Hope : Rebondissement
En sortant, Jaz m’attrapa la main et se faufila dans un couloir au bout duquel se trouvait une porte fermée à clé. Il fit coulisser une carte de crédit, et quelques instants plus tard, nous pénétrions dans un salon privé.
Seules deux veilleuses éclairaient la pièce, si bien qu’il nous fallut patienter une minute avant de distinguer quelques tables et un bar.
Jaz m’entraîna alors dans un recoin sombre, à côté du comptoir. Puis, sans dire un mot, il m’attira vers lui. Sentant son cœur battre la chamade, j’attribuai son excitation au risque d’être découverts, mais lorsqu’il s’écarta, je lus de l’appréhension dans son regard, qui ne se dissipa qu’au moment où je me penchai pour un nouveau baiser.
— Ouf, souffla-t-il.
— Tu craignais que je te repousse ?
— Je voulais m’assurer que ton départ d’hier n’était dû qu’à l’endroit, et pas à moi.
— Ce n’était pas à cause de toi.
Il m’étreignit en m’embrassant lentement. J’avais de nouveau la tête qui tournait, grisée par les volutes de chaos qui émanaient de lui. En quelques instants, on se retrouva allongés au sol, mes jambes nouées autour de ses hanches, ses mains dans mes cheveux, ses lèvres pressées contre les miennes, si fort qu’elles me faisaient mal, mais je m’en fichais.
On se frotta l’un contre l’autre et il glissa la main sur mes fesses, puis sur mes seins, sans toutefois franchir la barrière de mes vêtements, me caressant tour à tour avec fièvre et douceur jusqu’à me faire sombrer dans un vertige encore plus grand. Folle de désir et de frustration, j’avais l’impression d’être redevenue une adolescente qui se faisait peloter par son petit ami sur un siège arrière, brûlant d’envie qu’il passe à l’étape suivante.
— Tu vas rester cette fois ? murmura-t-il d’une voix éraillée.
— Tu te moques de moi, hein ? Tu te venges.
Il prit un air presque penaud.
— Non.
— Vraiment ? (Je descendis la main le long de sa chemise et lui caressai l’entrejambe. Poussant un petit gémissement, il se souleva pour me faciliter la tâche.) Je ne t’en voudrais pas si c’était le cas. Ce n’était pas très gentil de ma part.
— J’ai survécu. (Il ouvrit un œil.) Mais ouais, j’étais surexcité. Je me suis précipité dehors dès que j’ai reçu ton message en espérant te rattraper avant que tu partes.
— Tu crois que je peux me faire pardonner ?
Il gloussa.
— Oh, oui, je pense.
— Comment ?
Cette fois, il partit d’un rire franc, puis il grogna alors que je glissais les doigts sous la ceinture de son pantalon.
— Mieux vaut ne pas me laisser trop de choix.
— Si, si, je t’écoute. Dis-moi ce que tu veux.
Il perdit ses mains dans mes cheveux.
— Si j’étais n’importe quel mec, j’imagine que je ferais ça… (Il m’attrapa les cheveux, m’attirant vers son torse, puis s’interrompit.) C’est ce que tu avais en tête ?
— Oui… si tu étais un type lambda.
Il rit si fort que je jetai un coup d’œil à la porte.
— Tu as raison. Personne ne m’a pris pour un mec normal. Donc en me faisant cette proposition, tu te doutes que je vais te demander quelque chose d’un peu atypique.
— Vas-y.
Jaz sonda mon regard, semblant se demander comment j’allais réagir. Son visage s’éclaira d’un sourire furtif, puis il me prit entre ses bras et me fit basculer sur le dos avant de s’écarter.
— Déshabille-toi.
— Tu veux que…
— Tu m’as entendu.
Je souris.
— Je voulais juste vérifier.
Il avait reculé de quelques mètres et me regardait, attendant que je m’exécute.
Je me levai pour commencer par mes sandales, m’interrompant pour surmonter ce premier instant d’embarras et saisir à nouveau les ondes chaotiques qui tourbillonnaient encore autour de nous.
— Si tu ne veux pas…, dit-il.
Je croisai son regard.
— Si, je le veux.
