CHAPITRE IV
Je me doutais que le général Cracken avait d’excellentes raisons de me cacher ses informations. À sa place, je n’aurais pas agi autrement. Cependant, face à la colère et au chagrin, la logique n’a plus cours. Si j’avais su prendre une décision plus vite, Mirax n’aurait pas été portée disparue. J’avais fui mes responsabilités une fois. Bon sang, il n’était plus question de repiquer au truc !
En référer au Conseil de la Nouvelle République n’était pas une menace en l’air. Mais Cracken savait qu’il n’avait rien à craindre – ou quasiment. En théorie, tout citoyen de la Nouvelle République pouvait communiquer avec un sénateur et, si son dossier s’y prêtait, décrocher une audience du Conseil. Si je m’adressais à Doman Beruss, le conseiller de Corellia, j’étais à peu près sûr d’être écouté. Mais ça ne ferait pas pour autant changer d’avis le général Cracken.
Avant l’audience, j’aurais besoin du soutien de certains de membres de l’institution pour que ma requête ait une chance d’aboutir. Au nom de la sécurité, je le savais, elle serait en principe déboutée. Mais si deux ou trois conseillers se rangeaient à ma cause, je pouvais encore gagner…
Pour ça, il me faudrait en appeler à mes amis.
Dès mon retour chez moi, je contacterais le général Wedge Antilles…
Finalement, je ne pris pas rendez-vous. Tirée à quatre épingles et professionnelle jusqu’au bout des ongles, l’assistante de Wedge parut s’accommoder de mon intrusion.
La nature du bureau en disait long sur l’homme qui l’occupait et que je connaissais depuis des années. Le mur du fond en transparacier donnait l’impression d’être sur un balcon – avec une vue splendide sur Coruscant.
Une aile-X aurait pu atterrir sur l’immense bureau que Wedge gardait vierge de décorations. Peut-être parce qu’il pensait vraiment qu’un appareil s’y poserait un jour…
Un divan, une table basse et de vieux fauteuils qui n’auraient pas déparé dans la salle de réunion d’un escadron occupaient la partie gauche de la pièce.
— J’espère que je ne vous dérange pas, mon général.
Son sourire contribua à me réconforter.
— Corran, quel plaisir de vous revoir ! Ça faisait trop longtemps…
Je le saluai, puis lui serrai la main.
— En effet, mon général, bien trop longtemps.
Wedge m’invita à m’asseoir sur le divan, contourna son bureau et s’installa sur un siège, face à moi. La table basse nous séparait. Elle était jonchée de datacartes : des revues historico-militaires et des magazines d’architecture.
Mon interlocuteur me dévisagea attentivement.
— Pas de grade entre nous, Corran.
— Désolé, Wedge. (Je me forçai à sourire.) Dans l’escadron, nous avons trouvé normal que le haut commandement vous affecte aux opérations de la flotte pendant que l’Empereur Ressuscité menaçait la Nouvelle République. Mais quand vous avez accepté ce poste au sol au lieu de reprendre du service, certains d’entre nous se sont demandés si vous entendre appeler général à longueur de journée n’avait pas fini par vous monter à la tête…
Ses yeux marron lançant des éclairs, il eut un des sourires charmants dont il avait le secret.
— J’aimerais réintégrer l’escadron… Mais je viens de passer onze ans à me battre… À mon retour sur Coruscant, voir tant de destruction, tous ces malheureux privés de loyers – comme Mirax et vous – a touché une corde sensible en moi. Alors, j’ai aspiré à autre chose.
Il se pencha vers moi, une mèche brune balayant son front. Puis il ramassa une datacarte sur l’architecture.
— Quand je vivais avec mes parents sur la station Gus Treta, je rêvais de la maison que j’habiterais et des bâtiments que je construirais… La Rébellion étant passée par là, j’avais oublié ce rêve de jeunesse quand j’ai survolé les zones sinistrées. D’un coup, mes ambitions me sont revenues à l’esprit. J’ignore si je m’y tiendrai, mais pour l’instant, c’est ce que je veux faire.
J’aurais voulu protester, le convaincre de rallier l’escadron. Mais il semblait si heureux… Pourquoi lui en vouloir de ce changement de carrière ?
— Vous savez que nous serions ravis de vous revoir parmi nous ?
— Merci… Alors ? Quel bon vent vous amène ? Une visite de courtoisie ?
