CHAPITRE XXI
Je me réveillai avec l’impression d’avoir vidé les réserves d’alcool de la galaxie.
Pourtant, j’étais certain de ne pas avoir fait la bombe, et je ne me découvris pas de tatouage ou de cicatrice supplémentaire. Quant à mes contusions, je les avais glanées au cours de mon entraînement, rien d’autre. Et je voyais mal où j’aurais pu me mitonner une gueule de bois pareille vu que le bouge le plus proche était à cinq parsecs de là.
Et sur Yavin 4, nous étions privés de vaisseaux…
Alors, d’où ça venait ?
Au mépris de la raison, qui aurait voulu que je reste sagement couché pour expirer en paix, je me traînai hors du lit et passai ma tenue de jogging. Ça m’aiderait un peu à sortir la tête du sable.
Mes vêtements étaient encore mouillés. Un résultat de ma petite course nocturne, après le duel avec maître Skywalker, histoire d’évacuer mes frustrations.
Rien de tel que le contact de vêtements trempés sur sa peau nue, de bon matin, pour se convaincre qu’on a survécu.
C’était toujours ça !
— Et si je devais mourir, je ne voudrais pas rester prisonnier de ce caillou perdu dans le cosmos ! C’est peut-être bon pour Exar Kun, mais pas pour moi…
Malgré l’impression d’avoir les muscles congelés dans de la carbonite, je réussis à bouger. Puis à sortir au grand air en titubant. Avant de tomber à quatre pattes, sidéré de voir un Chasseur de Têtes Z-95 sur l’aire d’atterrissage ! Un instant, je fus affolé. Avais-je volé ce bâtiment près de la cantine où je n’avais pas pu aller me soûler ? Je chassai vite cette idée absurde. Et sans devoir recourir à une technique Jedi…
Dans l’état où j’étais, je n’aurais pas pu atterrir sans m’écraser en beauté…
Et Mara Jade aurait détesté retrouver son vaisseau plié en quatre…
M’aviser que c’était justement son navire que je voyais acheva de me remettre les idées en place. Kyp avait volé ce navire. Si le second était de retour, le premier aussi…
Je me relevai et courus vers l’aire d’atterrissage, tous mes sens ouverts à la Force. Je captai de faibles traces de Kyp dans la station de pilotage.
Il avait bousillé le tableau de bord, interdisant au vaisseau de redécoller.
Mara Jade ne va vraiment pas apprécier…
Soudain très inquiet, je me retournai vers le Grand Temple. Quelqu’un s’était ménagé un chemin dans les broussailles environnantes. Les lianes qui entouraient l’escalier extérieur, comme étiolées, rappelaient des serpents desséchés.
Je gravis les marches quatre à quatre, ignorant ce qui m’attendait au sommet et comment je pourrais affronter Kyp si je le rencontrais.
Dès que j’atteignis la dernière volée de marches, un tourbillon de sensations m’assaillit. Les autres étudiants m’avaient précédé. Et ils étaient bouleversés…
Sur le toit, je vis immédiatement Cilghal, la tête de Luke posée sur ses genoux.
— Il est vivant ? demanda Streen, décomposé. Je ne l’entends plus…
Concentrée sur Luke, la Calamarienne secoua la tête. Elle captait un pouls – très faible. Je voyais la poitrine de notre maître se soulever et s’abaisser très lentement.
— Je ne parviens plus à capter ses pensées ! Quand j’essaie de le toucher avec la Force, je me heurte à un grand vide…
J’essayais aussi, espérant avoir plus de succès que la Calamarienne. En vain.
Comme il me l’avait rappelé récemment, nous étions des créatures de lumière. Mais de là à accepter qu’il ait quitté son enveloppe chamelle…
En dépit de l’évidence !
— Que faire ? demanda Kirana Ti.
— Nous voilà seuls, désormais, dit Cilghal.
Son désespoir attisa mes angoisses. Que Kyp m’ait projeté contre un mur ne m’avait pas étonné outre mesure, puisqu’il était tellement plus fort que moi. Mais je n’avais pas imaginé, même possédé par une entité mystérieuse, qu’il puisse dominer Luke Skywalker.
Si j’avais envisagé que Luke fût en danger, j’aurais redoublé d’efforts pour le convaincre d’agir.
Quand on décernera la médaille de l’échec, il faudra que je sois le premier sur la liste des nominés !
