17
Au cours de sa vie, Riley
avait connu bien des postes de guet, mais celui-ci était de loin le
plus confortable. Pourtant, ils ne
l’avaient trouvé qu’in extremis et suite à
un changement de plan.
Cela avait commencé quand Mary
Ann et lui avaient croisé les parents d’Aden au volant d’un
fourgon, à quelques centaines de mètres de la maison où ils
vivaient. En tout cas, ils avaient
supposé qu’il s’agissait d’eux : l’homme qui conduisait était
âgé d’une quarantaine d’années, avec des cheveux châtains et des
yeux gris métal que Riley avait pu discerner grâce à sa vision de
loup.
Sur le siège passager se
tenait une femme un peu plus jeune, aux cheveux blonds et aux yeux
apparemment noisette. Tous deux avaient
des auras d’un vert glauque. Etait-ce de
la culpabilité ? La couleur était
si trouble que, même avec ses yeux magiques, il ne pouvait pas bien
la distinguer.
Joe et Paula Stone vivaient
peut-être dans le remords de ce qu’ils avaient fait à leur fils
— ou bien étaient-ils tout simplement en train d’abandonner
leur maison pour éviter d’avoir à payer leurs factures
d’électricité ? Les deux étaient
possibles…
A présent, Riley et Mary Ann
attendaient, installés dans une villa confortable juste en face de
la petite maison
décrépite que les Stone venaient de quitter. Ils n’avaient plus qu’à espérer que le couple revienne
bientôt et qu’ils puissent mieux les distinguer, voire espionner
leurs conversations.
En temps normaux, Riley
aurait profité de leur absence pour visiter les lieux, mais il
avait repéré sur la façade des caméras de surveillance dernier cri,
avec un système de détection de mouvement. Des modèles bien chers pour une maison dans cet
état. Quiconque dépensait autant
d’argent pour de l’électronique garnirait sans le moindre doute les
portes et les fenêtres en plus de détecteurs infrarouges.
Sans compter que lesdites portes et fenêtres
étaient probablement blindées et qu’une alarme générale silencieuse
accompagnait presque toujours ce genre de dispositif.
Donc, à moins d’y être contraint par les
circonstances, il éviterait toute tentative
d’effraction.
En tout cas, pendant un
certain temps.
De toute façon, Riley n’était
pas fâché d’être coincé ici pour attendre le retour des parents
d’Aden. Au contraire, il adorait cette
planque. Tucker, ce crétin prétentieux,
avait disparu au moment de leur pause dans le cybercafé.
Où était-il passé ? Oh, et après tout, peu importait. Riley s’en fichait royalement. Tout ce qui comptait, c’était qu’il avait maintenant
Mary Ann pour lui seul.
Pour l’heure, il était assis
dans le salon, regardant à travers les volets entrouverts.
Contrairement à la maison des parents d’Aden,
la villa où ils se trouvaient ne présentait aucune difficulté
sérieuse en matière de sécurité. En
fait, il avait simplement eu besoin de soulever une fenêtre à
abattant pour atteindre la poignée de la porte de derrière. Ils étaient entrés sans la moindre
difficulté.
Franchement, les gens ne
faisaient attention à rien. Laisser une
fenêtre ouverte près d’une porte, c’était comme inviter tous les
cambrioleurs de passage à entrer !
Il était donc assis sur le
canapé, Mary Ann à ses côtés. Ils ne se
touchaient pas. Pas encore.
Mais cela viendrait, bientôt. Grâce aux protections qu’il avait tatouées sur le corps
de Mary Ann au motel, les fées et les sorcières ne constituaient
plus un danger pour eux. Elles ne
pouvaient plus les localiser par leurs pouvoirs magiques, et il
leur faudrait recourir pour les retrouver à des moyens
humains. Moyens dont Riley doutait
qu’ils soient fort développés, dans la mesure où les deux races
n’en avaient pratiquement jamais besoin. Ce qui, au final, signifiait que tout danger était
provisoirement écarté.
Et donc… il était seul à
seule avec Mary Ann, tranquille. Génial. Et encore plus
génial : il allait passer à l’attaque.