— Pas vraiment. Je viens solliciter une faveur. Énorme !
— Qu’y a-t-il, Corran ?
— Mirax a disparu. Je veux à tout prix la retrouver. Le général Cracken a des informations – elle était en mission pour lui. Mais il refuse de me les révéler.
— Il ne veut pas que vous fonciez tête baissée, au risque de mettre en danger votre femme et le succès de l’opération.
— Je sais, mais Mirax a des problèmes et je ne peux pas rester sans rien faire. Seriez-vous disposé à en toucher un mot à Leia Organa Solo. Accepterait-elle de présenter ma requête au Conseil afin de contraindre Cracken à me communiquer ces informations ?
J’avais tenté d’adopter un ton raisonnable. Mais tout ça était dingue. À supposer que Wedge m’écoute, le Conseil ne pourrait pas me donner satisfaction. Je dépassais les bornes, je le savais. Mais le moyen de faire autrement ?
Avant que Wedge puisse répondre, un homme au regard brillant apparut sur le seuil et lança à l’assistante :
— Ça prendra une seconde à peine !
Puis il fit au général un sourire aussi charmeur qu’inquiétant.
— Wedge, si on faisait un petit saut sur Kessel ? lança-t-il.
— Kessel ? Le dernier endroit où on aurait envie d’aller ! Merci pour l’invitation, Yan, mais j’ai à faire ici.
— À faire ? Quoi par exemple ? Les droïdes terrassiers se gèrent tout seuls. Vous pourriez venir avec moi voir où en sont les types que vous avez laissés là-bas, comme Fliry Vorru. (Yan Solo me jeta un coup d’œil et me fit un petit signe.) Désolé de vous interrompre…
Wedge nous regarda tous les deux et sourit.
— Vous ne vous étiez jamais rencontrés ?
Je secouai la tête.
— Mais je connais le général Solo de réputation, bien entendu.
— Je ne suis plus un gradé, mais un bon vieux civil, par bonheur !
Wedge eut un sourire matois.
— Il ne parlait pas vraiment de ça, Yan… Je vous présente Corran Horn. Il appartenait à la CorSec.
Solo me tendit la main.
— Je vous connais aussi de réputation. Comme votre père…
— Mon père ?
Le contrebandier le plus célèbre de Corellia hocha la tête.
— Un jour, il a décidé de me coincer. J’ai dû m’engager dans l’Académie Navale Impériale pour lui échapper !
J’avais longtemps associé ce ton suffisant aux bandits et aux pillards, toujours à se vanter de l’avoir échappé belle. Et j’aurais voulu le haïr pour ça. Cet homme avait trafiqué de l’épice pour le compte d’un Hutt, et ça m’incitait à le classer parmi la lie de l’humanité. C’était à cause de types comme lui que les Corelliens avaient si mauvaise réputation dans la galaxie.
Mais quelque chose dans ses yeux et dans la fermeté de sa poignée de mains trahissait son honnêteté foncière. Tourner Yan Solo en dérision, ou voir en lui un mercenaire qui avait trouvé un filon d’or en épousant Leia aurait été facile. Mais ça serait revenu à nier tout ce qu’il avait souffert et les combats qu’il avait menés contre l’Empire. En lui, quelque chose refusait toujours de baisser les bras et de se la couler douce. Il refusait d’abandonner ses amis ou de se résigner devant les causes perdues. La volonté de vaincre à tout prix, peut-être, ou une peur maladive de l’échec. Ou les deux. Voire davantage ! Quoi qu’il en soit, je dus admettre qu’une liste de ses crimes ou de ses délits ne résumerait jamais ce diable d’homme.
— Enchanté de faire votre connaissance, monsieur.
— Vous étiez à la CorSec, donc je devrais aussi vous donner du « monsieur »… (Il haussa les épaules.) Mais les simagrées n’ont jamais été mon fort.
Wedge indiqua un siège à Solo, qui préféra rester debout.
— Corran était en train de me demander de parler à Leia d’un grave problème. Vous vous rappelez Booster Terrik ?
— Booster ? Comment pourrait-on l’oublier ? Avant ma naissance, c’était déjà une légende chez les contrebandiers. Votre père n’a-t-il pas envoyé Booster sur Kessel ?
— Pour cinq ans, oui…
Yan fit la grimace.
