CHAPITRE XX
Empoignant son sabre laser, Skywalker tendit sa cape à Kam.
— Merci. Si vous voulez bien vous occuper des autres…
— Comme vous voudrez, maître.
Le Jedi me regarda prendre mon arme de la main droite.
— Rien ne nous y oblige, Keiran.
— Je crois que oui, maître. Et je pense qu’une question vous brûle les lèvres.
Luke hocha la tête.
— Notre duel est-il un prélude à votre départ ?
La douleur que j’entendis dans sa voix me serra le cœur. Son rêve s’écroulait. Sa propre haine et sa colère avaient conduit Gantoris à sa perte. Son étudiant le plus prometteur, Kyp, était tombé sous l’emprise du Côté Obscur et avait disparu. Mara Jade était venue à l’Académie : en moins d’une semaine, elle avait décidé de repartir. Le matin même, elle avait embarqué sur le Faucon Millenium avec Yan Solo et Lando Calrissian.
Après un mois, le taux d’échec, pour les meilleurs étudiants était affolant. J’aurais pu trouver dans la question de Luke une confirmation implicite de ma propre valeur, mais tout ce que je voyais, c’était à quel point il se sentait abattu. Je le comprenais, m’estimant moi-même trahi par le départ de Mara.
Je l’avais vue le matin même…
— Prête à filer ?
— Oui, mais je ne m’enfuis pas.
Elle était dans sa chambre, vêtue de la même combinaison de vol qu’à l’arrivée. Le lit fait, sa tenue de Jedi, soigneusement pliée, reposait à côté de son sac de voyage.
— J’ai pensé qu’elle irait à un autre candidat…
— Ne prétendiez-vous pas ne jamais abandonner ce que vous entreprenez ?
Les yeux de Mara lancèrent des éclairs… Mais elle se reprit très vite avec une déconcertante facilité.
— Et c’est le cas. J’ai beaucoup appris ici, mais nous n’avons pas tous les mêmes besoins.
— Vous voudriez me redire ça en clair ?
— Quand l’Empire m’a formée, on m’a appris l’essentiel de ce qu’on enseigne aussi ici. Avec de la pratique, je me suis perfectionnée. Nous nous sommes mesurés au sabre laser. Pensiez-vous que j’avais tout appris en deux après-midi ?
— Avec Kam ou moi pour exemples, pourquoi pas ?
— Rusé, Corran, mais vous savez que c’est faux !
— Premier round pour Mara Jade !
— Mon entraînement me poussait à utiliser les techniques du Côté Obscur pour puiser dans la Force. Et mes émotions agissaient comme un catalyseur… Je suis venue sur Yavin 4 en pensant que Luke m’apprendrait de nouvelles techniques. Il m’a simplement montré comment employer le Côté Lumineux. Je fais toujours les mêmes gestes. Seul le carburant change.
— Il est moins facile à pomper…
— Vrai, mais il ne brûlera pas les moteurs non plus. (Elle me jeta un regard clair et franc qui me surprit.) L’autre jour, quand vous évoquiez l’esprit de sacrifice, vous avez parlé de vos amis, et de ceux qui étaient dans l’incapacité de prendre leurs responsabilités. Ça m’a amenée à réfléchir à la Guilde des Contrebandiers.
— Votre petit séjour parmi nous était en partie inspiré par votre malaise vis-à-vis des responsabilités ?
— Et moi qui croyais que les agents de la CorSec n’étaient pas si malins !
— Nous avons nos bons moments…
— Jusqu’à présent, j’ai su assumer mes responsabilités et prendre des décisions. Mais essentiellement sur un plan tactique. Karrde m’ayant propulsée à la tête de la Guilde, je devrai penser de façon plus stratégique. Il compte sur ça. Et la pression qui s’exerce sur moi augmente. Je peux encore y faire face – je refuse de le décevoir. Mais…
— … Vous vous sentez toujours mal à l’aise. Je comprends. Voilà pourquoi être un simple pilote de l’Escadron Rogue me satisfait pleinement. Diriger un escadron m’encombrerait tellement la tête de soucis que j’y perdrais mon efficacité.
