5
Jake s’arrêta devant un des tableaux. Elle aimait Blake, l’avait toujours aimé, et en avait deux reproductions sur le mur de sa salle de bains. Elle savait pourtant que Blake ne faisait pas l’unanimité, que certains le trouvaient trop mystique, surtout pour une salle de bains. Mais elle avait un faible pour toutes les formes de mysticisme, et c’était souvent dans les endroits les plus exigus qu’elle réfléchissait le mieux à ses enquêtes. Autant son mode de pensée était plus temporel que spirituel, autant l’œuvre de Blake lui permettait de sonder les aspects les plus sombres de la nature humaine, ce que, en tant que détective, elle trouvait des plus utiles.
Elle reporta son attention sur la grande tache de sang qui maculait le sol et que l’on mitraillait sous tous les angles, comme si elle avait eu une forme dotée d’une signification symbolique.
Bruce, le technicien de la scène de crime, vint s’accroupir à côté de Jake.
« Eh bien, sergent, demanda-t-elle, quelles sont vos conclusions ?
— Tout ce que je peux dire, c’est que ce n’est pas Jérusalem, madame.
— Je ne cesserai pas le combat de l’esprit, sergent Bruce, répliqua-t-elle. Et, dans ma main, mon épée ne reposera pas sans vie. J’apprécierais que vous me fassiez grâce, même sous une forme poétique, des évidences.
— Entendu, dit Bruce, ouvrant sans plus attendre son portable. Oliver John Mayhew, adresse : 137 Landor Road, SW9. Tué de six balles dans la tête, presque à bout portant, à environ 13 h 20. C’est le gardien qui a découvert le corps. Affirme qu’il n’a rien entendu.
— Mort ?
— Pas tout à fait. Il a été transporté à l’hôpital de Westminster, madame. Je l’ai fait accompagner par un agent, au cas où il aurait le temps d’un dernier monologue. On peut savoir pourquoi le Yard s’intéresse à l’affaire ?
— Je ne puis malheureusement rien vous dire, sergent », fit-elle avec une réticence qui lui déplut souverainement.
Jake avait horreur de ne pas pouvoir tout dire à un enquêteur, mais, dans la mesure où le ministère de l’Intérieur souhaitait garder le secret sur les liens qui pouvaient exister entre cette affaire et le programme Lombroso, elle n’avait guère le choix. Elle était tout aussi étonnée que lui de se retrouver là, en train de contempler cette tache de sang sur le sol de la Tate Gallery. Moins d’une demi-heure auparavant, elle était encore à l’Institut de recherches sur le cerveau, où le Yard l’avait fait appeler. Au moment même où, debout à côté du Paradigme Cinq, elle regardait Yat Chung essayer de retrouver celui qui avait piraté le système, la machine avait fait apparaître le nom d’Oliver John Mayhew, impliqué dans une enquête de crime violent, qui plus est comme victime, sur l’ordinateur de la police de Kidlington, et avait aussitôt alerté l’autre ordinateur quant au statut de NVM-négatif de Mayhew.
« Disons que je m’intéresse à un cas du même genre, dit-elle à Bruce. Des témoins parmi les amateurs d’art ?
— Je n’en ai pas l’impression, du moins jusqu’ici. Si c’est le cas, ceux qui ont vu quelque chose auront probablement pensé qu’il s’agissait d’une sorte de spectacle improvisé.
— En plein jour. Vous allez bientôt me dire que toutes ces foutues portes étaient fermées à clé. Je n’ai nullement envie de jouer à l’inspecteur Cuff, cet après-midi. Pas le moindre témoin ? Seigneur !
— À propos, le conservateur du musée est là-bas, madame, M. Spencer. Puisque c’est vous qui avez le grade le plus élevé ici, vous ne verrez peut-être pas d’inconvénient à aller lui parler. »
À sa manière, le sergent se vengeait ainsi de ce qu’elle ne lui avait rien dit. Jake eut un sourire désabusé. Elle en aurait fait autant à sa place. Jetant un coup d’œil par-dessus son épaule, elle aperçut à l’autre bout de la salle qui abritait les Blake un homme grand et distingué, vêtu d’un costume gris. Il attendait, les bras croisés, maîtrisant difficilement son impatience.
Jake se dirigea vers lui, se présenta et lui laissa entonner l’habituel couplet : il était proprement intolérable que personne, lui compris, n’eût été autorisé à quitter le musée. Jake fit signe à Bruce de la rejoindre.
« Est-ce que vous en avez terminé avec les vérifications d’identité, sergent ?
— Oui, madame.
— En ce cas, monsieur Spencer – elle se tourna vers le conservateur –, tout le monde peut s’en aller. Vous compris. » Mais Spencer n’en avait pas encore fini de ses récriminations à l’encontre de la police et de son arbitraire.
« Monsieur Spencer, lui dit Jake après l’avoir patiemment écouté pendant quelques minutes, quand on songe que cette salle abrite les œuvres de notre plus grand peintre, elle n’est vraiment pas terrible, vous ne trouvez pas ? Un peu étriquée pour un homme doué d’une pareille puissance visionnaire, non ?
