CHAPITRE XVII
Naturellement, mes meilleures performances n’étaient rien comparées à celles de Kyp Durron, qui confinaient à l’incroyable ! En une semaine, il nous avait rattrapés et dépassés, nous laissant des années-lumière en arrière. Maître Skywalker ne savait plus quoi faire de lui tellement il se montrait doué. Avec Kyp, tous les espoirs étaient permis. L’Ordre Jedi reviendrait sur le devant de la scène !
Je m’efforçais d’apprendre à mieux le connaître, mais il gardait ses distances. Vis-à-vis de moi en tout cas. Il se fit d’autres amis au sein de notre groupe. Dorsk 81, le clone à peau jaune de Khomm, avait été un des proches de Gantoris, et l’amitié de Kyp combla un vide en lui. S’aventurant volontiers dans la jungle environnante, telle une équipe d’explorateurs, ils passaient de plus en plus de temps ensemble.
Kyp avait grandi dans les mines d’épice de Kessel, où il était prisonnier. Le genre d’existence qui n’incite pas à la jovialité. Très renfermé, il ne tolérait pas qu’on fourre le nez dans ses affaires. Plus je multipliais les ouvertures, plus il se détournait de moi. Je finis par arrêter les frais avant de m’attirer son inimitié.
D’autant que je n’avais pas que ça à faire.
Le décès de Gantoris remontait à deux semaines et je ne tenais toujours pas un début de solution. À mon sens, un tueur fou se promenait en liberté sur Yavin 4. Mais à part notre groupe, la lune semblait déserte.
Nous avions un cadavre et aucune trace de l’assassin.
L’Holocron ne nous aida pas à résoudre le mystère. Néanmoins, il nous fournit un canevas historique.
Yavin 4 avait été le fief d’un Seigneur Noir de la Sith, le Jedi déchu Exar Kun. Attiré par le Côté Obscur, il avait combiné l’utilisation de la Force à la magie de la Sith. Sur Yavin 4, il avait asservi les Massassis, leur faisant construire les temples qui contribueraient à catalyser sa puissance. Lors de la Guerre de la Sith, les Jedi de l’Ancienne République triomphèrent de lui et écrasèrent la Sith.
Gantoris avait-il réussi à dénicher des artefacts siths, ou des textes, et à les étudier ? Penser qu’un des Jedi Noirs de l’Empereur avait réussi à s’infiltrer sur Yavin 4 me terrorisait. Postuler que Gantoris s’était attiré tout seul des ennuis était une théorie moins déplaisante.
Hélas pour ma paix de l’esprit, ce cadavre laissé comme un appât – et un défi – cadrait trop bien avec l’autre possibilité. Mon père m’avait conseillé de suivre mes instincts. Et il m’avait toujours recommandé de m’en remettre à la Force. Je commençai donc par l’hypothèse de travail suivante : une intelligence mystérieuse avait formé Gantoris avant de l’exécuter.
Le problème restait entier : si cette personne existait, Skywalker aurait dû la détecter. Sauf s’il s’agissait d’un droïde, qui aurait pu détenir assez de connaissances pour prendre Gantoris comme élève… Mais les droïdes ne pouvant pas manipuler la Force, les choses ne seraient pas allées très loin.
Donc, il s’agissait bien de quelqu’un d’assez puissant dans la Force pour échapper aux pouvoirs d’un Maître. L’« homme en noir » de Gantoris et l’entité du cauchemar de Luke correspondaient à ce profil. Du coup, placer Exar Kun en tête de la liste des suspects était tentant. Pour lui, rôtir Gantoris vif n’aurait posé aucun problème. L’ennui, c’est qu’il avait vécu quatre mille ans plus tôt… Après la mort d’Obi-Wan Kenobi, Luke l’avait revu et lui avait parlé. Mais aujourd’hui, dix ans étant passés, Kenobi avait définitivement disparu. Un Seigneur Noir de la Sith disposait peut-être de pouvoirs plus formidables. Mais quatre millénaires ?