Fini de jouer les gentils
toutous. Riley avait pas mal
d’expérience avec les filles. Il savait
les charmer — il l’avait déjà fait, et souvent.
Il savait exactement quoi dire pour les
intriguer, leur plaire et accroître leur désir… Et c’est ainsi
qu’il allait procéder avec Mary Ann.
Un peu plus tôt, elle avait
failli le drainer de son énergie. Elle
s’était retenue au dernier moment. Depuis, elle était calme, distante. Elle devait avoir peur de le blesser. Il fallait qu’il trouve un moyen de la convaincre que
c’était impossible. Qu’il ne la
laisserait pas faire.
Et il y avait la question de
l’origine de ses pouvoirs. Victoria et
Riley partageaient un lien très fort. Il pouvait non seulement déchiffrer d’un seul coup d’œil l’aura de
son amie vampire, mais aussi partager ses pensées, surtout celles
qui le touchaient de près. Lors de leur
dernière rencontre, il avait ainsi pu lire dans l’esprit de
Victoria, presque par inadvertance, et il y avait trouvé ce
doute : et si
Mary Ann était liée aux fées ? A sa grande honte, il n’avait même pas envisagé cette
solution.
Elles aussi elles avaient le
pouvoir d’aspirer la magie, mais contrairement aux Draineurs
— ces éléments incontrôlables que les créatures surnaturelles
s’efforçaient d’éliminer depuis des millénaires — les Faés
étaient capables de s’arrêter quand bon leur semblait.
Ainsi, si Mary Ann était liée à elles d’une
façon ou d’une autre, il y avait un espoir pour que ses facultés
soient canalisables !
Comment n’y avait-il pas
pensé plus tôt ? A sa décharge,
tout s’était précipité autour d’eux ces dernières semaines, et
c’était presque la première fois qu’il avait le temps d’y songer
clairement.
Il parlerait bientôt de cette
possibilité à Mary Ann. Pour l’instant,
c’était inutile : elle ne pensait qu’à Aden et à comment le
sauver.
Demain. Il lui parlerait demain, et ils se pencheraient
ensemble sur son passé.
En attendant, il devait la
rassurer. Lui prouver qu’elle ne
pouvait pas lui faire de mal, sans quoi elle continuerait de
résister à toutes ses suggestions, aussi bien en ce qui concernait
leur mission que leur relation.
Bien que plongé dans ses
réflexions, Riley ne quittait pas la fenêtre des yeux.
Devant lui, la rue s’étendait, déserte et
silencieuse. La maison des parents
d’Aden (si c’étaient bien eux) restait plongée dans
l’obscurité.
Par la
fenêtre entrouverte entrait un courant d’air froid qui jouait avec
les mèches des cheveux noirs de Mary Ann. Comme elle était belle ! Il fallait qu’il lui parle, maintenant.
— Victoria m’a envoyé un
texto, commença-t-il avec détachement. Son frère est de retour au manoir. Il a défié Aden en duel. Et
il a perdu, devant tout le monde.
Elle releva la tête,
surprise.
— Une bonne chose pour
Aden, alors ! Il doit être
content.
— Je suppose.
En tout cas, il faut que nous lui disions ce
que tu as trouvé sur lui.
Elle lui jeta un regard
furieux, comme s’il avait proféré une énormité.
— Ce que j’ai
trouvé ? Mais je n’ai rien trouvé
de concret. Je refuse de lui donner de
faux espoirs.
— Mais enfin, Mary
Ann ! Tu ne crois pas qu’on
devrait le mettre au courant au sujet de Julian ?
Si Victoria ne lui en avait
pas déjà touché un mot après son sms…
— Et je suis sûr qu’il
aimerait savoir que nous avons retrouvé ses parents.
— Et si ce ne sont pas
ses vrais parents ? Tu imagines à
quel point il va être déçu ?
— Tu crois que tu te
trompes ? Que ce ne sont pas
eux ?
— Non, je ne pense
pas. Mais ça reste une
possibilité.
— Bien sûr.
Comme ça reste une possibilité qu’il s’agisse
bien d’eux.
— Ou pas, répondit-elle,
obstinée.
— Tu n’es pas fatiguée
de jouer l’avocat du diable ?