— Vous n’avez pas à me dire comment je dois diriger mon musée, gronda Spencer, fronçant davantage encore les sourcils.
— Dans ce cas, vous n’avez pas à me dire comment je dois diriger mon enquête », répliqua Jake.
À cet instant, Spencer poussa un gémissement et pointa un doigt accusateur sur l’un des membres de l’équipe de Bruce qui découpait au cutter le morceau de moquette tachée de sang où avait été découvert le corps de Mayhew.
« Ah non ! Là, franchement, vous dépassez les bornes. Qu’est-ce que vous croyez ? Et ma moquette alors ?
— Rassurez-vous, monsieur. Nous vous la retournerons dès que nous aurons fini les examens. Qui sait, bien encadrée, elle ne ferait peut-être pas si mal sur un de vos murs ? »
La bouche de Spencer s’ouvrit puis se referma. Après s’être assurée que rien de plus ne sortirait de ses profondeurs méphitiques et rosées, Jake souhaita une bonne journée au conservateur et quitta les lieux.
La mutuelle de Mayhew lui avait permis d’être transporté dans une clinique privée rattachée à l’hôpital de Westminster. Celle-ci avait tout d’un hôtel de luxe : moquettes de haute laine, fauteuils en cuir, grandes peintures modernes et bonsaïs. Une petite fontaine accompagnait même de son glouglou la musique d’ambiance. Les odeurs de désinfectant et les uniformes blancs que l’on apercevait de temps à autre semblaient curieusement déplacés, comme si quelque accident était venu troubler cette atmosphère de tranquille opulence.
L’inspecteur Stanley attendait Jake dans le silence du couloir qui menait au bloc opératoire. Au moment où elle avait été chargée de l’enquête, Jake s’étant souvenue des circonstances de leur première rencontre s’était interrogée sur l’opportunité de l’adjoindre à son équipe : pouvait-on faire confiance à un inspecteur du département Homicide qui s’était contenté d’assister sans dire un mot à une réunion du département Gynocide ? Ed Crawshaw, qui connaissait Stanley depuis l’école de police, lui avait dit que c’était un bon flic, sérieux sinon astucieux. Jake avait été encline à prendre cette critique plutôt comme un bon point en faveur de Stanley. En matière d’imagination, elle préférait s’en remettre à elle-même quand il s’agissait de résoudre une affaire et travailler avec des gens qui se contentaient d’agir suivant ses instructions. Jake estimait que l’imagination chez la plupart de ses collègues du Yard allait souvent de pair avec la corruption.
Stanley était grand et solide, avec des cheveux longs. Mais son teint était crayeux. Il commença son rapport en se balançant d’un pied sur l’autre.
« Merde, mon vieux, qu’est-ce qui ne va pas ?
— Les hôpitaux, dit-il d’un ton maussade. Ils me font toujours le même effet. C’est l’odeur.
— Ne vous avisez pas de tomber dans les pommes ici. L’endroit est nettement au-dessus de vos moyens. » Jake fouilla dans son sac à la recherche d’un petit flacon de sels qui ne la quittait plus depuis l’époque où elle n’était encore qu’un flic de patrouille. « Respirez-moi ça un bon coup », lui dit-elle.
Les narines palpitantes, Stanley inspira à plusieurs reprises, puis eut un hochement de tête reconnaissant. « Merci, dit-il faiblement.
— Vous feriez mieux de le garder. Vous vous sentez capable de me mettre au courant maintenant ?
— Oui, ça va aller. Ils sont en train d’opérer Mayhew. Mais c’est sans grand espoir. Il a plus de trous dans la tête qu’une boule de bowling. Et il a perdu pas mal de sang. Mais il a repris connaissance quelques minutes dans l’ambulance qui l’amenait ici. »
Stanley fit signe d’approcher au policier armé qui se tenait à quelques pas. L’homme s’avança jusqu’à eux ; ses bottes couinaient comme deux petites souris sur le sol luxueusement caoutchouté.
« Voulez-vous répéter à l’inspecteur principal ce que vous a dit Mayhew dans l’ambulance ? »
Le policier repoussa sa mitraillette sur le côté ; déboutonna la poche de poitrine de son gilet pare-balles et sortit son ordinateur portable. « Il a dit : “Les salauds. Ils m’ont menti. Ils m’ont menti. J’aurais dû m’en douter, ils ne cherchaient qu’à me tuer. Ils ont menti. Le cerveau. Le cerveau.” Il était à peine audible, vous savez.
— Vous êtes certain de ce que vous avancez ? demanda Jake. Ce sont là très exactement les mots qu’il a prononcés ?
— Autant que j’aie pu en juger, madame. Il délirait plus ou moins. » Le policier remit son portable dans sa poche et sa mitraillette en travers de la poitrine.
« Et il n’a pas reparlé ?
