21
Je suis au lit avec Riley. Et
pas sous sa forme de loup-garou.
Incroyable. Dément. Excitant. Oui, il était
humain, et ils étaient de nouveau ensemble. Pour l’instant. Et dans
moins de deux jours, ils seraient peut-être morts. Mais, en
attendant, ils pouvaient savourer le moment en toute innocence. Ils
étaient tout habillés et ne s’embrassaient pas. Ils étaient
simplement serrés l’un contre l’autre ; elle avait posé sa
tête sur la poitrine de Riley, et elle écoutait battre son cœur
pendant qu’il lui caressait les cheveux. Et ils parlaient. Ou, en
tout cas, ils avaient parlé.
A présent, ils se taisaient. La chambre de Riley
se trouvait juste à côté de celle de Victoria, et un peu plus tôt
ils avaient entendu rentrer la vampire. Avec Aden. Il y avait eu
une rapide conversation à mi-voix, puis un silence révélateur. Un
silence qui, peu à peu, s’était propagé à leur propre chambre, un
silence porteur de tension.
Une tension érotique. La conscience de leur
situation.
Mary Ann faisait de son mieux pour ne pas penser à
ce qui se passait dans la chambre d’à côté, ainsi qu’à ce qui
pouvait se passer dans cette chambre-ci. Elle observa en détails
les quartiers privés de Riley. C’était un
endroit entièrement consacré à la détente et au confort. Une
console de jeux, un ordinateur, des fauteuils confortables, un
canapé bas. La seule chose qui distinguait cette pièce de la
chambre d’un riche humain qui n’aurait pensé qu’à se distraire
était la collection d’armes. Des couteaux de toutes les formes et
de toutes les tailles étaient accrochés à un mur. De toute
évidence, Riley prenait ses fonctions de protecteur très au
sérieux.
— Depuis combien de temps es-tu le garde du
corps de Victoria ? demanda-t-elle.
— Depuis qu’elle est née.
— Ça fait beaucoup…
— Dans notre monde, pas tant que ça.
Effectivement.
— Et avant ça, qu’est-ce que tu
faisais ?
— Mon apprentissage, essentiellement. Quand
on confie une charge à un loup, il la garde jusqu’à la mort. Donc,
nous ne recevons qu’une seule mission pour toute notre vie.
Victoria est ma mission.
— Est-ce que vos deux vies sont
liées ?
Le souffle de Riley soulevait les petites boucles
de cheveux sur le front de Mary Ann.
— Pas de façon magique, non. Si elle meurt,
cela voudra dire que j’ai échoué, c’est-à-dire que je mériterai de
mourir à mon tour.
— Les autres iraient jusqu’à te
tuer ?
Les mains de Riley quittèrent les cheveux de Mary
Ann pour caresser son épaule dans un geste rassurant.
— Oui, répondit-il. Il faut que tu
comprennes : plus personne ne me ferait
confiance, et je vivrais dans la honte. Crois-moi, la mort est bien
préférable à cela.
La caresse sur son épaule parvenait presque à lui
faire oublier l’horreur de ces mots. Presque.
— Mais tu es plus fort que les
vampires ! Avec ce liquide que tu as dans tes crocs, tu peux
les tuer, non ? Je t’ai entendu le dire à Aden.
— Cela ne change rien au fait d’être
déshonoré.
Elle agrippa le T-shirt de Riley, froissant le
tissu dans son poing ; pour rien au monde elle n’aurait voulu
le lâcher.
— Et tu n’as jamais pensé à quitter les
vampires ?
— Non. Nous ne sommes pas leurs esclaves.
Nous ne sommes même pas leurs serviteurs. Mais c’est Vlad qui nous
a créés, et ceux de son peuple ont longtemps été nos maîtres.
Comment pourrions-nous ne pas leur rendre la grâce qu’ils nous ont
faite ?
La loyauté, voilà ce qui le dominait. Une loyauté
poussée à l’extrême, c’était exactement ce qu’avait dit
Victoria.
— Mais tu protèges les vampires,
d’accord ? Or, Aden n’en est pas un, et pourtant, tu le suis.
Qu’est-ce que tu ferais si les vampires se retournaient contre
lui ?
