chapitre xx
Vincent pénétra en trombe dans le bureau de son patron, sans même frapper à la porte. Asano qui s'offrait une petite sieste se redressa en sursaut.
Pour effacer la mauvaise impression laissée par Tina, son amie la tenancière lui avait envoyé la veille une petite jeune, docile mais aussi vicieusement imaginative, qui avait su lui faire retrouver la vigueur de sa jeunesse. Aussi, après des fatigues inhabituelles pour son âge, avait-il éprouvé le besoin d'un repos mérité. Il lança un regard féroce à celui qui troublait son temps de récupération. Toutefois, il retint d'un geste Koura qui allait expulser sans ménagement le perturbateur.
— Monsieur, c'est... C'est épouvantable, bégaya- t-il dans son émotion. Une immense cata... catastrophe.
— Reprenez-vous, Vincent, grogna Asano. J'espère pour vous que vous ne m'avez pas dérangé pour des vétilles.
Le secrétaire se laissa tomber dans un fauteuil sans y avoir été invité, ce qui fit froncer les sourcils de son patron. Il s'essuya le front emperlé d'une mauvaise sueur.
— Je viens de recevoir des nouvelles de la Terre par un correspondant occasionnel. C'est pire que tout ce que nous pouvions craindre.
— Expliquez-vous clairement, lança Asano de sa voix sèche habituée à donner des ordres.
Vincent respira profondément, espérant diminuer les battements désordonnés de son cœur et atténuer le tremblement qui agitait ses mains.
— La Sécurité Galactique a déclenché contre nous une opération massive. Des dizaines de nos membres ont été arrêtés. Pas du menu fretin mais des chefs de réseau. Les opérations ont été soigneusement synchronisées et rares sont ceux qui ont pu s'échapper. Il y a pire encore...
— Quoi ? hurla Asano.
— Tous les comptes ont été bloqués et nombre de nos entreprises mises sous séquestre, même celles qui paraissaient les plus insoupçonnables. En ce moment, nous ne disposons plus d'un dol sur Terre.
— Comment est-ce possible ? jura Asano.
— Il n'y a qu'une explication logique. La Sécurité Galactique a été renseignée par Milligan.
— Il est mort !
— Alors, elle a eu accès à son fichier. Je vous avais signalé qu'il était imprudent de mettre tous nos avoirs à sa disposition.
— Il les avait fait merveilleusement fructifier et nous pouvions espérer devenir le plus légalement du monde les propriétaires d'une grande partie des industries de défense de la Terre.
— Malheureusement, son désir de s'emparer par la force de la Cosmos Jet Corporation semble avoir été le grain de sable qui a enrayé la mécanique. Tous nos ennuis ont commencé avec l'enlèvement de leurs propriétaires.
Asano serra les poings de colère.
— Tout cela ne serait pas arrivé si vous aviez capturé Stone comme je vous l'avais demandé. Koura aurait su le faire parler. Je suis certain qu'il est responsable de nos déboires. Son ironie sur les têtes coupées de certains de nos prédécesseurs aurait dû m'avertir.
— Il y a encore un autre problème, monsieur. Un gros ! Le patron de la Guilde a appelé. Il avait déjà été informé de la situation. Il est un important actionnaire de nos sociétés et il exige un remboursement de toutes les sommes perdues.
— Si nous n'avons plus rien, nous ne pourrons le payer.
— C'est pourquoi il a décidé de s'emparer des parts que nous avions dans ses affaires, à titre conservatoire, a-t-il précisé.
Asano, le visage crispé, digérait la succession des mauvaises nouvelles.
— Il est à craindre, murmura-t-il, que la police remonte jusqu'à Santa. Je pense qu'il serait prudent d'évacuer les lieux.
— Pour aller où ?
— Sur Terrania XII. J'ai encore là-bas des amis qui accepteront de nous accueillir sans poser de questions. J'en sais trop sur leur compte pour qu'ils refusent de me rendre ce service. Faites préparer mon yacht et informez le commandant qu'il soit prêt à décoller à tout moment.
La sonnerie du vidéo phone résonna à cet instant, montrant l'opérateur de la tour de contrôle.
