CHAPITRE VIII
Avec Ooryl pour copilote, je jetai un coup d’œil aux indicateurs du tableau de bord de la navette de classe Lambda, puis piquai vers l’atmosphère de la lune appelée Yavin 4 – une jungle gigantesque.
Puis je souris au Gand.
— J’apprécie que vous me laissiez piloter…
— Je sais que vous n’en aurez plus beaucoup l’occasion.
Depuis notre conversation, il était repassé à la première personne du singulier. Un vrai soulagement pour moi.
— Whistler ne se réjouit pas de rester sur Coruscant, mais maître Skywalker veut éviter tout ce qui risque de nous déconcentrer. De toute façon, je serai trop occupé pour continuer à voler. Et mon droïde n’aura pas de quoi s’ennuyer avec tous les rapports sur les Scélérats à analyser…
— Je veillerai à ce que Whistler soit bien traité.
— Merci.
Les manettes frémirent sous mes doigts – une turbulence atmosphérique. Selon nos données, la lune-jungle gardait un taux d’humidité assez stable, sauf au crépuscule et à l’aube. Un net rafraîchissement pour le premier, une montée de la température pour la seconde…
Je maintins mes paramètres de vol au cours de la descente.
Luke Skywalker approcha et désigna quelque chose.
— Là-bas… Posez-vous de ce côté.
— À vos ordres ! (Je lui jetai un coup d’œil.) Vous désirez mettre un harnais de sécurité, monsieur ?
— Pour un vol de croisière ? (Il me tapota l’épaule.) Je le ferai si ça peut vous rassurer…
— Inutile de prendre des risques… (Je tirai la manette des gaz et basculai la puissance sur les répulseurs.) À mon signal, rétractation des ailes et sortie du train d’atterrissage.
Les doigts sur les touches appropriées, Ooryl se pencha vers moi.
— À vos ordres.
Je regardai l’altimètre baisser lentement, puis orientai le nez de la navette pour une meilleure approche. La jungle dense et touffue avait des allures de tapis moucheté. Plus loin, le Grand Temple, une structure pyramidale, évoquait une créature extraterrestre pétrifiée. Des années durant, j’avais vu des images de ce complexe – d’abord dans les holonews de l’Empire, puis dans tous les reportages sur la victoire de la Rébellion… Sur un hologramme, c’était déjà impressionnant. Mais ces vues n’avaient jamais rendu justice à la majesté de l’endroit.
— Exécution !
Ooryl rétracta nos ailes pendant que je poussai la manette des gaz à dix pour cent du nominal. En abordant la clairière, à l’est du temple, la navette faillit décapiter quelques arbres. Sur la base de la pyramide, je vis une ouverture assez grande pour laisser passer mon vaisseau, mais une aire d’atterrissage était ménagée un peu plus loin.
Vingt ingénieurs de la Nouvelle République avaient préparé le Grand Temple à jouer son nouveau rôle. Ooryl les ramènerait chez eux. Maître Skywalker, deux autres recrues et moi aurions Yavin 4 pour nous seuls. Plus tard, neuf autres candidats nous rejoindraient. Ainsi, la première promotion se monterait à douze aspirants.
Je posai la navette en douceur et fis un clin d’œil à mon coéquipier.
— Je n’ai pas perdu la main, hein, Ooryl ? Voler me manquera…
— Je suis le Trouveur. Je vous aiderai à recouvrer vos talents, Keiran. (Le Gand pivota sur son siège pour saluer Luke.) À condition que maître Skywalker n’élève aucune objection, naturellement.
Le Jedi lui fit un grand sourire.
— Vous pouvez entretenir ses vieux talents, moi je cultiverai les nouveaux.
— Ooryl en sera honoré.
— Bien. Je m’en voudrais de perdre ma licence de pilote !
Je poussai une manette pour déployer la rampe d’accès. Un air chaud et humide envahit aussitôt la cabine. Je me libérai de mon harnais de pilotage et me levai.
— Merci, Ooryl. On se reverra à votre prochaine visite.
— Ooryl sera fier d’avoir un Chevalier Jedi comme ami.
— Et comme ailier.
— Et comme ailier.
Le Gand se radossa à son siège pendant que je suivais Luke dans le compartiment passager. Légèrement plus grand que moi, Skywalker avait à peu près ma carrure. Les deux autres passagers nous battaient à plates coutures. Brakiss faisait quinze centimètres de plus que moi et Kam Solusar dix centimètres de mieux.