Sa question fut suivie d’un long silence de
réflexion. Puis :
— Cela fait des siècles que je vois des gens
vivre et mourir. Je connais le chaos qui résulte de l’absence de
meneur et de règles. C’est Vlad qui a créé nos lois. Le plus fort
remporte la couronne, c’est ainsi. Voilà comment Dmitri a pris la
place de Vlad. Ensuite, Aden a montré qu’il était plus fort que
Dmitri. Ce qui veut dire que, quelles que
soient ses origines, Aden est à même d’être le chef des vampires et
des loups-garous. Donc, je le défendrai toujours, tout comme je
défendrai Victoria.
Jusqu’à la mort, pensa-t-elle. Avait-il montré
autant de loyauté envers ses autres amoureuses ? Et pourquoi
se sentait-elle soudain l’envie de réduire ces filles-là en
charpie, de ses propres mains ? En général, la violence
n’était pas son moyen d’expression privilégié ; c’était même
le contraire, et de loin.
— Tu as eu beaucoup de filles ?
Il ne sembla pas s’offusquer du soudain changement
de conversation.
— Un certain nombre.
— Genre, tu n’arrives plus à
compter ?
Il soupira d’un air désolé, comme si elle venait
de lui demander si son jean ne lui faisait pas de trop grosses
fesses.
— Tu sais que je suis né il y a très, très
longtemps, oui ?
— Oui.
N’empêche qu’elle voulait savoir combien de filles
avaient déjà gagné son cœur. Sans cela, elle ne cesserait jamais de
se poser la question ; elle aurait l’impression d’être
toujours au centre d’une scène, dans un concours de beauté
imaginaire où toutes les anciennes amours de Riley l’auraient
montrée du doigt en se moquant d’elle. Elle n’arrivait pas à se
départir de ce sentiment, tout en sachant à quel point il était
stupide. D’autant plus que tous deux seraient peut-être morts deux
jours plus tard…
— Tu peux me donner un ordre
d’idée ?
— Je croyais qu’on ne se disputerait
pas.
— On ne se dispute pas.
— Mais si je te réponds, ça va arriver.
D’accord. Donc, même grosso modo, il n’arrivait
pas à compter ses conquêtes. Aïe.
— Est-ce que tu as déjà été
amoureux ?
— Non.
« Jamais ? Même pas de moi ? »
aurait-elle voulu demander. Mais elle n’osa pas.
— Tes relations avec ces filles… Elles ont
duré combien de temps, en moyenne ?
— Il y en a eu des longues et de moins
longues, répondit-il prudemment.
Donc, certaines avaient été de simples
passades…
— Et qui a rompu, chaque fois ? Toi, ou
elles ?
Riley grimaça :
— Tes questions me tuent, tu
sais ?
Non, c’était elle-même qu’elle tuait à petit feu.
Mais peut-être (peut-être seulement !) agissait-elle de la
sorte, lui extorquant ces réponses, pour qu’il soit plus facile —
quand le moment serait venu — de le quitter. Si elle parvenait à se
voir comme une parmi des centaines d’autres, sans plus d’importance
que les autres, une amoureuse de passage, elle pourrait s’arracher
à lui. Cela la blesserait au plus profond, la détruirait, sans
doute ; mais finalement, elle en guérirait, n’est-ce
pas ? Le désir de le retrouver s’effacerait, de même que
l’espoir de construire quelque chose. Et ainsi, Riley serait en
sécurité.
— Réponds-moi, s’il te plaît.
De nouveau, il poussa un soupir.
— La plupart du temps, c’est moi qui ai
rompu.
— Je vois. Et pourquoi ?
— Pour différentes raisons.
Des raisons du genre… il s’était lassé
d’elles ?
— Je sais que tu as aimé Lauren, et la
première fois que nous nous sommes vus tu m’as dit aussi qu’il y
avait eu une sorcière dans ta vie. C’est elle qui vous a lancé un
sortilège, à tes frères et toi. Tu m’as raconté que tu étais mort
peu après.
— Attends. Je ne suis pas mort juste après
qu’elle m’a lancé le sort. En fait, ça s’est passé un certain
nombre d’années après. On m’a poignardé dans le ventre, et je me
suis vidé de mon sang. Victoria m’a donné du sien, ce qui m’a
ramené à la vie. Ensuite, j’ai vécu longtemps sans aimer aucune
fille puisque le sortilège éloignait de moi celles qui me
plaisaient. Une fois ce sortilège levé, les filles ont recommencé à
me remarquer, et là, j’ai eu une période, disons, un peu agitée du
point de vue sentimental.
— Riley… Tu es en train de me dire que tu
t’es transformé en consommateur ?
Il éclata de rire.
