CHAPITRE XVI
En atterrissant, le vaisseau souleva des nuages de poussière et de cailloux. D’instinct, les apprentis levèrent les bras ou baissèrent la tête. J’utilisai le dégagement de chaleur pour dresser devant moi un écran de Force propre à me protéger, m’épargnant ainsi de recracher de la poussière et de me frotter les paupières.
Le transporteur atterrit dans les ornières de sécurité. Je n’en attendais pas moins du pilote. Quand la rampe d’accès fut abaissée, les étudiants se rangèrent derrière Skywalker. Kam les poussa tous vers la soute de déchargement – sauf moi, qui rejoignis Luke pour accueillir Wedge.
Une femme à la peau bleue le suivait. Le jeune homme qui descendit ensuite fit naître un sourire sur les lèvres de notre maître.
— Bienvenue, Kyp Durron !
Le garçon sec et nerveux rendit son sourire à Luke.
— Je suis prêt, maître Skywalker ! Apprenez-moi la voie des Jedi !
— Ce sera un plaisir… Keiran, si vous voulez bien vous occuper du général Antilles et de Qwi Xux…
— Bien sûr, maître. (Souriant à Wedge, je lui désignai le Grand Temple.) Depuis votre dernière livraison, nous nous sommes un peu mieux installés, vous verrez. Par ici, je vous prie…
Wedge acquiesça solennellement.
— On dirait que vous avez beaucoup progressé.
Qwi Xux lui emboîta le pas.
— Wedge, dit-elle, me préviendrez-vous quand vous retrouverez l’ami que vous souhaitiez tant revoir ?
Antilles jeta des regards à la ronde, s’assura que des oreilles indiscrètes n’écoutaient pas, puis sourit de plus belle.
— C’est fait, docteur Xux. Je vous présente Corran Horn.
La non-humaine à la peau bleue plissa le front.
— Maître Skywalker l’a appelé Keiran !
— Il utilise un pseudonyme pour diverses raisons. Corran, voilà Qwi Xux.
Je la saluai. Au ton chaleureux d’Antilles, je me demandai si je ne devrais pas plutôt tendre la main, mais j’y répugnai. Aussi brillante que belle, Xux avait été une chercheuse de pointe dans les installations impériales de la Gueule. Ce centre militaire avait produit les deux Étoiles Noires, les Dévastateurs de Mondes qui avaient ravagé Mon Calamari et de l’invincible Broyeur de Soleil.
Kyp Durron avait précipité le Broyeur dans les profondeurs de la géante gazeuse de Yavin. D’après le peu que nous avions appris ici, Xux, passionnée par la recherche pure, avait été trompée par les Impériaux. Peut-être la pure vérité. Mais comment des génies pareils pouvaient-ils s’aveugler ainsi sur les conséquences de leurs découvertes ?
— Bienvenue sur Yavin 4… (Je désignai le ciel.) La première Étoile Noire a été détruite ici, avant qu’elle ait pu ravager cette lune.
Une lueur fugitive passa dans le regard de Wedge… Qwi leva les yeux.
À mon avis, l’essentiel des débris a été absorbé par la géante gazeuse, mais certains ont dû s’écraser sur Yavin. En auriez-vous trouvé des vestiges ?
— On n’a pas vraiment cherché… Après l’abandon de Yavin 4 par la Rébellion, deux équipes d’exploration Impériale se sont succédé. Elles ont dû prélever des échantillons…
— Dommage.
— Eh, oui, dommage… (Je précédai nos visiteurs dans le Grand Temple et pris l’ascenseur, direction le premier étage.) Là, nous avons des salles de bains et des chambres où vous vous reposerez si vous le souhaitez. Je peux aussi vous apporter à manger.
Xux sourit.
— J’aimerais faire un petit somme, si ce n’est pas gênant.
Wedge hocha la tête.
— Je passerai vous voir dans une heure. Ça vous va ?
Elle acquiesça.
— Bien. Ravie d’avoir fait votre connaissance, Corr… Hum, Keiran.
— Bonne sieste, docteur Xux.
Je lui désignai sa chambre, puis guidai Antilles vers la sienne.
— Vous ne l’aimez pas, hein ? dit-il dès que nous fûmes entrés.