J’avais averti notre maître que nous avions affaire à un psychopathe. Sans le persuader pour autant de la gravité de notre situation. Il semblait capable de tout gérer et il attendait de moi des informations susceptibles de lui montrer la voie…
Et je l’ai laissé faire… Mais où avais-je la tête ?
J’avais pourtant affronté ce genre de tueurs fous. L’expérience était de mon côté, pas de celui de Luke Skywalker. Je lui avais abandonné les rênes dans une situation où il n’était pas mieux taillé que nous pour décider du destin de l’univers. J’avais commis l’erreur inverse de la sienne. Mais au fond, nous étions coupables des mêmes choses.
L’arrogance et la stupidité de ces idées me frappèrent soudain. Luke Skywalker avait affronté Dark Vador et l’Empereur, puis l’Empereur Ressuscité. Si ceux-là n’étaient pas des monstres, personne ne méritait d’être appelé ainsi ! En ces occasions, maître Skywalker avait prouvé qu’il était à la hauteur…
Son état actuel en devenait plus terrifiant encore.
Je baissai les yeux sur son corps. J’avais tout raté ! Et voilà où Luke en était par ma faute. Si j’avais réagi différemment, rien ne prouvait qu’il n’aurait pas subi le même sort. Mais les choses auraient pu tourner autrement. J’avais échoué, moi qui avais l’arrogance de suggérer que Luke nous avait tous déçus…
C’en est fini de l’échec, désormais !
Les muscles de mes mâchoires tressaillirent.
— Nous ne sommes pas seuls, dis-je. Nous pouvons compter les uns sur les autres. Sans mériter tout à fait le titre de Chevaliers Jedi, nous avons les moyens de nous défendre.
— Que pouvons-nous faire ? répéta Kirana Ti.
— C’est pourtant évident ! (Du pouce, je désignai le Chasseur de Têtes, en contrebas.) Kyp est ici. On parie qu’il est responsable de ce qui vient d’arriver à maître Skywalker ? D’abord, il faut avertir Coruscant que Luke est blessé et que Kyp Durron est impliqué.
L’ambassadrice calamarienne releva les yeux.
— À moins d’avoir des preuves de ce que vous avancez, ce serait calomnier Kyp.
Je fronçai les sourcils.
— Mais le Chasseur de Têtes…
— … Aurait pu être volé à Kip par le véritable auteur de cette agression.
Kam me battit de vitesse.
— Une prudence louable, Cilghal, mais je suis sûr que Kyp est impliqué… (Il avança jusqu’au bord de la pyramide, face à l’aire d’atterrissage et lança :) Vous pensez qu’il se cache toujours sur ce caillou ?
— Je ne le perçois pas, dit Streen.
— J’aimerais penser qu’il est mort, mais quelque chose me dit qu’il vit toujours. (Je jetai un coup d’œil à Kam.) Vous vous demandez comment il a pu repartir en laissant ce vaisseau derrière lui…
— Oui. Le seul autre moyen de transport disponible dans le système, c’est le Broyeur de Soleil. (Il serra les poings.) Or, Kyp sait le piloter.
— Aurait-il eu le pouvoir de le ramener du cœur de la géante gazeuse ?
S’accroupissant, Streen ramassa une petite pierre qui scintilla au soleil.
— Une gemme Corusca. Le seul endroit de l’univers où on trouve ces pierres, c’est au cœur de Yavin. Celle-ci a pu se détacher de la coque quand Kyp a embarqué dans le Broyeur de Soleil.
— Ce n’est pas le genre de nouvelle que je voulais entendre…, dis-je.
— On trouve souvent des gemmes Corusca sur Yavin 4, dit Cilghal, et nous n’avons pas les moyens de savoir depuis quand celle-ci est là… Pire, nous ignorons si le Broyeur de Soleil est encore au cœur de la géante gazeuse. Une fois de plus, vous sautez aux conclusions !
— Je vois pourquoi vous avez choisi de faire une carrière de diplomate… Procédons donc étape par étape. D’abord, il faut conduire maître Skywalker à l’abri.
— Nous devrions l’allonger dans la grande salle d’audience, proposa Tionne.
— Comme un gisant ? Il n’est pas mort !
— Il aimait cette salle… C’est là qu’il a fêté la victoire de la Rébellion sur l’Étoile Noire.