— Vous aviez demandé, monsieur, de vous signaler toute anomalie.
— Que se passe-t-il encore ? jura Asano.
— Nous surveillions les deux astronefs qui étaient arrivés depuis peu. Ils avaient une trajectoire régulière, mais celui en orbite stationnaire au-dessus de nous a brusquement modifié sa trajectoire pour se diriger vers la cinquième planète.
— Alors ?
Une gêne manifeste se peignit sur le visage de l'opérateur.
— Cette masse volumineuse crée des interférences avec notre radar, ce qui rend difficile les observations. Pendant plusieurs minutes les images ont disparu.
— Ce qui signifie ?
— C'est difficile à interpréter. Toutefois, nous avons retrouvé deux images d'appareils. Seulement, ils se dirigent maintenant vers Santa. D'après leur trajectoire, il semble qu'ils veulent se poser.
— Contactez-les par radio !
— Je l'ai tenté mais ils ne répondent pas.
Vincent hasarda d'une petite voix :
— Il est à craindre que le président de la ligue ait prévenu directement Li-Ko et que ce dernier veuille déjà encaisser une partie de la prime promise. Il n'est pas du genre à travailler gratuitement.
— Si le commandant Li-Ko demande à atterrir, ordonna Asano, passez-moi immédiatement la communication.
Avec un rictus, il dit à Vincent :
— Je connais assez de détails sur ses activités pour arriver à une honorable transaction.
* * *
Le croiseur se posa en douceur sur l'astroport en dépit des vociférations de l'opérateur de la tour de contrôle qui s'égosillait à répéter :
— Le terrain est interdit à tout astronef. Vous n'avez pas le droit...
Devant l'inutilité de ses protestations, il lança :
— J'avertis le commandant Barkin, responsable de la sécurité sur Santa.
Indifférent, Parker distribuait ses ordres puis il descendit le premier l'échelle de secours car, bien évidemment, les services techniques de l'astroport n'avaient pas amené de passerelle mobile. Il était suivi d'une dizaine d'hommes en armes.
A l'instant où il mettait le pied sur le revêtement de plasto-titane, un véhicule s'arrêta dans un violent coup de frein à quelques mètres de lui. Il en jaillit un gros type au visage rouge qui hurla :
— Vous n'avez pas le droit d'intervenir sur Santa sans mon autorisation. Je vous ordonne de partir sinon...
— Sinon quoi ? demanda calmement Parker.
— Je serais contraint de procéder à votre arrestation et en cas de résistance tous mes hommes vous combattront.
Le colonel montra les panneaux de soute qui s'ouvraient laissant le passage à plusieurs hélijets de combat. Les appareils prirent aussitôt position aux extrémités du terrain et à proximité de la tour de contrôle.
— Faites, ironisa Parker mais je crains que vous ne soyez pas en situation de force. Chaque engin est doté de missiles à fort pouvoir explosif qui sont capables de pulvériser vos installations en moins d'une minute. Je doute que vos hommes acceptent de combattre dans de telles conditions. Le repos de vos curistes sera singulièrement perturbé, je vous le garantis.
Ecarlate et suant, le commandant croassa d'une voix étranglée :
— C'est une véritable agression ! Vous violez les accords diplomatiques... Mes supérieurs porteront plainte...
— Ce n'est pas mon problème. J'exécute mes ordres. Pour le reste, les diplomates s'arrangeront entre eux.
Maintenant, plusieurs véhicules chargés de troupes descendaient sur un plan incliné qui était installé depuis la soute inférieure.
Comprenant l'inutilité de ses protestations, le commandant dit :
— Je cède à la force et vais rendre compte à mes supérieurs.
— Plus tard ! Vous êtes en état d'arrestation.
Le visage de Barkin se décolora.
— Vous n'avez pas le droit de procéder à des interpellations sur Santa.
Comme s'il n'avait rien entendu, Parker désigna un officier qui se tenait derrière lui et dit :
— Le capitaine Jackson vous entendra. Vous voudrez bien lui donner la liste des cargos-nefs qui se sont ravitaillés ici depuis un an. Il serait imprudent de lui mentir car je suis également autorisé à utiliser un sondeur psychique si la situation l'exige. Vous n'ignorez pas les inconvénients d'un tel procédé qui demande ensuite au patient plusieurs semaines pour retrouver son intégrité psychique.
