30.

Le second tunnel était assez large pour qu’on puisse avancer à deux de front.

Avec son sol égal et ses parois relativement lisses, on sentait qu’il avait été creusé avec soin. D’épais chevrons de chêne soutenaient le plafond à intervalles réguliers.

C’était toutefois un ouvrage ancien. Malgré le courant d’air, il y régnait une odeur de moisi et de renfermé. Le sol était recouvert d’une boue visqueuse.

Nous progressions lentement, groupés, nos sens exacerbés en alerte.

Hi marchait à côté de moi, la lanterne à la main. L’ampoule halogène éclairait à trois mètres, ce qui me permettait de tout enregistrer dans le moindre détail.

L’image de la poutre piégée était encore fraîche dans ma tête.

Je repensais aux vers inscrits sur la carte du trésor. Pas la première ligne. J’étais certaine que nous avions contourné l’entrée du tunnel, ce qui rendait caduque l’histoire du « perchoir de dame Faucon ». Ce qui m’intéressait, c’était la ligne suivante.

« Et entame ton sinueux parcours vers la retenue de la salle obscure. »

La retenue de la salle obscure ? Qu’est-ce que cela pouvait bien être ?

J’avais beau réfléchir, je ne trouvais pas. J’étais bien obligée d’admettre qu’en l’absence d’éléments supplémentaires, le vers était trop vague pour qu’on puisse s’en servir.

Et l’autre strophe ? Que signifiait-elle ?

J’ai senti la main de Hi sur mon bras. Je me suis tournée vers lui. Il regardait le sol.

— Ne. Bouge. Plus.

Avec mille précautions, il s’est agenouillé, avant de se mettre à plat ventre, les yeux fixés sur un point à mes pieds.

— Qu’est-ce qui se passe ?

La voix de Shelton résonnait à mon oreille.

Hi a regardé le plafond. Puis, toujours aussi délicatement, il s’est remis sur ses pieds.

— Personne ne remue un cil. Il y a un fil de détente plus loin, et ce n’est peut-être pas le seul.

— Un fil de détente ? a demandé Shelton d’une voix chevrotante. Pour quoi faire ?

— Pour déclencher ce qui est au-dessus de nos têtes. On marche sur le fil et on reçoit un sale truc sur le coin de la figure.

J’ai levé les yeux à mon tour. Hi avait raison. Trois fentes verticales étaient taillées dans le plafond, à un mètre les unes des autres.

Ben a dirigé sa lampe vers celle de gauche.

— Des grilles métalliques, suspendues par des cordes.

Il a orienté le faisceau lumineux vers la droite.

— Avec des pointes sur le fond.

Gloups.

— Surtout, restez immobiles, a ordonné Hi. Je vais voir s’il y a d’autres fils.

— Doucement, ai-je dit. Sois prudent.

Promenant la lanterne en arc de cercle, Hi a examiné le sol, puis il a commencé à avancer.

Un pas. Pause. Un autre. Pause. Une grande enjambée.

Accentuant au maximum mon hypervision, j’ai regardé l’endroit où Hi avait évité de marcher.

Et je l’ai vu.

Un fil pas plus épais qu’une ligne de pêche. Pratiquement invisible, il était placé en travers du passage, au niveau de nos genoux.

Sans le regard perçant de Hi, nous l’aurions percuté. J’en ai eu des frissons.

Ce n’est pas passé loin.

— Il n’y a qu’un fil.

Hi retenait sa respiration.

— Je reste à cheval au-dessus de cette saloperie, pour vous montrer où il est.

Des gouttes de sueur coulaient du menton de Ben.

— Ne déconne pas !

Jambes écartées, Hi nous a fait signe d’avancer.

La scène était presque comique. On se serait cru devant un spectacle de mime. Hi était accroupi au-dessus de quelque chose d’invisible, dans la position d’un basketteur en défense.

— Secouez-vous, a-t-il lancé. Je ne vais pas rester comme ça toute la nuit.

J’y suis allée la première, le regard rivé sur le filament. Une fois en sécurité, je me suis écartée en toute hâte de la zone dangereuse.

Shelton m’a suivie, plus lentement, l’air concentré. Ben a franchi l’obstacle avec agilité, puis il a tendu la main à Hi.

Refusant son aide, Hi a entrepris de ramener sa jambe restée derrière le fil dans le style aérien d’un danseur de l’opéra. Il était en train de pirouetter, sourire aux lèvres, lorsque son pied d’appui a dérapé sur le sol glissant.