— Je parie que les contrebandiers de votre secteur ne vous aimaient pas du tout !
— Voilà qui me navre. Mes tactiques de harcèlement leur auraient déplu… ? (Je secouai la tête.) Ils trafiquaient des denrées rares et je prélevais une dîme sur la plus précieuse pour eux : le temps.
— Oui, en les expédiant sur Kessel… Là-bas, on trouve le temps sacrément long.
— Booster Terrik en sait quelque chose ! Mara, je suis désolé que vous ne restiez pas. À nous deux, nous aurions pu redonner un peu de vie à cet endroit, et aider Luke à réaliser son rêve. J’hésite à l’avouer, mais travailler avec vous fut un plaisir.
— Pour un séjour qui a commencé par une dispute et un vol de vaisseau, l’expérience fut moins mauvaise que je n’aurais cru. Merci de votre soutien. Si je peux faire quelque chose…
— Eh bien… (J’eus un pauvre sourire.) Avec vos contacts dans la communauté de la contrebande, vous pourriez obtenir des informations sur Mirax… Si vous me les répétiez, je serais votre obligé.
— Donnant donnant ! (Elle baissa les yeux.) En échange, promettez-moi de veiller sur Luke. D’accord ?
— Avec joie ! Une recommandation spécifique ? Il détestera vous voir partir…
— Je sais… Prenez garde à son ancien lien avec le Côté Obscur. Il lui sert d’aiguillon pour mieux guider ses étudiants, mais il sous-estime ce que ça lui a coûté. Le traumatisme fut épouvantable. Qu’il en ait conscience ou pas, il est toujours convalescent. Je ne crains pas une rechute, mais… Au fond, je ne sais pas…
— Il pourrait vouloir en faire trop et trop vite ?
— Ça serait bien de lui !
Je hochai la tête, me morigénant de ne pas y avoir pensé moi-même. Pour Luke, pour n’importe qui, un voyage du Côté Lumineux vers le Côté Obscur, revient à encaisser une rafale de blaster à bout portant. Le bacta peut soigner les plaies physiques, mais les souvenirs et les cauchemars sont une autre histoire. Il faut beaucoup de temps. Et si les techniques de relaxation Jedi peuvent étouffer les angoisses, elles traitent les symptômes sans vraiment soigner le mal. Les causes subsistent. Seul le temps guérit tout.
— Je veillerai sur Luke. Prenez garde à vous, d’accord ?
— Promis !
— Et si vos copains de la contrebande ont de la bonne nourriture à écouler… Vous penserez à nous.
Son sac en bandoulière, Mara passa devant moi.
— Promis ! À la revoyure, à quelques parsecs d’ici… !
Après que Luke eut assisté au départ de Mara, il nous assomma d’exercices. Il faisait de son mieux avec nous, mais le cœur n’y était plus. Son comportement était analogue au mien, après le décès de mon père. Il ressassait le passé, s’y emmurant pendant que le monde continuait de tourner.
À l’époque, me voyant déprimé, Iella et Gil Bastra m’avaient entraîné dans une des cantines les plus mal famées de la galaxie. Un repaire de fanatiques du speeder complètement défoncés… Après une orgie de brandy corellien, mes amis m’incitèrent à fredonner une chanson qui se moquait des types en cuir et de leurs bécanes. Avec un public indulgent, mes prestations lyriques suffisent déjà à provoquer des émeutes.
La bagarre fut fabuleuse ! Et à force d’encaisser des coups, la douleur me ramena dans le monde réel.
Hélas pour moi, Yavin 4 manquait cruellement de cantines. Et plus encore de tonneaux de brandy. Cela dit, un peu d’effort physique ne pouvait pas faire de mal à Luke…
Je n’avais rien trouvé de mieux que le provoquer en duel. Comme disait Kam, les sphères, c’était très bien, mais pour progresser, il me fallait affronter des adversaires vivants. Kam n’avait pas le contrôle nécessaire pour « croiser le fer » contre moi. À Luke d’éviter les blessures graves. À lui, également, de se concentrer assez pour que les choses ne dérapent pas.
