CHAPITRE 20

 

Les trois garçons, dont deux portaient de petites boîtes de peinture, longèrent à pas de loup la longue colonnade obscure et passèrent devant les murs de pierre où s’inscrivaient – macabres, mais ô combien fiers ! – les noms des nombreux anciens élèves d’Eton qui avaient été tués pendant la guerre de 1914-1918. L’un des trois s’efforçait en vain de réprimer un fou rire.

— Bon sang, Greene, ta gueule ! souffla leur chef.

Le coupable fit de son mieux pour étouffer dans un mouchoir crasseux le bruit qu’il faisait.

Arrivés devant le porche de la chapelle, ils s’arrêtèrent en face de la lourde porte de bois et tendirent l’oreille, à l’affût d’éventuels cris, ou de bruits de pas lancés à leur poursuite.

— Dis donc, Spelling, chuchota un des garçons en haletant un peu, tu ne crois pas qu’on devrait rentrer ? Si on se fait pincer, qu’est-ce qu’on va prendre !

Le chef de l’expédition se tourna vers lui avec un dégoût suprême :

— T’as les jetons ? T’as qu’à foutre le camp, mon vieux Clemens. Après tout, c’est toi qui as eu l’idée, non ?

— Oui, mais c’était de la blague. Tu comprends, j’ai eu cette idée, comme ça, mais j’aurais jamais cru que vous me prendriez au sérieux.

Il gratta nerveusement un bouton qu’il avait sur le nez.

— Eh bien, on t’a pris au sérieux quand même. Et t’es dans le coup avec nous, alors tu ferais mieux de la fermer.

Cette fameuse idée était venue à Clemens la veille au soir, tandis qu’ils étaient au lit tous les trois, incapables de dormir, excités par toutes les histoires exaltantes – mais non moins lugubres – qui avaient fait le tour du collège pendant la journée. On avait beaucoup parlé de la mort mystérieuse de Thatcher, du drame de ce couple qui s’était jeté par la fenêtre, du cadavre qui avait été découvert au bord de la rivière, et de tous les autres événements pour le moins insolites qui s’étaient succédé et dont le moindre n’était pas l’aventure du pasteur, qui était devenu dingue le jour même. Les ragots avaient circulé bon train, en s’intensifiant à mesure que chaque garçon avait pris plaisir à en raconter une version plus macabre que les précédentes.

L’explication qui avait eu le plus de succès jusque-là supposait que le pasteur, occultiste, s’adonnait à la magie noire. Le couple qui s’était suicidé faisait partie de ses adeptes. Le gros Thatcher avait été immolé par eux au Prince des Ténèbres. Quant à l’homme de la rivière, il avait surpris une de leurs cérémonies secrètes et en était mort de frayeur. Mais le Diable n’avait pas été satisfait par le sacrifice et il avait fait perdre la boule au pasteur, tandis que les deux autres s’étaient tués, rongés par le remords ! Le fait que la chronologie de cette version était parfaitement illogique ne dérangeait nullement les collégiens, ni d’ailleurs le fait que le révérend Biddlestone avait été vu le lendemain à son retour de l’hôpital, en parfaite santé. Il faudrait dorénavant prendre des précautions vis-à-vis du pasteur et porter une croix en or pour se protéger contre son mauvais œil ! (Pour ceux qui ne possédaient pas de croix, une médaille de saint Christophe pouvait suffire.) Les aînés parmi les collégiens s’étaient moqués des plus jeunes et le « Pop » avait énoncé sa désapprobation à l’égard de tous ceux qui répandaient des bruits aussi stupides.

Néanmoins, pour Spelling, Greene et Clemens, qui avaient quinze ans et partageaient la même chambre dans leur maison d’oppidans, ces histoires donnaient un frisson trop agréable pour qu’on les abandonne aussi rapidement. De plus, elles offraient une occasion rêvée d’utiliser les clés de la chapelle. Bien sûr, ils ne possédaient pas les véritables clés, mais ils en avaient les parfaites répliques, confectionnées par Greene au cours de travaux manuels un jour que les originaux avaient été « empruntés » à Saunders, le concierge, qui était responsable de la chapelle et veillait entre autres à ce que les visiteurs ne gravent pas leurs initiales dans les boiseries anciennes. Les clés avaient été remises à leur place avant même que Saunders ait pu se rendre compte de leur disparition – et, dans l’intervalle, on en avait pris l’empreinte dans de la plasticine. Mais à quoi les utiliser ? Voilà la question qui s’était posée ensuite.

