59.
— Reprends-toi, Victoria. Arrête de t’apitoyer sur ton sort.
Coop a tendu l’oreille.
— Pas toi, mon grand. Maman est triste parce que tout le monde a jeté l’éponge.
Peut-être que les garçons avaient raison. Qu’est-ce qu’on pouvait faire d’autre ?
Il n’y avait plus de poèmes, ni d’énigmes. Plus de carte.
Notre tâche était accomplie. On avait suivi la piste des indices laissés par Anne Bonny et on avait réussi à trouver le trésor. À un mètre de moi, un coffre de pirate, posé contre le mur.
Totalement vide.
Pourquoi est-ce que je n’arrivais pas à lâcher l’affaire, alors ? Pourquoi est-ce que j’étais sûre, mais sûre, que le trésor était encore dans la nature ?
L’intuition ? L’instinct ?
Ou quelque chose de moins agréable ? Le refus du réel, de la dure vérité.
Mais non, merde !
Je n’abandonnerais pas tant que je n’aurais pas le dos au mur. Loggerhead comptait sur moi.
Il fallait laisser la psycho à ceux que ça intéressait.
Qui sait ? Anne Bonny pouvait être ma lointaine ancêtre. Son trésor me revenait peut-être de droit.
Impossible de reculer. Pas encore. Pas tant que j’avais des munitions.
Essuyant mes larmes, je me suis dirigée vers le coffre. C’était tout ce qui me restait.
J’ai passé les doigts sur la couche de terre incrustée. Le cadre était toujours solide, même après trois siècles sous terre.
Le couvercle semblait d’une conception et d’une construction parfaites. J’ai observé la jointure de près. Aucune trace. Ni fissure, ni enfoncement, ni rayure.
Conclusion : le coffre n’avait jamais été forcé.
Son contenu n’avait jamais été touché, pas avant qu’on casse le cadenas.
Qu’est-ce que cela voulait dire ?
— Deux possibilités, ai-je dit à haute voix. La première : le coffre a été enterré vide. La seconde : le coffre a été enterré avec le trésor, déterré plus tard, puis réenfoui.
Aucune de ces hypothèses n’était logique. Pourquoi dissimuler un coffre vide ? Pourquoi le protéger par des énigmes et des pièges sophistiqués ? Dans quel but ?
Je ne voyais rien de plus aberrant que de consacrer du temps et de l’énergie à enterrer une malle vide six pieds sous terre.
Sauf si c’est une ruse.
Et si quelqu’un avait fauché le butin au tout dernier moment ?
J’ai serré les dents. Dans ce cas, le trésor d’Anne Bonny s’était envolé depuis longtemps.
Je suis passé à la seconde théorie, qui n’était pas parfaite non plus.
Si quelqu’un déterrait le trésor, pourquoi se fatiguer à enfouir de nouveau le coffre ? Pourquoi ne pas prendre l’argent et filer ?
Peut-être que le trésor a été déplacé pour le mettre encore plus en sécurité.
Anne Bonny était visiblement obsédée par ces mesures de sécurité. Elle avait déjà déplacé son butin une fois.
Mon cœur battait plus vite. Si le trésor avait été déplacé, et le coffre enterré de nouveau dans sa cachette de départ, il n’y avait qu’une seule raison.
— Pour que quelqu’un d’autre puisse le suivre à la trace ! Ce qui impliquait de laisser des indices...
Coop a levé la tête en entendant ma voix, puis il est retourné à sa balle de tennis.
J’ai examiné le coffre d’un œil plus critique, en frottant le moindre centimètre. Toujours rien.
J’ai ouvert le couvercle et commencé à tapoter les lattes de bois qui garnissaient le cadre, en quête d’une réponse. Rien.
Soudain, j’ai remarqué quelque chose.
Un petit tas de débris était resté collé dans un coin du coffre. De la terre, du sable, des débris végétaux. Notre déception était telle qu’on n’avait pas pris la peine de faire une inspection détaillée.
J’ai pris une poignée de débris et l’ai examinée avec soin. Trois petits cailloux sortaient de la terre. Petits, ronds, d’une taille et d’une couleur uniformes, ils semblaient déplacés.
Je les ai mis de côté et j’ai pris une autre poignée. Un mélange contenant d’étranges feuilles sèches. Je n’avais jamais rien vu de tel.
J’ai repensé à la plage autour du cèdre. Le sable était parsemé de coquillages, avec une branche morte çà et là, mais aucune plante ne poussait à proximité. Et on n’avait pas ouvert le coffre avant d’être en sécurité à bord du Sewee.
Mon enthousiasme s’est réveillé. Les feuilles et les cailloux n’étaient pas apparus lors de nos fouilles. Ils étaient à l’intérieur du coffre depuis le début.
Le reste n’était que de la terre.
J’étais assise là, à contempler les deux petits tas.
Feuilles. Cailloux.
Est-ce que c’étaient les indices que je recherchais ?
— Je suis dingue, Coop ?
Le chien-loup n’a pas répondu.
J’avais l’intuition bizarre que ce n’était pas fini. Seul un fanatique s’intéresserait à une poignée de détritus comme s’il s’agissait d’un puzzle.
— Alors je suis dingue, c’est tout...
J’ai décoché un coup de coude à Coop. Il m’a mordillé le bras.
— Peut-être que je pète les plombs, Belle-Haleine, mais on n’en a pas fini !