Hope : Visions de folie
Jeanne d’Arc affirmait avoir eu des visions de Dieu. Persuadée qu’elle était l’émissaire du Tout-Puissant, elle rassembla suffisamment de courage et de passion pour rallier les Français contre les envahisseurs anglais. Touchée par la grâce ? Ou victime de délires ? L’histoire regorge de prétendus prophètes animés par la folie ; j’étais convaincue que Jaz avait sombré dans la démence et brûlait d’une telle ardeur qu’elle anéantissait toute hésitation et toute moralité.
Quelques jours auparavant, alors que je songeais à lui, j’avais réfléchi à son impulsivité, à la façon dont rien ne semblait l’arrêter lorsqu’il désirait quelque chose. J’avais attribué cela à un mélange touchant d’arrogance et de candeur. En vérité, c’était bien plus que cela : du narcissisme à l’extrême.
En écoutant Jaz, je me rappelai ces instants dans la salle de crise où je n’avais éprouvé aucun scrupule à souhaiter la mort de Troy. Je l’avais voulue. J’en aurais tiré du plaisir. Rien d’autre n’avait importé à mes yeux.
Le démon sous sa forme la plus pure. L’esprit régi par les pulsions. C’était ça, Jaz.
Je me souvenais aussi de ce que j’avais pensé lors de ma première visite à son appartement : que son optimisme et sa fougue étaient bridés par la raison, l’incitant à ne pas dilapider tout l’argent qu’il gagnait. Et désormais, cette observation semblait prendre un sens nouveau.
En général, l’inconscience et la témérité finissent par causer la perte de ceux qui en sont victimes. Dès qu’ils se fixent un objectif hors de leur portée, ils prennent des risques inconsidérés et meurent en essayant d’atteindre leurs rêves. Mais pas Jaz. Il était assez fou pour concevoir des plans rocambolesques, et assez intelligent pour les mener à bien. Et s’il se laissait emporter par sa folie ? Sonny était là pour lui remettre les pieds sur terre.
D’autant que là, rien n’avait été bâclé. Ils peaufinaient ce plan depuis des années, en se faisant recruter par la Cabale où ils avaient pu étudier Carlos, le frère le moins à même de réussir, mais le plus facile à imiter. Ensuite, ils avaient infiltré le gang, Jaz séduisant Guy par ses idées extravagantes, et s’étaient servis d’eux d’abord comme alliés puis comme pions pour accomplir leurs desseins.
Tuer les membres les plus importants de la Cabale Cortez avant de prendre les traits du seul survivant ?
De la pure folie.
Que se serait-il passé si Benicio ne m’avait pas implantée dans le gang, et si Karl n’avait pas fait intervenir Lucas ? Est-ce que Jaz et Sonny auraient tout de même échoué ? Malgré tous nos efforts, ils avaient presque atteint leur but et disposaient même d’un plan B.
De la folie mêlée à du génie.
Lucas était leur nouvelle proie. Ils allaient le tuer, se faire passer pour lui et déclarer Carlos coupable du meurtre de ses frères. Puis ils laisseraient Benicio léguer la Cabale à son fils cadet adoré, qui aurait enfin « vu la lumière » et renoncé à sa croisade. Une fois la transition achevée, le vieil homme mourrait dans son sommeil.
En tant que cible, Lucas valait tout aussi bien que Carlos ; ce serait même plus facile. Par son âge, son teint et sa taille, il leur ressemblait davantage que Carlos. Il leur suffirait de porter des talonnettes et des vestes plus amples jusqu’à ce qu’ils perdent du poids ou qu’ils en fassent prendre à Lucas, et personne ne remarquerait la différence. Du gâteau.
À l’instar de Carlos, Lucas savait peu de choses sur les rouages de l’entreprise. Du coup, ses lacunes n’éveilleraient pas le moindre soupçon, étant donné que tout le monde s’y attendrait. C’était même un quasi-inconnu au sein de la Cabale, encore plus que son frère, ce qui faciliterait les choses.
La seule pierre d’achoppement était Paige.