— Comment pourrais-je me forger une opinion à son sujet, je viens à peine de la rencontrer ! En tout cas, ses joujoux ont fait un sacré barouf… Vous qui avez contribué à en détruire deux, vous devez en savoir quelque chose. Un truc est sûr, je ne suis pas un grand fan de ses travaux.
— Elle ignorait réellement ce qu’on faisait de ses recherches.
— Vous en êtes certain ? Les codes secrets auraient dû éveiller ses soupçons. Au minimum, elle aurait pu se poser des questions. Par exemple, qu’arriverait-il si, par erreur, on utilisait ces engins contre des mondes habités ? Les détecteurs de signaux vitaux existent ! Qu’est-ce qui empêchait de placer un verrouillage de sécurité sur l’Étoile Noire, afin d’éviter une tragédie comme Alderaan ? (La colère me gagnant, je levai les mains.) Navré, je me suis emporté…
— Ne vous excusez pas. Depuis que je lui sers de garde du corps, je me suis posé les mêmes questions un million de fois. Quand je lui parle, je suis subjugué par son génie et sa nature innocente… L’antithèse même de l’Étoile Noire, des Dévastateurs de Mondes ou du Broyeur de Soleil ! Elle a pu croire qu’on utiliserait le Broyeur pour éliminer les étoiles bêta des systèmes binaires, histoire de les stabiliser, ou pour explorer des systèmes inhabités…
Je plissai le front.
— Oh, non… Elle vous plaît, c’est ça ?
— Quoi ?
— Vous êtes son garde du corps, selon vos propres termes, mais vous êtes en train d’en tomber amoureux !
— Si vous passiez du temps avec elle, comme moi, vous l’aimeriez aussi.
— Ne faites pas ça, Wedge ! Il n’est pas trop tard pour reculer !
— Et pourquoi pas ? Ne serait-ce pas une belle réconciliation entre les Rebelles et les Impériaux ?
— Wedge, je parle d’expérience. À la CorSec, il m’est arrivé de veiller à la sécurité de gens importants. J’ai même eu un jour votre sœur sous ma responsabilité. Elle était en visite sur Corellia. À l’époque, j’ignorais vos liens de parenté.
— Si vous vous apprêtez à me parler d’une liaison avec elle, je ne veux rien entendre.
— Il ne s’agissait pas d’elle, mais de la fille d’un capitaine d’industrie qui possédait la compagnie Tinta Lines. Quelqu’un voulait l’enlever. Naturellement, je cachais ma cliente et je ne m’amusais pas à gambader dans toute la galaxie en déclamant des vers !
— Les cibles mobiles sont pourtant les plus dures à avoir.
— Exact. Quoi qu’il en soit, nous étant découvert un intérêt commun pour les arts, Siolle Tinta et moi devînmes très amis. En un sens, c’était nous deux contre le monde entier. Iella ayant rapidement coincé le kidnappeur en puissance, Siolle et moi passâmes seulement trois jours ensemble. Mais si vous m’aviez demandé si nous nous aimions, j’aurais répondu mille fois oui.
— Et ?
— Et ce n’était pas si simple… Pour une chose en commun, nous en avions cent de divergentes. Quand on est à la CorSec, on ne peut pas se permettre un séjour balnéaire impromptu sur Selonia et encore moins aller inaugurer une exposition d’art au Musée Galactique du Centre Impérial ! Le gouffre qui nous séparait s’est révélé infranchissable. On s’est quittés bons amis, conscients que notre liaison avait été une supernova. Notre union aurait dégagé une chaleur et une lumière infernales. Mais tôt ou tard, ç’aurait été le trou noir pour nous deux.
— Je comprends… Mais vous me permettrez de suivre mon propre cap.
— Qui vous en empêcherait ?
— Je croyais que les Jedi influençaient sans peine les esprits faibles !
J’éclatai de rire avec lui.
— Ce Jedi-là sait à quoi s’en tenir avec Wedge Antilles ! Et pas question d’intervenir sans d’excellentes raisons. Vous êtes un grand garçon. Si ça marche, génial ! Sinon, souvenez-vous que vous avez des amis. Ma femme aurait deux mots à vous dire sur ce sujet !
— Oui, et Mirax peut être encore plus persuasive que vous. Au fait, aucune nouvelle de Yan ou de ses contacts à propos de Mirax. Désolé.