Et je le pensais. J’avais envie de Jaz et de tout ce qu’il annonçait : une liaison passionnée, enivrante, qui me rappellerait l’existence de ce genre de choses et m’aiderait à tirer un trait sur Karl.
Alors, je tendis la main vers ma jupe, mais m’arrêtai, préférant retirer ma culotte, que je fis glisser le long de mes cuisses, sentant le regard de Jaz suivre tous mes mouvements. Je fis passer une jambe puis l’envoyai valser d’un coup de pied. Ce n’était pas un geste gracieux, mais Jaz ne sembla pas m’en tenir rigueur.
Mon haut se nouait dans le dos, et là encore, je m’en débarrassai avec bien moins d’élégance que je ne l’aurais voulu. Lorsqu’il tomba à terre, Jaz émit un petit sifflement en constatant que je ne portais rien en dessous. Il se rapprocha de moi.
— Le dernier vêtement, dis-je en tirant sur ma jupe. Je te laisse l’honneur ?
— Non, continue, je t’en prie.
Cette fois, j’allai jusqu’au bout, me trémoussant lentement jusqu’à ce que le vêtement s’étale à mes pieds. Jaz ne broncha pas. Il se contenta de me fixer du regard, ce que je pris pour le plus beau des compliments. Cependant, au bout d’un moment, il sembla prendre conscience de son mutisme et s’exclama :
— Tu es magnifique ! (Ses joues s’empourprèrent.) Enfin, tu l’étais déjà avant, mais là, tu es… Bon sang.
Je m’allongeai, les bras derrière la tête, et m’étirai langoureusement, encouragée par son admiration.
— Alors, que veux-tu que je fasse ? demandai-je.
Il éclata d’un rire profond.
— Oh, j’ai bien deux, trois choses à l’esprit, mais si tu les exécutes, je ne durerai pas longtemps.
Il descendit la main jusqu’à son entrejambe et se caressa à travers son jean. Aucune hésitation. Aucune gêne. Électrisée par son aplomb – et la vue –, je sentis une nouvelle vague de chaleur me parcourir le corps.
— À ton tour, alors, dis-je. Déshabille-toi.
Il sourit.
— J’adorerais t’obéir, mais… (Il s’approcha.) Je crois qu’il vaudrait mieux que je reste habillé, histoire de faire durer les choses.
Il me rejoignit, ses habits effleurant ma peau nue, un contact si léger qu’il me fit frissonner. Puis il se baissa, plaquant sa bouche contre la mienne en un baiser si fougueux qu’il me laissa sans souffle, tandis que je nouais bras et jambes autour de lui. Je le sentais dur contre moi, son jean frottant à des endroits qui seraient sûrement douloureux le lendemain, mais à cet instant, c’était extrêmement agréable.
— Tu veux toujours que je me déshabille ? me chuchota-t-il à l’oreille.
— Inutile, répondis-je en tendant la main vers sa braguette.
J’étais en train de défaire le bouton lorsque son portable sonna. Il le sortit de sa poche et le jeta à l’autre bout de la pièce, où il émit une dernière sonnerie étouffée avant de rendre l’âme.
— Et si c’est Guy ? demandai-je.
— C’est lui. Qu’il aille au diable. J’assumerai, t’inquiète.
Je repris ma tâche. Mais mon téléphone retentit et Jaz lâcha un chapelet de jurons avec tant de virulence que je sursautai. Il se souleva, resta un instant au-dessus de moi, puis s’écarta.
— Mieux vaut que tu décroches.
En d’autres termes, il voulait endosser tous les reproches en me préservant de la colère du chef.
C’était bel et bien Guy, d’humeur massacrante. Il me demanda si Jaz était avec moi. Ce dernier dut l’entendre, car il s’empara du portable. Au bout d’une minute, il raccrocha d’un air renfrogné.
— Un problème avec la Cabale. Il veut nous voir dans vingt minutes.
Malgré l’augure de nouvelles infos sur la Cabale, je ne pus m’empêcher de penser : C’est à dix minutes en taxi, quinze tout au plus, alors ça nous laisse cinq minutes… Mais il était trop tard. Le charme était rompu.