— On peut le dire comme ça ! Est-ce que
je te déçois, Mary Ann ?
Il était comme il était, et elle l’aimait comme
ça. En revanche, elle sentait bien que les réponses de Riley ne
l’aidaient pas du tout à se détacher de lui, contrairement à ce
qu’elle avait escompté.
Elle sentit tous les muscles de son corps se
raidir, et son pouls s’accélérer.
— Avec quelques-unes.
— Avec Lauren ?
— Je préfère ne pas parler de ça, dit-il avec
embarras. Exactement comme je ne parlerais à personne de ce qui se
passe entre toi et moi.
Autrement dit : il avait bien couché avec
Lauren. Mary Ann en éprouva aussi un sentiment de jalousie et
d’impuissance si vif qu’elle faillit pleurer. Lauren était d’une
beauté parfaite, et forte. Alors qu’elle, elle, elle était…
quoi ? Imparfaite à tous points de vue. Et dangereuse pour
Riley, de surcroît, dont elle menaçait la sécurité et la vie.
— Je suis la première humaine ?
— Oui.
L’attrait de la nouveauté…
— Je sais ce que tu penses, dit-il.
Riley s’allongea sur Mary Ann, l’écrasant de tout
son poids comme elle aimait ça.
— Ton aura est d’une couleur très triste,
très déprimée, Mary Ann. Tu penses que tu comptes moins pour moi
que les autres. Que d’une façon ou d’une autre, tu vaux moins
qu’elles.
— Tu ne me vois pas telle que je suis.
— Nous en avons déjà parlé. Je vois ta
beauté…
Délicatement, il déposa un baiser sur le lobe de
son oreille. Elle frissonna.
— La beauté, ça ne dure pas.
— Je vois ton intelligence.
— Ça ne compte pas. Il pourrait m’arriver de
perdre la tête.
— Je vois ton courage.
Un autre baiser, puis deux, juste sous la
bouche.
Un frisson. Et un autre.
— Il y a beaucoup de filles
courageuses.
— Je vois… des yeux qui posent sur le monde
un regard que j’adore, un regard à la fois innocent et plein
d’espoir. Et ces yeux, quand ils me regardent, moi, deviennent à la
fois tendres et sexy, et quelque chose de terriblement excitant se
mêle à l’innocence. Ça me fait beaucoup d’effet.
Il l’embrassa doucement sur les lèvres, sa langue
ne faisant que l’effleurer.
— Et toi, qu’est-ce que tu vois en
moi ?
Ces mots étaient si délicieux — comme une drogue,
aussi indispensables que l’air qu’elle respirait. Rien ne comptait
davantage que les entendre.
Riley plongea ses yeux dans les siens ; ses
mains lui encadraient tendrement le visage. Il attendait.
Mary Ann retint sous souffle ; puis, enfin,
elle répondit :
— Je vois le garçon le plus beau du
monde.
A son tour, elle inclina la tête pour
l’embrasser ; juste sur la ligne de la mâchoire.
Il eut un petit sourire malin :
— Quelqu’un de très intelligent m’a dit il y
a peu que la beauté, ça ne dure pas.
Tiens donc. Il voulait renverser les rôles ?
Pourquoi pas. Elle retint un sourire.
Elle l’embrassa sur le menton.
— L’humour, c’est subjectif.
— Je vois de la force.
Elle l’embrassa juste sous la lèvre.
— Un seul coup au bon endroit, et je ne suis
plus rien.
— Je vois… un garçon qui affronterait cent
fois mes ennemis, et mourrait mille fois plutôt que de supporter
qu’on touche un seul de mes cheveux.
Et c’était vrai.
— Je vois un garçon qui exauce mes désirs
avant même que je les connaisse, et qui le fait par pur
plaisir.
Tout aussi vrai.
Elle déposa un tendre baiser sur ses lèvres.
Tout à l’heure, Riley n’avait qu’effleuré sa
bouche ; Mary Ann, elle, prit son temps. Elle l’embrassa
jusqu’à ce qu’il entrouvre ses lèvres. Alors elle écarta les
siennes, et leurs langues se rencontrèrent, se goûtèrent,
s’explorèrent. Elle sentait son corps peser contre le sien ;
c’était même très agréable de l’avoir si proche. Elle était libre
de promener ses mains tout le long de son dos, de caresser ses
muscles puissants.