Jusqu’au moment où les choses s’étaient organisées d’elles-mêmes grâce aux histoires de fantômes et de magie noire qui avaient circulé dans le collège. Leur première idée, sans grand intérêt d’ailleurs, avait été de s’introduire dans la chapelle et d’aller graver leurs initiales quelque part. Non pas parmi les centaines de noms inscrits par les Etoniens d’antan, dont beaucoup étaient devenus célèbres par la suite, mais dans quelque endroit choisi, caché, où personne ne les découvrirait jamais. Un endroit secret, connu d’eux trois seulement, et qui leur permettrait, pendant les services, de se regarder d’un air entendu, en jouissant intérieurement de savoir leurs noms déposés là, en compagnie des immortels, pour l’éternité ! De nos jours, la chose était interdite, mais, évidemment, cela ne la rendait que plus désirable. Ils s’étaient mis d’accord pour prendre un endroit sur la tombe fort élaborée du principal Thomas Murray, à gauche de l’autel : sans doute quelque part sur l’effigie sculptée qui était au bas du monument. Personne n’y dénicherait jamais leurs initiales, s’ils les traçaient discrètement. Quelle satisfaction, lorsque, quelques années plus tard, ils reviendraient au collège, de pouvoir montrer ces traces de leur passage à leurs femmes et à leurs enfants – ou à leurs maîtresses ! Voilà donc quelles avaient été leurs premières intentions. Puis, Clemens s’était mis à imaginer un bien meilleur plan.

Que penseriez-vous si, un jour, au moment où toute l’école arrive en rangs pour le service du matin, on trouvait la chapelle remplie de signes cabalistiques, d’emblèmes de sorcellerie, de symboles occultes ? Quelle frénésie cela déclencherait ! Quelle agitation ! Le collège ne s’en remettrait jamais ! Et l’atmosphère était tout à fait propice en ce moment. Bien sûr, tout pourrait être nettoyé par la suite, donc il n’y aurait pas de dégâts véritables. Ce serait un coup dont on rirait pendant des années !

Dès le matin, Spelling avait été acheter un livre sur les sciences occultes dans une des vieilles boutiques de livres d’occasion, dans la grand-rue, et ils y avaient trouvé tout un tas de formidables symboles diaboliques à copier. Il faudrait évidemment qu’ils se débarrassent du bouquin dès qu’ils n’en auraient plus besoin : si jamais on découvrait qu’ils avaient été les auteurs de la plaisanterie, les conséquences seraient désastreuses pour tous les trois ! Il faudrait également détruire les clés. Mais le plus beau de tout était de se dire qu’ils pourraient refermer à clé derrière eux, et que, du coup, le forfait aurait d’autant plus l’air d’avoir été accompli par des forces surnaturelles !

Au fur et à mesure que la soirée s’avançait, Clemens s’était montré de plus en plus réticent. Cette idée était stupide ! Ils allaient être renvoyés sur l’heure ! En outre, les abords de la chapelle n’étaient pas très rassurants, la nuit. Spelling avait menacé de lui donner un bon coup de poing s’il n’arrêtait pas ses jérémiades. C’était la meilleure trouvaille qui ait été faite au collège depuis des années – des siècles, peut-être ! Quelle merveilleuse façon d’en boucher un coin au vieux Griggs-Meade, le directeur, ce sale hypocrite ! Ça lui apprendrait à réviser ses éternels sermons sur le-mal-qui-n’existe-que-dans-les-cœurs. Ça lui ferait voir que le mal est une force véritable, tangible, vivante ! Parole de Mister Hyde !

Greene se remit à rire sous cape.

— Alors, espèces d’empotés ! chuchota-t-il bruyamment. Allons-y !

Spelling jeta un dernier regard, furtif, autour de lui, puis il tira de la poche de son pantalon une longue clé luisante. Posément, il l’inséra dans le trou de la serrure. Tous trois retenaient leur souffle et serraient les mâchoires. Spelling fit pivoter son poignet et s’exclama :

— C’est déjà ouvert !

En ne respirant toujours qu’à petits coups, il poussa doucement le battant, en remerciant Dieu que Saunders ait veillé à bien huiler les gonds.

— Allons-nous-en, Spelling. Si c’est ouvert, c’est qu’il doit y avoir quelqu’un, dit nerveusement Clemens en regardant de tous les côtés.

— Mais non, regarde ! Il n’y a pas de lumière à l’intérieur. Ce vieux crétin de Saunders aura simplement oublié de fermer. (Spelling passa la tête dans l’entrebâillement, puis se glissa à l’intérieur.) Venez, ordonna-t-il.

— Vas-y, Clemens, passe le premier, dit Greene.

Et il poussa son camarade, qui alla heurter de front Spelling, dans l’obscurité.

— Fais attention, balourd ! siffla Spelling. Alors, Greene, amène-toi et ferme cette fichue porte, qu’on puisse allumer la lampe de poche.

Le troisième garnement entra dans le hall de l’avant-corps et ferma la porte derrière lui. Le long rectangle de ciel s’amincit et disparut.

Un étroit filet de lumière jaillit au travers des ténèbres, issu de la lampe de poche de Spelling.

— Tu es sûr qu’il n’y a personne ici ? demanda Clemens avec anxiété.