En plus d’aider Tionne à faire des recherches sur les Jedi, j’apprenais toujours avec Kam à manier le sabre laser. Nous réussîmes à étendre ma sphère de responsabilité à seize mètres – un gros pâté de maisons. Si je me concentrais dans une direction donnée, j’allais jusqu’à cent cinquante mètres quand il s’agissait de détecter les rayons de blaster ou les présences ennemies. Au cours d’une expérience, j’implantai dans l’esprit de Dorsk 81 la vision d’un repas tout chaud. Et je l’incitai à revenir au temple alors qu’il était avec Kyp, à plus d’un demi-kilomètre de là…
Je tentai de jouer le même tour à Kyp, mais je ne le connaissais pas assez pour percer ses défenses. Une constatation qui confirma ma théorie sur qui je pouvais influencer ou non. Plus je fréquentais quelqu’un, plus il devenait réceptif à mes projections mentales. Avec les inconnus ou les personnes qui m’étaient hostiles, je courais à l’échec.
Après une journée particulièrement éreintante, je m’autorisai à goûter un peu de repos en compagnie de mes camarades. Nous avions passé des heures à écouter un des gardiens de l’Holocron parler des intrigues de couloirs de l’Ancienne République. Des machinations sûrement passionnantes quand on avait connu leurs protagonistes. Mais vu l’incapacité du gardien à donner de l’épaisseur à ses personnages, je perdis vite le fil du récit. Après, un de ses collègues nous raconta comment Yoda était devenu un Jedi. Une anecdote haute en couleur, celle-là, et qui me sauva la vie. Une minute de plus à écouter les tristes machinations de l’Ancienne République et j’aurais sombré dans un coma dépassé…
Après, je me lançai dans un jogging de dix kilomètres pour me prouver que j’étais toujours vivant.
Avide d’écouter la dernière ballade de Tionne, tout le monde s’était réuni dans une des grandes salles de séminaire, au premier étage. Comme elle m’avait promis que ce ne serait pas un chant à la gloire des Halcyon, j’étais favorablement disposé à son égard. À vrai dire, je serais venu même s’il avait encore été question des turpitudes de l’Ancienne République. Quand on tombait sous le charme de sa belle voix, plus rien ne comptait !
Tionne s’accompagnait avec un instrument très original : une double caisse de résonance montée sur une hampe et munie de cordes à pincer. On eût dit deux instruments de musique différents, tant elle s’y prenait avec adresse. D’ailleurs, on avait parfois l’impression d’entendre un orchestre. À l’instar de la petite dernière, la ballade de Nomi Sunrider, la plupart de ses compositions donnaient dans le lyrisme et la gravité. Mais parfois, elle s’autorisait des envolées plus joyeuses qui m’incitaient à fredonner.
La ballade de Nomi Sunrider avait pour cadre l’époque d’Exar Kun et de la guerre de la Sith. Ayant perdu son mari, Nomi avait voulu devenir un Jedi, puis elle avait joué un rôle prépondérant dans les hostilités. Chanter sa gloire dans le temple de Yavin 4 aurait pu être considéré comme un sacrilège. Mais après quatre mille ans, je doutais qu’il se trouvât encore un esprit chagrin pour s’en indigner.
J’avais tort.
Entre deux couplets, Kyp bondit sur ses pieds, l’air dégoûté.
— Je regrette que vous ayez choisi cette histoire ridicule ! Nomi Sunrider était une victime qui s’engagea dans cette guerre sans rien y comprendre. Elle suivait aveuglément les Maîtres Jedi qui redoutaient Exar Kun et ses découvertes sur la Force !
Blessée, Tionne posa son instrument. Puis elle s’étonna qu’il ne l’ait pas fait bénéficier plus tôt de ses lumières, s’il en savait tant. Luke lui demanda d’où il tenait ces informations. Mais au fond de moi, j’avais déjà la réponse : Exar Kun ! Avec Tionne, j’avais écouté Bodo Baas évoquer la Guerre de la Sith. Kyp était à l’évidence un partisan de Kun et, pour autant qu’on sache, l’Holocron ne présentait pas le point de vue des minorités…
Le regard furieux de Kyp m’arracha à ma rêverie.
— … Ils n’auraient pas tous été massacrés ! Les Jedi ne seraient jamais tombés et nous ne serions pas là à écouter des gens qui n’en savent pas plus que nous !