Lorsque j’interrogeai Jaz sur ses intentions, il lâcha avec un rire jaune :
— Manifestement, je n’ai pas le choix. Et je ne veux pas bâcler ça. (Il se pencha vers moi, ses lèvres effleurant les miennes.) C’est trop important. On aura le temps, plus tard. Avec un peu de chance, je pourrai même t’offrir un lit, comme un gentleman.
— Je ne veux pas d’un gentleman.
Il sourit.
— Alors, débarrassons-nous vite de cette fichue réunion.
On arriva bons derniers dans le bureau de Guy. Jaz m’entraîna aux côtés de Sonny, qui était adossé au mur.
— Ravi que vous ayez pu nous rejoindre, dit Guy.
En répondant par un silence, Jaz, qui en temps normal aurait rétorqué avec humour, attira l’attention de Guy, qu’il reporta ensuite sur moi.
— Tout va bien ? demanda-t-il.
— Oui, chef. Alors, qu’est-ce qui se passe ?
Effectivement, il s’agissait bien d’un problème avec la Cabale, mais ce n’était pas urgent au point de requérir un tel branle-bas de combat. D’un autre côté, je me laissais peut-être emporter par ma frustration.
Guy avait été rencardé sur l’identité d’un des hommes qui avaient tabassé Jaz et Sonny. D’après son contact, il passait la plupart de ses nuits dehors et travaillait de chez lui. Or, quel meilleur endroit qu’un bureau pour trouver des documents, même en version électronique ? Un petit cambriolage nous apprendrait peut-être pourquoi la Cabale avait soudain ressenti le besoin de s’attaquer au gang. En cas d’échec, ils attendraient le retour de l’individu et récupéreraient l’info directement auprès de la source.
Pendant le discours de Guy, Jaz perdit son agacement et se mit à s’agiter dans son siège en me décochant des sourires.
— Encore une soirée qui promet d’être excitante, me murmura-t-il.
Puis, à l’intention de Guy, il déclara :
— Je déclare forfait pour la partie interrogatoire, chef. Pas mon style. Mais je suis partant pour l’effraction. Faith devrait nous accompagner : elle pourrait guetter le danger et c’est une excellente voleuse…
— J’apprécie ton enthousiasme, Jasper, mais j’ai un autre plan.
Jaz me regarda.
— Mais son pouvoir…
— … nous sera très utile, oui. C’est pour cela qu’elle vient.
— Mais toi, non, conclut Bianca.
— Sonny et toi, vous resterez en repli, expliqua Guy. C’est vrai, vous êtes très doués en tant que cambrioleurs, mais ce soir, on part à la pêche aux infos, pas aux bijoux.
— Mais…
— C’est comme ça, c’est tout. Rodriguez s’occupera de l’ordinateur, Faith sondera les lieux et Bianca m’aidera à chercher. L’équipe est au complet. Vous autres, vous patrouillerez le périmètre. Tony et Max, je vous ferai intervenir plus tard, au cas où j’aurais besoin de renforts pour l’interrogatoire.
Guy continua de parler pendant quelques minutes avant d’ajourner la réunion. Jaz resta le regard vide et rivé droit devant lui. Jamais je ne l’avais vu aussi songeur. Puis, il me serra la main et m’adressa un clin d’œil.
— Je m’en occupe.
J’aurais pu lui rétorquer que ce n’était pas la fin du monde s’il ne participait pas à ce cambriolage, mais cela n’aurait rien changé. À certains égards, Jaz se comportait comme un enfant : quand il voulait quelque chose, c’était immédiatement. Beaucoup le taxeraient d’immature, mais il n’agissait pas par égoïsme, pas plus qu’il ne piquait de crises de colère quand il n’obtenait pas ce qu’il désirait. J’en voulais pour preuve la nuit précédente. Même s’il avait reconnu sa frustration, il avait attendu midi pour téléphoner, au cas où j’aurais la gueule de bois, avant de m’inviter à déjeuner. Chez Jaz, ce côté « Je le veux et maintenant ! » s’apparentait à de l’ingénuité. Une sorte d’impulsion innocente.
Tandis que l’assemblée se dispersait, il se balançait sur ses talons, tel un lévrier prêt à bondir des starting-blocks.