Kam vint se camper derrière Tionne, les mains posées sur ses épaules.
— Bien raisonné ! Il y aura assez de place pour qu’on vienne vous écouter chanter. Il faut qu’il se sente intégré à notre communauté.
Il m’interrogea du regard.
— C’est bien vu… Aujourd’hui, votre vivacité d’esprit est supérieure à la mienne, Tionne. (Je regardai la Calamarienne.) Ambassadrice, vous avez des dons de thérapeute. Voudrez-vous surveiller Luke, au cas où son état s’aggraverait, et nous indiquer comment le soigner ? Nos fournitures médicales sont assez rudimentaires et…
— Je veillerai sur lui… Mais il faudra faire venir une équipe médicale au plus vite. Il conviendra aussi de prévenir la Nouvelle République et Leia Organa Solo. Luke est son frère.
— En précisant que Kyp Durron est aux commandes du Broyeur de Soleil, ajouta Brakiss. Avec sa haine contre les derniers fidèles de l’Empire, on peut tout craindre…
Je coupai court aux protestations de Cilghal.
— Il faudrait aussi qu’une équipe vienne vérifier si le Broyeur de Soleil est encore dans la géante gazeuse.
Du revers de la manche, Kirana Ti essuya de la sueur sur le front de Luke.
— Nous ne devrons jamais laisser seul maître Skywalker. Un garde lui sera affecté en permanence.
Dorsk 81 eut l’air horrifié.
— Vous le croyez encore en danger ?
Je m’éclaircis la gorge.
— On ne doit pas écarter cette éventualité… Kyp a pu vouloir sa mort et quelque chose l’en aura empêché au dernier moment… Pourquoi, mystère. Il pourrait revenir achever le travail.
Lui ou l’homme en noir…
— Que quelqu’un veille maître Skywalker en permanence s’impose aussi du point de vue médical…, ajoutai-je.
La Calamarienne acquiesça.
— Ramenons-le dans le temple.
— Bien. J’avertirai Coruscant par l’HoloNet. Ambassadrice, ensuite, j’aimerais que vous contactiez Leia Organa Solo. Vous répondrez mieux que moi à ses questions. Venant de vous, qui la connaissez bien, elle encaissera mieux le malheur qui frappe de nouveau sa famille.
Brakiss me regarda, l’air peu amène.
— Et nous ?
— Je ne sais pas… Faites au mieux. Secondez Cilghal, préparez les repas… Méditez.
— Méditer ? À quoi ça nous avancerait ?
— Il faut éviter la panique ! dit Kam. Garder les idées claires ! Mettons en pratique ce que nous avons appris et reprenons des forces. Si Kyp revient, ou si d’autres problèmes se posent, il faudra faire face. Tous ceux qui n’auront pas d’attributions spécifiques devront continuer les exercices.
— C’est un plan…, acquiesçai-je. Et un bon ! Tout le monde a compris ? Au travail !
Je descendis au centre de communications et activai le système. Prêt à intervenir au besoin, R2-D2 resta près de moi. Mais ses bips trahissaient de l’impatience, me rappelant Whistler quand il voulait qu’on huile ses circuits.
— Vas-y, R2, ta présence réconfortera maître Skywalker, j’en suis sûr. Et tu surveilleras mieux que nous ses signes vitaux.
Je souris en voyant le petit droïde filer comme une flèche. De toute façon, je n’étais pas certain de tenir à le garder dans mes pattes.
Je tentai d’avoir Wedge, mais je pus seulement lui laisser un message. Ensuite, je passai à Tycho et réussis à le contacter au Quartier Général de l’escadron.
À ma vue, il se fendit d’un grand sourire.
— Je ne m’attendais pas à vous revoir avant un certain temps ! Où en êtes-vous ?
Je secouai la tête et son sourire mourut.
— Nous venons d’encaisser un sale coup. Luke Skywalker est dans le coma.
— Dans le coma ?
— Blessé, mais nous ignorons si c’est grave ou pas. Son état s’est stabilisé, mais il nous faut une bonne équipe médicale, et en quatrième vitesse !
Tycho jeta un coup d’œil hors champ puis acquiesça.
— Une navette est prête au départ. Je prendrai les commandes et je vous amènerai une équipe de médics.
— Bien. J’ai aussi une liste de fournitures…
— Tout ce que vous voudrez.