Luke reposa sa question. Non sans hésiter, le jeune homme marmonna quelques mots sur l’Holocron. Je regardai Tionne, qui fronça les sourcils. Entre les leçons que nous avions tous suivies avec le gardien, et les recherches qu’elle conduisait, il aurait fallu que Kyp soit insomniaque pour trouver le temps d’utiliser l’artefact…
Avant que je puisse le reprendre sur ce mensonge, R2-D2 roula dans la salle et bipa pour attirer l’attention de son maître. Je reconnus une partie du code pour le mot « arrivée » et étendis mes perceptions. Avant que Luke nous annonce que nous avions de la visite, je sentis une présence très puissante dans la Force…
Quand nous émergeâmes du Grand Temple, un Chasseur de Têtes Z-95 se posait déjà sur l’aire d’atterrissage.
La pilote apparut, moulée dans une combinaison de vol argentée. Elle enleva son casque et secoua sa belle chevelure aux reflets d’or roux. Même à la lumière crépusculaire, je fus frappé par le vert de ses yeux, plus clair et plus intense que le mien. Elle fit à Skywalker un sourire hésitant.
— Mara Jade…
Le malaise de Kyp s’accentuant soudain, l’esprit troublé, je n’entendis pas la réponse que fit la jeune femme. Iella m’avait parlé de Mara Jade. Formée à la Force par l’Empereur pour devenir son agent le plus fiable, son existence avait longtemps été tenue secrète. Seule une poignée d’impériaux était au courant. Sans le rôle qu’elle avait joué ensuite contre l’amiral Thrawn, elle ne serait jamais sortie de l’ombre. Nous connaissions seulement les grandes lignes de l’histoire, mais l’impression que j’en avais retirée était que Mara Jade semblait être une jeune femme redoutable et pétrie de talent. Et pas particulièrement bien disposée envers les Jedi.
Luke sourit en nous la présentant.
— Voici Mara Jade. Elle vient nous rejoindre pour suivre mon enseignement !
Tout le monde applaudit – même Kyp, pourtant morose. Luke, à qui ça n’échappa pas, me fit un signe.
— Keiran, voudriez-vous vous charger d’elle ? Une affaire urgente me réclame. Mara, si vous n’y voyez pas d’inconvénient…
La jeune femme hocha la tête, puis se tourna vers moi.
— Nous nous sommes déjà croisés ?
Je savais que ce n’était pas le cas. Pourtant, elle me semblait vaguement familière. Plutôt troublant.
— Je ne crois pas…
— Étrange… Je suis assez physionomiste d’ordinaire.
— Et je ne vous aurais pas oubliée non plus… (Je désignai le Grand Temple.) Nous avons pas mal de chambres libres. Celle de maître Skywalker est au deuxième, comme celles de certains étudiants. La plupart des visiteurs sont accueillis au premier.
Je sentis des filaments de Force jaillir d’elle pour sonder mon esprit.
— Mais vous ne logez pas là…
Levant un écran de Force, je la coupai de mes pensées.
— Non. Les anciens cantonnements des pilotes de chasse, au rez-de-chaussée, m’ont attiré.
Mara Jade eut un sourire – trop carnassier à mon goût.
— Alors je chercherai d’abord une chambre par là. Si ça ne vous ennuie pas.
— J’obéis aux ordres de mon maître.
— Oh, excellent ! Voilà qui est parlé en vrai courtisan Impérial obséquieux !
Je lui fis un sourire crispé pendant que nous entrions dans le Grand Temple.
— Ravi de vous mettre si vite à l’aise…
— L’Empire est mort !
— Mais pas toutes les loyautés dont il bénéficiait.
Mara fit halte au milieu de l’ancien hangar. Par mimétisme avec le décor, sa combinaison de vol avait viré à une couleur plus sombre.
— Vous affirmez qu’on ne s’est jamais vus, mais d’évidence, je vous pose un problème. Si nous réglions ça tout de suite ?
Son regard brûlant ramena un sourire sur mes lèvres.