Les joues du commandant devinrent d'un blanc ivoire. Ses épaules se voûtèrent et il sembla flotter dans un uniforme devenu soudain trop grand pour lui. Encadré par deux militaires, il remonta dans sa voiture qui démarra aussitôt en direction de la tour de contrôle.
Pendant ce temps, le Mercure s'était posé à une centaine de mètres du croiseur. Marc retrouva ses passagères dans la cabine-salon.
— Peut-être serait-il préférable, Magda, que vous restiez à bord.
La blonde secoua la tête, faisant voleter quelques mèches blondes.
— C'est hors de question ! Je veux participer à l'hallali. Je n'ai aucunement apprécié qu'on veuille me débiter en petits morceaux pour enrichir ces malfaiteurs.
Stone hocha la tête avec un discret sourire.
— J'accompagne Magda, dit Michka d'un ton sans réplique.
A peine le groupe avait-il mis le pied sur le sol qu'un véhicule de la Sécurité Galactique s'arrêta à leur hauteur. Parker était assis à côté du chauffeur. Il fronça les sourcils en apercevant le groupe.
— Voici Magda qui a été enlevée en même temps que nous, présenta Marc. Michka est son garde du corps.
— S'il faut en croire le récit que vous avez fait à l'amiral, elle a été particulièrement efficace sinon très tendre, ironisa le colonel. Montez tous à l'arrière si vous le souhaitez, mais je vous rappelle que je dirige une opération de police et ne serais aucunement responsable s'il survenait un accident aux civils qui m'accompagnent. Ce sera donc à vos risques et périls que vous participerez à cette mission.
— Nous assumerons toutes nos responsabilités, dit Magda pour le rassurer.
Ils grimpèrent dans le trans. Une dizaine de miliciens en armes étaient déjà installés. Ils se poussèrent pour laisser place aux nouveaux arrivants qu'ils ne pouvaient s'empêcher d'examiner à la dérobée. L'un d'eux, un jeune rouquin au regard déluré, murmura à l'oreille de son voisin :
— Regarde la grosse, elle m'excite terriblement. J'aimerais bien me la farcir.
Le gamin ignorait l'ouïe électronique de Ray qui lança à haute voix :
— Pour cela, il faudrait d'abord le lui demander bien gentiment car elle serait capable de t'écraser le crâne comme une simple noix.
Le rouquin devint écarlate tandis que Michka interrogeait Ray du regard.
— Tu as un admirateur qui n'ose pas se déclarer, ironisa-t-il.
Le coup d'œil furibond qu'elle jeta au malheureux milicien obligea ce dernier à concentrer son attention sur la pointe de ses bottes.
Marc, lui, s'était assis à côté de Parker, à sa demande.
— L'occupation de l'astroport est en cours. Nous n'avons rencontré aucune résistance. Il nous faut maintenant investir rapidement l'hôpital puisqu'il semble servir de quartier général à la Grande Compagnie.
Grâce à la dextérité du chauffeur, cinq minutes furent suffisantes pour atteindre la grille de l'établissement. Celle-ci était fermée. Avant que Parker puisse donner un ordre, Ray avait sauté à terre. Actionnant ses anti-grav, il franchit la clôture et pénétra dans la loge qui abritait les gardiens. Trente secondes plus tard, la grille pivotait et l'androïde reparut, la mine satisfaite.
— Ils sont trois qui dorment pour l'instant, mais il faudrait empêcher qu'ils donnent l'alerte à leur réveil. Je n'ai pas frappé très fort, juste ce qu'il fallait pour éviter une longue discussion.
Le colonel désigna deux hommes avec pour consigne de ne laisser sortir personne. Le trans démarra de nouveau pour s'immobiliser devant le bâtiment principal. Sans même attendre que ses hommes descendent, Parker pénétra dans le hall, suivi de Marc.