Brakiss avait la finesse de traits d’un aristocrate-né. Sans son regard hanté et la façon dont ses prunelles bleues semblaient se réfugier dans leurs orbites, je l’aurais volontiers pris pour un noble venu d’une lointaine planète pour relever un défi.
Kam Solusar ? Sa parfaite antithèse, en dépit de leur blondeur commune. Les cheveux coupés court, Kam avait des traits très accusés, le menton et les joues mangés par la barbe et des muscles d’athlète. Son visage marqué et la peau parcheminée de ses mains trahissaient toutes les épreuves qu’il avait dû traverser.
Qu’il détienne déjà un sabre laser confirmait son passé tumultueux. J’avais apporté l’arme de mon grand-père, mais je ne me sentais pas encore prêt à l’exhiber, même si maître Skywalker m’assurait que j’en avais tous les droits. Jusqu’à ce que je puisse me prévaloir d’une formation complète, ce serait pour moi un simple outil de travail.
À mon sens, un sabre laser méritait beaucoup plus d’honneurs que ça…
Nous récupérâmes nos sacs, déchargés par les ingénieurs, puis Luke nous conduisit à l’écart de la navette.
La rampe d’accès rétractée, je fis signe à Ooryl : le vaisseau reprit son envol et décrivit un grand cercle autour du temple avant de filer vers le ciel.
— Bienvenue sur Yavin 4 ! dit Luke. Ce sera votre nouveau foyer. Je désirais que vous soyez mes premiers étudiants, car vous avez une excellente notion du travail que nous accomplirons ici. Comme vous apprenez et progressez vite, je vous demanderai peut-être d’en faire plus que d’autres. Par exemple, de me remplacer auprès des autres étudiants et de les aider à progresser aussi.
Le père de Kam, Ranik Solusar, était un grand Maître Jedi. Kam a étudié avec lui et accédé au rang de Chevalier Jedi, puis il fut enrôlé par l’Empire, devenant un des guerriers du Côté Obscur de la Force. Mais il s’est libéré du mal.
— Maître Skywalker a su toucher en moi ce qui restait de bon. À présent, c’est lui que je sers.
Luke passa à l’autre homme.
— L’Empire a repéré chez Brakiss une sensibilité innée à la Force. On l’a formé pour servir d’espion. Des menaces sur sa famille garantissaient sa bonne conduite.
Il vient ici pour apprendre à utiliser ses dons au bénéfice des êtres vivants qui nous entourent.
Brakiss eut un pauvre sourire.
Luke en vint à moi.
— Le grand-père de Keiran Halcyon, un Jedi, est mort lors de la Guerre des Clones. Cette famille a une longue tradition Jedi, et notre ami est ici pour se réapproprier son héritage. Comme vous l’avez constaté, c’est également un pilote doué. Sa formation et sa discipline lui serviront certainement à mesure que nous progresserons ensemble.
Kam me tendit la main et je la lui serrai. Brakiss et moi échangeâmes un simple hochement de tête.
Maître Skywalker avança vers le Grand Temple.
— Cette structure compte cinq niveaux – six avec la plate-forme d’observation, au sommet. Le plus bas, au sous-sol, servait d’entrepôt et de local d’entretien aux combattants de la Rébellion. Le rez-de-chaussée abrite le QG des opérations aériennes et des logements. Les deux niveaux supérieurs servaient de centre de commande tactique. Nous en ferons nos quartiers. Mais ne vous attendez pas à des merveilles. Il s’agit plus de logements universitaires que d’autre chose. Le dernier niveau abrite la Grande Chambre, que j’ai laissée en l’état. À présent, il est temps de choisir vos quartiers, de vous installer à votre convenance et de vous reposer. Demain, nous continuerons à prendre nos marques.
Je levai une main.
— J’aurais quelques questions, si vous permettez.
— Certainement.
— Allons-nous utiliser l’Heure Galactique Standard ou travailler avec les fuseaux horaires de Yavin ? La rotation de cette lune est légèrement plus rapide que celle de Coruscant. Rester à l’échelle galactique nous désynchroniserait par rapport à la planète.
Ses prunelles bleues réfléchissant les lueurs orange du ciel, le Jedi hésita.
— Avec l’entraînement, votre notion du temps deviendra vite subjective. Je vous enseignerai des techniques de relaxation Jedi et vos cycles de sommeil seront modifiés. Avoir des horaires risque surtout de vous perturber…
— Mais si nous n’en avons pas, comment saurons-nous que nos tours de garde commencent ou se terminent ?