Ils ne pourraient pas la duper. Et ils auraient la sagesse de ne pas essayer. La seule solution serait donc de l’enlever, histoire de la tenir à l’écart pendant que « Lucas » prendrait les rênes de la Cabale. Pendant tout ce temps, il chercherait sa femme par monts et par vaux, tel un preux chevalier à la recherche de sa promise. Lorsqu’il la retrouverait, elle ne reconnaîtrait pas son mari, mais on attribuerait ses protestations au stress de sa disparition. En outre, il aurait bel et bien changé : de pourfendeur de Cabales, il serait passé à P.-D.G. de la plus puissante.
Quelle que soit la réaction de Paige, Jaz était sûr que le chemin était tout tracé et mènerait droit au divorce.
— Incompatibilité de caractères. Parfaitement compréhensible en ces circonstances. Elle repartira avec un joli pactole et il sera libre de t’épouser. (Il sourit.) Ce sera parfait. Devenus des étrangers l’un pour l’autre, Lucas et Paige se séparent à l’amiable, et au bout de quelques mois, vers qui se tourne-t-il ? La belle semi-démone qui l’a aidé à retrouver sa femme, attraper l’assassin de son frère, sauver son père et qui l’a soutenu pendant toute cette période. Une belle histoire avec une fin digne d’un conte de fées.
Il ne me restait plus qu’à appeler Paige. Et je comptais bien le faire, parce que le plan de Jaz comportait une faille majeure.
Quand j’avais cru travailler pour le conseil deux ans auparavant, je m’étais représenté cette organisation comme un groupe puissant, supervisant des dizaines d’agents infiltrés. C’était ainsi que le voyaient de nombreuses créatures surnaturelles… et le conseil ne faisait rien pour contester cela, car c’était bien plus intimidant que la vérité : les délégués faisaient tout le boulot eux-mêmes. Quand Jaz avait espionné ma conversation avec Karl dans son appartement, il en avait entendu suffisamment pour comprendre que j’étais employée par le conseil. À ses yeux, je faisais partie de ce vaste réseau de taupes.
Si cela avait été la vérité, et que Paige ne m’avait connue qu’en tant que collègue, alors l’histoire qu’il avait concoctée aurait paru assez plausible : mon côté démoniaque m’avait poussée à rallier Sonny et Jaz, mais ma vraie nature avait fini par prendre le dessus et je voulais faire amende honorable. La seule personne vers qui je pouvais me tourner était quelqu’un d’étranger à la Cabale. Quelqu’un de connu pour son impartialité et sa clémence.
Si j’avais véritablement envisagé de trahir la Cabale avant de changer d’avis, je me serais effectivement adressée à Paige. Et elle m’aurait aidée… si elle m’avait crue capable d’une chose pareille. Mais là, j’étais sûre qu’elle et Karl allaient flairer le piège ; elle ne boirait pas mes paroles et ne se rendrait pas seule au rendez-vous. Jaz et Sonny auraient beau prendre toutes leurs précautions, ils ne seraient jamais que deux. Et face au corps d’élite de la Cabale, ils n’étaient pas de taille.
Aussi, j’appelai Paige.
— Alors, ça te plaît ?
On se trouvait dans le renfoncement d’un immeuble, nichés dans l’ombre. Jaz avança derrière moi et glissa les mains sur ma taille en s’appuyant contre mon dos. Lorsque je me raidis, il se contenta de glousser et de déposer un baiser sur mon cou.
— Pas si vite, hein ? (Il me massa les hanches.) Avant, tu aimais ça, toi aussi. Et tu ne faisais rien pour freiner les choses. C’était comme si… (Il posa le menton au sommet de mon crâne.) Je ne peux même pas le décrire. Je ne trouve pas les mots. Tu te rends compte, Hope. On va pouvoir revivre tout ça. Je sais que pour l’instant tu me prends pour un fou et un enfoiré, mais tu verras. On va réussir et je te livrerai la Cabale Cortez sur un plateau d’argent. (Il me serra contre lui.) Tout ce que nous avons sera à toi. Tout le pouvoir que tu as toujours voulu. Et que tu mérites. Ce sera… (Il fut parcouru d’un frisson.) parfait.
L’espace d’un instant, je sentis le chaos s’élever et vis son rêve scintiller devant moi.
Il avait raison. Nous étions attirés l’un par l’autre. J’étais une semi-démone assoiffée de chaos, et à mes yeux, il représentait un véritable festin. Si j’avais été ce que je craignais, j’aurais peut-être entendu mon ventre gargouiller, me pressant de prendre place au banquet.