— Quand nous sommes arrivés ici, il avait cessé de respirer, répondit le policier. Je crois qu’on a réussi à le réanimer. L’infirmière a promis de prêter l’oreille à tout ce qu’il pourrait dire.
— Merci, dit Jake. S’il dit quoi que ce soit, aussi banal que ça puisse vous paraître, je veux en être informée sur-le-champ. C’est compris ?
— Oui, madame. »
Jake et l’inspecteur Stanley étaient à mi-chemin du couloir qui conduisait à l’entrée principale quand ils entendirent un grand cri derrière eux. Ils se retournèrent pour voir le policier qui leur faisait signe de revenir. À côté de lui se tenait un homme en blouse verte.
« Désolé, dit le chirurgien, quand ils arrivèrent à sa hauteur. Mais votre homme n’a pas repris connaissance. »
Lester French, expert en balistique au service forensique du Yard, leva le nez de sa collection de microscopes et de caméras et déposa une balle dans la paume offerte de Jake.
« Voici la balle qui a tué Mayhew, dit-il. Celle-ci et cinq de ses pareilles. Tout ce que je peux vous dire, c’est que votre meurtrier est loin d’être un idiot. Cette petite merveille est dotée d’une sacrée puissance.
— Et c’est avec les mêmes balles qu’ont été tués tous les autres ? »
French acquiesça vigoureusement.
« Et qu’est-ce qu’elles ont de particulier ?
— Les cartouches sont en elles-mêmes des chefs-d’œuvre de précision technique, dit-il, admiratif. Une douille en laiton usinée avec un réservoir intégré d’air à haute pression. Un système de valve simple et efficace. » Il prit sur la table du laboratoire un petit cylindre de gaz. « Vous remplissez les cartouches avec ça.
— Vous n’allez quand même pas me faire croire que le meurtrier fabrique ses propres munitions ? dit Jake, hésitante et perplexe devant l’enthousiasme de l’expert pour sa spécialité.
— Non, non. Comme je viens de vous le dire, il s’agit d’une technique de haute précision. Ce type de douille est fabriqué par un armurier de Birmingham. Quant aux cartouches, on les trouve chez n’importe quel détaillant. Mais, au bout, on peut mettre n’importe quel type de balle. C’est à ce stade que votre homme a fabriqué les siennes. Et il s’y connaît, croyez-moi. Balle à pointe creuse, de type conoïdal et aérodynamique.
— Mais c’est un pistolet à gaz, dit Jake, cherchant à comprendre. C’est comme un pistolet à air, non ?
— Pour ce qui est de tirer, oui. Quant à ce qui sort du canon, c’est autre chose. » Il prit le morceau de métal déformé dans la paume de Jake et le plaça dans la lumière. « Ce que je veux dire, c’est qu’une balle à air ordinaire ressemble à peu près autant à ça qu’un foutu petit pois. Quand vous atteignez votre cible avec ça, elle ne risque plus de bouger.
— À quoi ressemble le pistolet ? » dit Stanley.
French les emmena à l’arrière du laboratoire jusqu’à un petit stand de tir. Sur une table à tréteaux, il y avait une arme qui rappelait un pistolet de calibre 44 à canon long. Il s’en saisit et le passa à Jake. « À peu près à ça, dit-il.
— Mais on dirait un pistolet ordinaire, fit-elle.
— Il fait tout ce qu’un pistolet ordinaire est censé faire, dit-il en plissant les lèvres. Essayez-le, il est chargé », ajouta-t-il en lui désignant une des cibles.
Jake l’arma. Il semblait plus léger qu’un pistolet classique.
« Très bien, dit French. Quand vous aurez ôté le cran de sûreté, vous pourrez faire feu. »
Elle amena le canon à la hauteur de la cible, visa puis appuya sur la détente. C’est à peine si elle sentit l’arme vibrer, et celle-ci ne fit pas plus de bruit que quelqu’un tapant sur un bureau du plat de la main.
« Tout en douceur, hein ? »
Il les emmena jusqu’à la cible.
« Ce contreplaqué a deux centimètres d’épaisseur, ce qui vous donne une petite idée de ce qu’un pistolet à gaz de bonne taille peut faire comme dégâts chez un homme. »
La balle de Jake avait atteint la silhouette en plein dans l’aine.
« Joli coup, dit French tout en sortant un stylo de sa poche et en l’enfonçant dans le trou. Traversé de part en part. Impressionnant, non ?
— Plutôt ! murmura Stanley.
— Si on le trouve trop bruyant tel quel, on peut même y adapter un silencieux. Plus étonnant encore, aucun port d’arme n’est exigé. Il suffit d’avoir dix-sept ans pour pouvoir entrer dans n’importe quel magasin et s’en procurer un. Personne ne vous demande rien.
— Mais comment est-ce possible ? demanda Jake, interloquée.
— Dans la mesure où la législation ne s’est intéressée qu’aux armes à feu traditionnelles, répondit French en haussant les épaules, personne n’a remarqué que les pistolets à air devenaient de plus en plus sophistiqués. Ceci dit, il vous faudrait cracher plus de cinq cents dollars pour une pièce comme celle que vous avez entre les mains, inspecteur principal. Et le double pour un fusil.