— Comment veux-tu que quelqu’un ait pu monter cet escalier dans le noir ? répliqua Spelling. Maintenant, fermez-la, on va entrer dans la chapelle. Suivez-moi.

Sans un mot, il gravit les larges marches de bois, les deux autres sur les talons. Les sens en éveil, tous trois avaient une conscience aiguë du moindre craquement, du moindre grincement qui sortait du vieil escalier.

Arrivés devant la porte, ils eurent la surprise de la trouver ouverte, elle aussi.

— Ma parole, le vieux Saunders devait être complètement dans les vapes, s’écria Greene. (Puis il se mit à glousser.) Vous savez quoi ? En repartant, on fermera à clé pour lui !

Les autres acquiescèrent par un petit rire nerveux. Puis, Spelling passa la tête, de nouveau, et balaya les murs avec le rayon de sa lampe. Le porche de la chapelle était déjà relativement grand – aussi grand que bon nombre de petites églises de couvents – et il était décoré d’emblèmes héraldiques. Avant d’y pénétrer, ils tendirent soigneusement l’oreille, puis ils s’avancèrent avec précaution sur le dallage, vers l’entrée de la chapelle principale. Clemens s’attendait vaguement à voir toutes les lumières s’allumer d’un coup, tandis qu’une voix furieuse leur demanderait ce qu’ils étaient en train de faire. Mais rien ne vint troubler leur progression.

Il faisait infiniment plus clair dans la chapelle elle-même, grâce aux hauts vitraux qui laissaient passer une certaine lumière de l’extérieur, en y mêlant tout un jeu de couleurs mal définies. Néanmoins, elle restait terriblement impressionnante et lugubre aux yeux de Clemens. Et, si Greene ne l’avait pas suivi d’aussi près, il aurait tourné les talons et se serait enfui sans demander son reste.

Les trois garçons scrutèrent les profondeurs obscures de la chapelle, ses hautes voûtes en éventail, ses rangées de bancs, sombres, magnifiquement sculptés, qui faisaient la haie de part et d’autre de la large nef. Sur ceux du fond se trouvaient les inscriptions de riches ou de célèbres Etoniens du passé. À peine visible dans l’ombre, le monumental autel de marbre adossé à de riches tapisseries se dressait au bout de l’édifice de style flamboyant. Et les fragments de fresques qui couvraient les murs de la première moitié de la chapelle ne leur apparaissaient que comme des taches grisâtres aux contours légèrement plus foncés.

Aucun des trois garçons ne vit la silhouette habillée de blanc qui était assise dans le noir à la dernière rangée de bancs. Par contre, tous les trois remarquèrent le froid atroce qui leur perça soudain les os.

— Merde alors, qu’est-ce qu’il fait froid ! murmura Spelling.

Clemens, choqué par ce langage ordurier dans un lieu aussi sacré, se borna à considérer la tache claire que formait le visage de Spelling.

— Allez, on s’y met ! dit Greene avec avidité.

Et, plein d’entrain, il se mit à marcher le long de la nef en balançant son pot de peinture et en fredonnant sa rengaine favorite du moment. Le froid glacial qui remplissait la chapelle n’avait pas du tout l’air de l’importuner.

— Après toi, boutonneux, dit cruellement Spelling à Clemens, persuadé que ce dernier prendrait la poudre d’escampette si l’occasion lui en était donnée.

L’autre haussa les épaules avec découragement et suivit Greene en direction de l’autel. Après un dernier regard derrière lui, Spelling les suivit à son tour. Il croyait avoir aperçu quelque chose de blanc contre le mur de gauche, mais comme il allait diriger le faisceau de sa lampe de ce côté-là, la voix de Greene l’interrompit :

— Ça pue, ici ! À croire qu’un chat est venu mourir quelque part dans la chapelle, disait Greene avec dégoût, le nez froncé. Dis donc, Spelling, où est-ce qu’on va peindre ? Sur l’autel ?

— Non, répondit Spelling. Sur les murs, plutôt, et peut-être aussi par terre devant l’autel.

— Ça va. Tu fais les murs, moi je fais par terre.

— On n’a qu’une seule lampe, idiot. Faudra faire une chose à la fois.

— D’accord. Alors, on commence par le sol. (Greene se mit en devoir d’ouvrir son pot d’un quart de litre de peinture.) Hé, Clemens, tiens la lampe pendant que Spelling et moi on peint.

Spelling fourra la lampe de poche dans la main tremblante de son compagnon et se mit lui aussi à ouvrir sa boîte de peinture.

— Tu as quelle couleur, toi, Greene ? Le rouge ? chuchota-t-il vers son copain qui tenait délicatement son couvercle entre le pouce et l’index, en veillant à ne pas se tacher.

— Euh… oui, le rouge, répondit Greene.

— C’est ça, moi j’ai le noir. Maintenant, jetons un coup d’œil au bouquin. Amène la lumière, Clemens.