Mais là, j’avais l’estomac noué. Plus que quelques minutes avant d’entrer en scène. Est-ce que j’allais tenir le choc ? Je n’avais pas le choix.
Je balayai les environs du regard, scrutant les ombres projetées par les bâtiments. Je cherchai Karl, même si j’espérais qu’il n’allait pas prendre le risque de s’approcher si près.
Paige avait accepté mon invitation. Elle avait été assez intelligente pour ne rien laisser paraître, au cas où Sonny et Jaz nous auraient placées sur écoute. Elle ne m’avait même pas demandé de détails. Mais à sa voix, je savais qu’elle avait compris.
Pendant que je l’attendais, l’équipe d’intervention de la Cabale prenait sans doute position à deux rues de là, près du point de rendez-vous.
Jaz laissa échapper un petit rire, et du bout des doigts, traça une ligne sous mon sein gauche.
— Ça te plaît, je le sens. Ton cœur s’emballe.
Il baissa la voix, mon pouls s’accélérant à mesure qu’il glissait la main sur ma poitrine. Lorsqu’il en pinça un téton, je me dégageai de son étreinte et me retournai d’un bloc. Il recula, les mains levées, paumes vers moi.
— Désolé, vraiment. Je ne voulais pas faire ça, Hope. Je ne te… Je ne te forcerai jamais. J’ai juste…
Il me parcourut du regard, fermant à moitié les yeux, écartant les lèvres. Puis il s’ébroua brusquement.
— Bon sang ! On était à deux doigts de le faire. Ça aurait tout changé, j’en suis sûr. Je te voulais tellement et tu… (Il se secoua de nouveau, plus fort, puis fit rouler ses épaules.) Ce n’est pas le moment, je sais. Pour l’instant, il faut qu’on…
Il retroussa les lèvres, semblant avoir perdu le fil de ses pensées.
— J’ai rendez-vous avec Paige dans cinq minutes, lui rappelai-je.
— Ah. Oui, désolé. Allons-y.
J’étais censée la rejoindre sur un parking. De là, nous devions gagner un club qui venait d’ouvrir, dans une rue parallèle. Ce quartier du centre de Miami était parsemé de tours de bureaux et ne connaissait aucune vie nocturne. Tous les immeubles étaient éclairés, mais les routes et les trottoirs étaient quasiment déserts, ce qui donnait à la rue un aspect sinistre, quasi fantomatique. Un frisson me traversa, et je l’attribuai à la fraîcheur de la nuit. Le métro aérien passa en trombe, me faisant sursauter.
À quelques dizaines de mètres du lieu de rendez-vous, Jaz me demanda :
— Alors, tu as bien retenu mes instructions ?
— La rejoindre et couper par la ruelle à l’est. Si elle rechigne à passer par là, contourner le bâtiment, longer la rue au bout de laquelle tu lui tomberas dessus.
— Bien, bien.
Un peu plus loin, il posa la main sur mon bras.
— Ne tente rien de stupide, d’accord ?
— Je ne…
Il approcha son visage du mien et fronça les sourcils, l’air inquiet.
— Je suis sérieux, Hope. Je t’en supplie, ne me fais pas faux bond. J’ai conclu un marché avec Sonny. Ça ne lui plaît pas de t’impliquer, mais j’ai juré que tu te tiendrais à carreau, et dans le cas contraire… (Il se massa la gorge et s’éclaircit la voix.) Je t’en prie, ne fais pas l’imbécile. Sonny vous aura en ligne de mire pendant tout le rendez-vous. Au moindre dérapage, si tu dévies du plan ou que Paige sort son portable… C’est une fine mouche.
— Je sais.
Hochant la tête, il me serra le bras, puis me laissa partir.
À l’heure dite, Paige émergea des ténèbres. Alors qu’elle approchait, elle promena le regard le long de la rue. Toutes les dix secondes, une voiture passait, plus encore lorsque le feu changeait. De l’autre côté de la rue, un couple déambulait, sans doute en direction du club. Jaz avait choisi ce lieu avec soin : assez tranquille pour éviter les témoins, sans être désert pour éviter de l’effrayer.
Je m’étais demandé si le parking lui-même ne serait pas source d’ennuis. Il était quasiment vide, et éclairé de manière sporadique, comme s’il n’était plus assez rentable pour justifier des dépenses supplémentaires. Pour un homme, ce n’était pas un souci. Mais une femme aurait sans doute été d’un autre avis.