Il est tombé, tandis que sa jambe tirait le fil de détente.

Au-dessus de nos têtes, un grondement a retenti. Quelque chose bougeait. Des cailloux ont plu des fentes pratiquées au plafond.

Ben a réagi à la vitesse de l’éclair.

Empoignant Hi à deux mains, il l’a tiré vers nous avec une force inouïe. Shelton et moi, percutés comme des boules de pétanque, avons suivi le même chemin. Tout le monde s’est retrouvé par terre.

Un horrible grincement a retenti et des objets sont tombés du plafond dans un nuage de poussière.

Puis tout est redevenu calme.

Toussant et crachotant, nous nous sommes relevés.

— Quelqu’un est blessé ? ai-je demandé, de la poussière plein les yeux.

— Non.

— Ça va, on va dire.

— Quelle connerie !

Derrière nous, trois épaisses plaques de fer gisaient en tas sur le sol. Exactement à l’endroit où nous nous trouvions quelques secondes auparavant.

Shelton peinait à reprendre son souffle.

— Hi, je t’adore, mec, a-t-il sifflé.

— C’est réciproque.

Hi a craché de la terre.

— Et maintenant, au cas où certains d’entre vous ne voudraient pas voir ce spectacle, je vous préviens que je vais embrasser Ben.

— Merci, sans façon, a déclaré Ben en lui ébouriffant les cheveux. La prochaine fois, n’oublie pas que la coordination, ça existe.

— Fichues Nike. Je vais acheter des Adidas.

— Tout le monde est encore en flambée ? ai-je demandé.

Triple hochement de tête affirmatif.

— Alors on y va.

Disparition des sourires.

Qui sait quels autres pièges nous attendaient ?

 

*

* *

 

— Attendez !

Shelton a levé les mains.

— Chut !

On s’est immobilisés.

Shelton regardait autour de lui.

— Quelque chose a changé. On n’entend plus le vent de la même manière.

Nous avons retenu notre souffle. En matière d’ouïe, Shelton était le champion indiscuté.

Hi a soudain pointé l’index.

— Des trous dans la paroi ! Des deux côtés.

J’ai aperçu à trois mètres devant nous quatre cercles, deux à droite et deux à gauche. À hauteur d’épaule, ils mesuraient chacun une quinzaine de centimètres de diamètre.

— Le bruit vient de là ! s’est exclamé Shelton. L’air pénètre par ces ouvertures. Vous entendez ce gémissement ?

J’ai secoué la tête.

— Je suis contente que tu l’aies entendu, toi.

— Attention, a prévenu Ben. Le sol du passage s’arrondit légèrement.

— Il a raison, ai-je affirmé. On dirait qu’il y a un autre piège. Oui, mais lequel ?

Ben a pris une bouteille d’eau dans mon sac à dos.

— Regardez ! a-t-il crié en la projetant sur la bosse.

Clic.

Des lances ont jailli de part et d’autre du passage. Elles se sont croisées avant de se planter dans la paroi opposée, tandis que des flèches en bois allaient se ficher dans le sol comme des baguettes de Mikado.

— Ouh là ! s’est exclamé Hi.

Tout à fait d’accord.

On s’est avancés parmi les débris en évitant la bosse. Qui sait si le piège n’allait pas se déclencher de nouveau ?

On n’avait pas fait cinquante mètres que j’apercevais quelque chose qui brillait au loin.

J’ai levé ma lampe aussi haut que possible.

— Stop ! Il y a un reflet métallique.

— Merveilleux, a marmonné Shelton. Cette fois, ce doit être des mitraillettes.

On a progressé à petits pas, tous nos sens en alerte. J’avais les mains moites, le front ruisselant de sueur, et ma chemise était trempée.

Dix mètres. Quinze. Vingt.

Une explosion de lumière autour de nous.

— Seigneur !

Hi, affolé, avait lâché la lanterne. Le rayon lumineux était maintenant oblique et projetait des ombres terrifiantes le long du tunnel.

Devant nous se trouvait un nouveau piège, déjà déclenché.

Deux piques métalliques avaient jailli du plafond, leurs pointes mortelles formant une tenaille monstrueuse.

Et quelque chose était pris entre elles.

Shelton a hurlé.

Ben a poussé un juron.

Hi a gerbé sur ses Nike.

Je suis restée muette.

Le regard rivé sur un cadavre empalé.