien sûr que tu l’es, répondit Victoria, soudain perplexe.
— Tu dois donc faire tout ce que je te commande ?
A ces mots, elle devina manifestement où il voulait en venir et grinça des dents, l’air furieux.
— Oui.
— Eh bien, ton roi t’ordonne de montrer tes sentiments. Tout de suite.
D’abord, elle ne réagit pas. Puis elle dit :
— Tu regretteras d’avoir donné cet ordre.
Et là, sans plus de formes, elle se mit à hurler. A hurler si fort et si longtemps qu’Aden crut que ses oreilles allaient en saigner ; pourtant, il s’efforça de ne rien laisser transparaître de son effarement. Afin de ne pas décourager sa princesse.
Quand enfin elle s’arrêta, pantelante, les yeux exorbités, elle scruta les alentours avant de se diriger vers un gros rocher rond qu’elle souleva comme s’il ne pesait pas davantage qu’une plume. L’instant d’après, la pierre fendait les airs pour venir se ficher dans un tronc d’arbre. L’arbre lui-même se fendit en deux ; les hautes branches tombèrent au sol dans un craquement sinistre.
Aden n’intervint pas, mais, comment dire ? peut-être n’avait-il pas eu une si bonne idée, tout compte fait… Car vu le boucan, quelqu’un, sans doute Dan, ne tarderait pas à rappliquer avec un fusil à la main. Et il serait bien embarrassé d’avoir à s’expliquer.
Nom d’un chien, dit Julian, quelle puissance !
Tu sais à quoi je pense ? A un truc du genre « fuite éperdue à travers la forêt », renchérit Caleb. Histoire de, je ne sais pas, sauver notre peau ?
Elijah restait silencieux. Aussi silencieux qu’Aden.
Quant à Victoria, qui n’était plus qu’un masque de colère, elle se tourna vers un nouvel arbre tout proche et frappa du poing, tout en énumérant ses craintes.
— Je ne peux pas te sauver de la mort, s’écria-t-elle en assenant un nouveau coup dans l’arbre. Tu vas mourir. Tu vas me quitter. Ces filles… elles sont toutes belles et intelligentes, est-ce que tu ne vas pas les préférer à moi ? Tu dis que tu m’aimes, mais tu ne les as pas encore vues. Elles pourraient te charmer. Ou bien te faire du mal. Je les tuerais, tu sais. Je les tuerais de mes mains. Tu m’appartiens.
— Tu as raison, je t’appartiens. Et rien ne me fera changer. Je me fiche que les autres soient charmantes, qu’elles se conduisent comme des humaines. Je t’aime, toi.
Soit elle ne l’entendit pas, soit elle ne le crut pas. En tout cas, ses coups contre l’arbre redoublèrent, jusqu’à ce que, comme le précédent, celui-ci s’effondre. Alors, seulement, Victoria regarda Aden. Ses yeux brillaient.
Aden, mon pote, écoute-moi. Fuis. S’il te plaît.
C’était la première fois que Caleb le suppliait.
Imagine qu’elle s’en prenne à tes… trucs de garçon avec autant de rage ? Notre morceau de corps préféré risque d’y passer !
Victoria haleta de plus belle ; l’air entrait et sortait de sa bouche à grand bruit, comme s’il lui brûlait les poumons. Lentement, elle s’avança vers lui, menaçante. Malgré le contact avec l’écorce, ses mains ne saignaient pas, n’étaient ni écorchées ni même rougies. Elle gronda d’une voix qu’il ne reconnut pas. Comme si deux êtres parlaient en même temps — l’une de sa voix habituelle, et l’autre sur un ton rauque, enragé et puissant. Sa bête ?
Un frisson glacé traversa Aden, mais il réussit à se maîtriser. Après tout, il avait voulu cela, l’avait ordonné. A lui maintenant d’en assumer les conséquences.
Si sa princesse s’apprêtait à le couper en deux, comme elle l’avait fait avec ces arbres, il la laisserait faire. Il ne rendrait pas les coups.
— Tu n’aurais pas dû demander ça, Aden.
Elle approchait, toujours aussi menaçante. Un pas, un autre. Encore un autre.