Tandis que l’autre feuilletait le livre à la recherche d’un dessin qui puisse convenir, Clemens regarda autour d’eux. Ses yeux étaient beaucoup mieux habitués à l’obscurité, à présent, et pourtant il se demanda s’ils lui jouaient des tours. L’espace d’une brève seconde, il avait cru voir les longues rangées de bancs remplies d’ombres noires, immobiles. Il cligna vigoureusement des yeux et regarda de nouveau : non, cela avait été son imagination. Il n’y avait rien du tout.

— Arrête de faire bouger cette lampe, Clemens ! dit brutalement Spelling. Ah ! Voilà un truc terrible, pour commencer !

Il examina avec un large sourire l’image qu’il avait trouvée – et, dans la lumière de la lampe de poche, son visage semblait méchant et gnomesque. Plissant les yeux, il déchiffra avec peine la légende qui se trouvait sous l’illustration :

— « Cercle incantatoire utilisé en goétie pour les pactes et pour l’évocation d’esprits malfaisants », lut-il à haute voix.

— Pas mal, commenta Greene. Mais le dessin a l’air assez compliqué.

— On le simplifiera.

Spelling posa le livre par terre et sortit de la poche de sa veste un large pinceau. Le trempant dans la couleur noire, il se pencha et, à reculons, se mit à tracer un cercle plus ou moins réussi sur le sol, devant l’autel.

— C’est pas très rond, remarqua Greene lorsqu’il eut fait un tour complet.

— Ça ira comme ça. Maintenant, peins le triangle à l’intérieur pendant que je fais un deuxième cercle plus grand.

Tous deux se mirent à l’œuvre avec ardeur, en pouffant chaque fois qu’ils se cognaient.

— Parfait, dit Spelling en se redressant pour admirer leur travail. Bon, maintenant qu’est-ce qu’il y a à l’intérieur du triangle ?

— Trois cercles rattachés par une croix et… ça a l’air d’une sorte de courbe… avec des flammes qui en sortent, répondit Greene en penchant la tête de côté, et en se concentrant sur le symbole.

— Bien. Les cercles et la croix en noir, et toi tu fais la courbe et les flammes en rouge.

Clemens observait leurs deux dos penchés et sentait monter son anxiété. Pourquoi donc leur avait-il donné cette idée stupide ? Il crut apercevoir quelque chose qui bougeait, au bord de son champ visuel, et il regarda vivement vers l’une des petites chapelles latérales. C’était la chapelle de Lupton, qui était séparée de la nef principale par un écran de pierre délicatement ajouré. Il lui sembla qu’une forme noire s’était prestement dissimulée derrière cet écran.

— D… dites, les gars. Je crois qu’il y a quelqu’un là-bas, murmura-t-il aussitôt à l’intention des deux autres.

Ceux-ci levèrent les yeux vers lui.

— Ne sois pas aussi poule mouillée, Clemens. Personne n’a pu entrer ici.

— Et les portes, qui n’étaient pas fermées ?

Cette fois, Spelling et Greene se regardèrent.

Greene avala bruyamment.

— Qu’est-ce que tu as vu ? demanda Spelling.

— Je ne sais pas très bien. Une ombre, je crois, là-bas.

— Eh bien, dirige la lumière par là.

Clemens s’exécuta, mais ils ne virent rien.

— Et… et s’il s’était accroupi pour se cacher ? insista Clemens, quoique à contrecœur.

— Oh, donne-moi cette lampe, dit rageusement Spelling, et il marcha vers la chapelle en question, en tenant la lampe devant lui.

Clemens et Greene virent sa silhouette disparaître derrière le panneau ornemental. Soudain, elle s’évanouit totalement, de même que la lumière. Glacés d’horreur, ils entendirent un long gémissement qui venait de la chapelle, puis, pour comble d’épouvante, une face de fantôme fit son apparition dans un des interstices de la pierre, les traits déformés par de violents contrastes d’ombre et de clarté.

— Spelling ! Espèce d’imbécile ! s’écria Greene, rassuré mais au bord des larmes.

Spelling sortit de derrière le panneau de pierre, en riant comme un fou, et retira la lampe de dessous son menton.

— Ça vous apprendra ! dit-il entre deux accès d’un rire hystérique.

Greene fit mine de lui renverser le pot de peinture sur la tête et Spelling enfila la nef au pas de course en levant très haut les genoux pour accentuer le comique de la chose.

— Imbécile ! criait Greene.

— Chhhhhut ! souffla Clemens, inquiet de les voir faire un tel vacarme.

Tout à coup, Spelling éteignit la lumière. Puis il fila dans un étroit couloir qui séparait deux bancs et, trébuchant sur une marche, il tomba de tout son long. Et il resta ainsi sur le ventre, essoufflé, tâchant de calmer son fou rire.

— Arrête ton petit jeu, Spelling ! souffla Clemens dans l’obscurité. Allume cette lampe ! Viens, Greene, si ça l’amuse tellement de faire l’imbécile, nous, on s’en va.