— Je ne m’attendais pas à grand-chose… Et Booster ?
— J’étais dur à joindre, mais non, pas de messages de sa part.
— Mieux vaut laisser les Hutts endormis ronfler en paix ! Si vous avez du nouveau, vous m’avertirez, n’est-ce pas ?
— Sans perdre une seconde. C’est le moins que je puisse faire pour un ami.
Voir repartir Wedge et Xux le soir même m’attrista. Le seul véritable défaut de l’Académie Jedi, à mes yeux, c’était d’être coupée de l’univers. Nous n’avions même plus de nouvelles. Sinon en passant, entre parenthèses… L’aventure de Yan Solo sur Kessel et le vol du Broyeur de Soleil nous avaient été résumés en quelques phrases. Kyp Durron nous ayant rejoints, nous étions un peu moins dans le noir. Mais le manque d’informations fraîches se faisait toujours cruellement sentir.
Surtout à propos des Scélérats.
La présence de Kyp redonna à maître Skywalker un allant sérieusement ébranlé par la fin de Gantoris. D’entrée de jeu, Kyp se révéla le plus doué de nous tous. Après un minimum d’entraînement, il nous laissa sur place tant ses progrès furent fulgurants. En équilibre sur une main, voire en faisant le poirier, il déplaçait les pierres et les souches d’arbres avec une déconcertante facilité. Avec mon incapacité notoire dans ce domaine, j’étais vraiment impressionné.
Tout aussi fasciné, maître Skywalker consacra beaucoup de temps à Kyp. Au fond, c’était compréhensible. Et logique. À mon sens, Luke se retrouvait chez ce jeune surdoué. Tous les deux venaient de mondes dangereux – Tatooine et Kessel.
Kyp avait fait ses premières armes sous l’aile de la Jedi déchue Vima-Da-Boda. Également doué comme pilote, il avait sauvé Yan Solo – une mention spéciale supplémentaire !
Enfin, ce garçon valait dix fois le pauvre Gantoris, effaçant ainsi le souvenir du premier échec de l’Académie.
Naturellement, personne ne le formulait en ces termes. Ni ne pensait ainsi à Gantoris. Il avait été inhumé au creux d’un paisible bosquet, Skywalker en personne marquant la sépulture d’une pierre grise. Le genre d’endroit paradisiaque que Gantoris aurait aimé, pour son peuple et lui. Nous aurions aussi apprécié d’y dormir de notre dernier sommeil – plus tard. Rien ne pressait !
En sourdine, cet échec continuait de nous hanter…
Luke confia l’instruction des autres apprentis à Kam Solusar, qui s’en sortit très bien. Kam était aussi juste que ferme, et tous progressaient équitablement sous sa houlette. Luke mit à profit les recherches de Tionne pour nous enseigner le sens de la communauté et de la cohésion.
Luke autorisa Kam à m’entraîner au sabre laser. J’utilisais celui de mon grand-père, merveilleusement équilibré. Conscient de la valeur de cette arme, j’avais l’impression de sentir sur le métal les doigts de mon aïeul, Nejaa Halcyon, sous les miens. Cette expérience dut abattre en moi la dernière muraille, me permettant enfin de jouer mon rôle au sein de l’Ordre Jedi. Si je captais l’essence de mon grand-père dans le sabre laser qu’il avait manié, je pouvais assumer les responsabilités que devenir un Jedi impliquait.
Nous commençâmes par l’entraînement à distance. Je connaissais les petites sphères flottantes qui tiraient des rayons laser à faible puissance. À l’Académie de la CorSec, elles jouaient un rôle capital dans l’entraînement au blaster. Un rayon réglé sur paralysie pouvant neutraliser une de ces sphères, les candidats les prenaient volontiers pour cibles. J’étais devenu très doué à ce petit jeu là.
— Aujourd’hui, Keiran, il ne s’agit pas de désactiver une sphère mais de s’en protéger. (Kam fit léviter au-dessus de sa paume une des petites boules.) Détournez les rayons avec votre sabre laser. Quand vous serez au point avec une sphère, nous en mettrons plusieurs en jeu. Ensuite, nous travaillerons à dévier les rayons vers des cibles.