Et soudain… Quelque chose s’éleva au-dessus de ses épaules. Quelque chose de monstrueux. Aden ouvrit grand les yeux. Etait-ce… Etait-il possible que… ? Oui, c’était vrai ! Cela était en train de se produire. Il avala sa salive et regarda, fasciné, le spectacle qui s’offrait à lui. Dans le dos de Victoria se dessinait la forme étincelante d’une paire d’ailes, et au-dessus de sa tête rugissait un mufle aux naseaux démesurés, couvert d’écailles noires où brillaient une paire d’yeux qu’il reverrait sans doute dans ses cauchemars pendant le reste de sa vie. Ces yeux-là lançaient des éclairs de feu, un feu jaune orangé menaçant et mortel.
Toutes griffes dehors, le démon tendit une main vers Aden. Paradoxalement, le geste n’était pas menaçant. On aurait dit… Une prière ? Un appel à l’aide ? Impossible !
Et pourtant. Quand Victoria fut toute proche de lui, alors qu’il s’était préparé à ce qu’elle lui arrache la tête, il la vit lui prendre la main et l’attirer tout contre elle, dans la chaleur de son corps. L’étreinte fut si intense qu’elle lui coupa le souffle. Il eut l’impression que ses pieds quittaient le sol et le monde autour de lui se mit à tournoyer.
Que se passait-il ? Son esprit cherchait à toute allure des explications rationnelles…
Soudain, une voiture se matérialisa autour de lui. Il était au volant, Victoria dans le siège passager. Elle haletait encore, et la créature, qui n’avait pas quitté son perchoir, sur ses épaules, ne cessait d’agiter sa main griffue vers lui.
La créature allait-elle prendre corps, à présent, comme l’avait annoncé sa princesse ? Et dans ce cas, que risquait-il de se produire ?
— Je crois que tes tatouages ont baissé la garde, murmura Aden tandis que ses âmes hurlaient de terreur dans sa tête.
A ces mots, sans répondre, Victoria enleva son chemisier et se dénuda jusqu’à la taille. Aden en resta bouche bée. Nom d’un chien. Juste au-dessus de son cœur, il découvrit deux petits tourbillons rouge et noir, tatoués. Une vision inoubliable.
Caleb s’évanouit.
Elijah et Julian eurent un hoquet de stupeur.
— Non, mes tatouages sont toujours là, répliqua Victoria de son étrange voix dédoublée. Maintenant, embrasse-moi, ordonna-t-elle.
Elle se glissa jusqu’à Aden et se jucha sur ses genoux, coincée entre le volant et lui. Ce qui laissait peu de place. Puis pressa les genoux contre les hanches d’Aden, et caressa ses cheveux à pleines mains. Il sentit ses ongles crisser sur son cuir chevelu. L’instant d’après, elle écrasa ses lèvres sur les siennes, et sa langue, qu’il attendait de tout son cœur, envahit enfin sa bouche.
Elle était douce et brûlante. Il passa ses bras autour d’elle, lui caressa le dos. Elle était si chaude, presque incandescente… Il n’aspirait plus qu’à se brûler à son contact.
Et le baiser dura, dura jusqu’à ce qu’Aden ait l’impression d’être comblé de Victoria. Jusqu’à ce que le goût de sa bouche — elle sentait la cerise — devienne le centre de son univers. Jusqu’à ce qu’ils se mettent tous deux à gémir et ronronner.
Les vitres de la voiture étaient totalement embuées. Par bonheur, Elijah et Julian se tenaient cois et se gardaient, pour une fois, de tout « précieux » avis sur la façon de rendre l’expérience encore plus délectable, ou d’expliquer qu’il fallait s’y prendre comme ci ou comme ça. Sans doute étaient-ils aussi délicieusement surpris et perdus que lui.
Bientôt, la bouche de Victoria quitta la sienne pour aller se promener dans son cou. Sa langue s’attarda là où battait une veine, et la lécha.
— Tu as soif de moi ? parvint-il à demander.
Il ouvrit les yeux : la bête semblait avoir disparu.
— Non.
A ces mots, de nouveau, des pulsions de jalousie s’éveillèrent en lui.
— De qui as-tu bu le sang ?
— De personne. Il existe… du sang… déshydraté.
Aden se détendit. Victoria était si prévenante. Elle savait combien il détestait l’idée que ses lèvres adorées — ces lèvres pleines, magnifiques, ces lèvres qui lui donnaient tant de plaisir — se posent sur un autre.
— Cela ne doit pas valoir le goût du sang frais.
— C’en est très loin, en effet, confirma-t-elle de sa voix rauque.
— Bois-moi, alors. S’il te plaît.