— Vous voulez dire qu’il existe également des fusils de ce type ? demanda Stanley.
— Bien entendu. Certains sont même équipés d’un viseur laser, si vous avez envie d’aller braconner un peu la nuit. Avec des balles explosives, un fusil à gaz serait l’arme rêvée pour votre nouveau Lee Harvey Oswald.
— Je suppose que les fusils sont encore plus puissants ? fit observer Jake.
— Avec les munitions adéquates, un bon fusil à gaz peut vous descendre un cerf de belle taille. Il va de soi que la vente de certaines de ces armes est réglementée, ajouta French avec un sourire féroce. Espérons que votre homme n’a pas mis la main sur l’une d’entre elles. Impossible de prévoir ce qu’il serait capable d’en faire. Pour autant, on ne peut pas dire qu’il soit resté spécialement inactif jusqu’ici, hein ? Abattre un homme à la Tate Gallery, en plein jour : les journaux vont pouvoir s’en donner à cœur joie. »
Un peu plus tard dans l’après-midi, Jake se retrouva chez sa psychothérapeute, le docteur Blackwell, qu’elle voyait maintenant depuis bientôt un an. La clinique était une élégante maison particulière de trois étages, située à Chelsea, à proximité de King’s Road.
Blackwell appartenait à l’école néo-existentielle de psychothérapie, laquelle refusait les aspects les plus mécanistes de l’analyse freudienne classique et encourageait le patient à se prendre en charge. L’élément clé de la relation entre le thérapeute existentiel et son patient était la rencontre au cours de laquelle ce dernier discutait de ses problèmes avec le thérapeute qui essayait de l’aiguiller vers des solutions authentiques et valorisantes que seul l’exercice du libre arbitre permettait de découvrir. À en croire le docteur Blackwell, l’enseignement tiré de ces entretiens se voyait concrétisé dans la manière dont le patient s’appréhendait et appréhendait l’autre.
La réceptionniste se leva avec un sourire à l’adresse de Jake quand celle-ci pénétra dans la clinique.
« Entrez directement, dit-elle en la précédant dans une cabine, dès que vous vous serez déshabillée. »
À l’instar d’autres thérapeutes néo-existentiels, le docteur Blackwell exigeait de ses patients une complète nudité pendant l’entretien, afin d’encourager de leur part une plus grande ouverture individuelle. Jake pénétra dans la cabine et tira le rideau derrière elle. Elle ôta sa veste qu’elle posa un instant sur la chaise, puis baissa la fermeture Éclair de sa jupe qu’elle suspendit à un cintre sur lequel elle mit ensuite sa veste. Tandis qu’elle déboutonnait son corsage, elle entendit le bruissement caractéristique de la robe du docteur de l’autre côté du rideau.
« Je vous attends, dès que vous serez prête, Jake. »
Le docteur Blackwell avait une petite voix posée, presque onctueuse, qui n’était pas sans rappeler celle de la mère supérieure de quelque couvent paisible et très pieux, et qui, pour Jake, évoquait la directrice de l’école religieuse qu’elle avait fréquentée dans son enfance. C’était peut-être là une des raisons pour lesquelles elle avait porté son choix sur le docteur Blackwell : simplement parce que celle-ci ressemblait à cette directrice qui avait su se montrer douce et compréhensive avec elle, à une époque où, à cause de son père, elle en avait le plus besoin.
« J’arrive », dit Jake, enlevant prestement sa culotte et dégrafant son soutien-gorge. Il y avait une grande glace dans la cabine, et Jake examina sa nudité d’un œil critique. Mis à part ses seins, qui étaient trop gros, elle n’avait pas beaucoup changé depuis qu’elle avait quitté Cambridge. Pas si mal, pour une femme de trente-sept ans. Leurs grossesses répétées faisaient que bon nombre de ses amies ressemblaient aujourd’hui davantage à ce qu’aurait été sa mère. Aucun doute là-dessus, rien de tel que d’avoir des enfants pour vous vieillir.
Le peignoir rouge qui était suspendu au portemanteau avait une allure plutôt masculine ; Jake l’enfila, serra la cordelière et tira le rideau.
Vaste et aérée, la pièce était recouverte d’une moquette de haute laine bleue particulièrement agréable quand on marchait pieds nus. Le docteur Blackwell était assise à un grand bureau recouvert de cuir gris ; sur le mur en face était accrochée une reproduction d’un tableau de Francis Bacon. Derrière elle, à hauteur d’épaule, se trouvaient deux fenêtres grandes comme des cabines téléphoniques. Quand Jake entra, le docteur relisait ses notes ; elle leva les yeux et lui sourit gentiment.
« Comment vous sentez-vous ?
— Bien, dit Jake. À dire vrai, toujours à peu près pareil. Sans grand changement. »
Le docteur Blackwell hocha la tête. C’était une femme assez corpulente d’une cinquantaine d’années, avec de fortes mains de paysanne et un visage de poupée assez incongru. Elle avait des cheveux coupés au carré à hauteur de mâchoire et portait une robe courte en tissu bouclé qui découvrait des bras bronzés et ne faisait pas très professionnel.
