chapitre xii
Michka poussa un gémissement en tentant de se redresser. En se frottant le visage, elle remarqua qu'un peu de sang coulait de sa narine gauche. Sa vision s'éclaircit et elle distingua Ray, les mains crispées sur les commandes. Percevant les mouvements de sa voisine, il dit :
— Reste allongée, tu as été bien secouée.
— Toutes les transitions sub-spatiales sont-elles aussi désagréables ?
— Heureusement, non ! Mais j'ai eu un problème à résoudre.
— Grave?
— Il vient de trouver sa solution, répondit l'androïde avec un sourire féroce.
Sur l'écran de visibilité extérieure, un nuage irisé s'enflait pour lentement s'effilocher et se diluer dans l'éther.
— Qui était-ce ?
— Je l'ignore mais certainement pas quelqu'un qui nous voulait du bien. Il a ouvert le feu dès notre émergence. Si je n'avais été qu'un simple être humain et non un robot perfectionné, nous aurions été pulvérisés avant même d'avoir repris connaissance.
— Comptes-tu te poser sur l'astroport ?
— Je ne pense pas que c'est une bonne idée. La police locale doit être aux ordres de la Grande Compagnie. Nous allons agir plus discrètement mais tu seras secouée. Rallonge-toi et serre bien tes ceintures magnétiques. Cette planète ne possède qu'un astroport et un seul radar à longue portée. C'est dire qu'il ne peut balayer qu'un champ restreint de l'espace. Il va falloir rester en permanence dans les zones d'ombre. Ce gros congélateur ambulant qui constitue la cinquième planète va nous aider.
Sur l'écran se dessinait l'image d'une énorme sphère grise d'où s'élevaient des panaches de fumée blanche.
— Ammoniaque et hydrogène solidifiés. Les vapeurs qui s'échappent sous l'action des rayons solaires sont fortement ionisées, ce qui perturbe les ondes radar. Nous allons en profiter. Attention, je vire !
Ray pesa sur les gouvernes de direction et le Mercure modifia son cap. Michka eut la sensation que ses yeux voulaient quitter leur cavité naturelle. Une force immense tentait de lui arracher la tête. Elle contracta ses muscles puissants pour lutter contre cette attraction. Deux secondes s'écoulèrent puis elle se sentit plonger dans un gouffre sans fond. Son estomac se coinçait maintenant entre ses amygdales, l'empêchant de crier.
— Décélération amorcée, annonça Ray, calme et détendu comme s'il se trouvait dans un confortable salon.
Cette fois, Michka pensa recevoir sur les épaules un poids colossal qui l'écrasait, la laminait comme un rouleau compresseur pulvérise une noix égarée par mégarde sur sa route. La sensation disparut aussi soudainement qu'elle était apparue.
La jeune femme redressa la tête. Les écrans montraient que l'astronef survolait à faible altitude un océan d'un bleu foncé.
— Je suis désolé de t'avoir infligé ces petits désagréments, dit Ray. Nous sommes à l'opposé de l'astroport et le radar ne peut nous voir.
— Si tu pilotais un astronef de croisière, ironisa Michka, je suis persuadée que les passagers descendraient à la première escale.
— Allons, sourit-il, tu n'es pas une faible femme qui gémit pour un rien.
La remarque très sexiste eut le mérite de faire cesser les récriminations.
— Regarde, reprit-il, voici une île qui me semble déserte, nous y serons fort bien.
Elle lui lança un regard soupçonneux.
— J'espère que tu ne comptes pas jouer à Adam et Eve au paradis terrestre. Ce n'est pas parce que tu as lâchement profité de ma blessure pour m'entraîner dans une cabine que je vais me soumettre régulièrement à tes vils instincts.
— Je retiens ta suggestion de jouer au papa et à la maman de l'humanité mais moi, je n'oublie pas que nous avons des amis à retrouver.
Piloté d'une main ferme, le Mercure se posa sur un plateau rocheux surmontant la mer d'une cinquantaine de mètres.
— Viens, nous allons prendre le module de transfert pour nous rendre à proximité de l'astroport.
Avec un soupir de soulagement Michka dégrafa les ceintures magnétiques et se leva. C'est alors qu'elle réalisa qu'elle était inondée de sueur.
— Peux-tu m'accorder dix minutes pour passer au bloc sanitaire ? Je ne pense pas avoir jamais autant transpiré de ma vie. J'ai dû perdre plusieurs kilos.
— Exact, répondit Ray après un rapide examen. Pendant ta douche, je te préparerai une boisson reconstituante.
Moins d'un quart d'heure plus tard, douchée et rehydratée, Michka grimpa dans le module où Ray était déjà aux commandes. Le panneau de cale s'ouvrit avec un sifflement soyeux. L'engin sortit en douceur et accéléra progressivement. Au-dehors, la nuit était tombée. L'océan était rendu légèrement luminescent par une lune anémique, satellite de Santa.
— Ton vaisseau ne risque-t-il pas d'être repéré par la police ?
— Il est en état de défense automatique et invisible à une observation aérienne.
Le module semblait glisser à la surface des flots qu'il survolait à seulement quelques mètres. Michka s'agita à plusieurs reprises sur son siège avant de murmurer :
— Pourquoi ne prends-tu pas de l'altitude ? Ce surf au-dessus des vagues est dangereux.
— Ne t'inquiète pas, j'ai l'habitude. En volant ainsi, nous ne serons pas repérés par les radars d'approche.