Paige cligna des yeux lorsque, sortant de l’obscurité, elle fut frappée par la lumière des lampadaires.
— J’espère que tu as bien fermé ta voiture, lançai-je quand elle s’approcha.
Elle sursauta et s’arrêta net. Perdue dans ses pensées ?
— Ta voiture, répétai-je. Est-ce que tu l’as verrouillée ?
— Euh… Ah ! Oui.
Elle avait la voix plus haut perchée que d’habitude et ne cessait de promener le regard le long de la rue. Elle était nerveuse et ne faisait rien pour le cacher. Je me disais que je projetais ma propre angoisse sur elle. Mais à mesure qu’elle s’approchait, je sentais sa tension, le chaos vibrant le long de mes nerfs. Je saisis quelques bribes de ses pensées : la crainte d’avoir commis une erreur, le regret d’avoir accepté de venir.
Je mourais d’envie de me pencher vers elle et de lui chuchoter des paroles rassurantes, mais Sonny était aux aguets. Je devais paraître calme, surtout si Paige ne l’était pas.
— Le club est par là, annonçai-je.
Elle m’emboîta le pas. Je désignai le couple de l’autre côté de la rue en faisant des commentaires sur leurs tenues. Elle ne répondit pas grand-chose. Je continuai à bavarder pour combler le vide et essayer de l’apaiser. Devant nous, les deux jeunes gens traversèrent et tournèrent dans une rue latérale. Nous n’étions plus qu’à quelques pas de la voie de service.
— Je parie que c’est un raccourci, dis-je. Prenons-le.
Comme je m’y attendais, elle ne fit rien pour s’y opposer. À l’écart des rues animées, l’équipe de la Cabale aurait plus de facilité pour nous garder à l’œil et fondre sur nous en cas de besoin.
On s’engagea dans la ruelle étroite, faiblement éclairée. Paige marchait d’un pas vif, l’air d’avoir gagné en confiance. À mesure que le dénouement était proche, sa nervosité s’estompait. Mais on aurait dit qu’elle me l’avait transmise. De la sueur perlait sur mon visage.
Je me concentrai sur la porte devant nous.
Elle n’était plus qu’à vingt mètres. Elle aurait dû être entrouverte, mais à cette distance, c’était impossible à vérifier.
J’étais censée l’attirer dans cette direction, et au moment où on passerait devant le battant, Jaz se ruerait sur nous pour s’emparer de Paige, puis de moi. Il nous entraînerait toutes deux à l’intérieur et me jetterait sur le côté. Je ferais semblant de me cogner la tête et de tomber dans les pommes. C’était un point crucial de son plan : Paige ne devait en aucun cas se douter que j’étais sa complice, afin de ne pas m’accuser plus tard. Il fallait que je passe pour une victime jusqu’à l’assassinat de Lucas, après quoi je serais libérée tandis que Paige demeurerait prisonnière.
Mais rien de tout cela n’arriverait, parce que entre-temps, j’étais sûre d’être sauvée. Allaient-ils intervenir dans la ruelle ? Ou attendraient-ils que nous soyons kidnappées ? De toute manière…
Je perçus un mouvement sur ma droite, une forme floue qui semblait avoir jailli du mur. Ravalant un glapissement, je fis volte-face en m’attendant à voir un membre du commando descendre du toit en rappel.
Au lieu de cela, je vis une porte ouverte et une silhouette sombre dans l’embrasure. Paige poussa un cri. Quelqu’un me saisit par le bras. J’ouvris la bouche pour dire au garde que Jaz était planqué un peu plus bas. Mais c’était lui qui me retenait.
Paige se mit à bégayer de peur et j’eus l’envie de lui crier d’arrêter parce que je n’arrivais pas à réfléchir avec tout le chaos qu’elle suscitait alors qu’il fallait que je garde la tête froide. Mais dès que je repris mes esprits, je me rendis compte que personne ne viendrait à notre secours, qu’elle ne serait pas en train de se débattre comme une lionne si tel avait été le cas.
Jaz me jeta dans une pièce minuscule en faisant mine de me pousser avec violence. Alors que je trébuchais, je me rappelai le plan. Ma première pensée fut de tout envoyer au diable, mais avant d’avoir pu recouvrer l’équilibre, je me rendis compte qu’il valait mieux jouer le jeu.