« Avez-vous assez chaud ? »
Jake répondit affirmativement.
« Eh bien, fermez les yeux et essayez de vous détendre. Très bien. Inspirez, expirez. Quand je vous le dirai, je veux que vous enleviez votre peignoir et qu’en même temps vous ayez l’impression de rejeter toutes vos inhibitions. Ce n’est pas seulement votre corps que vous mettez à nu, mais tout ce qui est enfoui au plus profond de vous. » Elle s’interrompit une seconde, puis ajouta : « Allez-y. »
Jake rejeta le peignoir sur la moquette et se tint au garde-à-vous sans un mot. Elle ne ressentait aucune honte ni même aucune gêne, simplement une impression de totale libération. « Ouvrez les yeux, dit le docteur Blackwell avec entrain, et étendez-vous. »
Au milieu de la pièce, il y avait un divan de cuir noir, avec une chaise à côté. Jake s’étendit et fixa du regard les infrarouges dernier cri qui contribuaient à chauffer la pièce. Puis elle entendit la chaise craquer sous le poids du docteur Blackwell.
« Toujours des cauchemars ? demanda celle-ci.
— Non, pas récemment.
— Vous sortez avec quelqu’un, en ce moment ?
— Vous voulez dire, est-ce que je couche avec quelqu’un, c’est bien cela ?
— Si vous voulez.
— Non. Avec personne.
— Depuis combien de temps n’avez-vous pas fait l’amour ?
— Je ne me souviens pas de l’avoir jamais fait », fit Jake après un silence.
Elle entendit le docteur Blackwell noter quelque chose sur son bloc.
« Et votre hostilité à l’égard des hommes est toujours aussi intense ?
— Oui.
— Parlez-moi de votre expérience la plus récente.
— C’était avec un homme, à Francfort, dans un hôtel. Il a essayé de me racoler et j’ai été grossière avec lui. Plus tard, quand je l’ai revu dans l’ascenseur, il m’a agressée.
— De quelle manière ?
— Il m’a touché les seins.
— Croyez-vous qu’il cherchait à vous violer ?
— Non, je ne pense pas. Il avait un peu trop bu, c’est tout.
— Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?
— À votre avis ? dit Jake avec un sourire gêné. Je l’ai flanqué par terre.
— Et qu’est-ce que vous avez ressenti après ?
— Au début, j’étais plutôt contente de moi. Plus tard, j’ai regretté ce que j’avais fait. Du moins, j’ai regretté de l’avoir frappé aussi fort. Je vous l’ai dit, je n’étais pas vraiment en danger. Je ne sais pas ce qui m’a prise.
— Au fond, nous sommes ce que nous choisissons de faire.
— C’est bien pour cette raison que je viens ici, dit Jake. Pour me sentir mieux dans ma peau quand je me retrouve confrontée à un choix.
— Dans ce cas précis, je ne suis pas sûre de pouvoir vous aider à vous sentir mieux dans votre peau, dit le docteur Blackwell. Mais dites-moi, en règle générale, que ressentez-vous quand vous découvrez que certains des choix que vous avez faits ne sont pas les bons ? Comme quand vous avez frappé cet homme.
— J’ai l’impression que ma vie n’a pas véritablement de sens, dit Jake avec un soupir.
— Et votre père, quels sont vos sentiments à son égard en ce moment ?
— Je crois que je le hais encore plus maintenant qu’il est mort.
— Il n’empêche que votre père n’était qu’un homme parmi d’autres… il n’était pas tous les hommes.
— Un père est bel et bien tous les hommes à la fois pour son enfant.
— Si votre père n’avait pas été le monstre que vous m’avez décrit, Jake… »
Jake bougonna tout haut.
… Elle songeait parfois qu’il aurait été plus facile de dire au docteur Blackwell que son père lui avait fait subir des violences sexuelles, ne serait-ce que parce que la réalité de l’expérience qu’elle avait vécue était bien plus difficile à mettre en mots. L’inceste entre un père et une fille et les effets traumatisants qui en résultent pour l’enfant représentaient quelque chose de bien plus tangible, de bien plus simple à comprendre que ce que Jake avait connu. Dire que, pendant toute son adolescence, Jake avait subi des violences verbales, s’était constamment fait insulter par son père, que celui-ci n’avait jamais manqué une occasion de la rabaisser devant les autres, qu’il n’avait jamais témoigné de la moindre affection à son égard, c’était encore trop peu dire.
Tout cela, elle aurait peut-être pu le lui pardonner. Ce qu’elle n’avait jamais pu lui pardonner, c’était la haine qu’il vouait à sa mère.
