La Jaguar se gara rue Saint-Ferdinand, dans le
XVIIe arrondissement.
Un couple en descendit puis marcha bras dessus,
bras dessous jusqu’à un immeuble. De sa camionnette stationnée le
long du trottoir opposé, l’homme le regarda franchir la porte
cochère et s’embrasser à bouche que veux-tu sous le porche. Il
avait repéré Diane Spitz, la jeune femme, dans un tabloïd. Une
photo d’elle prise sur une plage d’Ibiza illustrait un article sur
les gens du show-biz qui passaient leurs vacances à la mer. Patrons
d’une société de production florissante – Cinémax –, ses
parents l’entretenaient et cédaient à tous ses caprices.
Les tourtereaux échangèrent un dernier baiser et
s’engouffrèrent dans le bâtiment d’un air guilleret. Dégoûté,
l’homme augmenta le volume de l’autoradio pour écouter Siegfried et le Dragon de Wagner, son compositeur
préféré. Dès que la musique prit fin, il éteignit le poste et
baissa la vitre de son côté pour humer l’air froid et revigorant,
déplorant à voix haute que la neige n’ait pas tenu.
La montre de bord du véhicule indiquait une heure
treize du matin.
Diane et son chevalier servant réapparurent vingt
minutes plus tard, hilares comme des enfants qui viennent de jouer
un tour pendable à un adulte. La rue était déserte et les lumières des appartements éteintes.
Conscient qu’il y avait peu de risques pour que quiconque puisse
contrecarrer ses plans, l’homme mit ses gants en cuir et sauta à
bas de la fourgonnette. Tandis qu’il parcourait les dix mètres le
séparant de sa proie, il prit un paquet de cigarettes dans la poche
intérieure de son loden noir, en piqua une dans sa bouche et
l’alluma d’un geste machinal. Il tira quelques bouffées de la
Marlboro, la projeta au loin d’une chiquenaude et s’arrêta à la
hauteur du couple qui montait dans la voiture.
— Excusez-moi, prononça-t-il du ton doux et poli
qu’il employait avec ses futures victimes et qui lui permettait de
gagner leur confiance. Vous ne devriez pas rouler avec un pneu à
plat.
Tout en maintenant la portière ouverte, le
bellâtre le considéra avec un mélange d’incrédulité et de
méfiance.
— Votre pneu arrière gauche est dégonflé, insista
l’homme en souriant.
Diane tapa du plat de la main sur le tableau de
bord et s’énerva :
— Quelle poisse !
Son compagnon lui décocha un regard à la fois
rassurant et charmeur.
— Ne bouge pas, je m’en occupe.
— Je ferais peut-être mieux de prévenir Fred,
suggéra-t-elle. On ne sera jamais à l’heure.
L’homme frémit en la voyant saisir son portable.
Il empoignait le manche du couteau glissé dans sa poche, prêt à
frapper, quand le play-boy posa sa main sur celle de la jeune femme
pour la dissuader d’appeler.
— On y sera.
— Tu promets ? s’inquiéta-t-elle.
Son amant lui fit face et, joignant le geste à la
parole, prêta serment avec la solennité théâtrale propre à
l’enfance :
— Croix de bois, croix de fer ; si je mens,
je vais en enfer.
Il avait été convaincant car elle rangea le mobile
dans son sac. Content de lui, il ressortit et se dirigea vers
l’arrière de la voiture. Après
s’être assuré que Diane ne faisait pas attention à eux, l’homme
tira le couteau de la poche de son manteau et le suivit. Le
bellâtre s’accroupit près de la roue, fronça les sourcils en
constatant que le pneu était en parfait état.
— Qu’est-ce que…
D’un mouvement exercé, l’homme lui planta la lame
dans la gorge avant qu’il puisse terminer sa phrase. Le play-boy
pivota lentement vers l’assassin, s’affaissa en le fixant de ses
yeux exorbités. Le sang jaillissait à chaque battement de cœur,
aspergeant le pare-chocs de la Jaguar. Le tueur n’attendit pas que
sa victime expire pour passer à la seconde étape du plan. Il gagna
la portière côté passager au pas de charge, l’ouvrit à la volée et
bondit sur Diane, appliquant une compresse imbibée de chloroforme
sur son visage.
Blême d’épouvante, elle se débattit avant de
perdre connaissance.
L’homme balaya la rue d’un regard circulaire. Il
n’y avait pas un chat. Sur le qui-vive, il extirpa la jeune femme
de l’habitacle et la porta jusqu’à la camionnette. Il fit coulisser
la portière latérale, déposa le corps inerte sur le plancher du
véhicule et s’installa au volant. Il essuya le sang qui avait giclé
sur sa joue à l’aide d’un mouchoir qu’il jeta dans un sac-poubelle,
ainsi que ses gants. Satisfait, il démarra et traversa la place
Saint-Ferdinand à faible allure. Cependant qu’il s’engageait dans
la rue Brunel, il manœuvra le rétroviseur intérieur pour qu’il
reflète Diane Spitz.
