chapitre xix

 

Installé dans le poste de pilotage, Marc étudiait les diagrammes sortis de l'ordinateur. Six heures d'un confortable sommeil lui avaient rendu une forme acceptable.

— Si nous suivons cette trajectoire, dit Ray en pointant le doigt sur une des courbes, la planète fera écran entre nous et l'astronef pendant deux heures. Cela sera suffisant pour nous mettre hors de portée de tir.

— A condition de ne pas traîner en route, soupira Marc.

— Et de décoller dans exactement quarante-sept minutes.

— Je préviens nos amies. Commence la procédure des vérifications. Approvisionne aussi les lance-missiles en cas de besoin.

— C'est déjà fait, ricana Ray, je n'aime pas être pris au dépourvu. Ils sont même pré-programmés. Il suffit de leur fournir les dernières coordonnées.

Michka était déjà dans la cabine-salon fort occupée à avaler sa troisième ration. Elsa et Magda ne tardèrent pas à la rejoindre, fraîches, pimpantes, ne paraissant pas se ressentir de leurs épreuves.

— Dépêchez-vous de déjeuner, nous allons partir.

Allongez-vous sur les sièges relax et serrez bien les ceintures magnétiques, nous risquons d'être secoués.

Les moteurs du Mercure ronronnèrent doucement. Puis, le sifflement se fit plus aigu. Ray surveillait en un clin d'œil la multitude de voyants. A l'heure exacte prévue, l'astronef s'arracha du sol pour accélérer très rapidement. En se sentant clouée sur son siège, Michka ne put s'empêcher de soupirer :

— Je ne me ferai jamais aux voyages en astronef.

Les minutes s'écoulaient lentement et Marc surveillait l'indicateur de vitesse qui ne progressait pas assez vite à son gré.

— Les propulseurs sont à leur régime optimal, dit Ray. Il faut les ménager si nous voulons qu'ils supportent leur effort jusqu'au bout. Nous suivons exactement la trajectoire prévue, ne te tracasse pas.

Un peu plus tard, il ajouta :

— Regarde l'écran de visibilité extérieure. L'astronef ne devrait pas tarder à apparaître.

De fait, la silhouette effilée d'un appareil se dessina.

— Il nous a détectés, nota Marc. Il change de direction.

— Ses propulseurs étaient éteints et un temps de chauffe est nécessaire. Cela nous donnera quelques minutes supplémentaires de sursis.

Marc ne tarda pas à se décontracter car la distance qui séparait les deux vaisseaux ne cessait d'augmenter.

— Il n'est pas doté des derniers propulseurs de la Cosmos-Jet Corporation. Je comprends maintenant

pourquoi Asano tenait tant à s'approprier notre société pour équiper ses amis.

Le pirate lança une salve de deux torpilles.

— Ridicule, dit Ray, il est hors de portée.

— C'est une manœuvre d'intimidation. Il imagine que nous allons nous affoler et brancher notre écran protecteur, ce qui aurait pour conséquence de priver d'énergie les propulseurs.

Leur euphorie fut de courte durée. Un autre astronef apparut sur l'écran.

— Ils étaient deux, jura Marc.

— Celui-là prend une trajectoire d'interception. Il arrivera à portée de tir dans quarante secondes.

Marc prit rapidement sa décision.

— Expédie quatre missiles, légèrement décalés. Ainsi, il sera contraint de brancher son écran et ne pourra riposter.

Les doigts de Ray coururent sur le clavier à une vitesse telle qu'un œil humain pouvait à peine suivre le mouvement.

— Missiles partis !

Cependant, le pirate avait aussi des réflexes rapides. Avant de brancher son écran, il eut le temps de lancer deux projectiles qui foncèrent vers le Mercure.

— Lance un Cisée, ordonna Marc.

Ray grimaça en désignant l'indicateur de vitesse.

— C'est limite pour changer de cap. Nos amies vont être méchamment secouées.

— Mieux vaut le désagrément de la force centrifuge que de se retrouver éparpillé dans l'éther.

— Comme tu voudras. Attention, je vire !

Un voile noir couvrit la vue de Marc tandis qu'un

méchant diable semblait vouloir lui arracher l'estomac. Grâce à son entraînement, il récupéra vite une vision claire.