Une jolie brunette se tenait derrière un comptoir. Un badge collé sur sa poitrine indiquait qu'elle se prénommait Gina. Elle regarda l'air effaré, l'officier à la mine austère qui avançait vers elle.
— Où est Asano ? lança-t-il sèchement.
— Vous... Vous êtes de ses amis ?
— Pas exactement, ricana Marc. Le colonel vient pour l'arrêter. Si vous avez sous votre comptoir un système d'alarme, je vous déconseille vivement de vous en servir.
La fille secoua la tête tandis qu'un sourire étirait ses lèvres charnues. La nouvelle semblait l'amuser.
— Il vient de sortir. Il paraissait pressé comme s'il avait le diable aux trousses. Toutefois, il reste Vincent dans son bureau. C'est un jeune au visage vicieux qui lui sert de secrétaire.
Contrarié, Parker ordonna à un sergent :
— Prenez un homme avec vous et allez l'arrêter.
— Comment le reconnaîtrai-je ?
— Cette jeune fille vous conduira.
La voyant hésiter, il ajouta d'un ton glacé :
— Sinon, vous la bouclez pour complicité. Vous saisirez également tous les documents et resterez sur place jusqu'à ce qu'une équipe vous relève.
La menace produisit son effet car la malheureuse Gina pâlit fortement.
— Rassurez-vous, ajouta Marc avec un sourire, vous ne risquez rien de votre ex-patron car vous serez sous la protection de la police. N'auriez-vous pas une idée de l'endroit où Asano aurait pu filer ?
La fille réfléchit un instant avant de murmurer :
— Il est au mieux avec la tenancière du bord... enfin, je veux dire de l'établissement de soins spéciaux.
— Où se trouve-t-il ?
— C'est le premier immeuble sur la gauche en sortant de l'hôpital.
Elle ajouta dans un souffle :
— Faites très attention, monsieur Asano est toujours protégé par un garde du corps. Un monstre et une brute.
— J'ai eu l'occasion de le rencontrer. Merci du conseil, vous ne semblez pas le porter dans votre cœur.
— Si vous aviez été battue et violée par lui, je ne sais ce que vous penseriez.
Michka, qui avait entendu, caressa de son gros doigt le menton de la fille.
— Oublie cela ! Lorsque tout sera terminé, je me
ferai un plaisir de te consoler. Les hommes sont ignobles, seules les femmes mériteraient d'exister.
Devant le regard ironique de Marc, elle crut utile de préciser :
— Enfin presque tous les hommes. Il existe quelques exceptions.
Pendant ce temps, Parker discutait avec un officier portant les insignes de médecin-capitaine.
— Avec quatre gardes, explorez le service des greffes. D'après le récit de Stone, attendez-vous au pire. Mettez en état d'arrestation tout le personnel mais laissez sur place ceux qui sont indispensables au fonctionnement des appareils.
S'adressant à Marc, il ajouta :
— Allons dans cet établissement dit de plaisir voir si Asano s'y trouve.
Alors qu'ils regagnaient le trans, Marc fit remarquer :
— Il semble que vous négligez un détail. Vous n'avez plus de miliciens avec vous puisqu'ils investissent l'hôpital.
— Aucune importance ! Je demanderai des renforts par radio. En attendant, Ray suffira à nous protéger, sans compter vos amies. Ce sera l'occasion de vérifier si elles sont aussi efficaces que vous le prétendez.
Stimulé par le colonel, le chauffeur démarra en trombe comme un coureur de grand prix. Trois minutes plus tard, un ultime coup de frein immobilisa le trans devant une bâtisse blanche. Une discrète enseigne annonçait : Centre de thérapeutique active.
Dans l'entrée, une jolie blonde était assise derrière une petite table. Son sourire de façade s'effaça en voyant l'uniforme noir de la Sécurité Galactique que portait Parker. A sa droite se tenait un solide gaillard vêtu comme un infirmier.
— Où est votre patronne ? dit sèchement le colonel.
— Elle ne reçoit pas ! Vous ne pouvez pénétrer ici sans prescription médicale.
Parker voulut avancer mais se heurta à l'infirmier solidement planté sur ses jambes.
— Reculez, monsieur.