— Non. Je veux pouvoir continuer de penser que tu es avec moi parce que tu m’aimes, pas parce que j’ai fait de toi mon esclave.
Comment l’en blâmer ? Etre désiré pour ce que l’on est, pas pour ce que l’on pourrait être, était une chose rare et merveilleuse. Il l’avait appris à ses dépens : tout au long de son enfance et de son adolescence, on l’avait rejeté pour ses différences, sans jamais tenir compte de la personne à part entière qu’il était.
— Encore des baisers, réclama Victoria.
Il n’allait certainement pas refuser. Leurs lèvres se rencontrèrent de nouveau et, de nouveau, il se perdit en elle pendant que ses mains exploraient son corps. Des baisers, des caresses auxquels répondait sa princesse. C’était certainement ça, le paradis.
Malgré tout, ils s’interrompirent. A bout de souffle, les lèvres humides et scintillantes, Victoria mit fin à leur baiser.
— J… je suis calme à présent, dit-elle. La bête est rentrée en moi, je le sens. Nous devrions nous arrêter.
— Tu m’as embrassée pour pouvoir te calmer ? demanda-t-il.
Elle acquiesça timidement.
Aden laissa retomber sa tête sur l’appuie-tête de son siège. Les yeux levés, il contempla Victoria. Il sentait son cœur battre dans tout son corps. Il avait l’impression que son sang était entré en fusion, qu’il mettait ses organes en ébullition, et que ses poumons s’étaient consumés sous la chaleur torride de leur étreinte. Une part de lui envisagea de se mettre en colère ; l’autre part, toutefois, était ravie de ce qui venait d’arriver. Finalement, il choisit d’en plaisanter.
— Eh bien, je crois qu’il faut que tu exprimes tes sentiments plus souvent, dit-il pour détendre l’atmosphère.
Un petit rire s’échappa des lèvres de Victoria, et elle s’empressa de mettre une main devant sa bouche, comme si rire d’un sujet aussi grave lui semblait inconvenant.
Quel bonheur de l’entendre rire ! Aden sentit sa poitrine se gonfler de fierté. Il avait réussi ! Il l’avait fait rire, comme il le désirait. Voilà ce qu’il voulait recommencer, autant que de l’embrasser.
— Pourquoi nous as-tu téléportés ici ? demanda-t-il en désignant d’un geste de la main la voiture qui les entourait.
— J’avais envie d’un peu d’intimité.
— Tu es maligne.
Il prit son visage entre ses mains.
— Ne me cache plus jamais tes sentiments, d’accord ? Je crois que nous venons de démontrer que je peux m’occuper de ta bête.
— D’accord.
Elle joua avec le T-shirt d’Aden. De quoi lui faire tambouriner le cœur.
— Mais rien n’a changé, tu sais, ajouta-t-elle, tu vas tout de même devoir recevoir les prétendantes pour maintenir la paix ; ce qui risque de déclencher de nouveau ma colère.
— Ne m’en promets pas trop : je pourrais bien devenir accro à ton genre de colère.
De nouveau, un rire cristallin s’éleva.
— Tu ne peux pas être sérieux !
— Je le suis, crois-moi.
En fait, il semblait à Aden que, d’une certaine façon, la bête de Victoria l’avait apprécié, lui, et qu’elle avait voulu le caresser, ou bien qu’il la caresse. Même si c’était une idée assez dingue.
— Ecoute-moi bien, continua-t-il. Tu as ma parole. Rien n’arrivera avec ces filles. Tu es la seule que je désire.
Elle passa un doigt brûlant sur l’arête de son nez.
— Haden Stone, comment peut-il exister un garçon aussi extraordinaire que toi ?
Comme il aimait entendre son véritable prénom dans la bouche de Victoria…
— C’est toi qui es extraordinaire. Maintenant, rhabille-toi, et rejoignons Riley. Il doit s’inquiéter à ton sujet.
Elle roula des yeux amusés et se glissa sur le siège passager, où elle entreprit de remettre son chemisier.
— C’est plutôt à ton sujet qu’il s’inquiète, maintenant.
Ne plus sentir son poids et sa chaleur, tout comme cesser de la voir à moitié nue, le fit gémir de dépit. Il lui fallut toute sa concentration pour continuer à parler.
— Riley a besoin qu’on lui botte les fesses, et s’il s’occupe mal de toi, j’interviendrai moi-même.
