CHAPITRE XIX
Son séjour lui plut, au moins à en juger par sa mine rayonnante, tous les matins – et quand elle arrivait à tenir en échec une sphère de plus que moi au sabre laser. Si elle avait le sourire rare, elle affichait si souvent un rictus crâne que j’en vins à le graver dans ma mémoire.
Pourtant, nous nous croisions peu. Le matin, nous faisions notre jogging ensemble. Ensuite, Luke se concentrait sur la jeune femme, comme il l’avait fait avec Kyp. Kam continuait donc de nous instruire. Après le déjeuner, l’Holocron nous dispensait ses cours d’histoire, puis Mara et moi nous mesurions au sabre laser. Elle me dominait de la tête et des épaules. Mais si nous nous étions affrontés pour de bon, nous aurions pu nous blesser gravement. Kam continuait donc à nous opposer aux sphères flottantes.
La fuite de Kyp avait gâché l’atmosphère. Par bonheur, l’arrivée d’un nouvel apprenti, l’ambassadrice calamarienne Cilghal, avait amélioré notre humeur. Elle nous parla de l’offensive de l’amirale Daala contre Mon Calamari de la perte d’un de ses destroyers. De bonnes nouvelles. Mais que des forces impériales existent encore renforçait notre détermination. À l’évidence, l’univers avait toujours besoin des Chevaliers Jedi.
Tôt un après-midi, j’étais dans la salle commune, écoutant Tionne répéter ses ballades et Mara Jade interroger Cilghal sur l’offensive impériale, quand R2 vint me tirer par la manche. Il bipa doucement puis sortit comme il était venu. Je le suivis.
Il me guida jusqu’aux appartements de Luke.
Dès que je franchis le seuil, une odeur de composants électroniques brûlés me prit à la gorge. Le monticule de plastacier fondu, sur la table de la première pièce, en était sûrement la cause.
Je me tournai vers Luke, assis sur son sofa, le front plissé par la concentration.
— Que s’est-il passé ?
Il jeta un coup d’œil au petit droïde.
— R2, ferme la porte. (Il attendit que son ordre soit exécuté avant de continuer.) J’avais dit que je consulterais l’Holocron à propos d’Exar Kun. Vous vous rappelez ?
— Oui.
— Voilà… Vodo-Siosk Baas est une création inspirée du Jedi qui entraîna Exar Kun. Je l’ai donc utilisé comme fil rouge pour mes recherches. (Un petit silence.) Le vrai Baas est jadis allé sur Coruscant pour parler à son disciple et le ramener sur la voie des Jedi… Kun l’abattit devant tout le Sénat.
— Mauvaises nouvelles…
— En effet. Quand j’ai voulu savoir ce qui s’était produit ensuite… (Il désigna l’Holocron fondu.) Dans la lumière aveuglante qui a suivi, j’ai cru voir l’ombre d’un homme et entendre ses éclats de rire.
J’en eus la bouche sèche.
— C’est tout ce qu’il reste de l’Holocron ?
— Oui.
— Misère ! Et cette ombre… Une illusion d’optique ?
Gêné, le Maître Jedi haussa les épaules.
— Possible…
Je tendis les doigts au-dessus de l’artefact détruit et sentis la chaleur résiduelle.
— Exar Kun est-il notre homme ?
— Je l’ignore. Quatre mille ans, ça fait beaucoup… Je serais plutôt d’avis qu’un agent formé par l’Empire, ou manipulé comme l’a été Mara, a découvert les études menées par Exar Kun et se prend pour le nouveau Seigneur Noir de la Sith.
— Un nom me vient immédiatement… Celui de Kyp !
— Ne croyez pas que ça ne m’ait pas traversé l’esprit.
Du haut de son talent, il faisait preuve d’une grande impatience… L’autre jour, vous disiez que j’avais peur, au fond, d’avoir déçu mon père. Peut-être êtes-vous dans le vrai. En tout cas, j’ai déçu Kyp.
— Non, c’est le contraire ! Kyp avait consenti à suivre un entraînement rigoureux. Mais il ignorait où il mettait les pieds. Joute sa vie, il a été esclave au fond des mines. Vous lui avez révélé la puissance qui l’habitait. Il apprenait à être libre quand de vastes horizons se sont soudain ouverts à lui. Pour des gens comme Kam, Mara ou moi, composer avec ce pouvoir est impossible. Mais pour lui ?
— Vous ne brossez pas un tableau réjouissant de la situation.
— Désolé. C’est vous le Maître Jedi. Vous savez ce que vous faites. À mon humble avis, vous devriez vous tourner vers vos autres étudiants. On ne reverra peut-être jamais Kyp. Mais votre mission initiale, la raison d’être de l’Académie, n’a pas changé. La galaxie a besoin du retour des Chevaliers Jedi. Et vous seul pouvez réussir ça !
Après un long silence, Skywalker acquiesça.
— L’Ordre Jedi… Voilà sur quoi je dois me concentrer.
— Il faudrait aussi décider ce qu’il convient de faire à propos d’Exar Kun.