D'une ferme pression du plat de la main sur la poitrine, il repoussa le colonel qui dut s'écarter. Michka intervint alors, marchant d'un pas décidé. L'infirmier lança son poing en avant, certain qu'il s'enfoncerait jusqu'au coude dans cette masse graisseuse. Il heurta une cuirasse de muscles plus dure que l'acier. Il n'eut pas le temps de comprendre son erreur. Un poing énorme, monstrueux, dur comme du roc, heurta sa mâchoire qui se brisa sous le choc. L'homme recula de trois pas et s'effondra d'un bloc.
— Le chemin est libre, colonel.
— Merci, dit Parker qui regardait encore le corps inanimé de l'infirmier. Je rends hommage à votre efficacité qui évite de longues discussions.
Un cri poussé par la fille de la réception le fit se retourner. Elle avait voulu profiter de l'altercation pour presser le signal d'alarme. Magda avait remarqué son geste et saisi sa main qu'elle tordait avec force.
— Où est le bureau de votre patronne ? dit-elle d'une voix douce mais le regard féroce.
L'hésitation fut immédiatement suivie d'un cri de douleur.
— Je n'aime pas répéter mes questions !
Une voix d'un calme glacé et lourd de menaces.
— Dans cinq secondes, je brise l'os. Un... Deux...
— Arrêtez ! La porte au fond du couloir...
L'étau qui enserrait son poignet se relâcha.
— Vous pouvez avancer, je crois que notre amie sera sage, ironisa-t-elle. Si ce n'était pas le cas, je reviendrai lui arracher les yeux.
Elle pointa son index vers le visage de la blonde et fit un petit mouvement circulaire suivi d'un lent retrait la phalange pliée. Le geste très explicite fit blêmir la fille.
Quand Parker pénétra dans le bureau, il vit une grosse vieille femme brune qui cria aussitôt :
— Vous n'avez pas le droit de pénétrer dans un établissement de soins sans un mandat délivré par l'ordinateur judiciaire.
— Où est Asano ? jeta sèchement le colonel.
— Je ne connais personne de ce nom. Sortez car vous allez troubler les traitements de mes curistes !
Ray avait contourné la table et allumé tous les écrans de télévision qui tapissaient les murs.
— Intéressantes thérapeutiques, ironisa-t-il.
Parker regarda les diverses scènes et une vive rougeur colora ses joues. Son esprit puritain était profondément choqué par les scènes de débauche qui se déroulaient sous ses yeux. Ce fut Elsa, très discrète jusque-là, qui lança :
— Asano est dans cette chambre.
Une inscription mentionnait: Voyeurisme. L'écran montrait une pièce séparée en deux parties par une grande glace sans tain. Une zone était brillamment éclairée et un couple jouait au plus vieux jeu du
monde, celui-là même qui fit chasser Adam et Eve du paradis terrestre. L'autre côté était plongé dans l'obscurité. Toutefois, deux silhouettes étaient visibles et Asano parfaitement reconnaissable.
— Astucieux de tenter de se faire passer pour un client ordinaire, dit Marc.
Une plaque peinte précisait : chambre 122.
La vieille voulut pousser un hurlement mais celui- ci s'éteignit brusquement. Une gifle magistrale administrée par Magda l'envoya à terre sans connaissance.
— Simple explication entre femmes, dit Magda. Vous ne pourrez être accusé de brutalités policières.
Parker se contenta de hocher la tête. Le groupe courut dans le couloir à la recherche des escaliers qu'ils escaladèrent au galop. Heureusement, la chambre 122 était au premier étage. Un vigoureux coup de pied décoché par Ray fit voler le battant en éclats.
Koura réagit avec une promptitude phénoménale. Il s'élança à l'extérieur, bousculant au passage Parker, mais il se heurta à Michka. Les deux poids lourds se neutralisèrent. Sûr de sa puissance, le colosse étreignit la femme dans le but de lui briser les reins. Les bras de Michka se refermèrent sur le torse de l'homme et elle commença à serrer. Ses biceps saillirent, énormes, impressionnants.