J’activai mon sabre laser et répondis à la question de Luke.
— Vous avez toutes les raisons de vous inquiéter, maître. Mais je n’irai nulle part. À moins, bien sûr, que ce duel ne s’achève dans le sang.
La lame verte de mon adversaire s’alluma.
— Voyons un peu ce que vous avez appris.
Me rapprochant, je feintai sur la gauche. Il para le coup sans mal. D’un mouvement circulaire, je le visai à la jambe gauche. Il abattit son sabre laser et dévia le mien d’une parade nonchalante.
Tout ça semblait l’ennuyer à mourir.
Je m’y attendais…
Faisant passer mon arme dans la main droite, je revins à la charge pour obliger Luke à évoluer dans le cercle médian. Emporté par mon élan, je le frappai à la clavicule avec le pommeau de mon sabre. Puis, d’un croc-en-jambe, je lui fis perdre l’équilibre.
Je reculai, la lueur verte de la lame me révélant la surprise du maître.
— Si vous me refusez votre respect, dis-je d’une voix dure, respectez au moins ce que Kam m’a enseigné !
Luke se releva et recula d’un demi-pas.
Il doit se concentrer !
J’attendis qu’il se ressaisisse, puis décrivit un cercle qui me ramena sur sa gauche. Je fouettai l’air à deux reprises, en croix, histoire de le tenir en respect, et plongeai.
D’une parade méprisante, Luke dévia mon attaque.
Mais mon pied gauche le cueillit à l’abdomen. Plié en deux, il recula encore de deux ou trois pas, mais je ne lui laissai pas le loisir de se reprendre. Ma lame décrivant une boucle, je revins à la charge.
Luke plissa le front…
… Et je rebondis contre un mur invisible, le goût du sang sur les lèvres. Mon nez me faisait mal. Par bonheur, il n’était pas cassé. Mais se l’écraser contre un obstacle n’est jamais une expérience agréable.
Je m’essuyai du revers d’une manche. Dans la pénombre, mon sang paraissait noir.
— Joli truc !
Luke eut un sourire carnassier. Il fondit sur moi avec une vivacité que je ne lui avais jamais vue et me porta un coup qui, s’il avait porté, m’aurait découpé de l’épaule droite à la hanche gauche.
Il s’attendait à une parade en garde haute, mais je le laissai traverser mes cercles de défense extérieur et médian. Puis je poussai sa lame verte loin de mon épaule droite avant de le frapper au menton avec la même épaule.
Poussant mon avantage, je lui flanquai un coup dans les côtes du tranchant de la main gauche – sans grande force celui-là –, et évitai une riposte qui m’aurait carrément décapité…
Puis je lançai ma jambe gauche en avant pour faucher les siennes…
Il atterrit sur le dos.
Sautant hors de sa portée, je le toisai de toute ma hauteur.
— Je vous aurais cru bien meilleur que ça.
Luke se releva pour la deuxième fois. De la main gauche, il essuya un filet de sang sur sa lèvre éclatée.
— Je n’ai pas pratiqué les bagarres de rue. Enfants, mes amis et moi, nous faisions des courses de speeders. On ne se roulait pas dans la poussière en se battant comme des chiens…
— Vous devriez être un « pilote de course » Jedi, dans ce cas. Pas un chevalier.
— Vous ne comprenez pas ! Il y a ici des forces qui…
— Je comprendrais mieux si vous m’en parliez ! Maître Jedi ou pas, vous n’avez pas à assumer toutes les responsabilités. D’ailleurs, vous le savez déjà. Vous avez laissé Tionne nous enseigner l’histoire des Jedi, Kam s’est chargé d’une partie des cours et vous m’avez lancé sur la piste de l’homme en noir. À propos, je crois avoir découvert la position du temple d’Exar Kun à partir des rapports de Dorsk 81. J’allais vérifier cet après-midi même.
— Vous n’irez pas là-bas tout seul ! Je ne veux pas qu’un de mes étudiants s’y aventure.