L’aura de Mary Ann était à
présent d’un bleu sombre, une couleur qui indiquait une intense tristesse, et à
laquelle se mêlaient des taches brunes — taches qui vireraient
bientôt au noir. Le noir ne
représentait pas forcément la mort. Dans son cas à elle, il signifiait la faim, le besoin
de se nourrir en drainant l’énergie d’une autre
créature.
Les zones brunes dans son
aura s’étaient accrues au cours des dernières heures.
Pourtant, Riley ne s’en inquiétait pas
vraiment. Peut-être parce qu’il y
discernait aussi des étincelles rouges — la colère, ou la
passion — et roses — l’espoir. Deux sentiments qui, il espérait, le concernaient de
près…
Mais elle lui lança un
nouveau regard noir, où se mêlait cette fois une certaine
stupéfaction :
— Je ne joue pas
l’avocat du diable !
Dans son aura, le rouge se
fit plus vif.
— Tu
plaisantes ? Tu n’imagines que le
pire. Un vrai oiseau de
malheur.
— Mais, euh…
non ! protesta-elle.
Se levant et se dirigeant
vers la fenêtre, elle poursuivit :
— Bon, tu as peut-être
raison. Mais mieux vaut prévenir que
guérir, non ?
— Franchement, je n’en
sais rien. Cela dit, si tu tiens à
placer le plus de clichés possibles dans la conversation, je te
conseille celui-ci : qui ne tente rien n’a rien.
— Mais je tente des
choses, non ? Je ne me contente
pas de ne rien faire !
— Tu attends, c’est
tout. Tu es en roue libre.
Tu ne crois pas que tu devrais te réveiller un
peu ?
Pour la
charmer, tu la charmes, pauvre idiot ! Pour l’instant, il la mettait surtout en colère.
Devait-il s’excuser de s’être montré aussi
rude ? Il choisit de ne pas le
faire. Après
tout, il ne disait que la vérité. Néanmoins, il se leva à son tour et la rejoignit près
de la fenêtre. Avec un sourire, il lui
toucha l’épaule.
— Laisse-moi
t’aider.
Elle se retourna d’un bloc,
le regard chargé de suspicion.
— Comment
ça ?
Tiens donc. Ainsi, ils avaient changé de rôle ?
Au début de leur relation, c’était elle qui se
montrait tout feu tout flamme, et lui qui freinait des quatre
fers. A présent, c’était lui qui
voulait aller plus loin… Dans la situation inverse, quelques
semaines plus tôt, qu’aurait-elle fait ?
— Je ne sais pas… tiens,
si tu me disais un secret ? Quelque chose que tu n’as jamais dit à
personne ? hasarda-t-il.
Voilà. C’était exactement ce que l’ancienne Mary Ann aurait
proposé. Elle aurait adoré
ça.
La nouvelle Mary Ann, elle,
le considéra d’un air hésitant.
— C’est-à-dire qu’on est
en pleine opération espionnage/cambriolage/recherche
d’informations, là… Tu crois que c’est vraiment le
moment ?
Pas de doute, ils avaient
complètement échangé leur rôle.
— Je crois que c’est le
moment idéal. Tu es contre le
multitâche ?
— Je ne sais
pas…
Cette réponse, ça ressemblait
davantage à l’ancienne Mary Ann !
— Allez, quoi.
Lâche-toi un peu, ajoute un petit travail en
plus sur notre planning surbooké…
Etait-ce vraiment malin de
présenter le fait de partager des confidences comme un
« travail » ? Sans doute
pas vraiment…
Elle sembla hésiter un
instant, puis elle lâcha :
— Alors, c’est toi qui
commences.
Voilà. Il la tenait. Il essaya de
ne pas sourire.
— D’accord.
Eh bien, par exemple, j’ai regretté de ne pas
avoir couché avec toi.
Droit au but,
non ?
Il vit son aura se teinter
d’un embrasement rouge — oui, c’était bien celui de la
passion. Son corps à lui réagit en
retour : une vague de chaleur délicieuse le
parcourut.
— Tu crois vraiment que
c’est un secret ? fit-elle d’une
voix douce. Mais… moi aussi, j’ai
regretté que nous n’ayons pas fait l’amour.