Mais Greene devait s’être pris au jeu. Il était introuvable, lui aussi.

— Oh, bon sang, toi aussi ! Ce n’est vraiment pas très drôle ! (La colère de Clemens s’amplifiait, renforcée encore par sa peur du noir. Un bruit, derrière lui, puis un gloussement étouffé le firent virevolter sur place.) Ça suffit, Greene. Je sais que tu es là ! (Il commençait à désespérer.) Si vous continuez, je pars !

Quelque chose de blanc, derrière les bancs, attira son attention. Avec un sursaut, il fit un pas en arrière et son talon heurta un des deux pots de peinture, qui se renversa. La couleur se répandit aussitôt sur le sol, recouvrant rapidement le symbole fraîchement tracé et continuant à se propager comme une mare visqueuse et gluante.

Le jeune garçon s’en écarta vivement, pour ne pas abîmer ses chaussures. L’arrière de ses genoux rencontra le bord d’un banc, et il tomba assis avec une secousse. Haletant, il resta là sans bouger, les yeux dirigés droit devant lui vers cette forme blanche qui était assise, immobile, au bout du banc d’en face. Une main pâle et crochue apparut derrière lui, à son insu, et s’abattit sur son épaule.

— Bouh ! cria Greene.

Clemens poussa un hurlement et tomba par terre en se débattant pour échapper à ce qui l’avait assailli.

— Tais-toi, idiot ! Tu veux vraiment que tout le monde nous entende ? (Greene en voulait, maintenant, à son copain qui pleurait bruyamment – il regrettait presque sa petite plaisanterie. Si on les trouvait dans la chapelle – surtout maintenant, avec toute cette peinture par terre –, ça allait être leur fête !) Je crois qu’on ferait mieux de s’en aller, dit-il. Où est Spelling ? Amène-toi, idiot, avant qu’on se fasse pincer !

En terminant sa phrase, il regarda de l’autre côté de la nef, vers les bancs d’en face. Et c’est alors qu’il remarqua la forme blanche.

— Spelling ? C’est toi, hein ? demanda-t-il d’une voix mal assurée.

Clemens suivit son regard, mais l’obscurité les empêchait de bien voir. Tout à coup, ils entendirent un ricanement sourd, rauque.

Clemens se fit tout petit sur son banc. Il vit qu’il y avait d’autres formes assises en face, dans les ténèbres. Des formes qui n’avaient pratiquement pas l’air de bouger, et qui pourtant ne semblaient jamais immobiles. Lentement, il tourna la tête vers Greene et il constata que de leur côté également, les bancs étaient remplis de silhouettes sombres et nébuleuses. Un murmure infiniment bas commença à monter dans la chapelle, à peine un chuchotement, mais, inexplicablement, il sembla tout à coup extrêmement fort et il remplit de vibrations la tête des deux jeunes garçons. Par-dessus les voix, ils entendaient toujours le rire – l’horrible ricanement, si cruel – de la silhouette blanche. L’air était empesté par une atroce odeur de brûlé qui montait au nez des garçons par vagues nauséabondes.

Spelling était toujours à plat ventre par terre, paralysé à présent par tout ce qu’il entendait. Les muscles de son dos étaient figés, et il allongea un bras pour essayer de se remettre debout. Sa main toucha quelque chose de sec et écailleux. En tâtonnant du bout des doigts, il reconnut la forme… d’une cheville ! Et la chair qu’il sentait était toute craquelée.

Il retira sa main avec un cri d’effroi et, levant les yeux, il vit un crâne hideux, presque complètement décharné, qui le regardait en grimaçant. À quatre pattes, il se mit à reculer dans l’étroit couloir qui séparait les deux rangées de bancs. De chaque côté, des figures atrocement déformées se penchaient vers lui en chuchotant, et des mains dépourvues de doigts se tendaient vers lui d’un air accusateur.

Il finit par atteindre l’allée centrale et ne put s’empêcher de pleurnicher bruyamment, tout en continuant à reculer, à ramper misérablement vers le fond de la chapelle. Il n’avait qu’une seule idée : s’éloigner de l’autel, s’éloigner de ses deux amis qui restaient cloués sur place, et les pleurs qui s’échappaient de ses lèvres se perdaient dans le bruit des murmures. En arrière ! En arrière ! Il était conscient de la présence de ces ombres noires qui remplissaient les bancs de bois de chaque côté de la chapelle, mais son esprit refusait de le laisser réaliser pleinement ce qui se passait, de lui en faire assumer la véritable signification.

La chapelle vibrait, toute bourdonnante du bruit des morts. Elle était imprégnée de l’odeur des corps en décomposition.

Tandis qu’il reculait toujours à quatre pattes sur le dallage dur et froid, Spelling vit tout à coup une forme blanche se lever et se diriger entre des bancs vers ses deux amis. Les larmes du jeune garçon laissaient des traces luisantes le long de l’allée et ses genoux étaient tout écorchés par le sol aux pierres inégales. Dans la pénombre, il voyait encore la sombre mare de peinture et les deux taches plus claires des pots, dont l’un était renversé sur le côté.