— Pourquoi voudrions-nous avoir des tours de garde ?
Si un type comme Thrawn revenait à la tête d’une flotte Impériale pour raser la planète, en être averti à temps serait une bonne chose. Mais tous les avertissements du monde ne nous donneraient pas les vaisseaux d’évacuation nécessaires pour fuir le danger…
Conclusion, à quoi bon jouer les sentinelles ?
Je me rabattis sur les motifs répertoriés par l’Académie de la CorSec.
— Monter la garde donne le sens des responsabilités et contribue à établir un climat de confiance, puisque nous veillons les uns sur les autres.
— Bien vu. Mais ici, j’entends que vous vous en remettiez exclusivement à la Force. À mesure que votre compréhension et vos dons s’affirmeront, vous constaterez qu’elle nous avertit toujours en cas de menace. Nous aurons amplement le temps de réagir.
Ce serait génial avec les Scélérats, qui évitent tous nos guets-apens ! (Un frisson glacé remonta soudain le long de mon échine.) Est-il possible que quelqu’un d’assez, puissant dans la Force puisse échapper à toute détection ?
— Je me le tiens pour dit, maître, fis-je en m’inclinant. L’entraînement physique commencera-t-il à l’aube ?
— À vous d’agir comme vous l’entendez, pour vous rendre le plus réceptif possible à la Force.
— Il n’y aura pas de programme organisé ?
Kam eut un petit rire rauque.
— Vous semblez déçu, Keiran.
— Pas vraiment. Juste perplexe.
— Vous trouverez l’entraînement assez exigeant à voire goût, assura Luke. Et même épuisant.
Je désignai le sabre laser de Kam.
— Nous aurons au moins une formation au maniement des armes ?
— Oui, pour le sabre laser.
— Ce n’est pas ce que je demandais…
— Expliquez-vous, dans ce cas.
— Comme nous le savons tous, le sabre laser est une arme redoutable. Comme mon père me l’a dit un jour, personne ne regrette d’avoir fait mouche avec un rayon paralysant. Mais un blaster réglé pour tuer, en revanche… L’entraînement pourrait nous éviter de recourir au sabre laser chaque fois qu’une méthode moins dangereuse suffirait. Ça nous donnerait plus de possibilités.
Le Jedi plissa le front.
— Vous parlez de techniques défensives ?
— Ces méthodes de combat s’emploient autant pour l’offensive que pour la défensive, comme un sabre laser. (Je haussai les épaules.) Une simple remarque…
— Cet entraînement nous donnerait les bases d’une bonne formation au sabre laser, dit Kam.
— Très bien, fit Luke. Kam et Keiran, à vous de mettre au point ce type d’entraînement. Nous en reparlerons dès que vous aurez un début de protocole. (Luke me dévisagea avec l’ombre d’un sourire.) Autre chose ?
— Non, maître.
— Si de nouvelles idées vous viennent, n’hésitez pas. (Il nous fit signe d’avancer vers le temple.) Allez prendre possession de vos quartiers et vous reposer.
Nous partîmes, le laissant seul, et couvrîmes la distance sans desserrer les lèvres. Domicilié sur Coruscant, j’avais vu des bâtiments beaucoup plus massifs et imposants que le Grand Temple, mais très peu possédaient sa vénérable patine. Que cet édifice, déjà multimillénaire avant l’avènement de l’Empire, ait pu contribuer à le renverser ne m’étonnait pas plus que ça. J’imaginais sans peine que le Temple, blessé dans sa dignité par le Centre Impérial, ait pu réellement travailler à sa destruction.
Et pourquoi pas… ?
L’Empire n’avait pas pulvérisé l’endroit qui servait de refuge aux Rebelles, et c’était également stupéfiant. Saurait-on jamais la vérité un jour ?
Les générateurs laissés par les ingénieurs illuminaient le hangar. Jonché de caisses d’équipements, l’endroit paraissait désert. Mais je captais des rémanences de la fuite des Rebelles, puis de cette victoire historique, la destruction de l’Étoile Noire… La peur, la panique, la conviction de ces combattants… Tout cela résonnait encore ici. Pour la première fois depuis ma longue collaboration avec l’Escadron Rogue, je compris ce que Luke, Wedge et Biggs avaient pu ressentir face à l’Étoile Noire. Leurs émotions éveillaient en moi d’étranges échos, ranimant des souvenirs de ma dernière mission sur la Lune Noire et de l’assaut final lancé contre les forces d’Isard réunies autour de Thyferra.