Guy s’arracha à sa discussion avec Bianca pour s’exclamer :
— Jaz, Sonny, venez par ici. J’ai une mission pour vous.
Jaz s’appuya contre moi, sa main effleurant mes fesses.
— Merde. Manquait que plus que ça.
Il se mit à jouer avec l’ourlet de ma minijupe, les yeux scintillants, puis approcha sa bouche de la mienne, oubliant une fois de plus que nous n’étions pas seuls. Je me raclai la gorge et il interrompit son mouvement.
— C’est ta faute. (Il coula un regard vers moi, empli de désir.) Si tu étais une sorcière, je serais convaincu que tu m’as jeté un sort.
De la part de n’importe qui d’autre, j’aurais interprété ce compliment comme une tentative de drague un peu foireuse. Mais quand c’était lui, mon cœur s’emballait. Lorsqu’il s’approcha, le monde disparut, perdu dans le tourbillon de son aura, de cette onde chaotique. Et soudain, je compris d’où lui venait ce côté enfantin, ce besoin de bondir sur tout ce qui lui plaisait, sans une once de culpabilité ou même de doute.
J’inclinai la tête en arrière, écartant les lèvres, et il…
— Jaz ! aboya Guy. Tu m’écoutes ? Viens ici !
Une brève lueur de colère traversa le regard de Jaz.
— Désolé, chef. Je croyais que tu parlais encore avec Bee. Tu disais que tu avais un boulot à nous confier ?
— Oui, à Sonny et à toi. Faith, je te parlerai après.
— Zut ! (Il se tourna vers moi.) Je t’appelle dès que j’ai fini. On se rejoindra à…
— À rien du tout. On est là pour bosser, Jaz, pas pour passer du bon temps. Et tu sembles avoir du mal à dissocier les deux en ce moment.
Il n’avait pas tort, mais vu la façon dont Jaz se raidit, je voyais bien qu’il n’appréciait pas la réprimande.
— Ce qu’il veut dire, intervins-je, c’est qu’on était en train de déjeuner quand vous avez appelé. Du coup, on avait prévu de manger un peu plus tard, mais manifestement, ce ne sera pas possible, ce que je comprends fort bien étant donné les circonstances.
— Très bien. Je ferai en sorte que vous ayez mangé tous les deux avant ce soir, mais hors de question que ça se transforme en dîner aux chandelles. Ça va être une opération délicate et je veux que vous soyez concentrés.
— Promis.
— Parfait. Est-ce que tu peux sortir cinq minutes, Faith, le temps que je parle aux garçons ? Je te verrai après.
— Entendu.
Je revenais des toilettes quand je vis Jaz faire les cent pas devant la porte de Guy.
— Terminé ? demandai-je. Alors, je crois que c’est à mon tour.
Il voulut me prendre la main avant que j’entre dans le bureau.
— Ne t’inquiète pas. Je ne vais pas essayer de t’entraîner dans un coin. Guy est déjà bien énervé, alors je ne vais pas empirer la situation. Je voulais juste te dire… (Il jeta un regard aux alentours, puis m’attira vers lui.) Je voulais juste te dire que je te revaudrai ça.
Je souris.
— J’y compte bien.
Je m’attendais à ce qu’il esquisse un sourire, mais il garda un visage impassible, les yeux rivés aux miens.
— Je suis sérieux, Faith. J’ai conscience d’avoir foiré. Je suis allé plus vite que la musique… Ça m’arrive souvent. Je ne peux pas m’en empêcher. Mais quand ce sera terminé, je me rattraperai. (Il marqua une pause.) Tu connais le Nikki Beach ?
Je secouai la tête.
— C’est un bar sur une plage privée, avec des matelas et des tipis. Quand ce sera fini, je t’y emmènerai. Au programme : dîner, danse, détente sur la plage et ensuite direction le meilleur hôtel que je pourrai trouver. Plus de tripotage sur un tabouret de bar ou le sol d’un restaurant. Je vais faire les choses bien, cette fois. Ce sera vraiment un moment spécial.
Un frisson me parcourut, puis je me hissai sur la pointe des pieds pour effleurer ses lèvres des miennes.
— J’ai hâte.