Les formes sombres se levèrent et convergèrent toutes vers Clemens et Greene. La silhouette étrangement vêtue de blanc se pencha vers celui qui était prostré sur le sol. À ce moment-là, Greene regarda avec effroi autour de lui, cherchant par où s’échapper – puis il se laissa tomber sur les genoux lorsqu’il réalisa qu’il était encerclé. Et Spelling ne vit plus que son visage blême, au-delà du premier banc de bois.

Ensuite, l’obscure masse de formes mouvantes se referma, cachant à sa vue ses deux amis et le personnage en blanc.

Alors, il poussa un hurlement, se remit sur ses pieds et s’enfuit à toutes jambes de la chapelle.

 

 

Les pas du directeur résonnaient sur le pavement irrégulier du péristyle et ses yeux scrutaient au passage chaque coin d’ombre qui se présentait. Il avait pris l’habitude, depuis des années, de faire une petite promenade tout à son aise, chaque soir, autour du collège. Son but n’était pas réellement de contrôler que tout allait bien : en fait, il prenait plaisir à s’accorder ainsi quelques instants de méditation solitaire. Il songeait avec nostalgie aux siècles passés, il écoutait les fantômes des Etoniens d’antan, et il se voyait chargé de l’éducation d’élèves qui portaient les noms de Walpole, Pitt, Shelley ou Gladstone. Qui, parmi ses élèves à lui, s’élèverait jusqu’à une telle célébrité ? Les maîtres de l’époque étaient-ils conscients du potentiel de certains éléments ? Était-il possible qu’ils aient pressenti le rôle que telle ou telle personnalité allait jouer dans l’avenir de l’Angleterre ? Qui serait son Shelley ? Qui, son Gladstone ?

Ce soir, sa flânerie revêtait un caractère d’urgence tout particulier, sa promenade tardive avait un but qu’il ne faisait encore que pressentir. Toute la journée, il avait eu conscience d’une tension croissante qui avait perturbé ses pensées et distrait sa concentration. Il franchit l’arche de la tour de Lupton et s’engagea d’un pas rapide sur le chemin en cailloutis qui traversait la cour du collège. Les bâtiments historiques, peu soucieux de son anxiété, veillaient imperturbablement sur le silence du vaste quadrilatère. Arrivé près du centre de la cour, qu’occupait une statue d’Henri VI impitoyablement battue par les intempéries, il s’arrêta et se retourna lentement, comme mû par une sensation plutôt que guidé par ses yeux ou son ouïe. Par deux fois, il se retourna ainsi, pressentant un problème quelconque, et chaque fois il dut faire un effort pour arracher ses regards à la chapelle dont la grise silhouette dominait le quadrilatère et les bâtiments alentour.

Griggs-Meade leva la tête vers les hauts vitraux de la chapelle : de l’extérieur, ils semblaient n’être que d’énormes trous noirs et cela même paraissait être un signe tangible de l’insécurité qu’il ressentait. Il crut percevoir un faible bruissement et plus il tendit l’oreille, moins il réussit à se persuader que ce n’était qu’un bourdonnement de ses propres tympans. À cet instant retentit un cri aigu, qui mit un terme à ses hésitations.

Immédiatement après, un nouveau cri se fit entendre, perçant, pareil à un cri de petite fille. Le directeur se mit à courir de toutes ses forces, traversa la cour par la diagonale, ses longues jambes le portant rapidement à la porte de l’avant-corps de la chapelle. Au moment où il approchait de l’entrée et où il se demandait si la lourde porte serait ouverte, il entendit des pas dégringoler l’escalier de bois à l’intérieur en un tambourinement clairement dû à la précipitation. Il poussa la porte, qui s’ouvrit toute grande. La seconde d’après, un petit personnage surgit de l’ombre et se jeta sur lui en gesticulant avec frénésie et en poussant des hurlements de terreur.

Le choc fit reculer Griggs-Meade, mais il tint bon et, agrippant le jeune garçon qui se débattait, il parvint à l’attraper par un bras, juste au-dessus du coude. Après l’avoir violemment secoué pour le calmer, il se pencha vers son visage livide, puis le traîna un peu plus loin dans la cour pour mieux distinguer ses traits, tandis que le corps du gamin se raidissait entre ses mains. Le visage lui était familier – le nom lui reviendrait plus tard –, mais de toute façon le jeune garçon était dans un état qui excluait tout interrogatoire. La bouche ouverte, il regardait fixement par-dessus l’épaule du directeur, en direction de la porte qu’il venait de franchir. Sa figure luisait, trempée, comme s’il avait pleuré abondamment et des gémissements lui échappaient par à-coups. Griggs-Meade comprit que ce qui avait provoqué une telle frayeur se trouvait toujours à l’intérieur de la chapelle. Furieux de cette entorse au règlement, il entreprit d’entraîner l’élève vers la porte, dans le but d’aller voir ce qui l’avait incité à désobéir de la sorte et de découvrir qui se trouvait encore dans la chapelle.