Il s’écarta un instant,
décontenancé. La charmer ?
La convaincre ? Ce n’était pas du tout la question. Et ce qui se passait était beaucoup mieux.
Elle lui avouait, honnêtement et sans fausse
honte, ce qu’elle ressentait. Son
désir.
— Mary Ann…,
murmura-t-il. Je… je…
Que lui dire ?
Il fallait qu’elle sache, qu’elle comprenne ce
qu’il voulait. L’embrasser.
La tenir dans ses bras. Etre avec elle, enfin.
Elle se détourna de la
fenêtre et le considéra de ses grands yeux pleins de
questions. Même dans la pénombre, il y
distinguait des paillettes vertes étincelantes qui se mêlaient à
leur teinte noisette.
— Non, il ne faut pas,
dit-elle — mais sa voix était hésitante. Pas ici.
— Pourquoi
pas ?
Il ne voulait plus attendre,
plus regretter. Demain ne viendrait peut-être jamais
— leurs dernières aventures le prouvaient
suffisamment.
Elle porta la main à son
chemisier et se mit à jouer avec les boutons. Avait-elle conscience de l’effet de ce geste sur
lui ? Savait-elle à quel point
elle le tentait ?
— Et si les
propriétaires de cette maison reviennent à
l’improviste ? Et si les parents
d’Aden arrivent ?
Elle hésitait, oui.
Prête à s’abandonner.
Abandonne-toi, mon amour. Je serai là pour toi.
— Alors, nous
remettrons nos vêtements. En
vitesse.
— Tu as vraiment prévu
le moindre détail, constata-t-elle sèchement. Je suis peut-être un oiseau de malheur, mais tu es un
Monsieur Je-sais-tout. Et c’est très
agaçant, tu t’en rends compte ?
— J’ai la très nette
impression qu’il faut qu’on parle un peu de tes ressentis, Mary
Ann, parce que, en toute objectivité, je ne suis pas le moins du
monde agaçant.
Elle laissa échapper un rire
joyeux.
— Ou alors c’est que
j’ai touché juste !
— Aucune
chance.
Oh, comme il aimait son
rire ! Il coulait, riche et clair
comme un vin de bonheur. Et pour
couronner le tout, c’était lui qui la faisait rire…
— Je suis le type le
moins agaçant du monde. Je suis la
perfection faite homme, et tu le sais.
— Vraiment ? D’accord. Je le
sais.
Avec un sourire, il
s’approcha d’elle, cherchant le contact de son corps.
De sa peau. De
ses hanches. Ils retenaient leur
souffle, tous les deux, comme si le silence de cet instant était
trop précieux pour qu’ils le gâchent.
Mais au moment même où il
allait pencher la tête pour cueillir un baiser sur ses lèvres, un
moteur se fit entendre à l’autre bout de la rue. D’instinct, ils se tournèrent vers la fenêtre.
Un véhicule approchait à vive allure de la
maison où ils se cachaient. Mary Ann
se raidit. Riley plissa les yeux,
concentrant sa vision de loup sur le conducteur. Un homme. Jeune, très
jeune. Pas Joe Stone. La voiture passa devant eux sans s’arrêter, et ils se
détendirent.
— Je me demande où est
Tucker en ce moment, fit Mary Ann.
Elle tremblait un
peu.
— Sérieusement, tu as
envie de parler de lui maintenant ?
— Il le faut, tu ne
crois pas ?
Non. Mais alors, pas du tout.
— Eh bien, Tucker…
Tucker est probablement en train de tuer quelqu’un, en ce
moment. C’est son jeu favori,
non ?
— Il n’est pas mauvais
à ce point, tu sais.
— Non. Il est pire.
Mary Ann fit mine de lui
décocher une bourrade sur l’épaule, mais termina son geste par une
caresse, et elle laissa glisser sa main le long des muscles de
Riley. Ce même flamboiement rouge dans
son aura… Il y avait de quoi fondre.
Elle se mordit la
lèvre.
— D’accord.
Pas besoin de parler de Tucker
maintenant. On verra plus
tard.
Elle prononça ces derniers
mots d’une voix basse, comme brisée par l’émotion et
l’envie. Une chaleur monta le long du
ventre de Riley.