— Arrête. Je sais très bien que tu l’aimes beaucoup.
A cet instant, Caleb se réveilla.
Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que j’ai manqué ?
Mon pote, tu as tout simplement manqué le nirvana. Le pays des merveilles des filles, répondit Julian d’une voix encore émerveillée. J’aurais voulu que ça ne s’arrête jamais, jamais.
Caled gémit.
Aden sentit de nouveau une bouffée de jalousie.
— Les gars, s’il vous plaît. Elle est à moi.
— Ce sont les âmes ? s’enquit Victoria dans un sourire.
Il opina.
— J’ai beaucoup réfléchi, reprit-elle en se tapotant le menton d’un ongle court et vernis d’argent — non, du même métal que sa bague d’opale.
C’est ce qui lui permettait, le cas échéant, de tremper un doigt dans la je-la-nune sans se blesser.
— Les tatouages permettent d’empêcher ma bête de sortir. Alors, si nous te faisions tatouer avec des barrières semblables ? Peut-être que ça calmerait les âmes ?
Une proposition tentante, de prime abord. Avoir Victoria pour lui seul, pouvoir l’embrasser de nouveau sans la moindre interférence aussi souvent qu’il le voudrait… Aden était preneur. Sauf que les âmes se mirent à protester sur-le-champ.
— Non, merci, dit-il. Elles ne sont pas d’accord et je ne veux pas les blesser.
Ses hôtes se calmèrent.
Peut-être que c’est le moment de changer de copine, proposa Elijah, tout de même piqué au vif.
Victoria, de nouveau, se tapota le menton.
— Alors peut-être que nous te tatouerons pour te protéger des sorcières ? suggéra-t-elle cette fois. Nous ne pouvons pas contrer tous leurs sorts — la surface de la peau n’y suffirait pas — mais on peut dessiner des protections pour les sortilèges les plus dangereux et les plus courants. On pourrait pratiquer de la même manière sur Mary Ann aussi. Evidemment, on ne peut protéger personne d’un sort qui a déjà été lancé, mais après la réunion avec les sorcières, quand la menace du sortilège de mort aura été levée, nous tatouerons Mary Ann pour éviter qu’on lui jette le même à l’avenir. D’ici là, ce serait bien qu’elle porte les signes les plus courants pour se protéger des autres sortilèges.
Aden réfléchit. S’il rentrait au ranch couvert de tatouages, Dan allait piquer une crise. Quant au père de Mary Ann, il succomberait probablement d’une crise cardiaque.
— Nous allons y penser, conclut-il seulement. Et toi, pourquoi ne portes-tu pas de signes de protection contre les sorts ? Et Riley ?
Il lui prit la main.
— Certains vampires le font par précaution. Cependant, nous ne fréquentons pas suffisamment les sorcières pour que ce soit une absolue nécessité. La plupart du temps, nos races s’évitent l’une l’autre. Quant aux loups, on ne peut pas les tatouer. L’encre ne résiste pas à la transformation. En revanche, on peut tatouer leur forme humaine. C’est ce qu’on fera pour Riley.
— Ce que je ne comprends pas, déclara Aden en embrassant le poignet de Victoria, c’est pourquoi Riley ne prend pas la tête du clan des vampires. Il ferait un excellent roi.
Et… voilà. De nouveau, ce frisson de colère qui naissait en lui, incontrôlable, chaque fois qu’il évoquait le couronnement d’un autre roi que lui. Sérieux, c’était quoi, son problème ?
— Les loups se montrent plus loyaux que toutes les autres races, poursuivit-il. Le besoin de protéger est inscrit au plus profond de leurs gènes. Or, mener un clan, c’est juste une autre forme de protection, n’est-ce pas ? Mais nous en parlerons plus tard, d’accord ?
Pour l’heure, il avait surtout envie de reprendre sa princesse dans ses bras, sur ses genoux. De recommencer à l’embrasser.
Il lutta contre lui-même.
— Cette sorcière, dit-il, elle doit probablement lui donner du fil à retordre…
Victoria acquiesça et, l’instant d’après, le monde disparut autour de lui.
***
Une maison forestière abandonnée, une sorte de cabane, à des kilomètres de la ville. A des kilomètres de tout. A l’intérieur, rien que des loups, un vampire et des armes. Et, évidemment, une sorcière ligotée sur une chaise, un bandeau sur les yeux, au milieu de la pièce dépourvue de tout autre meuble. Mary Ann l’avait remarqué dès en entrant : la sorcière n’était pas Marie ; celle-ci portait les cheveux plus courts et plus sombres. Devait-elle s’en réjouir ?