— Je vais prendre soin de toi, articula-t-il avec
délectation.
Deux heures plus tard, elle reprit conscience avec
une forte migraine.
Elle fut saisie d’horreur en comprenant pourquoi
ses bras étaient si douloureux : les mains liées avec une
corde, elle pendait à la barre métallique d’un vasistas.
Lorsqu’elle s’agita pour se libérer, ses pieds se balancèrent dans
le vide. Affolée, elle promena son regard sur l’endroit où elle se
trouvait : une pièce en bois, vide à l’exception d’un lit de
sangle et d’une table sur
laquelle était posée un Caméscope. Des photos d’elle, en couleur et
en noir et blanc, tapissaient les murs lattés. Une robe de mariée
était suspendue à une poutre apparente par des fils de nylon.
Une vague d’effroi l’envahit et elle
hurla :
— Au secours !
La porte s’ouvrit avec un grincement. Une
silhouette apparut dans l’embrasure.
— S’il vous plaît, aidez-moi ! lança Diane
qui sentait une bouffée d’espoir monter en elle. Nous avons été
attaqués ! Un homme m’a enlevée !
Le type s’avança vers elle. Alors qu’il se
plantait au milieu de la pièce, l’ampoule au plafond éclaira sa
figure inexpressive. La terreur décomposa les traits de Diane quand
elle le reconnut. Elle se démena avec une telle vigueur que la
corde entama ses poignets.
— Qui êtes-vous ? paniqua-t-elle. Qu’est-ce
que vous voulez ?
En guise de réponse, il esquissa un sourire
sadique qui la glaça jusqu’à la moelle et la contempla. Âgée de
vingt-six ans, sa promise avait la beauté du diable et l’élégance
d’un top-modèle. Ses cheveux bouclés, blonds comme ceux des
Nordiques, encadraient un visage d’une grande pureté. Chaque nuit,
dans la solitude de sa chambre, l’homme rêvait de ses lèvres
pulpeuses et de ses yeux en amande vert émeraude.
— Tu es très belle, Diane, laissa-t-il tomber d’un
ton solennel. Dès que je t’ai vue, j’ai su que nous étions faits
l’un pour l’autre.
Elle cessa de gigoter et le fixa d’un air
effaré.
— Vous savez qui je suis ? demanda-t-elle, la
respiration saccadée par la peur et l’effort.
Comme il approuvait de la tête, elle joua son
va-tout :
— Mes parents sont riches.
Le sourire de l’homme s’effaça à mesure qu’elle
prononçait ces paroles.
— Ils paieront rubis sur l’ongle la rançon que
vous exigerez en échange de ma libération.
Manifestement offensé par cette offre, il
s’approcha d’elle et lui
flanqua une paire de gifles avec un cri de colère.
— Tu me parles d’argent alors que je te parle
d’amour ! vociféra-t-il en roulant des yeux féroces.
Les cheveux en désordre et les joues zébrées de
rouge, Diane éclata en sanglots.
— Par pitié, ne me faites pas de mal,
implora-t-elle d’une voix étranglée.
Tout en marmonnant comme un dément, l’autre marcha
vers la robe de mariée en soie. Les fils qui la retenaient
claquèrent lorsqu’il tira dessus d’un geste furieux. Une lueur de
folie dans le regard, il revint vers Diane et brandit le vêtement
immaculé d’une main tremblante.
— Je comptais te l’offrir pour notre
mariage ! beugla-t-il, submergé de rancœur. Tu ne la mérites
pas, ingrate !
Il lâcha la robe et frappa Diane à nouveau,
redoublant de violence. Groggy, elle dodelina de la tête et
articula des mots inintelligibles. Du sang gouttait de sa narine
droite et de sa lèvre inférieure. Tandis qu’elle délirait, l’homme
fit le tour de la pièce d’un air tourmenté.
— Qu’est-ce que j’ai fait ? geignait-il en se
griffant le visage. Qu’est-ce que j’ai fait ?
Soudain, tout devint limpide dans son esprit et il
stoppa net.
— Je me suis trompé, décréta-t-il, soulagé d’avoir
solutionné le problème. Tu n’es pas l’élue.
Il la détacha, l’allongea sur le lit et la
déshabilla avec fébrilité. Dès qu’elle fut nue, il prit le
Caméscope sur la table et la filma, passant en revue ses seins en
poire, sa taille de guêpe, son mont de Vénus et ses jambes
fuselées.
— Je garderai cette vidéo en souvenir de toi,
murmura-t-il, brûlant de désir. Finissons-en.
Il reposa l’appareil, se dévêtit à son tour et se
coucha sur Diane qui commençait à émerger. Elle essaya de se
dégager mais il l’immobilisa d’une poigne de fer.
— Tu peux gueuler autant que tu veux, lui
susurra-t-il à l’oreille au moment où il la pénétrait. Cette alcôve
est insonorisée.