— Tu veux qu’on parle
de quoi, alors ?
Sa propre voix avait plongé
d’une octave.
C’était tout l’encouragement
dont il avait besoin. La saisissant
par la taille, il l’attira à lui et la fit rouler sur le canapé du
salon, la forçant à s’asseoir à califourchon sur lui.
— Reste
ici.
Elle ne se déroba
pas. Il l’attira plus près encore
— presque jusqu’à la toucher. Elle posa les mains sur sa nuque.
— Et les
voitures qui passent ?
— D’où je suis, je peux
surveiller la fenêtre.
C’était vrai.
A condition qu’il regarde dans cette
direction. Pour le moment, il n’avait
d’yeux que pour elle.
— Embrasse-moi.
Maintenant. J’en
ai tellement envie.
— Moi aussi, dit-elle,
et elle inclina la tête.
Leur baiser fut profond et
fougueux. Glissant les mains sous sa
chemise, il lui caressa le dos des épaules jusqu’au creux de ses
reins, avant de faire courir son doigt sur la bordure de son
string.
— Est-ce que tu me
préviendras si…, souffla-t-elle, avant de
s’interrompre.
Il la comprit
pourtant : il devait l’arrêter si elle drainait ses
pouvoirs.
— Oui, je te le
dirai.
Cette fois, il ne
l’oublierait pas. Il ne voulait plus
qu’elle doute de lui, jamais.
— Mais je voudrais
qu’on essaie quelque chose, tu sais, continua-t-il.
— Quoi ?
l’interrogea-t-elle, hésitant de
nouveau.
— Si tu ressens le
besoin de te nourrir, ou si tu sens que tu me draines, ne t’en va
pas. Reste avec moi.
— C’est hors
de…
— Ecoute-moi.
Si ça arrive, n’arrête pas ce que tu
fais. Reste calme,
concentre-toi. Essaie simplement
d’arrêter le drainage.
— Rester
calme ? Alors que je mets ta vie
en danger ? Tu
plaisantes ?
— Je suis sûr que tu
peux t’arrêter. Sincèrement.
Je crois que c’est une question de
contrôle. Mais la seule façon d’en
être certain, c’est d’essayer vraiment.
Elle secoua la
tête.
— Si je dois essayer
ça, je ne veux pas que ce soit sur toi.
— On ne t’a jamais dit
que Riley avait toujours raison ?
Elle eut un petit
rire.
— On parle à la
troisième personne, maintenant ? Parce que Mary Ann n’aime pas ça.
— Et si on s’occupait
plutôt de notre secret ?
Ils reprirent leur baiser là
où ils l’avaient laissé. Même s’ils
étaient déjà allés plus loin auparavant, Riley choisit de prolonger
ce moment, l’embrassant jusqu’à ce qu’elle se mette à respirer de
plus en plus fort et à bouger contre lui en un mouvement
irrépressible.
Alors, il enleva son T-shirt
avant de déboutonner le chemisier de Mary Ann. Puis, l’attirant près de lui, sa poitrine contre son
torse, il laissa ses mains parcourir son corps. Elle l’imita, et sous ses doigts la peau de Riley
semblait devenir électrique. Chaque
caresse lui arrachait un gémissement.
Bien sûr, des voitures
passaient dans la rue. Chaque fois,
Riley se contenta d’interrompre leur étreinte pendant quelques
secondes, le temps de s’assurer que ce n’était rien d’important,
avant de se remettre à l’embrasser.
A deux
reprises, Mary Ann se figea, et tous ses muscles se
tendirent. Aucune voiture ne passait à
ce moment. Elle réagissait donc à
quelque chose d’autre. Sentait-elle
s’éveiller son pouvoir de mort ? Cherchait-elle à s’arrêter à temps ?
Sans doute. Lui-même ne ressentait pas le froid créé par les
effets d’un Draineur, ce froid intense qui vous glaçait jusqu’à
l’âme, et contre lequel il n’existait aucune
protection.
Elle murmura son nom, et il
comprit. Elle voulait
davantage.
Il jeta un coup d’œil autour
de lui. A l’exception du canapé où ils
se trouvaient, la pièce était vide. Le
sofa lui-même était quelconque, et taché en plus. Hors de question qu’ils fassent l’amour ici.