— Les missiles ont été trompés et notre pirate encaisse fort bien nos projectiles. Le dernier vient d'exploser encore loin de sa coque. Il se lance déjà à notre poursuite.

La masse volumineuse de la cinquième planète se dessinait sur l'écran de visibilité extérieure.

— Dès que nous l'aurons dépassée, nous serons à l'abri, le temps nécessaire pour acquérir la vitesse indispensable pour plonger dans le sub-espace.

Marc lança un juron sonore car un nouvel astronef venait d'apparaître, dissimulé jusque-là par l'ombre de la planète.

— Cette fois, nous sommes cernés. Lance les deux derniers missiles qui nous restent. Nous pourrons peut-être le dépasser avant qu'il ne réagisse.

— Inutile de s'affoler, regarde les marques sur la coque. C'est un croiseur de la Sécurité Galactique.

Le témoin de la vidéo-radio se mit à clignoter. Du bout de l'index, Marc établit le contact. Un visage sévère surmonté de cheveux grisonnants apparut. C'est avec un grand soulagement que Marc reconnut le colonel Parker. Ils avaient effectué ensemble diverses missions et s'étaient mutuellement sauvé la vie à plusieurs reprises. Seul le caractère austère et rigoriste de Parker avait empêché que s'installe entre eux une franche camaraderie. Toutefois, ils s'estimaient et Marc savait que le colonel mettrait toutes ses forces en œuvre pour lui rendre service même s'il se refusait farouchement à l'avouer.

— Je suis bien aise de vous voir, colonel. J'ai un gros problème. J'ai épuisé mes munitions et j'ai deux pirates à mes trousses.

Parker hocha simplement la tête.

— Restez autour de cette planète, je m'occupe du reste. L'un deux est un certain Li-Ko que je suis bien aise de rencontrer. La liste de ses méfaits est plus longue que la queue d'une comète.

Bientôt, le croiseur accéléra. Il tira aussitôt deux salves de six missiles, tous dirigés vers le pirate le plus proche. Parker voulait en terminer rapidement et ne ménageait pas ses munitions.

Sans attendre le résultat de son tir, le croiseur se lança à la poursuite du second astronef. Le pirate avait été surpris par l'arrivée inattendue du bâtiment de la Sécurité Galactique alors qu'il croyait pouvoir détruire sans risque un yacht civil. Toutefois, il réagit rapidement devant le retournement de situation. Il savait qu'il n'avait aucune chance de résister à un croiseur, aussi vira-t-il de bord dans l'intention manifeste de s'éclipser discrètement.

Li-Ko lança une série de jurons malsonnants. Le croiseur gagnait rapidement sur lui.

— Au diable, leurs nouveaux propulseurs !

Deux minutes s'écoulèrent. La vitesse était encore insuffisante pour une plongée dans le sub-espace.

— Il va être à portée de tir, murmura son second qui fixait les écrans, le visage inondé de sueur.

De fait, une nuée de missiles se détacha du croiseur.

— Quatre, huit, douze, compta Li-Ko d'une voix blanche. Il faut encore accélérer.

Le bruit des propulseurs se fit plus strident. Les témoins montraient que la marge de sécurité était franchie depuis longtemps. La distance qui le séparait des missiles parut se stabiliser pendant quelques secondes puis elle recommença à décroître rapidement.

— Ce sont les derniers modèles sortis des arsenaux terriens. Leur vitesse a été augmentée, souffla le second.

La voix synthétique de l'ordinateur retentit.

— Echauffement anormal du moteur trois. Régime trop élevé. Veuillez respecter les normes de sécurité.

— Il faut qu'il tienne encore, grinça Li-Ko. Nous pourrons plonger dans le sub-espace dans deux minutes et vingt-sept secondes.

Malheureusement pour le pirate, une minute plus tard les missiles étaient sur lui. Au dernier instant, il brancha son écran protecteur à pleine puissance, privant d'énergie les moteurs, supprimant l'accélération.