Bientôt, ils enlevèrent chemisier et T-shirt et se
retrouvèrent peau contre peau. Mary Ann n’avait jamais rien connu
d’aussi doux. Elle sentait le goût de Riley dans sa bouche, presque
dans ses veines, et la chaleur qu’il lui communiquait, mélange de
force et de douceur, la rendait tout simplement folle.
Elle avait l’impression d’avaler le souffle du
loup-garou, tout comme il avalait le sien. Petit à petit, il
devenait difficile de ne pas vouloir plus. De
se contenter de le caresser. D’autant que Riley semblait se
délecter de ce qu’elle lui faisait, de tous ses gestes, de toutes
ces tentatives maladroites.
Leurs soupirs se mêlaient. Les doigts de Riley se
mirent à jouer à la lisière de son jean, sur son ventre, et elle
sentit qu’elle se cambrait comme pour aller à la rencontre de cette
sensation délicieuse.
Mais soudain, il se crispa et le ton
changea.
— Il faut qu’on s’arrête ça, déclara-t-il
d’une voix rauque.
De nouveau ! Déjà, la première fois, il
s’était interrompu.
— Pourquoi ? demanda Mary Ann,
frustrée.
— Tu es vierge.
— Et alors ?
— Je ne veux pas que tu le fasses parce que
tu as peur de mourir bientôt.
— Détrompe-toi, ce n’est pas ça.
Pourtant, si, c’était bel et bien une de ses
raisons ; mais il y en avait d’autres : elle l’aimait et
elle voulait être avec lui.
— Mary Ann…, reprit gravement Riley. Encore
ce matin même, tu ne voulais plus me voir.
— C’était pour te sauver.
Il pressa son front contre le sien. Tous deux
tremblaient.
— Mais ce soir, tu me tues. Tu n’as pas
idée.
Il sourit puis ajouta sérieusement :
— Tu choisiras ta première fois par amour, et
seulement par amour.
— C’est comme ça que ça s’est passé pour
toi ?
Il roula sur le côté, mais ne s’écarta pas de Mary
Ann. Puis, il l’attira contre lui, et de nouveau elle posa la tête
sur sa poitrine. Son cœur battait à un rythme effréné, ce qui était
bon signe ; il la désirait. Qu’il ait été capable de ne pas
tirer avantage de la situation la rendait encore plus amoureuse de
lui, malgré le dépit brûlant qu’elle éprouvait.
— Je veux être sûr, reprit-il de sa voix
rauque. De moi, de nous. Je ne veux pas regretter ce que nous
aurons fait ; ni que tu te dises un jour :
« J’aurais voulu que les choses se passent autrement. »
Nos peurs, les circonstances ne doivent pas jouer.
Il voulait le meilleur pour eux deux. Mais si ce
moment de sérénité ne venait jamais ? Désolée, Mary Ann
soupira et posa un baiser sur le torse de Riley.
— Merci, lui murmura-t-elle.
— J’aimerais bien te dire « avec
plaisir », mais franchement, c’est tout le contraire.
Elle se mit à rire.
— Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même.
C’est ta faute, pas la mienne.
— Si on dormait un peu ?
Il la serra encore contre lui.
— D’accord ?
— D’accord.
— Parfait. Parce que, demain, on a du pain
sur la planche.
Surtout ne pas penser au lendemain — dernier jour
avant que le sortilège ne s’abatte sur eux.
Mais impossible de trouver
le sommeil. Son corps était endolori et lui réclamait elle ne
savait quoi. Au bout de quelques heures, elle sentit son estomac se
tordre en crampes insoutenables. La sensation ressemblait à celle
qu’elle avait éprouvée en ville, mais elle était
démultipliée.
Faim… J’ai faim.
A côté d’elle, Riley s’inquiéta de l’entendre
s’agiter et gémir :
— Tu te sens mal, Mary Ann ?
Lui non plus ne s’était sans doute pas endormi,
car il ne réussissait jamais à se détendre vraiment ; il
s’était contenté de rester étendu et d’offrir à Mary Ann tout le
confort et la sécurité dont elle avait besoin.
— Je… je ne sais pas, répondit-elle.
Mensonge. Elle n’avait même plus la force de
relever la tête pour le regarder. Soudain, un nouveau tremblement
la secoua.
— Je ne peux plus bouger. Et j’ai mal.
La panique l’envahit.
— Riley, je ne peux plus bouger ! Je
suis paralysée.
— Garde ton calme. Je peux t’aider.
— Je suis en train de mourir ? C’est ce
qui m’arrive, déjà ?