Aussi, je me laissai tomber, et lorsque mon crâne heurta le sol en ciment, le choc fut assez violent pour chasser de mon esprit les ondes chaotiques de Paige. Cependant, je fermai les yeux et elles m’assaillirent de nouveau, me submergèrent, et je les laissai assourdir ma peur, aiguiser mes sens.
De l’autre côté de la pièce, les cris de Paige s’étaient réduits à des gémissements étouffés. Jaz était en train de lui parler, d’une voix douce et apaisante.
— Je ne vais pas vous faire de mal, dit-il. J’ai besoin de vous, Paige. Réfléchissez : vous ne me servirez à rien en tant qu’otage si vous n’êtes pas en bonne santé.
Lentement, je soulevai les paupières. Paige était plaquée contre le mur du fond. Jaz lui maintenait les avant-bras tout en se tenant un peu éloigné pour ne pas l’effrayer.
Elle ne bougeait plus. Était-ce pour le mettre en confiance avant de jeter un sort ? Je songeai à attirer son attention, mais si elle regardait dans ma direction, Jaz l’imiterait aussitôt. Mieux valait rester discrète…
J’estimai la distance qui me séparait de lui. Me voyait-il depuis cet angle ? Je n’en étais pas sûre. Je ne pouvais pas courir le risque.
Je devais agir rapidement et le maîtriser, le temps que Paige lui jette un sort d’entrave. Ramenant les jambes vers moi, je me préparais à bondir lorsque Jaz s’accroupit pour inciter Paige à s’asseoir.
— Bien. Maintenant, ne bougez pas. Je vais aller jeter un coup d’œil à Hope.
Je fermai à moitié les yeux. Il commença à se retourner. Faisant signe à Paige, j’articulai : « Jette un sort ! »
Elle fronça les sourcils.
Jette un sort, bon sang ! Mais qu’est-ce qui te… ?
Il bougea encore et je baissai les paupières. Les entrouvrant de nouveau, je le vis dos à moi, la main nichée sous son blouson, et je compris ce qui allait arriver.
Me levant d’un bond, je me ruai sur lui. Apercevant le revolver, je fus saisie d’une telle terreur que je faillis en perdre l’équilibre. Une peur délicieuse. Un chaos doux comme du miel. Absolument parfait…
Il leva son arme.
Non !
Je me mordis la lèvre inférieure et la douleur me fit reprendre mes esprits. Je me jetai sur Jaz. Un coup de feu retentit, et au moment où on heurtait le sol, une vague de chaos déferla sur moi, avec une telle violence que je perdis connaissance.
Bercée par l’onde, je m’abandonnai à mes sensations et oubliai tout le reste. Plus rien n’avait d’importance. Je me sentais si bien, si…
Les vagues commencèrent à refluer. Non ! Je me raccrochai à elles, cramponnée de toutes mes forces, mais elles continuaient à se retirer pour ne laisser qu’une douce écume anesthésiant la terreur et la douleur.
Je levai la tête et m’efforçai de me concentrer. Tout en moi m’enjoignait de me laisser aller et de savourer l’instant. De ne pas gâcher…
J’aperçus Paige, recroquevillée contre le mur, son joli visage déformé par l’horreur. Un trou dans le front.
Je hurlai. À mesure que je m’égosillais, mes cris se muaient en gémissements, le plaisir se coagulant en une matière qui me remplissait, m’incendiait, me piquait les yeux, me brûlait le cerveau et les entrailles. À travers la brume, je vis Jaz. Juste Jaz. Debout. S’approchant de moi.
Je me ruai sur lui pour le taper, le griffer, en poussant des cris qui n’avaient plus rien d’humain. Je sentis l’odeur du sang, sa chaleur et sa douceur m’enivrant les sens.
Quelque chose s’enfonça dans mon bras. La douleur de la piqûre me galvanisa, mais Jaz s’était arraché à mon étreinte. En me retournant, j’aperçus sa masse sombre à travers mes yeux embrouillés. Je voulus me jeter sur lui, mais je ne faisais que tourner. Tourner. Tourner. Mes genoux cédèrent et je m’écroulai sur le sol.
La dernière chose que je vis fut le regard vide de Paige, fixé sur moi.