Dès qu’il comprit les intentions du directeur, Spelling se mit à lutter pour se dégager et ses plaintes se changèrent en cris de protestation. Il se laissa même tomber sur les genoux pour ne pas avancer plus loin.

— Debout, garnement ! gronda Griggs-Meade – mais l’élève n’était plus qu’une marionnette hystérique et vagissante.

Partagé entre le désir de ne pas abandonner le jeune garçon dans une telle panique et la nécessité d’aller voir ce qui l’avait mis dans cet état, le directeur leva les yeux vers la chapelle et finit par prendre une décision. Laissant Spelling se rouler en boule sur le sol, il se précipita sous le porche obscur et grimpa l’escalier de bois.

À peine était-il entré sous le porche de la chapelle, que le froid le surprit. Il eut l’impression d’avoir brusquement pénétré dans un gigantesque réfrigérateur. Ne prenant pas le temps de s’arrêter, il se rua vers l’entrée de la chapelle principale, malgré l’obscurité, fulminant d’avance contre quiconque avait osé violer cette chapelle qu’il aimait tant.

Arrivé à la porte, il stoppa net, incapable de comprendre la vue qui se présentait à lui.

Le vaste édifice était peuplé d’ombres noires et mouvantes, de formes qui apparaissaient et disparaissaient dans une ondulation et une évolution constantes des masses. La lumière irréelle qui descendait des immenses vitraux multicolores, au lieu de préciser les contours, ne faisait qu’ajouter à la confusion des formes. Chaque fois qu’il essayait de fixer une silhouette ou un groupe en particulier, l’image s’évanouissait pour se reformer dès qu’il avait détourné le regard. En outre, un bruit assourdissant l’assaillait, un mélange de huées, d’agitation, un bourdonnement tumultueux – et cependant, lorsqu’on écoutait chaque son séparément, on se rendait compte que ce n’étaient que des chuchotements. Des murmures rudes et desséchés. Des voix brûlées.

Dans la pénombre, devant l’autel, il discernait vaguement une forme vêtue de blanc au milieu de la foule mouvante. Cette silhouette semblait en étreindre deux autres, plus petites. À la fois fasciné et horrifié, le directeur s’avança dans l’allée centrale : la fascination l’attirait, l’horreur lui donnait envie de fuir à toutes jambes. Et s’il résista à cette envie, c’est qu’il réalisa que le personnage en blanc serrait dans ses bras deux jeunes garçons, qui étaient sans aucun doute deux de ses élèves. La prémonition qui l’avait hanté pendant toute la journée ne l’avait pas trompé. Il ignorait ce qui était en train de se produire, mais il savait que les garçons – donc, le collège – étaient en danger de mort.

Griggs-Meade n’était ni un brave ni un lâche. Simplement, il se laissait guider par un sens absolu du devoir.

À son approche, le vacarme qui résonnait dans la chapelle se tut pour faire place à un silence lourd. Les formes floues se tournèrent pour le regarder arriver, et parurent s’écarter pour lui laisser le passage, ouvrant donc devant lui tout un couloir qui lui permit de voir clairement, à l’autre bout de l’allée, le personnage en blanc et les deux garçons prisonniers de son étreinte. Une intuition l’avertit de ne pas regarder les spectres qui faisaient la haie pour lui. L’horreur de leurs traits eût été insoutenable, il le pressentait, et il n’aurait plus pu s’empêcher de faire demi-tour et de s’enfuir. Mais il ne pouvait fermer ses narines à la puanteur ambiante. C’était une odeur de chair en putréfaction.

Un ricanement méprisant et cruel attira son attention sur l’être habillé en blanc. Même à une certaine distance, cet homme lui paraissait vaguement familier. Était-ce possible ? Il ressemblait étrangement au photographe qui travaillait si souvent pour le collège depuis une dizaine d’années. Comment s’appelait-il donc ? Il avait un studio dans la grand-rue.

— Que faites-vous ici ? demanda Griggs-Meade d’une voix forte – plus assurée, en fait, qu’il ne l’était au fond de lui-même. Pourquoi retenez-vous ces enfants ?

L’homme ricana de nouveau et le directeur frémit. Ce rire n’avait rien d’humain.

— Répondez ! Pourquoi êtes-vous ici ?

Griggs-Meade s’efforçait d’avoir l’air fâché – et il y parvenait presque.

Soudain, le ricanement devint plus saccadé et l’homme ouvrit les bras en tenant toujours les deux élèves à la gorge. Figé d’effroi, le directeur vit que les yeux des deux garçons commençaient à saillir de leurs orbites et que leur langue sortait de leur bouche : les doigts monstrueux avaient commencé à serrer leurs deux cous comme des étaux.