Riley quitta le lit, s’habilla en hâte avant
d’aider Mary Ann à faire de même.
Tellement… faim !
Elle pensait qu’elle aurait bénéficié de plus de temps.
Faim… Elle laissa échapper un
gémissement.
— Riley !
— Calme-toi. Respire, détends-toi. Je vais
prendre soin de toi. Je vais arranger ça,
assura-t-il en l’aidant à se mettre debout.
Il alla frapper plusieurs coups secs à la porte de
Victoria.
Qu’était-il en train de faire ? Oh, elle s’en
fichait un peu. Elle gémit de nouveau. FAIM !
Riley frappa de nouveau ; cette fois,
Victoria ouvrit, furieuse.
— Tu es la centième personne qui frappe à ma
porte. Je sais ce qu’il y a : tu sens Aden, et eux aussi.
J’espère que tu es prêt à le défendre ? En tout cas, quoi
qu’il arrive, ce sera pour demain. Demain, pas cette nuit. Il doit
dormir. En fait, je l’ai obligé à dormir, expliqua-t-elle.
Elle feula comme un chat en colère :
— Alors, quoi que tu dises, Riley, il est
hors de question que je le renvoie chez lui.
— Et je ne te le demande pas. En fait, je
suis même heureux de voir que tu te bats. Sauf qu’il ne s’agit pas
de toi, espèce de sale gamine. Je veux que tu nous emmènes à la
cabane.
C’était là qu’ils avaient enfermé la sorcière. A
ces mots, Mary Ann comprit quelle était l’intention de Riley :
il voulait la nourrir. Elle faillit protester, mais l’envie de se
sentir mieux était la plus forte. Elle ne s’était jamais sentie
aussi faible ni aussi impuissante.
— Tous les quatre ? demanda
Victoria.
— Non, seulement Mary Ann et moi. Tu nous
laisses à la cabane et tu reviens nous chercher dans une heure.
Pendant cette heure, il faudra que tu ailles chez Mary Ann et que
tu fasses croire à son père qu’elle y est, et qu’il la verra
demain. Sinon, il va s’inquiéter.
— Qu’est-ce que tu veux
aller faire là-bas ? demanda-t-elle de nouveau en jetant un
regard suspicieux en direction de Mary Ann.
Une Mary Ann morte de faim et terrifiée…
— Fais-moi confiance sans discuter, répondit
Riley. Comme je l’ai si souvent fait avec toi.
Victoria hocha la tête.
— Je commence par qui ?
— Par moi. Tu devras faire attention à Mary
Ann. Elle est… malade.
Une seconde plus tard, ils disparurent tous les
deux sous les yeux de Mary Ann. Elle resta là, incapable de bouger
ou d’agir, clouée au lit. Sa tête lui faisait mal,
maintenant.
Puis Victoria réapparut et la saisit par la
main ; le lit disparut, et Mary Ann se sentit flotter,
tournoyer dans le vide, avant de s’arrêter, puis de tournoyer
encore. Enfin, elle sentit la terre ferme sous ses pieds.
— Qu’est-ce qui lui arrive ? demanda
Victoria avec inquiétude.
— Je te l’ai dit. Elle est malade.
— Et tu crois pouvoir convaincre la sorcière
de la guérir ? Je peux t’assurer que…
— Merci de ton aide. Maintenant, retourne
auprès d’Aden, lui ordonna Riley en prenant Mary Ann dans ses bras.
S’il te plaît, ajouta-t-il. Va-t’en. Maintenant. Je suis
sérieux.
Mary Ann se sentait toujours horriblement
légère ; mais, cette fois, il la tenait, comme une ancre qui
la rattachait à la terre. Riley, Riley… tellement fort, tellement
beau !
— Qui vient là ? demanda alors une voix
familière.
La sorcière.
Ce fut immédiat ; une sensation de chaleur et
de puissance se répandit dans le corps de Mary Ann, apaisant
aussitôt sa faim et sa douleur. Avec un soupir de délectation, elle
s’abandonna, se régénérant comme si elle buvait à une source. Oui,
oui. C’était exactement ce dont elle avait besoin ; les forces
lui revenaient, son corps se réveillait.
— Un Draineur ! s’écria la sorcière.
Va-t’en ! Laisse-moi tranquille !
— Eh bien, murmura alors Riley, s’il nous
restait quelques doutes, voilà qui les dissipe tout à fait, Mary
Ann.