Riley avait commencé son interrogatoire sans attendre. Grosso modo, il se déroulait comme ceci :
Riley : Où la réunion entre Aden et ton peuple est-elle censée avoir lieu ?
La sorcière : Va te faire voir.
Riley : Plus tard, peut-être. Alors, cette réunion ?
La sorcière : Tu vas mourir.
Riley : Ça m’est déjà arrivé une fois, merci. Maintenant, tu parles ou je t’enlève un morceau de ton corps.
La sorcière : Tu n’as qu’à essayer un doigt.
Riley : J’y viendrai. Ah non, attends. Je commencerai peut-être par une de tes mains.
La sorcière : Ecoute, chien galeux, les aînées seront là d’un jour à l’autre. Elles avaient l’intention de vous contacter. Mais après ce que vous venez de faire… N’y comptez pas. L’invitation se perdra dans le courrier, j’en suis sûre.
A ces mots, un sentiment de frustration envahit la pièce. Mary Ann, surtout, se sentit particulièrement coupable. L’enlèvement de la sorcière, c’était son idée, et il résultait plus de mal que de bien.
Le même échange se répéta trois fois de suite, en vain.
— Laisse-moi essayer, proposa finalement Lauren en se plaçant derrière la sorcière.
Elle lui posa les mains sur les épaules. Ses crocs avaient poussé, et la faim dans ses yeux brillait avec tant de violence que Mary Ann elle-même se sentit en danger. Personne n’aurait dû être affamé à ce point. Devant un tel spectacle, elle éprouva l’envie de laisser faire la vampire… mais se souvint juste à temps des paroles que Victoria avait prononcées la veille — seulement la veille, même s’il lui semblait qu’une éternité s’était déroulée depuis. Le sang de sorcière, pour un vampire, était comme une drogue. Une fois que Lauren aurait commencé à boire au cou de leur prisonnière, c’en serait fini. Sans compter que Victoria, quand elle arriverait — à propos, où était-elle ? que faisait-elle ? —, se joindrait sans doute au festin.
— Je vais juste l’érafler, assura Lauren. Je n’en prendrai qu’une goutte. Je te jure qu’elle va se mettre à parler.
— Non ! hurla Riley.
C’est alors qu’apparurent Victoria et Aden. Tous deux avaient le visage rougi, les lèvres enflées et brillantes.
Ah. Ils s’étaient embrassés.
Pas comme Riley et elle, pensa tristement Mary Ann. Depuis leur dispute, ils ne s’étaient pratiquement pas adressé la parole. En fait, ils ne s’étaient même pas regardés. Ici, Riley n’avait même d’yeux que pour Lauren. Aussi Mary Ann se mettait-elle à craindre que le loup-garou n’apprécie la distance qui s’était instaurée entre elle et lui. Quelle pensée affreuse… Lauren était si forte, sûre d’elle, elle était bardée d’armes en tous genres et avait l’air de savoir s’en servir, elle était farouche et courageuse et fiable et tout à fait capable de prendre soin d’elle-même. « Tout le contraire de moi », songea Mary Ann. Alors, avait-elle d’ores et déjà perdu Riley ?
Dans son cœur, la colère, l’impuissance et le chagrin se mélangèrent, l’envahissant tout entière. Mais, paradoxalement, elle sentait la caresse d’une brise tiède et douce. Cela voletait autour d’elle. A chaque inspiration, le souffle léger pénétrait ses poumons, se glissait dans ses veines, et venait apaiser son âme. Comme la veille en ville. Ou encore ce matin, avec Marie. Elle accueillit la sensation avec gratitude. C’était si bon. Dans sa bouche, fondait un bonbon sucré qui crépitait sur sa langue.
De son côté, Rilay avait obligé Lauren à s’écarter de la sorcière, et il entreprit d’expliquer à Aden et Victoria ce qui s’était passé.
— Pourquoi n’utiliserais-tu pas sur elle les pouvoirs de ta voix ? suggéra Aden à sa princesse. Tu sais, ta voix magique. Silence, Caleb ! ajouta-t-il soudain. Elle garde sa chemise.
Qui était ?… Ah oui, l’une des âmes. Mais qui cette âme voulait-elle donc faire se déshabiller ?