— Entendu…
Kam lança la première boule et j’activai mon sabre laser. La lame d’argent inonda d’une lumière froide le « hangar » du Grand Temple. Nous préférions nous entraîner à l’intérieur, pour que les murs arrêtent les rayons détournés. Alors que je serais tout au plus blessé dans ma vanité s’il faisait mouche, un tir perdu pouvait assommer une woolamandre ou tuer un stintaril…
Flottant dans les airs, la première sphère crépita puis tira une décharge qui m’atteignit à la cuisse. Jurant comme un charretier, je sautai en arrière.
La sphère pressa son avantage. M’obligeant à chasser la douleur, je me concentrai.
Objet inanimé, la sphère n’avait pas de lien direct avec la Force. Mais elle existait dans l’univers régi par cette énergie. Je réussis à la déconnecter de mes sens pour la localiser dans la Force et repérer les perturbations qu’elle y provoquait. Grâce à ces minuscules mouvements, je pus traquer mon « ennemie ».
Je captai les microsecousses annonciatrices d’une nouvelle décharge. Commençant à repérer leur source, je me mis en garde. Dès que la sphère cracha son feu écarlate, je fis décrire à mon sabre laser un arc calculé pour bloquer le rayon qui visait mon estomac.
Une nanoseconde plus tard, j’aperçus un autre rayon… que je ne pus pas dévier. Il me toucha au pied gauche, m’arrachant un cri de douleur.
L’éclat de rire de Kam ne contribua en rien à me soulager.
Je reculai, mais un obstacle inattendu me repoussa vers la sphère. Qui repassa à l’attaque. Cette fois, grâce à la vivacité de mes réflexes, je réussis à dévier le rayon… qui alla frôler l’oreille gauche de mon instructeur.
Kam désactiva la machine infernale.
— Vous l’avez fait exprès ?
— J’adorerais le prétendre, mais je ne suis pas un petit génie comme Kyp.
— Ça, c’est certain… (Kam s’empara de la sphère.) Réfléchissez. Vous ignoriez où était le pilier que vous venez de heurter. Aviez-vous capté ma position ?
— Non… Mon rayon de perception devait couvrir dans les deux mètres, pas plus. Vous étiez au-delà. Comme le pilier.
— Dès que vous avez été touché, vous avez dû réduire ce périmètre. (Ouvrant un des panneaux de la sphère, il fit tourner un cadran miniature.) Je vais étendre son champ d’action à quatre mètres. Il faut repousser vos limites de détection et identifier tout ce qui se trouve dedans. Si vous n’avez pas conscience de votre position et de vos actes, vous allez vers de graves ennuis.
— Les pilotes parlent de « conscience instinctive ». Au combat, faute de savoir repérer ses alliés et ses ennemis, on finit par flamber dans l’atmosphère d’une planète.
— Précisément… Mon père parlait de « sphère de responsabilité ». Pour un Jedi, disait-il, la sphère de responsabilité était aux dimensions de la galaxie. Jusqu’à l’autre nuit, dans la grotte, je n’avais pas vraiment compris la portée de son message.
— Bien reçu ! Comme pilote, j’étais assez doué sur ce plan, mais utiliser la Force, c’est comme vouloir apprendre à voir quand on est aveugle de naissance.
— Difficile, certes, mais on peut y arriver… (Kam me tapa sur l’épaule.) Et il faut que les progrès de Kyp ne vous découragent pas !
— Me décourager ? Pas du tout ! Ça n’a aucune influence sur moi.
— Vraiment ? L’attention que lui accorde maître Skywalker ne vous perturbe pas ?
Je pris la peine d’y réfléchir. Puis j’eus un geste de dénégation.
— Mon esprit de compétition, c’est ça ? En temps ordinaire, vous auriez eu raison. Mais pour moi, Kyp n’est pas un rival. Et ce ne serait pas la première fois, ni la dernière, que je me retrouve bon deuxième… Ça me va. Je m’assure que le premier du peloton ne s’endormira pas sur ses lauriers, évidemment, mais, avant de chercher à faire de l’ombre aux autres, je m’efforce d’abord de donner le meilleur de moi-même.
— Voilà qui dénote beaucoup de maturité.
— C’est effrayant, hein ?
— Pas chez un Chevalier Jedi… (Il lâcha la sphère, qui se plaça à quatre mètres de nous.) Allez, Keiran Halcyon ! Donnez le meilleur de vous-même !