— D’accord…
Luke se pencha en avant. Sa cape glissa sur ses épaules et sur ses flancs, le faisant paraître plus fluet que jamais.
— Nos premiers indices tendent à désigner Exar Kun ou, en tout cas, quelqu’un qui se fait passer pour lui. En sondant ce temple, j’y ai détecté des vestiges du Côté Obscur. Mais pas assez pour que ce soit Exar Kun.
— Je crois me rappeler… Quelqu’un, Bodo Baas peut-être, a dit que tous les temples de Yavin 4 avaient servi de catalyseurs à Kun. Sans être son fief principal, le nôtre peut être lié au Seigneur Sombre. Et si ce lien a été forgé par la magie sith, Exar Kun peut bloquer toutes les tentatives de détection. Et un autre temple serait le centre de son pouvoir.
— Bonne hypothèse de travail… Gantoris et Kyp ont aussi pu y être formés. Si nous connaissions son emplacement…
— On pourrait le trouver.
— Comment ?
— Grâce aux rapports des « explorateurs ». Tout le monde a fouillé les environs.
— Après la mort de Gantoris. (Luke plissa le front.) Et Kyp a sûrement truqué ses rapports pour nous empêcher de localiser LE TEMPLE.
— Exact, mais il passait tout son temps avec Dorsk 81 qui n’avait aucune raison de tricher… Si vous me fournissez tous les rapports, je les examinerai à la loupe. Et je découvrirai la vérité.
— D’accord… Mais en détruisant l’Holocron, notre ennemi nous a porté un coup pire que ce qu’il espérait.
— Un coup grave, mais pas mortel ! lançai-je. Ce que nous enseigne l’histoire des Jedi est encourageant. Nous sommes bel et bien les héritiers de cette tradition. À présent, à vous d’utiliser vos connaissances pour faire vraiment de nous les hommes et les femmes qui ressusciteront la légende !
Quand je sentis contre le mien le dos de Mara Jade, je ne pus réprimer un sourire.
— Kam ne nous facilite pas la tâche, hein ?
La lame bleue de Mara crépita et dévia le rayon d’une sphère.
— La facilité n’est pas faite pour les Jedi, pas vrai ?
— Exact.
Mes perceptions étendues au maximum, j’englobai la quasi-totalité du hangar obscur. Kam avait fermé la porte et éteint toutes les lumières. Nos lames seules déchiraient encore l’obscurité où flottaient huit sphères tactiquement interconnectées. Ainsi, l’une pouvait dissimuler l’autre. Incapables de voir à travers le métal, nous faisions une cible terriblement vulnérable.
Kam nous ayant associés, Mara et moi, n’importe quelle sphère pouvait nous attaquer l’un comme l’autre. À chaque rayon qui faisait mouche, nous perdions les points gagnés en déviant les autres. Perdre plus de points que Mara m’inquiétait moins que d’échouer à détourner les rayons qui la frappaient aux cuisses ou aux hanches.
Dans la pénombre, je sentis une infime variation d’énergie. Le mouvement que je fis décrire à mon sabre laser, parallèle au sol, dévia un coup qui me visait au genou gauche. D’une torsion du poignet, je ramenai ma lame à la verticale avant de la brandir à droite puis à gauche pour intercepter deux autres rayons. Ensuite, tombé sur un genou, j’en bloquai un qui filait vers mon flanc.
Savourant le bourdonnement de mon sabre laser, je ramenai ma main droite sur la garde. Si j’en avais appris assez pour manier correctement mon arme des deux mains, la gauche restait la plus faible. On pouvait s’exercer sans effort avec ce genre de lame – mais c’était d’autant plus trompeur et dangereux. La faire tourbillonner entre mes doigts aurait été aussi simple que de jongler avec un stylo… Cela dit, au moindre faux mouvement, on se blessait salement au visage ou aux jambes.
Je sentis un rayon, juste au-dessus de moi. Ma première réaction fut de lever mon sabre laser pour le dévier. Mais il y avait Mara…
N’ayant pas le choix, je bondis, arme tendue au-dessus de ma tête.
La lame intercepta le rayon.
J’éclatai d’un rire triomphant, puis vis Mara décrire un arc de cercle complet avec sa lame bleue… et dévier trois rayons supplémentaires.
Retombé sur mes pieds, je m’accroupis, pivotai sur la gauche et bloquai l’attaque suivante une seconde avant que Mara ne me percute. Me jetant en arrière, je roulai sur ma droite pour absorber son élan, histoire de mieux rebondir. Sabre laser dans la main droite, je renvoyai deux autres rayons dans les ténèbres… et en encaissai un au creux du ventre.
Je chassai aussitôt la douleur.
Mara chercha à éviter un nouveau trio de rayons, mais fut touchée à l’épaule droite. Déconcentrée, elle réagit une fraction de seconde trop tard. Perdant l’équilibre, elle réussit pourtant à dévier un autre rayon. Le suivant la toucha au creux des reins alors qu’elle tentait de se relever.