— La voix de commandement n’a pas de prise sur les sorcières, répliqua Victoria. Leur magie les protège.
Elle vint rejoindre Aden, comme si elle ne supportait pas de se trouver séparée de lui.
La magie, oui. « Voilà ce que je sens », comprit Mary Ann. Un sentiment de puissance. Un sentiment qui lui faisait tourner la tête. Elle ferma les yeux et le savoura pleinement. S’enivra de cette chaleur, de cette douceur qui la consumait. En fait, elle n’avait pas besoin de Riley, pensa-t-elle alors. Rien que de ça. C’était tout ce qu’elle pouvait souhaiter : ça la nourrissait, ça la rendait heureuse ; ça ne changeait pas d’avis à tout bout de champ.
Comment elle absorbait cette magie ? Mystère… et d’ailleurs qu’importait ? Elle s’en moquait complètement. Tant que ça continuait, rien d’autre n’avait plus d’importance.
— Très bien, soupira Aden. Je vais poser la question, mais ensuite, il va falloir que tu te calmes.
Parlait-il encore à Victoria, ou s’adressait-il à une des âmes ?
— As-tu connu un type appelé Caleb ? demanda-t-il à la sorcière.
— Pourquoi, je devrais ? répondit cette dernière avec désinvolture.
— As-tu connu un type qui pouvait posséder d’autres corps ? Quelqu’un qui serait mort il y a un peu plus de seize ans ?
Il y eut une pause, chargée de tension.
— Qui es-tu ? lança la sorcière. Le garçon qui nous appelle ? Ne le nie pas, je sens ton pouvoir. Qu’est-ce que tu veux savoir à propos du possesseur de corps ?
Aden afficha alors de l’excitation et de la nervosité.
— Donc, tu l’as connu ?
— Je n’ai pas dit ça, répliqua la sorcière. Maintenant, dis-moi ce que je veux savoir.
— D’abord, mettons quelques petites choses au point. Je ne vous « appelle » pas. C’est un accident. Je n’ai jamais eu l’intention de…
Avant qu’il ait pu finir sa phrase, la sorcière s’était mise à gronder ; et son grondement était bien plus inquiétant que ceux des loups-garous…
— C’est toi qui es en train de te nourrir de ma magie en ce moment ? s’écria-t-elle, furieuse. Dis-le-moi ! J’exige de le savoir ! Et j’exige que tu cesses immédiatement, ou bien, dès que je serai libre, je te jetterai un sort d’écorchement. Tu m’entends ? Arrête !
Tous, dans la pièce, s’immobilisèrent ; on entendit un hoquet d’horreur.
— Quelqu’un se nourrit de ta magie ? s’enquit Lauren avec angoisse. Allons, personne n’aurait cette audace. Et il n’y a pas de Draineur par ici. Nous l’aurions d’ores et déjà tué.
Draineur ? Tuer ?
Se nourrir de magie, c’était le mot qu’avait utilisé Marie. Se nourrir, pas « bloquer ». Absorber. Comme un aspirateur.
Mary Ann se mordit la lèvre. Pas moi. Ça ne peut pas être moi. Pourtant… cette chaleur, cette douceur ? Cette magie qui l’inondait, la dévorait de l’intérieur. Si c’est moi, ils vont chercher à me tuer ? Mais pourquoi ?
Sous le choc, elle se mit à trembler et voulut battre en retraite ; mais elle se heurta à un mur. Un mur de muscles. Affolée, elle se tourna… et se retrouva nez à nez avec Riley.
A quel moment s’était-il déplacé ? L’instant d’avant, il se tenait au côté de Lauren, et elle ne l’avait pas vu la quitter… En tout cas, à présent, il la regardait sévèrement, et même avec colère. Une énorme colère. Quel grief avait-il contre elle ? Pensait-il qu’elle était un… un Draineur ? Une de ces… ces… choses que les vampires tuaient et que les sorcières détestaient. Impossible qu’elle soit cela ! N’empêche. Le regard d’acier de Riley ne la lâchait pas. Jamais il ne l’avait regardée de cette façon ; c’était une expression qu’il réservait à ses ennemis.
— Victoria, lança Riley d’une voix pressante, essaie de raisonner la sorcière. Mary Ann et moi, nous avons besoin d’une petite pause.
Elle n’eut pas le loisir de piper mot. Il lui saisit le poignet et l’entraîna au-dehors.