— Ça fait long, au fond des mines.
— Corran a épousé la fille de Booster, Mirax, dit Wedge.
— La vache ! Voilà enfin quelqu’un qui s’est dégoté une belle-famille aussi intéressante que la mienne ! Pourquoi vouliez-vous que Wedge parle à ma femme ?
— Mirax a disparu. Je veux la retrouver, mais Airen Cracken refuse de me révéler ses dernières coordonnées. (Je haussai les épaules.) J’espérais que le Conseil le lui ordonnerait.
— Leia pourrait obtenir ça, mais je ne parierais pas ma chemise là-dessus. Même si elle se montre compatissante, votre demande arrivera en dernier sur la liste des priorités de la Nouvelle République. Et si vous raisonniez encore comme au temps de la CorSec, avouez que vous n’auriez jamais dévoilé ce genre d’information au conjoint d’un officier en mission.
— J’en ai conscience…
Yan Solo continua sur un ton plus léger.
— Cela dit, la Nouvelle République n’est pas votre unique recours. Mirax pilote toujours le Pulsar ?
— Oui, monsieur.
— Avant que je remette le cap sur Kessel – Leia m’y envoie comme agent de liaison, puisque je connais le coin –, je poserai quelques questions et je verrai si le Pulsar a été aperçu dans un de ses secteurs habituels. Ça pourrait vous fournir un début de piste. Mais pour commencer, vous allez cesser de m’appeler « monsieur ».
— Merci, Yan. Même si j’appartenais à la CorSec, moi, c’est Corran.
— La galaxie est grande… Les recherches ne seront pas faciles. Mais j’imagine que ça ne vous arrêtera pas.
— En effet.
— Dans ce cas, que la Force soit avec vous. Alors, Wedge ? Ce petit tour sur Kessel ?
— Un autre jour, Yan. La dernière fois que j’y étais avec l’Escadron Rogue, Moruth Doole ne m’avait pas vraiment à la bonne… Un conseil, évitez de mentionner mon nom devant lui.
— Bien reçu. À mon retour, Corran, je vous ferai signe si j’ai du nouveau. (Solo nous salua nonchalamment.) Bon vent à tous les deux !
Tournant les talons, il partit comme il était venu – en trombe. J’éclatai de rire.
— Un sacré bonhomme, pas vrai ?
— Et difficile à oublier…
— Ça explique toutes les primes qui ont été placées sur sa tête… (Mon sourire s’effaça lentement.) Une chose… Maintenant que vous travaillez au sol, j’ignore si vous prévoyez de revoir Iella. Mais dans cette éventualité, ne lui dites rien au sujet de Mirax. Elle travaille toujours pour Cracken et pourrait détenir des informations. Mais je ne voudrais pas lui attirer des ennuis.
— Je garderai ça à l’esprit. Selon vous, je devrais entrer en contact avec elle, n’est-ce pas ?
— Vous paraissez vous entendre très bien. Je pensais que c’était enfin devenu sérieux entre vous…
— Eh bien, ça ne s’est pas fait… (Il haussa les épaules, mal à l’aise.) Je voulais me rapprocher d’elle avant la réapparition de son mari, puis après sa mort, et après Thyferra, et après l’Escadron Spectre, et après Thrawn…
— Je sais, le destin n’arrête pas de nous jouer des mauvais tours ! Mais rien ne vaut une fille du pays pour partager l’univers avec elle.
— Mirax et vous l’avez prouvé… (Avec un rien de mélancolie dans la voix, Wedge détourna le regard.) Je devrais vraiment la recontacter et nous redonner une chance… Une fois mes chantiers de reconstruction lancés, peut-être, je prendrai le temps…
— Comme Yan disait, la galaxie est grande, mais je doute que vous trouviez mieux. Une galaxie où je vais devoir chercher ma femme, alors que l’élue de votre cœur semble très près de vous… La vie n’est jamais simple, hein ?
— En effet… (Le regard de Wedge retrouva un peu d’éclat.) Cela étant, nous avons peut-être un atout, en ce qui concerne votre problème.
— Que voulez-vous dire ?
— Luke est sur Coruscant. Vous devriez aller lui parler. Retrouver Mirax reviendra peut-être à vouloir repérer un quark dans un môle de deutérium, mais si vous y êtes décidé, le soutien d’un Jedi pourrait vous être précieux.