La mère de Jake avait été de ces femmes timides et prêtes à tous les sacrifices, apparemment capable d’ignorer ou d’excuser la conduite abjecte de son mari dans ses multiples manifestations : ses sarcasmes lapidaires, ses colères ou ses humeurs, ses nombreuses infidélités, ses mensonges et sa violence. Elle n’avait jamais eu le courage de le quitter. La vie était peut-être insupportable avec lui, avait-elle un jour confié à Jake, mais sans lui, elle eût été impensable. Jusqu’au jour où d’insupportable, cette vie était devenue intolérable, et où elle s’était suicidée.
L’adolescente de dix-sept ans qu’était alors Jake l’avait découverte sur le sol du cabanon de jardin, un couteau de cuisine planté dans la poitrine. Naturellement, elle en avait conclu que sa mère avait été assassinée par son père, et c’était peut-être bien l’impression que celle-ci avait voulu donner. Mais les enquêteurs avaient découvert que l’ouverture de l’étau fixé sur l’établi de son père correspondait à la largeur du manche du couteau. Ils en avaient déduit qu’elle avait fixé le couteau dans l’étau et s’était ensuite, à l’instar d’un général romain, délibérément empalée sur celui-ci. Jake était restée longtemps persuadée que les policiers s’étaient trompés et que c’était bel et bien son père qui avait tué sa mère. Elle ne s’était résolue à accepter leurs conclusions que du jour où elle-même s’était engagée dans la police.
La découverte du corps de sa mère lui avait laissé une horreur insupportable du suicide, sans parler d’une haine tout entière centrée sur son père. Quand ce dernier était mort, trois ans plus tard, d’une tumeur au cerveau, ce qui pouvait expliquer, sinon justifier, sa conduite inqualifiable, la haine que ressentait Jake pour celui qui avait été l’homme le plus important de sa vie avait pris un caractère beaucoup plus général…
« … Pensez-vous que vous auriez pu ne pas reporter cette haine du père sur les autres hommes ?
— Oui, dit Jake au bout d’un moment. C’est possible.
— Et, en théorie, pensez-vous que vous auriez pu avoir une relation satisfaisante avec un homme ?
— Voilà une question qui n’est pas facile. Si vous faisiez le genre de travail que je fais et si vous voyiez ce dont les hommes, et eux seuls, sont capables… Seigneur ! »
Elle pensait au cadavre de Mary Woolnoth, couvert d’insultes tracées au rouge à lèvres.
« En théorie, oui, je pense que c’est possible. Mais, écoutez, je ne viens pas ici pour parler de mes problèmes sexuels.
— Oui, je sais, si vous venez, c’est parce que vous pensez que votre vie n’a pas véritablement de sens.
— Exact.
— Il n’en reste pas moins que c’est votre insécurité ontologique qui fait que votre vie vous semble dénuée de sens, Jake. Votre moi est divisé, et cette division se manifeste par des réactions pathologiques d’hostilité à l’égard des hommes. Vous êtes intelligente, et c’est le genre de choses que je n’ai même pas besoin de vous expliquer. »
Jake se redressa et mit ses mains sur sa poitrine. Elle poussa un profond soupir et fit basculer ses jambes sur le côté. Le docteur Blackwell se leva et retourna à son bureau où elle s’assit pour ajouter une note au dossier de Jake.
« Vous savez que nous avons beaucoup progressé aujourd’hui, dit-elle d’un ton égal. C’est la première fois que vous reconnaissez que, sans votre père, les choses auraient pu être différentes. »
Jake descendit du divan, ramassa le peignoir qu’elle avait laissé tomber sur la moquette et l’enfila.
« Et après ? Qu’est-ce que ça prouve ? dit-elle.
— Je ne sais pas si cela prouve quoi que ce soit. La thérapie néo-existentielle n’attache pas d’importance particulière aux preuves. Mais il s’agit de toute évidence de quelque chose de fondamental dans votre vie.
— Ça va de soi. Bon sang, je suis flic…
— Nous sommes bien d’accord là-dessus. Ce que je mets en doute, c’est la validité d’un tel élément comme seul critère de détermination de votre vie privée, et pas seulement publique. La violence et l’hostilité ne sont rien d’autre que des moyens de renforcer ce que vous essayez de vous prouver à vous-même. Et ce que vous essayez de refouler. À partir du moment où vous aurez accepté l’authenticité des choix que vous faites, les preuves vous sembleront secondaires. Mais avant que les choses s’arrangent, je crois qu’il va vous falloir découvrir au moins un homme que vous puissiez admirer sans réserve, comme vous avez admiré votre père autrefois. C’est alors seulement que vous commencerez peut-être à vous sentir de nouveau en accord avec vous-même.
— Peut-être, dit Jake, hochant la tête de mauvaise grâce.
— Le problème du choix, tout est là », dit le docteur Blackwell avec un sourire.
Jake vivait seule dans le quartier de Battersea, non loin de l’Académie royale de danse. Elle se souvenait encore du temps où elle avait voulu devenir ballerine, et où son père lui avait dit qu’elle était trop grande. Pour une fois, il avait eu raison.
