67.

Désespérée, je lui ai décoché un méchant coup de boule.

J’ai vu trente-six chandelles, mais Short est resté un instant sous le choc. Profitant de l’opportunité, je lui ai arraché le pistolet et envoyé un coup de genou dans le bide. Le vieil homme s’est effondré, hors d’haleine, les mains serrées sur le ventre.

J’ai fait volte-face, le Beretta à la main.

Mais le combat était terminé.

Ben était debout, braquant une arme sur la tête de Mario.

— On se comprend ? lui a demandé Ben calmement.

Mario a fait signe que oui.

Ben lui a montré la première rangée de bancs. Mario s’est relevé lentement, les mains en l’air, sans quitter des yeux le pistolet braqué sur sa poitrine.

Ben s’est retourné, et j’ai vu que ses yeux ne brillaient plus.

Duncan gisait sur le sol, gémissant. Hi et Shelton s’étaient appuyés contre l’autel grêlé de balles.

Hi, soufflant et haletant, tenait un pistolet d’une main tremblante.

— T’es le roi, Shelton. Le prochain burger est pour moi !

— Oui, c’était mon attaque de judo modifiée, a dit Shelton d’une voix éraillée, en remettant ses lunettes. Merci, maman. Ces leçons valaient vraiment la peine. Le bougeoir m’a aidé, aussi.

Ils se sont claqué les paumes. La lueur dorée disparaissait de leurs yeux.

SNUP.

J’ai frissonné. Moi aussi, mes sens revenaient à la normale. Comme d’habitude, je me sentais affaiblie et vulnérable. J’ai fait de mon mieux pour le cacher.

Short m’a lancé un regard de pure haine.

Je lui ai montré la place à côté de Mario.

— Sur le banc. Vite.

— Comment oses-tu, petite scélérate !

Sans dire un mot, je lui mis le Beretta sous le nez. Short s’est levé et m’a obéi.

Duncan était toujours à genoux, le regard vide.

— Va t’asseoir à côté de Short et Mario, lui ai-je ordonné. Vite.

Sans me prêter attention, Duncan s’est relevé et a épousseté son maillot.

— Hé ! ai-je crié en agitant mon arme. C’était pas une question.

Duncan m’a tendu la main.

— Le flingue.

— Ça va pas ?

— Tout de suite.

— Pose ton cul sur le banc. Dernier avertissement.

Duncan s’est avancé vers moi en ricanant.

Pan ! Pan !

Des balles ont frappé la pierre entre ses pieds énormes.

Il s’est figé sur place. Une tache sombre s’épanouissait à son entrejambe.

— Je reprends. C’était ça, ton dernier avertissement. Essaie encore, et tu boiteras pendant un bon moment.

Duncan s’est dirigé vers le banc et affaissé à côté de son frère.

Du coin de l’œil, j’ai aperçu Ben qui me regardait, bouche bée.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Bon sang, Tory...

— Joli tir, Scarface, a commenté Hi en me tendant l’arme de Duncan. Rappelle-moi de ne jamais te devoir d’argent. Qui t’a appris à tirer ?

— C’est une longue histoire.

Je n’allais pas lui répondre « un grand-père ivre » ; que ce soit vrai ou pas.

— Tory, c’est une bête, a déclaré Shelton, qui avait repris contenance et ramassait les doublons. Vous devriez le savoir maintenant, petits voyous.

Assis sur le banc, nos captifs ne soufflaient mot.

Les garçons ont récupéré nos affaires tandis que je surveillais Short, Duncan et Mario. Quelques instants plus tard, on était prêts à partir.

— C’est quoi le plan ? a murmuré Shelton. On ne peut pas les laisser là comme ça.

— Allez, soyez cool, quoi, a imploré Mario. Vous me reverrez jamais. Juré.

— Désolée. Dire à Short de tuer quelqu’un, ça casse la confiance. Hiram ? Un moment.

J’ai chuchoté mes instructions à Hi, qui a pris Ben et Shelton à part.

— Je vais rester avec Tory, a dit Ben. Pas question que nos invités jouent les malins.

Shelton et Hi ont chargé notre matériel et sont sortis en vitesse de l’église.

Ben et moi, on surveillait les prisonniers, pistolet à la main. Le silence s’étirait. La nervosité me gagnait, le stress de braquer une arme chargée sur trois êtres humains.

Une éternité plus tard, Shelton et Hi sont revenus. Hi a fait signe que tout allait bien.

— Maintenant, cours au bureau de poste, lui ai-je dit. Il doit bien y avoir une espèce de sécurité, ici...

Hi est reparti au trot.

— La police ? a demandé Mario en caressant une cicatrice sur sa joue. Allez, quoi. On peut trouver un accord.

— Tu rêves. C’est fini, là.

— Vous avez volé la carte au musée, a sifflé Short. Vous irez en prison aussi.

— Peut-être, mais vous avez tué les Fletcher. Vous aurez à répondre de ça.

Hi est apparu à la porte.

— Vous n’allez pas croire...

Une voix familière l’a interrompu.

— Mais qu’est-ce qui se passe, ici ?

Le sergent Carminé Corcoran a fait une entrée éléphantesque dans la chapelle, haletant dans son uniforme marron qui semblait sur le point d’éclater.

J’aurais été moins surprise de voir apparaître le yéti.

— Sergent Corcoran ?

— Tory Brennan, a répondu Corcoran, son épaisse moustache noire ployant sous le poids de sa désapprobation. Et les autres maraudeurs de Morris Island. Évidemment. Preuve vivante et parlante que Dieu m’en veut.

Je n’en revenais toujours pas.

— Vous travaillez sur Dewees, maintenant ?

— La police de Folly m’a licencié, oui.

Son visage gras a rougi entre ses favoris.

— Sans doute à cause de l’embarras où vous m’avez mis, sales gosses. C’est « directeur de la sécurité Corcoran », maintenant.

Il a zoomé sur les armes que je tenais. Écarquillant les yeux, il a posé le regard sur le trio assis au premier rang. Puis sur le pistolet de Ben.

— Ce sont de véritables armes à feu ?

— Ces trois-là ont tenté de nous tuer, a dit Ben. Arrêtez-les.

— Qui sont-ils ? a demandé Corcoran, en jetant des regards affolés à la cantonade. Vous les tenez en otages ?

Shelton a ricané.

— Je vais expliquer lentement, ai-je dit. Ces gens nous ont agressés. Nous...

— On ne bouge plus ! On ne bouge plus ! a crié Corcoran en agitant une main tandis que de l’autre, il sortait une bombe de gaz incapacitant. J’arrête tout le monde ! Personne ne bouge !

— Vous ne comprenez pas..., ai-je commencé.

— Tu vas me remettre ces armes tout de suite, pas vrai, Tory ? a demandé Corcoran, visiblement mal à l’aise. Pas de blagues.

J’ai soupiré.

— Menottez ces trois-là, monsieur le directeur de la sécurité. Ensuite, on fera tout ce que vous voudrez.

— Je te prends au mot.

Corcoran a pris son talkie-walkie et crié des ordres à un malheureux sous-fifre. Après avoir fini, il a mis les menottes à nos trois prisonniers.

Satisfait, il s’est tourné vers nous. Ben et moi lui avons passé les trois pistolets.

— Vos poignets, a-t-il ordonné.

— Hein ?

— Vous m’avez entendu. C’est tout le monde que j’arrête.

J’ai tendu les bras en soupirant. Corcoran nous a menottés l’un après l’autre.

Je me suis affaissée sur le banc le plus proche avec les trois autres.

— Quelle journée !

C’était tout ce que j’arrivais à dire. J’étais vidée.