J’allais relever le défi et l’accabler de rémunération de toutes les atrocités commises par l’Empire, de l’assassinat des Chevaliers Jedi au meurtre de Gantoris, quand je revins à la raison. J’étais dans un lieu historique, d’où l’Alliance avait lancé contre l’Empire une offensive désespérée… couronnée de succès ! J’avais pris part aux attaques suivantes contre les Impériaux, les mettant à genoux et les privant de leur planète mère : Coruscant. Bref, j’avais contribué à détruire la patrie de cette femme. Alors, pourquoi n’aurait-elle pas eu la nostalgie d’un certain passé, au même titre que moi ?
J’inspirai à fond puis expirai lentement…
— Je vous en prie, pardonnez ma grossièreté. Quand les choses ne tournent pas rond, rien de plus facile que de s’en prendre à l’Empire. Vous ne l’incarnez pas. Vous en accuser est aussi injuste que stupide. En général, sachez que je m’abstiens d’être idiot avec les gens que je viens de rencontrer…
Je lui tendis la main, me forçant à un aveu :
— Je suis Corran Horn.
Je lui révélais ma véritable identité en signe de confiance. Puisque Luke se fiait à elle, mon instinct me soufflait d’en faire autant.
Me serrant la main, Mara Jade m’étudia de nouveau.
— J’ai entendu parler de vous. Désolée de vous avoir sondé. Je savais que vous m’étiez familier, mais le nom « Keiran » ne me disait rien. J’ignorais pourquoi et ça m’intriguait. Ne détectant aucune dissimulation chez Luke – maître Skywalker –, je me suis demandé s’il avait conscience de votre double identité.
— C’est lui qui m’a suggéré la manœuvre… (Je souris.) À plus d’un titre, je crois qu’il pense à moi comme à Keiran Halcyon. Il s’agissait d’un de mes ancêtres, un célèbre Jedi du système corellien.
— Je vois.
Son sourire s’effaçant lentement, je la sentis se rapprocher de moi. Je ne sus pas pourquoi. En outre, j’avais le sentiment que j’aurais pu tenter de la sonder pendant des éons sans rien en retirer. Au fond, j’étais tenté de redevenir soupçonneux. Je chassai cette impulsion. N’avais-je pas décidé de lui accorder ma confiance ? Une décision stupide, peut-être… Mais ça me paraissait être la bonne attitude.
— Maître Skywalker estimait que cette identité d’emprunt éviterait de perturber ses étudiants.
— Et vous aviez d’autres motifs de ne pas vouloir attirer l’attention ?
— Pourquoi cette question ?
— Votre beau-père est Booster Terrik. Une raison suffisante pour se tenir dans l’ombre… Si je ne m’abuse, je n’ai plus entendu parler de Mirax depuis six bonnes semaines. Vous êtes arrivé ici il y a… hum… un mois ?
— Vous pensez que je suis venu me réfugier ici après avoir assassiné mon épouse ?
— Non. Je me demandais si, après le meurtre de votre épouse, vous n’étiez pas venu enquêter ici…
Bon sang, elle n’était pas loin de la vérité !
— Comment savez-vous qu’on n’a plus de nouvelles d’elle depuis si longtemps ?
Nous passâmes dans le couloir du fond, qui menait aux quartiers des anciens pilotes. Elle haussa les épaules.
— Mirax est très douée. Une contrebandière d’élite ! Elle sait dénicher des denrées exotiques et à les écouler. Talon Karrde parle encore du lanvarok sith qu’il tenait d’elle. Quand une personne comme Mirax disparaît plus d’une quinzaine de jours, soit elle est sur un coup fumant, soit elle est morte.
J’activai l’éclairage de la petite pièce où nous venions d’entrer.
— Cette chambre était celle d’une pilote rebelle, tombée avant la bataille de l’Étoile Noire.
Mara étudia les lieux puis acquiesça.
— Ça m’ira. Alors, qu’est-il arrivé à Mirax ?
— Elle vit toujours… Je ne sais rien d’autre. (Je m’adossai au chambranle de la porte.) Maître Skywalker et Wedge pensent qu’on l’a enlevée. Et on l’aurait placée en hibernation. Elle est quelque part…
— Vous cherchez à la retrouver.
— Et à la sauver.
Mara hocha la tête.
— La veinarde !
— Je l’espère ! Et si j’arrive trop tard, toute la chance de l’univers ne sauvera pas ses ravisseurs.