Pour la première fois, je voyais réellement les liens qui unissaient les Rogues d’aujourd’hui aux héros d’hier.
À quel instant fus-je séparé de mes compagnons ?
En tout cas, avant que Kam et Brakiss n’atteignent les niveaux supérieurs. Resté seul au rez-de-chaussée, je découvris une petite pièce creusée dans la muraille même du temple. Les ingénieurs y avaient laissé deux ou trois sacs de couchage et des armoires de campagne. Des couvertures et des draps étaient pliés dans un coin. Je lançai mon sac sur un des lits et souris. Cet endroit me paraissait familier. J’y étais bien. Pourquoi ? Je l’ignorais.
— Je pensais que je vous retrouverais ici…, dit Luke Skywalker en entrant.
— Je ne suis pas censé être là ?
— Une pièce parfaite pour vous, croyez-moi ! (D’un geste, il déplaça une des armoires de cinquante centimètres sur la gauche.) Regardez sur le troisième bloc de pierre à partir de la porte.
J’avançai dans la direction indiquée et m’accroupis.
Je grattai sans peine la moisissure, révélant une inscription que je lus en souriant.
— « L’Empire ou nous ! Pas de compromis ! Biggs Darklighter, Wedge Antilles, Jed Porkins. »
— À l’époque, ils s’étaient installés ici. Arrivé par la suite, j’étais à l’étage au-dessus. Nous nous retrouvions chez eux pour parler avant de repartir au combat… Nous étions trop excités pour dormir. Mais nous pensions nous en tirer tous vivants. Cette inscription était un pied de nez à la mort, un défi lancé au néant. S’ils ne survivaient pas, et si la Rébellion était écrasée, leurs noms subsisteraient quelque part…
— Mais votre victoire a assuré qu’on ne les oubliera jamais. Vos actes ont changé la vie de milliards de gens dans la galaxie.
— Nos actes actuels changeront la vie de milliards de gens.
Me redressant, je me tournai vers lui.
— J’aimerais m’excuser pour les questions que j’ai posées… Vous êtes un maître, et moi, je suis là pour apprendre. Je ne voulais pas vous manquer de respect.
— Vous ne m’avez pas offensé. Vos questions étaient pertinentes, mais sans rapport avec la Force. C’est normal, puisqu’elle vous est encore étrangère. Yoda, mon maître, me jugeait trop impatient : un étudiant impossible. À cet égard, vous êtes beaucoup mieux loti que moi. Par nature, vous avez tendance à la réflexion et au soupçon. Ça pourrait devenir un problème. Le doute élève des murs et prépare le terrain à la peur. Il compromet l’usage serein de la Force.
— Alors, au risque d’alimenter vos inquiétudes, j’aimerais vous poser une autre question.
— Je vous en prie.
— Vous avez dit que Kam et Brakiss avaient tous les deux fait l’expérience du Côté Obscur de la Force. Vous ne nous avez pas réunis pour les placer sous ma surveillance, n’est-ce pas ?
— Pas du tout ! Lors du retour de l’Empereur, j’ai aussi succombé au Côté Obscur. Pour diverses raisons, qui me parurent valables à l’époque… Beaucoup d’entre elles, quand j’y repense, me posent encore des problèmes. Mon expérience m’a apporté une compréhension du Côté Obscur vitale pour mieux le combattre. Ensuite, l’amour de ma sœur et de mes amis m’a permis de reprendre la bonne voie. Ce fut ma rédemption ! En tournant le dos au mal, Brakiss et Kam ont aussi commencé leur retour vers la lumière. Je veux les aider à s’en sortir tout à fait.
Oubliez vos soupçons. Ne pensez plus, sentez ! Votre mission n’est pas de surveiller ces repentis, mais d’apprendre à leur contact. (La voix de Luke se durcit.) À un moment de votre vie, le Côté Obscur vous tentera aussi ! Il vous séduira en vous offrant tout sur un plateau. Tirez parti des souffrances de vos compagnons, pour que leur force devienne la vôtre quand vous serez mis à l’épreuve.
— Je comprends.
— Bien. Dormez sur vos deux oreilles, Keiran Halcyon. Ce qui vous attend vous semble peut-être moins difficile que la destruction d’une Étoile Noire, mais croyez-moi, ce sera tout aussi important.