Au même instant, je sentis trois nouveaux tirs fondre sur elle pour la curée. Deux rayons visaient ses mollets et le troisième, sa tête. Près de sa main gauche, j’aperçus son sabre laser désactivé.
Il me restait une possibilité…
Balayant les airs avec ma lame près des jambes de Mara, je plongeai – et bloquai les deux premiers rayons. Dans le feu de l’action, je ne pus réprimer un sourire.
Mais ma chance, je le savais, ne durerait pas.
De la main gauche, à deux centimètres du visage de Mara, j’interceptai le dernier rayon. Malgré la douleur, j’absorbai aussitôt l’énergie puis la dissipai.
Le succès m’enivra, élargissant mon sourire.
Mais l’ivresse de l’esprit n’a jamais adouci la chute du corps. Je retombai sur la poitrine et rebondis un peu. Même alors, je m’efforçai d’atterrir sur le côté gauche afin de garder ma lame active…
Je parvins uniquement à m’« enrouler » autour d’un pilier. Mon sabre laser m’échappa et roula à plus de dix mètres de là.
Sa lueur argentée illumina les sphères qui fondaient sur nous pour la curée.
— J’ai un mauvais pressentiment…, soufflai-je.
Les sphères ne nous bombardèrent pas.
Je roulai sur le dos. Entre mes genoux relevés, je vis Mara Jade ramper dans ma direction. La sueur lui collait des mèches de cheveux sur le front. Derrière elle, sa lame réactivée émettait une lumière bleue rassurante. Dès qu’elle bougeait les jambes, elle grimaçait. Mais elle gardait un silence stoïque.
La voix de Kam retentit dans le hangar.
— Ça suffira pour aujourd’hui ! Vous vous en êtes bien tirés.
— Si c’est vrai, pourquoi est-ce que je me sens si mal ?
— Parce que vous n’en avez pas fait assez, Keiran !
— Merci pour cette aimable précision, Kam.
Les genoux baissés, je laissai ma tête reposer sur le sol en pierre froide et chassai de mon bouc les gouttes de sueur qui coulaient aussi dans mes yeux.
— Vous avez très mal ? demandai-je à Mara.
— Un Jedi ignore la douleur.
— Ben voyons !
Je tournai les yeux vers mon sabre laser, tendis un bras et tentai de le faire léviter jusqu’à moi…
La garde vibra à peine.
— Par moments, la télékinésie me manque vraiment.
— Cessez donc de flemmarder ! Levez-vous et allez ramasser votre arme.
— Dans une minute ou deux…
Mara eut un petit rire, puis soupira.
— Merci, Keiran…
— De rien. Vous en auriez fait autant pour moi.
— Vous croyez ? lâcha la jeune femme, toute légèreté envolée.
Je réfléchis une seconde. Au moins.
— Oui… L’univers où vous avez grandi a changé, mais pas vos valeurs fondamentales : le devoir et la loyauté. Et vous ne laisseriez pas tomber un ami, n’est-ce pas ?
Mara ne répondit pas.
Je roulai sur le flanc gauche.
— Nous sommes amis… Pas vrai ?
Elle plissa le front puis désactiva sa lame, s’enveloppant de ténèbres.
— Mais avons-nous la même définition de l’amitié ? J’en doute. Néanmoins, je vous fais confiance.
— Ça me va.
— Pourquoi avez-vous exposé votre main ? Pour m’éviter d’être touchée au visage ? Parce que vous me croyez votre amie ?
— En partie, oui. En grande partie ! Et parce que je m’en savais capable. Mon sens du devoir a fait le reste. Quand j’ai intégré la CorSec, j’avais conscience qu’on me demanderait des choses dangereuses que d’autres étaient dans l’incapacité d’accomplir. Mon rôle serait d’agir et d’assumer les responsabilités de ceux qui ne le pouvaient pas. Au fond, c’est l’essence même du Jedi, toujours présent là où il protégera le plus grand nombre de gens.
— Même au péril de sa vie ?
— On n’aime pas y penser, mais ça fait partie du boulot, oui… Avec l’Escadron Rogue et même avant, en deux ou trois occasions, j’ai dû tout sacrifier à mon devoir. J’étais persuadé d’y laisser ma peau. Et ce fut presque le cas sur Talasea. Mais si je n’avais pas agi, certains de mes amis seraient morts. Dans l’équation, ma propre survie n’avait plus d’importance.
— L’Empereur vous aurait considéré comme un idiot sentimental qui méritait cent fois de crever !
— Je m’en souviendrai la prochaine fois que j’irai danser sur sa tombe ! (Je me redressai et m’assis en tailleur.) Parfois, le sacrifice de soi s’impose. L’heure venue, vous serez placée devant ce choix.
— Un choix très difficile…
— Ça, vous pouvez le dire !
Je me relevai, bras tendu. Elle accepta ma main et je l’aidai à se remettre debout.
— Mais comme vous venez de le dire, la facilité n’est pas faite pour les Jedi, pas vrai ?