Une... Deux minutes s'écoulèrent dans un silence mortel. Les deux lutteurs étaient figés dans leur effort. Le visage de la jeune femme, crispé en un affreux rictus, virait au rouge écarlate mais elle ne cédait pas.
— Ray, aide-la, ordonna Parker sidéré par ce spectacle dantesque, évoquant une lutte de titans.
L'androïde secoua la tête avec un sourire narquois.
— Je ne veux pas la priver de son plaisir.
Toutefois, personne ne remarqua le discret faisceau laser qui jaillit de son index. Il vint frapper la colonne vertébrale de Koura, fragilisant une vertèbre.
Une minute s'écoula encore puis, avec un cri rauque, Michka accentua sa pression, la tête en avant, les joues violettes. Son adversaire résista encore un instant puis céda brusquement avec un soupir. Ses yeux exprimaient une surprise infinie. La colonne vertébrale brisée, il glissa sur le sol, ses jambes refusant de le soutenir.
Asano avait assisté à la défaite de son champion avec incrédulité. Cependant, il se reprit vite, profitant de l'instant où tous les regards étaient encore fixés sur les combattants. Il plongea la main dans sa poche pour en retirer un pisto-laser ultra plat. Il le pointa sur le colonel, pensant que l'élimination du chef créerait un flottement dont il pourrait profiter pour s'éclipser. A l'instant précis où il allait presser sur la détente, son bras fut relevé et l'éclair rouge écorna simplement le plafond. Il tenta de se dégager de l'étau qui enserrait son poignet mais n'y parvint pas. Il frappa alors de sa main libre le visage de cette femelle ridicule qui osait s'opposer à lui.
Magda encaissa le coup sur la joue mais ne relâcha pas son étreinte. De son autre main, elle agrippa la ceinture, fit tournoyer son adversaire et le projeta avec violence contre le mur. Par un malheureux hasard, Asano heurta la tête la première, la vitre sans tain qui séparait les deux pièces. Le choc fut d'une telle violence que la glace se brisa et qu'il passa le cou à travers. Tout le panneau vitré vibra et se descella du plafond. Lentement, inexorablement, il commença à glisser. Les bords tranchants mordirent dans les chairs, faisant jaillir un flot de sang. Le poids de la glace était tel que la tête fut proprement tranchée et roula près du lit où le couple s'ébattait une minute auparavant.
Ce ne fut pas un cri d'extase mais un véritable hurlement de frayeur que poussa la fille. Elle tenta de se relever mais chancela et serait tombée si son partenaire ne l'avait charitablement retenue. Le couple se recula avec précipitation car la glace, après avoir fait office de guillotine, bascula et se brisa dans la chambre qu'elle parsema d'éclats sanglants.
Très calme, Parker regarda Magda et dit :
— Voilà un regrettable accident. Toutefois, je vous adresse des remerciements car cette fripouille m'avait pris pour cible et je vous dois la vie.
Des bruits de pas retentirent dans le couloir. Une section de miliciens arrivait au pas de course.
— Investissez cet immeuble et bouclez-moi les clients et les filles. Nous ferons le tri plus tard, ordonna Parker. L'essentiel de notre besogne est fait.
A l'instant de quitter la pièce, Ray poussa discrètement Marc du coude et murmura en désignant la tête ensanglantée :
— Celle-là, tu ne pourras pas me la reprocher. Une fois de plus, la Grande Compagnie est réellement décapitée.
Le colonel adressa à Marc un discret clin d'œil.
— Vous avez fort bien œuvré et j'ai admiré l'efficacité de vos amies. Maintenant, nous n'avons plus qu'un travail routinier d'arrestations, d'interrogatoires et d'exploitation des indices et preuves retrouvés. Je ne pense pas indispensable de mentionner dans mon rapport votre présence sur les lieux, ce qui vous obli- gerait à de nombreuses dépositions devant l'ordinateur judiciaire.
Marc approuva aussitôt, comprenant que Parker voulait les protéger contre d'éventuelles poursuites judiciaires.
— Nous ne sommes déjà plus là. Je me demande même si nous n'y avons jamais été. Cela simplifiera votre rapport. Nous allons regagner mon astronef où vous pourrez nous joindre si besoin était.