— Arrêtez ! Arrêtez ! hurla le directeur mais, impuissant, il constata avec épouvante que l’homme levait à présent les deux mains, soulevant ainsi de terre les deux garçons qui se débattaient.

Il était occupé à les pendre à bout de bras. Le gargouillis étouffé qui sortit de leur bouche et la soudaine bouffée violacée qui leur monta au visage eurent un effet électrisant pour le directeur, qui se lança en avant en poussant un grand cri de rage et de terreur.

À ce moment-là, il se produisit une chose stupéfiante qui le fit tomber à la renverse : l’homme en blouse blanche prit brusquement feu.

La tête, tout d’abord, fut envahie par les flammes et se transforma instantanément en une boule de feu qui riait en même temps qu’elle hurlait de douleur, et dont la bouche n’était plus qu’un gouffre noir entouré de chairs grésillantes et boursouflées. En un instant, les cheveux furent dévorés en une flambée plus claire. Bientôt, les yeux se mirent à glisser lentement le long des joues au bout de deux filaments ténus et carbonisés. Le feu se propagea vers les bras tendus et le bas du corps, transformant l’homme en une croix ardente qui hurlait d’angoisse tout en riant avec une sarcastique perversité. Les flammes atteignirent simultanément les deux malheureux garçons et engloutirent leurs deux têtes d’un seul coup. Les cris déchirants qu’ils poussaient n’avaient cependant plus le moindre effet sur le directeur, car celui-ci, littéralement figé d’horreur, en était arrivé à un stade où plus rien ne pouvait le toucher. Il rampait par terre, hébété.

L’intérieur de la vaste chapelle était à présent vivement illuminé par les flammes. Des dessins jaunes et rouges dansaient sur les murs et les quatre petites statues de l’autel qui ressemblaient à des enfants agenouillés avaient l’air de sourire dans la lumière tressautante. Les ombres qui remplissaient l’édifice se retiraient, s’écartaient des trois personnages qui flambaient et, comme Griggs-Meade regardait autour de lui d’un regard désormais incapable d’émotion, il vit que des langues de feu à peine visibles avaient commencé à lécher les corps transparents. Et les âmes, torturées, se contorsionnaient misérablement. Il vit également les panaches de fumée, bien réels ceux-là, qui commençaient à s’échapper des bancs de bois où le feu prenait au fur et à mesure que les spectres tombaient, vaporeux et diaphanes, tordus dans une muette agonie. Le bois se mit à rougir et bientôt de minuscules flammèches apparurent çà et là, qui ne tardèrent pas à se rejoindre sur toute la longueur pour former des flammes de plus en plus grandes.

L’attention du directeur fut de nouveau attirée par le trio central : un des deux enfants était tombé – la main décharnée qui le portait ayant sans doute fini par se dessécher et se briser. Le garçon, tombé sur les genoux, se releva d’un bond, le dos et les bras envahis par les flammes. Il courut vers le maître-autel comme pour y chercher refuge, s’écrasa contre la pierre et s’affaissa sur le sol. Se relevant de nouveau, Clemens contourna l’autel en titubant et en virevoltant, trébucha et s’accrocha aux tapisseries pour se retenir de tomber encore. Immédiatement, le feu passa de son corps aux tentures anciennes, qui s’enflammèrent comme du papier, livrant au feu dévastateur ces œuvres d’art qui avaient fait l’objet de tant de tendresse.

Les deux personnages qui restaient encore devant le directeur – l’homme, et le second garçon, qui avait fini par mourir – se désintégrèrent petit à petit et tombèrent par terre. Les cris de douleur de l’homme s’évanouirent à mesure que la vie quittait son corps. Mais le rire résonnait toujours, obscène et rauque, émanant du cadavre qui achevait de se consumer.

Griggs-Meade se demanda tout à coup pourquoi il avait l’impression d’être assis dans une flaque un peu gluante. Levant la main, il vit qu’elle était couverte d’un liquide rouge et poisseux qui avait l’air d’être du sang. Son esprit n’était évidemment plus à même de lui signaler qu’il ne s’agissait que de peinture rouge. Celle-ci s’était répandue et baignait maintenant le pied des bancs : lorsque les flammes descendirent le long du vieux bois, elles trouvèrent en cette substance visqueuse une alliée de choix. À peine l’eurent-elles touchée qu’elles s’y installèrent avec délices pour se propager à sa surface, rapides et pleines d’avidité, vers les jambes écartées du directeur.

Tout l’intérieur de la chapelle ne tarda pas à se transformer en une gigantesque fournaise, en un brasier furieux qui n’avait guère plus de respect pour les traditions que pour la vie humaine. Au-dehors, les petits bâtiments annexes qui avaient toujours eu l’air de baisser la tête devant la magnificence de la chapelle semblaient à présent courber l’échine devant la menace de l’incendie.

Dans la cour, un jeune garçon roulé en boule claquait des dents et pleurait.