Son appartement était situé au dernier étage d’un immeuble récent qui imitait l’ancien, et depuis la petite terrasse en ciment encombrée d’une profusion incongrue de plantes vertes, elle avait une jolie vue sur le fleuve. Jake adorait cet appartement avec son jardin ; malheureusement, il se trouvait tout près de l’héliport de Westland : c’était là son seul défaut. Telles des mouettes géantes, les corps blancs des hélicoptères avaient une fâcheuse tendance à tourner au-dessus de sa terrasse, surtout quand elle se faisait bronzer.
Pendant un temps, qui n’avait pas duré, Jake avait essayé de prendre une locataire, une certaine Merion, dont la mère avait été une amie de la sienne. Au début, elles s’étaient assez bien entendues. Jake n’avait même pas protesté quand Merion avait commencé à ramener à la maison un garçon très poilu, un certain Jono, et qu’ils avaient fait l’amour à grand bruit dans la baignoire. Elle n’avait pas protesté non plus quand elle avait constaté qu’ils ne se préoccupaient guère de la nettoyer après leur passage. Mais le jour où, dans un état de sobriété d’autant plus impardonnable qu’il était total, Jono avait essayé de faire du plat à Jake et que celle-ci avait réagi en l’envoyant au tapis, Merion s’était offusquée des manières trop directes de son amie et était partie peu après.
Jake avait alors connu une période de promiscuité effrénée – cherchant par là autant à célébrer son intimité retrouvée qu’à satisfaire un quelconque appétit – comparable à celle qu’elle avait vécue, avec autant de frénésie et d’insatisfaction, quand elle avait vingt ans. S’était ensuivie une relation aussi brève qu’orageuse avec un acteur qui vivait à Muswell Hill et professait une hostilité, très en vogue à l’époque, contre le sud de Londres et la police, Jake n’étant qu’une exception ponctuelle dans les deux cas.
Deux années s’étaient écoulées depuis, au cours desquelles elle avait vécu dans un célibat plus ou moins total. Plutôt plus après qu’un suspect auquel elle faisait subir un interrogatoire lui eut décoché un coup de pied dans le bas-ventre, qui l’avait obligée à prendre quatre semaines de congé ; mais plutôt moins depuis la soirée du 31 décembre de l’année précédente où elle avait rencontré un homme tout aussi brutal qui travaillait à la BBC.
Quand elle arriva chez elle, Jake arrosa ses plantes puis se prépara un repas au micro-ondes. Elle alluma ensuite la télévision et s’empara du journal du soir.
French avait raison. La fusillade était déjà à la une de l’Evening Standard. Sans toutefois faire allusion au programme Lombroso, le journaliste annonçait que la police travaillait sur une nouvelle hypothèse : l’agression dont Mayhew avait été victime était peut-être liée à toute une série de meurtres récents non élucidés.
Jake prit un intérêt d’autant plus vif à l’article qu’elle le savait porteur d’une information essentielle erronée. Sur sa demande, l’Office de presse de New Scotland Yard avait dissimulé la mort de Mayhew. Au lieu de quoi, on avait persuadé les journaux qu’un policier montait la garde nuit et jour au chevet de Mayhew dans l’espoir qu’il reprendrait conscience et pourrait fournir une description détaillée de son agresseur. Jake comptait vaguement voir ainsi le meurtrier tenter d’achever sa victime. Elle n’ignorait pas que son plan ne valait pas grand-chose, mais elle ne risquait rien d’essayer. Si l’assassin se montrait à l’hôpital de Westminster, il se trouverait nez à nez avec la Brigade spéciale d’intervention.
Éventualité peu probable. Ça n’arrivait jamais qu’au cinéma. C’était bien pour cette raison qu’au lieu d’aller à l’hôpital elle avait préféré rentrer chez elle prendre un bon bain et passer une longue soirée au lit. Le livre du professeur Gleitmann était sur sa table de chevet ; elle ne pouvait rêver meilleur somnifère. Pourtant elle alluma d’abord le Nicamvision pour voir si l’on parlait de Mayhew.
Le journal d’informations n’y fit aucune allusion. Après tout, ce n’était qu’une banale fusillade, rien comparé aux histoires de guerre, de famine et autres désastres qui constituaient l’essentiel des nouvelles. Suivit une émission consacrée à un débat contradictoire sur le coma punitif. Elle tombait juste à point puisqu’un terroriste de l’IRA, Declan Fingal, condamné au coma irréversible, devait être exécuté le lendemain soir à la prison de Wandsworth.
Tony Bedford, membre du Parlement et porte-parole de l’opposition sur la répression du crime, s’était joint aux manifestants qui, à l’extérieur de la prison, protestaient contre la sentence, et faisait part aux journalistes de sa répugnance à voir perpétrer un tel acte au nom de la loi. Il était aussi verbeux qu’à son habitude, et, bien que Jake fût en règle générale plutôt d’accord dans l’ensemble avec ce qu’il avait à dire sur le sujet, elle eut l’impression que si Bedford avait été ministre de l’Intérieur il se serait contenté de renvoyer Fingal en Irlande avec un bon sermon.