Pas pour leur première fois. Mais il en avait tellement envie…
C’est alors qu’il capta un
mouvement au-dehors. Quelque chose se
déplaçait, de l’autre côté de la rue, dans des buissons.
Son ouïe surnaturelle capta un bruit de
feuilles, et il perçut une lueur orange — la couleur de la
confiance et de la détermination. Immédiatement, il se dégagea de l’étreinte de Mary Ann
et scruta les ténèbres de sa vue perçante. La lueur était faible, comme masquée par une brume
éthérée, mais elle n’en était pas moins présente.
— Riley ?
Que se passe-t-il ?
— Attends une
seconde.
Une silhouette se dressa
dans les buissons. Une femme, blonde,
familière. Une
sorcière ! Et elle
pointait une arbalète en direction de Mary Ann. Riley bondit sur ses pieds, l’entraînant avec lui dans
sa tentative de sortir de la ligne de mire.
Elle bougea en même temps
que lui, ajustant sa visée avec fluidité, et appuya sur la
détente. Le trait partit, mortellement
rapide. Il y eut un bruit de verre
quand il transperça la fenêtre et vint se planter dans le dos de
Mary Ann.
Celle-ci poussa un hurlement
suraigu, tout à la fois de douleur et de surprise. Ses yeux se révulsèrent et son corps
s’arc-bouta. Elle était si proche de
lui qu’il sentit la pointe du carreau entamer sa propre
poitrine. Dans un effort désespéré, il
fit rouler Mary Ann au sol au moment même où un autre trait fendait
l’air et se fichait dans le mur opposé.
— Qu’est-ce qui…
m’arrive ?
Elle tremblait de tout son
corps, et sa voix était un murmure à peine audible.
Des ruisseaux de sang pourpre s’écoulaient le
long de son dos et de sa poitrine. Son
aura était devenue entièrement bleue, toutes les autres couleurs
disparues. Elle se vidait de son
énergie vitale !
— Les sorcières nous
ont retrouvés !
Comment avait-il pu
sous-estimer leurs capacités à les pister ? Comment avait-il pu abaisser sa vigilance et se
laisser aller ainsi ? Tout au
fond de lui-même, il savait à quels dangers il les exposait, mais
il avait préféré laisser parler son désir pour elle.
Tout était sa
faute.
Impossible de changer de
forme et de poursuivre leur agresseur : il ne pouvait pas
laisser Mary Ann ici, dans cet état. Mais comment était-ce possible ! Elle était protégée contre les blessures mortelles,
non ? Elle
aurait dû guérir quasi instantanément ! Pourquoi n’était-ce pas le cas ?
Il lui avait lui-même
dessiné le tatouage adéquat plusieurs semaines auparavant — la
protection contre les poignards, les armes à feu ou les
flèches. Elle aurait dû guérir.
ELLE AURAIT DÛ GUERIR ! Sauf si…
Il se pencha sur le corps de
son amie. Oui. C’était bien ça. La
sorcière avait vu son dos dénudé, et donc la protection.
Elle avait visé pour que le trait s’enfonce
dans la seule surface de peau que le tatouage ne protégeait pas de
sa magie : le centre même du motif.
En cet endroit précis, Mary
Ann était aussi vulnérable que tous les humains. A moins que…
— Prends mon énergie,
lui ordonna-t-il.
Au même moment, son cerveau
fonctionnait à pleine allure, à la recherche d’un plan de
retraite. En sentinelle accomplie, il
avait noté toutes les sorties de la maison, mais il ignorait si les
sorcières entouraient actuellement les lieux. Si c’était le cas, lui et Mary Ann seraient criblés de
flèches dès qu’ils se risqueraient dehors. Surtout s’il devait la porter.
— Non,
souffla-t-elle.
— Si,
ordonna-t-il. Il le faut.
C’est le seul moyen.
Drainer une partie des
pouvoirs de Riley pouvait redonner des forces à Mary Ann.
Face aux sorcières, celle-ci avait davantage
de chances que lui, car elle pouvait les combattre toutes à la
fois. C’était d’ailleurs bien la
raison pour laquelle on l’avait prise pour cible.