— Ne vous engagez pas inconsidérément… (Je marquai une courte pause.) Il me faudra assez de charges 14 au nergon pour raser un bâtiment comme le Grand Temple.
— Vous en êtes là ?
— Possible… J’espère me tromper, mais dans le cas contraire, je devrai détruire le temple pour empêcher un désastre. (Je baissai le ton.) Il faudra aussi coller de fausses étiquettes sur les conteneurs. Ici, on ne sait plus à qui se fier…
— … Excepté à vous-même, c’est ça ?
— En gros, oui.
— J’imagine que vous savez ce que vous faites.
— Je crois… Une dernière chose… Mettez-moi en contact avec le général Cracken. Il est vital que je lui parle.
— Ça roule ! (Tycho se fendit encore d’un petit sourire.) À dans une trentaine d’heures !
— Merci, colonel.
Un moment, les armes de l’Escadron Rogue restèrent suspendues au-dessus du clavier de l’holoprojecteur. Les revoir me fit sourire. Gavin Darklighter avait conçu cet insigne où le blason de la Rébellion était entouré de douze ailes-X représentées en pleine accélération. Pendant cinq ans, ce symbole avait incarné toute ma vie. À présent, il m’aidait à me souvenir d’où je venais…
Une tradition de plus à intégrer dans ma nouvelle existence.
Le visage de Cracken apparut enfin.
— Le colonel Celchu m’a parlé d’une urgence…
— Vous vous souvenez du Broyeur de Soleil que vous pensiez avoir éliminé en le précipitant dans la géante gazeuse de Yavin ?
— Cette question ne me dit rien qui vaille, capitaine…
— Alors vous allez détester la suite. Peu après minuit, une ou des personnes inconnues ont débarqué sur Yavin 4. Elles ont affronté et vaincu maître Skywalker, puis sont reparties en laissant sur place un Chasseur de Têtes Z-95 saboté. Kyp Durron, un des rares hommes, sinon le seul, à savoir piloter le Broyeur de Soleil, était le dernier aux commandes de ce Chasseur. Je n’ai pas d’empreintes digitales pour prouver ce que j’avance, mais croyez-moi, il a débarqué cette nuit à bord de ce Chasseur.
J’éprouvais un soupçon de culpabilité à négliger les recommandations de Cilghal. Mais leur dorer la pilule n’aiderait pas les Renseignements de la Nouvelle République à affronter cette crise.
— Vous ignorez où il est allé et avec qui il était ?
— Je n’ai aucune hypothèse que vous seriez prêt à entendre… D’après ce qu’a lancé Kyp en nous quittant, sa fureur semblait dirigée contre l’Empire. Si je devais deviner, je dirais qu’il s’est lancé aux trousses d’un seigneur de guerre, ou de la flotte de Thrawn – enfin, de ce qu’il en reste. Dès qu’il aura trouvé une cible, vous en serez informé.
— Un gamin de dix-huit ans qui a grandi au fond des mines-prisons de Kessel et qui se retrouve aux commandes d’une arme capable de détruire des systèmes stellaires ! Avec les Impériaux, nous avions une petite chance de prévoir les événements… Mais un gosse qui en veut à toute la galaxie ?
— Ce n’est pas une période bénie pour la Nouvelle République, j’en conviens.
— Luke Skywalker a été vaincu, disiez-vous ? Comment va-t-il ?
— Il est dans le coma. Personne ne peut dire s’il en sortira. Ni quand…
— Alors, sur ce coup-là, on devra se débrouiller seuls…
— Tout à fait. L’ambassadrice Cilghal doit contacter Leia Organa Solo dès que nous aurons plus de détails sur l’état de maître Skywalker. Demain, le colonel Celchu nous livrera des fournitures et nous amènera une équipe médicale. Je vous tiendrai au courant dans la mesure du possible.
— Merci.
— Ça vous paraîtra secondaire, au vu de ce que je viens d’annoncer, mais a-t-on des nouvelles de Mirax ?
— Ça n’a rien de secondaire, capitaine. Et j’admire votre retenue… Aucune, pas le plus petit début de piste ni de demande de rançon… Nous gardons espoir.
— J’en suis sûr. Et toutes mes pensées vous accompagnent. Merci, monsieur. (Je le saluai.) Yavin 4, terminé.