Suivait un entretien, dans les studios, avec Grace Miles. Apparemment plus détendue qu’elle ne l’était à Francfort, Mme Miles portait une robe noire agrémentée de cabochons gros comme des broches de Vikings et dotée d’un décolleté profond censé mettre en valeur sa généreuse poitrine. Elle était plus séduisante à elle seule que tout un banc de sirènes. La caméra prit la ministre en contre-plongée, et Mme Miles, qui semblait attendre cet instant, croisa les jambes juste un peu plus qu’il ne fallait pour révéler une cuisse et, à la grande surprise de Jake, le haut d’un bas. Voilà qui ferait les délices des journaux à sensation, se surprit-elle à penser. Mme Miles était la seule femme du gouvernement à pouvoir jouer de son sex-appeal – et ne s’en privait pas.
Si Jake ne songeait pas à mettre en doute les appas de Mme Miles, elle était plus sceptique quant à l’intérêt de ce que celle-ci avait à dire sur le chapitre de la répression. Sa voix impérieuse et insistante ne facilitait en rien l’écoute. Jake n’aimait pas à se rappeler qu’elle avait autrefois voté pour cette femme et pour la politique répressive intransigeante qui était la sienne. Mais elle se dit à la réflexion qu’il n’était pas toujours facile de concilier ses convictions politiques avec une activité quelconque dans les services de la police.
Un appel sur le vidéophone à 3 heures du matin n’a généralement rien d’agréable pour un officier de police. Jake savait qu’au mieux il ne pouvait s’agir que d’un exhibitionniste, prêt à se déshabiller devant la caméra dans l’espoir d’offusquer une malheureuse vieille fille. Donnant un grand coup à l’aveuglette derrière elle sur le clavier qui actionnait la lumière et l’horloge parlante – « il est 3 heures » –, Jake, tout en luttant contre le sommeil, attrapa la télécommande du vidéophone. Elle pensa d’abord que c’était peut-être l’hôpital lui annonçant que son plan avait marché. Mais quand elle appuya sur l’un des boutons pour prendre l’appel, c’est le visage du sergent Chung qui apparut sur le petit écran de sa table de chevet.
« J’espère que je ne vous réveille pas, dit-il avec une absence de sincérité ravie.
— Vous savez l’heure qu’il est ? grogna Jake, endormie.
— L’heure qu’il est ? Je ne vois pas comment je pourrais l’ignorer, nom de Dieu ! Ma femme vient de me le rappeler au téléphone. Elle voulait savoir ce que je foutais à l’Institut à une heure pareille au lieu d’être chez moi en train de la baiser.
— Sûr que ça doit lui manquer, dit Jake, réglant la couleur sur l’écran, forçant sur le jaune jusqu’à ce que le visage de Chung ressemble à un gros citron.
— Vous avez foutrement raison, dit Chung, indifférent à l’ironie de Jake.
— Écoutez, sergent – elle chercha ses cigarettes et en alluma une –, si vous avez un rapport à faire…
— Vous ne pensez tout de même pas que j’ai appelé pour le simple plaisir de vous voir sans votre maquillage ou de découvrir avec qui vous couchiez ?
— Avec qui je couchais ? murmura Jake. D’où vous vient cette soudaine retenue ?
— Hein ?
— Oh, rien. Écoutez, contentez-vous de me dire ce qui vous préoccupe pour que je puisse enfin me rendormir, espèce de sale petit Jaune.
— Faites gaffe. Je pourrais vous dénoncer à la Brigade spéciale de harcèlement racial pour une remarque comme celle-là. J’ai la solution de votre problème, blanche dame.
— Vous voulez dire que vous savez d’où vient l’atteinte à la sécurité ? » Jake s’en assit dans son lit.
« Pas mal. » Le visage de Chung se fendit d’un sourire à la vue des seins de Jake. « Pas mal du tout : donnez-moi un aperçu rapide du reste, et j’oublie la remarque raciste, d’accord ? »
Jake s’enroula dans son drap qu’elle remonta jusqu’au menton. Elle mourait d’envie de dire à Chung d’aller se faire foutre ou de le faire inculper, mais en même temps elle ne voulait pas courir le risque de le voir devenir encore moins coopératif qu’il ne l’était déjà. Elle le connaissait suffisamment pour deviner qu’il était capable de lui mettre des bâtons dans les roues. Elle serra donc les dents, choisit d’ignorer sa remarque sexiste et lui demanda de lui fournir ses explications.
« À votre place, blanchette, je me magnerais le cul et je m’amènerais ici, dit-il. Et au trot. Vous comprenez, ce n’est pas facile à expliquer au vidéo, et si vous attendez le matin pour rappliquer, vous pourrez toujours me chercher. Ça fait plus de vingt heures d’affilée que je travaille là-dessus et dès que je vous aurai expliqué ce qu’il en est, je me rentre et je me fous au pieu.
— Il vaudrait mieux pour vous que ça en vaille la peine ! » rugit Jake qui appuya d’un doigt rageur sur la télécommande pour mettre fin à l’appel.