— Alors allez-y, et je vous couvrirai !
— Pas maintenant.
— Pourquoi ?
— Je vous ai parlé de Bespin, quand j’ai eu conscience que mes amis étaient en danger ?
— Oui. Vous avez dit qu’il s’agissait d’une vision de l’avenir. Dark Vador l’avait voulu ainsi, afin de vous attirer dans un piège.
— J’ai eu d’autres visions… Et je sens qu’un désastre se prépare. Surtout depuis le départ de Mara.
— Faites quelque chose !
— Quoi ? J’ai le pressentiment qu’une catastrophe est sur le point d’arriver. Tout ce que j’entreprends semble voué à l’échec !
De la main gauche, je chassai le sang qui coulait de mon nez.
— Une minute… À votre avis, ce désastre imminent serait-il gravé dans le marbre ? Ou n’est-il qu’une possibilité ?
— L’avenir est toujours fluctuant. Mais rien de ce qui me vient à l’esprit ne semble susceptible de nous protéger.
— Deux éléments vous échappent, maître. D’abord, penser n’est pas agir, si vous me permettez. Modifier le futur exige des actes, pas de simples intentions. Si un Jedi doit toujours se défendre et ne jamais attaquer, ça n’implique pas que l’élaboration d’une « défense agressive » soit nécessairement mauvaise.
— Et le second élément ?
— Vous n’êtes peut-être pas le facteur déterminant. Qui sait lequel d’entre nous sera appelé à jouer un rôle décisif ? Ce pourrait être Kam, moi, ou même nous tous ! Vous nous apprenez à utiliser la Force, vous nous révélez nos nouveaux pouvoirs et vous avez dit que nous sommes les héritiers d’une tradition impliquant d’énormes responsabilités. Mais dans les faits, vous ne nous en avez confié aucune. Éviter le désastre et se débarrasser d’Exar Kun pourraient exiger que nous assumions tous nos responsabilités.
Pour l’instant, vous les revendiquez toutes. Et vous êtes accablé par le poids d’une série d’échecs – ou de ce que vous jugez tels. Mara Jade ne vous a pas quitté par dépit, elle a appris ce qu’elle avait besoin d’apprendre – et ça ne concordait pas forcément avec votre avis sur la question. Elle est partie avant de décevoir les gens dont elle se sent responsable.
— À vous entendre, je vous ai traités comme des gamins.
— C’est assez proche de la vérité…
— Ce n’était pas volontaire. Mais vous êtes des enfants au sein de la Force.
— Entendu, maître… Nous sommes également un groupe d’adultes. Kyp était… le benjamin de l’Académie, non ? Vous aviez son âge quand vous avez commencé votre formation. Et j’avais le même lorsque j’ai été accepté à l’Académie de la CorSec. Un moment de l’existence où on est déjà un être fait. Vos étudiants ont engagé leur vie en vous rejoignant. À vous d’honorer notre confiance comme il convient. En nous mettant au défi ! Et ça ne consiste pas uniquement à soulever des cailloux ou à étendre notre sphère de perception. Je parle de défis propres à tester nos talents, pas notre personnalité.
— Mais vous n’êtes pas prêts à relever ce genre de défi.
— Pas si vous mettez d’emblée la barre trop haut, non… (Je désignai sa main droite.) Avez-vous beaucoup appris de votre échec sur Bespin ?
— Oui.
— Alors acceptez de notre part de petits échecs et des tâtonnements, et nous apprendrons encore mieux. Comme on disait à la CorSec, il y a deux sortes de fanatiques du speeder : ceux qui se cassent la gueule et ceux qui vont se la casser. Les Jedi ne sont pas immunisés contre l’échec. S’ils n’apprenaient pas à composer avec et s’ils n’avaient pas assez de tripes pour revenir à la charge, ils n’existeraient plus. Et vous perdriez tout.
— Je dois y réfléchir…
— Ne vous contentez pas d’y réfléchir, maître, agissez ! Sinon, le désastre que vous craignez risque d’être définitif. Personne ne s’en relèvera.