— Prends mon énergie,
martela-t-il de nouveau, puis draine la leur.
— Non,
répéta-t-elle.
— Si tu ne le fais pas,
tu vas mourir.
— Non.
Conversation sans
issue. Arrachant ce qu’il lui restait
de vêtements, Riley se transforma en loup. Ses os s’allongèrent, et la fourrure jaillit à travers
les pores même de sa peau. Il était si
habitué à cette métamorphose qu’elle n’avait pas plus d’effet sur
lui que s’il s’étirait en se réveillant d’une sieste.
Plantant ses crocs dans
l’avant-bras de Mary Ann avec toute la douceur dont il était
capable (très peu, à vrai dire), il la força à se jucher sur son
dos.
Une autre flèche traversa
l’air en vibrant, la manquant de peu.
Accroche-toi bien, lui lança-t-il par télépathie en bondissant à travers
le salon.
— D’a… d’accord,
gémit-elle.
Ses dents claquaient et elle
semblait dans un état second. Quel
idiot il était ! Il aurait fallu
lui remettre ses vêtements pour la réchauffer autant que possible,
mais sous cette forme, il était incapable de lui enfiler sa
chemise. Il ne pouvait pas non plus
emporter celle-ci dans sa gueule, car il risquait de trébucher
dessus.
Difficile à admettre, mais à
ce moment précis, il aurait bien eu besoin de Tucker : dans
cette situation, sa capacité à créer des illusions aurait été
précieuse.
Il n’avait plus le
choix. Prenant son élan, il bondit à
travers le couloir et se jeta contre la mince porte de
derrière. Celle-ci vola en éclats sous
l’impact, et Riley se retrouva dans le jardin. Sans marquer le moindre temps d’arrêt, il prit sa
course, zigzaguant dans tous les sens pour ne pas être une cible trop
facile. Bien lui en prit : autour
de lui, les flèches pleuvaient.
Combien y avait-il de
sorcières ? La seule chose
certaine, c’était que Jennifer et Marie n’étaient pas
seules.
— J’ai si mal…, gémit
Mary Ann.
Je le
sais, mon amour. Il envoyait
les mots directement dans son esprit, espérant qu’ils portaient
toute son affection, tout son désespoir. Je prendrais ta douleur dans mon
corps si je le pouvais.
Un carreau d’arbalète se
planta dans sa patte arrière gauche. Il poussa un glapissement de douleur, mais ne ralentit
pas sa course, et ne trébucha pas. Il
ne pouvait pas se le permettre : Mary Ann ne devait pas
tomber. A aucun prix.
Ses pattes rencontrèrent le
goudron, une surface où il était mal à l’aise. Le danger le guettait de toute part. Scrutant les alentours, il compta onze auras, toutes
oranges et peu visibles. Bien
sûr. Les sorcières s’étaient protégées
par magie, espérant échapper à son regard. Heureusement, elles n’avaient pas entièrement
réussi.
Il concentra son attention
sur la silhouette la plus à l’écart du groupe avant de bondir dans
sa direction. Déboulant sur elle en
trombe, il saisit son bras dans sa gueule et l’entraîna dans son
sillage. La sorcière tenta de se
débattre, mais en vain. Décuplée par
la peur et l’inquiétude, la force de Riley était herculéenne, et
aucune des deux femmes accrochées à lui ne pouvait le
ralentir.
Draine-la, ordonna-t-il à Mary Ann. Maintenant !
Et cette fois elle lui
obéit. Il le sut quand la sorcière
commença à faiblir, puis cessa de lutter. Son bras, enfin, n’eut pas plus de consistance dans sa
gueule qu’une boule de chiffons. Il
desserra alors les dents et la laissa tomber, toujours sans cesser
de courir.
Ça va
mieux ?
— Un petit
peu, parvint-elle à gémir.
Il allait lui trouver un
abri. Et il la soignerait
lui-même. Ensuite, ils se mettraient
en chasse. Plus question de fuir, les
Faés et les sorcières à leur trousse. Cela avait été une erreur, une erreur qu’il ne
referait pas.
A présent, les chasseurs
allaient devenir les proies.