La première vague des projectiles arriva aussitôt. L'écran parut bien les encaisser mais les lumières baissèrent d'intensité, témoin de la dépense d'énergie subie par le générateur. Vite, trop vite, la seconde vague frappa. Cette fois, elle explosa beaucoup plus près de l'astronef qui fut rudement secoué tandis que des craquements sinistres retentissaient dans le poste de pilotage. Une console supportant la vidéo radio se détacha et tomba, écrasant le pied du second. Il n'eut pas le temps d'exhaler sa douleur car une gigantesque boule de feu envahit la cabine et tout se désagrégea.

Le Mercure avait rapidement contourné la cinquième planète pour assister au combat. Avec un soupir, Marc ironisa :

— Il est plaisant pour une fois d'être simple spectateur. Parker se débrouille fort bien. Regarde, le pirate le plus proche vient d'exploser.

Un nuage irisé se dissolvait lentement dans le ciel.

— Il est à craindre que le second ne lui file sous le nez, dit Ray. Non, il est contraint de ralentir. Bien, il explose. Deux belles fripouilles en moins !

Telle fut l'oraison funèbre prononcée par l'androïde. La vidéo radio s'éclaira de nouveau. Un discret sourire satisfait étirait les lèvres de Parker.

— Je pense que votre problème est résolu.

— Fort bien ! Cette fois, tout le mérite de la victoire vous revient. Je ne manquerai pas de le souligner dans mon rapport.

— Je vous remercie. Je présume que mademoiselle Swenson est à votre bord.

Marc acquiesça d'un signe de tête.

— L'amiral Neuman sera ravi de l'apprendre.

— Je voudrais lui dire...

Parker l'interrompit aussitôt.

— Je suppose que vous avez besoin de ravitaillement.

— C'est exact, colonel. Dix missiles compléteraient utilement mes approvisionnements.

— Je les fais préparer. Pendant ce temps, venez à mon bord, nous boirons un verre.

Marc étouffa un hoquet de surprise. C'était la première fois qu'il entendait Parker faire une telle proposition. Il mit dix secondes à comprendre la raison de cette invitation insolite. Le colonel voulait seulement lui dire qu'il ne désirait pas continuer la conversation par ondes radio qui pouvaient être captées par des oreilles indiscrètes.

— Envoyez-nous un module car je ne dispose plus que d'un engin de secours.

Marc demanda à Ray de s'approcher du croiseur puis il gagna la cabine salon. Si Elsa et Magda paraissaient se remettre de leurs émotions, il n'en était pas de même pour Michka. Elle restait allongée, le teint blême.

— Je vous en prie, Marc, souffla-t-elle d'une voix mourante, déposez-moi sur n'importe quelle planète mais, par pitié, ne me traînez plus dans l'espace.

— Rassurez-vous, nous serons maintenant au calme. Le colonel Parker nous a débarrassés des intrus qui nous ont obligés à ces pirouettes.

Guère convaincue, elle restait prostrée quand la voix de Ray retentit :

— Il est évident qu'une faible femme n'a pas sa place dans l'espace. Elle doit rester à la maison en attendant que revienne son seigneur et maître.

Le visage de Michka s'empourpra de colère. Débouclant ses sangles magnétiques, elle se leva en hurlant :

— Espèce de ridicule macho, je vais te...

Sa colère retomba brusquement quand elle entendit ses amis éclater de rire.

— Vous allez rester sagement ici car Elsa et moi devons rendre visite au colonel et Ray s'occupera des approvisionnements.

— Si vous me promettez un moment de tranquillité, je crois qu'un petit repas serait le bienvenu, après toutes ces émotions, dit Michka en approchant

du distributeur alimentaire.

*

 

* *

 

Parker accueillit ses visiteurs avec un sourire. Il s'inclina devant Elsa qui dit :

— C'est toujours un plaisir de vous revoir, colonel. Vous avez l'art et la manière de nous sauver la vie. C'était le cas déjà sur Vénusia, il y a de nombreuses années. A quel hasard devons-nous votre présence dans ce système solaire.

— L'amiral avait ordonné d'observer Santa. J'avais repéré la présence de ces deux pirates qui conversaient avec la tour de contrôle. Je dois avouer n'avoir guère apprécié leurs réflexions peu élogieuses sur notre service. J'hésitais sur la conduite à tenir quand j'ai reconnu le Mercure. Je crois qu'il serait préférable de contacter Neuman. Il désirera certainement vous entendre. Vous pourrez parler en toute sécurité, nos liaisons sont automatiquement codées, ce qui n'est pas le cas de votre vidéo radio.