Deux bonnes heures s'écoulèrent en silence. Tendue à l'extrême, Michka scrutait l'horizon où une barre lumineuse apparaissait.
— Le jour se lève déjà, s'étonna-t-elle.
— C'est normal car nous allons au-devant du soleil à une vitesse largement supersonique.
— Où comptes-tu te poser? D'après les explications de Wood, nos amis devraient être enfermés dans l'hôpital mais il sera certainement difficile d'y pénétrer.
Depuis plusieurs minutes, Ray, les traits crispés paraissait perdu dans ses pensées. Il ne répondit pas à la question de sa passagère qui n'osa la répéter pensant qu'il concentrait toute son attention sur le pilotage. Dans les rayons du soleil, Michka aperçut la côte qui se rapprochait à grande vitesse. Soudain, le visage de Ray s'illumina. Elle ne lui avait jamais vu une expression aussi radieuse. Toutefois, le sourire disparut rapidement, faisant place à une anxiété manifeste.
* * *
Asano pianotait nerveusement sur son bureau. Il connaissait l'efficacité de Conway et s'étonnait qu'il n'ait pas encore capturé les fugitifs. Son instinct lui criait que Stone plus que les femmes constituait un réel danger. Le bourdonnement du vidéo phone lui fit allonger le bras pour établir le contact. Un instant de déception. Ce n'était pas le visage de Vincent qui s'imprimait sur l'écran mais celui de l'opérateur de la tour de contrôle. Une ride soucieuse barrait son front.
— Je suis désolé de vous déranger, monsieur Asano...
— Que voulez-vous ? coupa le patron de son ton le plus désagréable qui fit apparaître une fine sueur sur le front de son interlocuteur.
— Vous aviez demandé de surveiller les approches de Santa. Seul le navire du commandant Haong était visible, enfin partiellement visible car il est satellisé autour de la cinquième planète. Compte tenu de sa vitesse de rotation et de celle de Santa, son astronef était visible sur notre écran cinq minutes toutes les heures.
— Alors ? aboya Asano que les détails techniques assommaient.
— II... Il n'a pas reparu depuis deux heures, bégaya le malheureux technicien.
— Contactez-le par radio !
— C'est déjà fait mais le commandant Haong ne répond pas.
— Ce qui signifie ?
— Ou il a profité de ce que la planète faisait écran pour filer ou... il a été détruit !
Asano sursauta violemment.
— Je ne pense pas que Haong aurait renoncé à toucher la belle prime que je lui avais promise. Un autre vaisseau a-t-il émergé ?
— Nous n'avons rien enregistré mais vous savez que notre seul radar ne peut couvrir la totalité de l'espace. Il y a longtemps que j'avais demandé l'installation d'une station sur un autre continent. De toute manière, si un astronef arrive, il sera bien obligé de se poser sur l'astroport qui est le seul endroit où il peut atterrir.
— Continuez une surveillance renforcée et prévenez-moi immédiatement du moindre incident.
A peine la conversation terminée, l'écran s'éclaira de nouveau.
— Monsieur, dit Vincent, Conway a un énorme problème. Il affirme qu'une plante Carnivore a dévoré deux de ses hommes et... votre ypax.
Les traits du visage d'Asano se crispèrent de colère. La mort de deux hommes le laissait indifférent mais il tenait beaucoup à son ypax qu'il avait fait venir à grands frais d'une lointaine planète.
— Quelle est cette histoire idiote ? rugit-il.
— La flore de cette planète n'a jamais été étudiée sérieusement. Nous avons seulement défriché l'emplacement de la ville et ses environs immédiats et établi une barrière électrifiée que nos curistes n'ont jamais souhaité franchir. Ils trouvent sur place soins et distractions. L'aventure en forêt vierge n'entre pas dans leurs fantasmes.
Asano l'interrompit d'un geste irrité de la main. Superstitieux, la perte de son ypax lui semblait être un très mauvais présage.
— Les fugitifs ?
— Ils n'ont pas été rejoints mais avec un peu de chance, nous pouvons espérer qu'ils ont aussi été boulottés par ces plantes.
— Tous les trois ? Je n'aime pas ce genre de plaisanterie. Stone est bien vivant, j'en suis persuadé. Retrouvez-le vite !
Vincent arbora une mine contrariée.
— Conway semblait très déprimé. Il n'a plus que trois hommes avec lui qui refusent de continuer.
— Promettez-leur que leur prime sera doublée et j'ajoute dix mille dois s'ils me ramènent Stone vivant.
Le visage de Vincent s'effaça pour reparaître vingt secondes plus tard.
— Les hommes seraient d'accord pour continuer mais Conway ne sait plus où chercher. Sans l'ypax pour le guider, il n'a pas de piste à suivre. C'est un citadin qui n'a aucune expérience d'une nature hostile. Il vous retrouverait un type dans une ville de dix millions d'habitants, mais dans une forêt, il se sent perdu.
Asano réfléchit un moment puis se décida brusquement.
— Au diable la discrétion ! Rassemblez quarante hommes avec des hélijets. Qu'ils bouclent le périmètre où Stone doit se trouver. Il doit être capturé avant la tombée de la nuit.
— Comment expliquer cette chasse ? Ils risquent de se poser des questions. Tous n'appartiennent pas à notre organisation.
— Dites simplement que l'homme est un fou dangereux qui a tué deux infirmiers. Exécution !