— J'avais compris que votre invitation à boire n'était qu'un prétexte, ironisa Marc, car je vois pas de verres.

Après une longue hésitation, Parker sortit d'un renfoncement dissimulé dans la paroi trois verres et une bouteille portant sur l'étiquette : Soluté tonique et reconstituant réservé aux urgences. Il versa un peu d'un liquide ambré dans chaque gobelet.

— Vous pouvez boire sans crainte, c'est un vieil armagnac que je réserve aux grandes occasions. Deux pirates éliminés me semblent une raison suffisante.

Souriante, Elsa leva son verre.

— A votre victoire et à notre sauvetage, colonel.

— L'amiral est en ligne, annonça un cosmatelot, ce qui obligea Parker à faire disparaître rapidement sa précieuse bouteille.

Neuman arborait un air satisfait fort bien dissimulé mais qui ne trompait pas ceux qui le connaissaient.

— Je suis bien aise de vous savoir vivant, capitaine, ainsi que mademoiselle Swenson. Votre soudaine disparition sur Terre m'avait fait craindre le pire. Enfin, je vois que ce sont seulement de petits ennuis de santé qui vous ont conduits à pratiquer une cure sur Santa. On dit que le climat y est excellent mais mes moyens ne m'ont jamais permis de le vérifier.

— Ce n'était pas exactement notre problème, amiral.

Marc respira profondément. Il savait qu'avec Neuman il était inutile de ruser et de chercher à dissimuler la vérité.

— Tout a commencé quand Milligan nous a invités à une soirée.

Il narra en détail leurs tribulations tant à l'hôpital que dans la forêt, sans rien cacher des interventions musclées de Ray et de Michka.

Neuman écouta en silence sans jamais l'interrompre. Pas un muscle de son visage ne bougea comme si le récit ne l'intéressait guère. Quand Marc se tut, il laissa tomber :

— Des pilleurs d'organes, des buissons carnivores, des arbres qui marchent et qui pensent, j'enverrai tout autre que vous consulter un psychiatre mais je sais qu'il faut vous croire. Enfin, il est important d'avoir identifié le patron de la Grande Compagnie.

Une discrète crispation étira ses lèvres.

— Il n'était pas sur la liste qu'un informateur bénévole a introduite dans notre ordinateur.

Sa voix se fit plus sèche quand il reprit :

— Colonel Parker, vous vous poserez sur Santa et procéderez à toutes les arrestations nécessaires. J'exige que ce nid de vermines soit nettoyé de fond en comble.

— Santa bénéficie d'un régime particulier et d'importantes personnalités ne manqueront pas d'intervenir, objecta Parker.

— C'est mon problème ! Je contacte sans tarder le Président. Exécutez mes ordres sans délai ! Dans l'immédiat, vous agissez sur la plainte déposée par mademoiselle Swenson et le capitaine Stone pour enlèvement, séquestration et menaces de mort sans oublier la complicité de piraterie. Cela sera suffisant pour un début. Ensuite, je crois que vous trouverez sur place d'autres motifs d'inculpation.

L'écran s'éteignit brutalement laissant le colonel interloqué.

— Ne vous tracassez pas, sourit Marc. Je puis vous affirmer qu'il était ravi de votre victoire.

Parker hocha lentement la tête, le front barré par des rides.

— Occuper l'astroport et arrêter les complices des pirates ne sera pas trop difficile, mais si j'ai bien compris, Asano a son bureau dans l'hôpital. Dans la confusion, il est capable de nous glisser entre les doigts car nous ne l'avons jamais vu. Il faudrait quelqu'un qui puisse l'identifier rapidement.

Il lança à Marc un regard interrogateur. Ce dernier éclata de rire.

— Entendu, je vous accompagne. J'aurais grand plaisir à voir sa tête quand vous lui passerez les menottes.

— Dans ce cas, regagnez le Mercure, votre ravitaillement doit être terminé. Nous nous retrouverons sur l'astroport.