chapitre v
Paul Steeman abaissa un contact et referma la petite trappe située sous le sein gauche de l'androïde.
— Voilà, Ray, c'est terminé. Tu peux t'habiller.
L'androïde était un solide gaillard ayant un air de
parenté avec Marc mais il était plus massif. La ressemblance avec les humains des androïdes utilisés par le Service de Surveillance des Planètes Primitives était hallucinante de vérité. Ils accompagnaient les agents en mission afin de les protéger et d'enregistrer tout ce qu'ils voyaient et entendaient. Les films étaient ensuite minutieusement étudiés par les spécialistes du service et de l'Université afin d'obtenir un rapport précis sur le degré des civilisations. Les indigènes ne pouvaient se douter qu'ils n'avaient pas un homme en face d'eux. Tout avait été prévu, jusqu'au moindre détail. Un système de poils rétractables simulaient la barbe et de petits orifices du revêtement cutané laissaient sourdre un liquide imitant la sueur.
— Te voilà remis à neuf, dit l'ingénieur.
Un discret sourire naquit sur ses lèvres.
— Bien que cela ne soit pas très réglementaire, j'ai laissé les petites modifications que tu t'étais discrètement apportées, comme le shunt autour de l'interrupteur ou la possibilité d'interrompre tes enregistrements. Cela t'évitera d'avoir à les refaire.
Le robot éclata d'un rire très humain.
— Merci ! Cela a sauvé Marc plus d'une fois.
— Je le sais. Le capitaine Stone est un ami qui m'a rendu de grands services. C'est pourquoi, j'ai aussi réparé ton laser digital et rebranché le désintégrateur dissimulé dans ton avant-bras gauche. N'oublie pas que le S.S.P.P. en a interdit l'usage au cours des missions.
— Une riche invention des technocrates qui ne sont jamais sortis de leur bureau ! Sur les planètes primitives, il existe encore des bestioles monstrueuses qui ne se laissent pas attendrir par une caresse sur le museau. Elles considèrent les humains comme de simples amuse-gueules. Pour les repousser, il faut disposer de moyens plus performants qu'une pichenette ou un appel à la société protectrice des animaux.
Ray effectua quelques rapides mouvements d'assouplissement.
— Tout paraît bien huilé, dit-il avec une grimace satisfaite.
— Je l'espère ! J'ai changé bon nombre d'engrenages et de circuits et même le générateur. La prochaine fois, fais-le recharger avant qu'il soit complètement épuisé. Plusieurs éléments étaient dans un état pitoyable.
Ray ferma un instant les yeux.
— Curieux ! Je n'obtiens pas le contact avec Marc. Etes-vous sûr que mon émetteur psychique fonctionne ?
— Certain ! Sa puissance a même été augmentée.
Soudain très pressé, Ray sortit de l'usine et héla le
premier taxi-trans qui passait.
L'appartement était vide d'occupant. Le lit intact prouvait que Marc n'avait pas passé la nuit ici. Contrarié, l'androïde consulta l'agenda posé près du vidéo-phone. Il était noté : Accompagner Elsa à la soirée chez Milligan. Une nouvelle fois, il concentra sa pensée mais il n'obtint aucune réponse. Il connaissait les liens qui unissaient son ami à Elsa, aussi composa-t-il le numéro de son bureau. Une secrétaire répondit aussitôt :
— Mademoiselle Swenson n'est pas encore arrivée. Nous sommes très inquiets car elle avait rendez- vous avec Maître Whitcomb son conseiller. Elle est allée à une réception avec le capitaine Stone, hier soir. La police vient de nous informer que le trans du capitaine a été retrouvé vide près d'une plage.
Les neurones électroniques de Ray subirent une brutale surtension. Questionnée sèchement, la fille précisa l'endroit. Au triple galop, l'androïde descendit au parking. En plus de son trans de sport, Marc possédait un vieux modèle qui servait à Ray pour faire les courses. Sans se soucier du bruit des turbines malmenées, il démarra en trombe. En raison d'une circulation dense, il lui fallut près d'une heure pour atteindre l'endroit signalé. Deux voitures de police barraient le chemin au bout duquel le trans de Marc était visible. Un policier tenta de lui interdire le chemin.
— Je suis l'adjoint du général Khov, directeur du S.S.P.P., affirma-t-il avec aplomb.
— Nous ne pouvons rien vous dire de plus. La Sécurité Galactique nous a déjà demandé de faire un rapport. Un promeneur matinal a remarqué ce trans abandonné et fermé. Ne voyant personne sur la plage, il nous a avertis.
— Quelle est votre opinion ?
Le policier, un type aux cheveux grisonnants et au visage buriné haussa les épaules.
— Au sortir d'une soirée un peu trop arrosée, les occupants ont voulu prendre un bain de minuit, ignorant que par ici la mer est dangereuse. Croyez-moi, ce n'est ni le premier ni le dernier accident que nous verrons dans cette crique.
Ray approcha du trans dont il ouvrit la porte.
— Ne touchez à rien, cria le policier. Nous attendons les experts de la Sécurité Galactique.
L'androïde passa la tête, examinant chaque recoin. Ses neurones olfactifs reconnurent le discret parfum d'Elsa et une autre odeur inconnue. Un centième de seconde fut nécessaire pour identifier celle d'une fumée de cigare. Or Marc ne fumait jamais. La conclusion s'imposa d'elle-même. Un étranger avait conduit le trans ici. La tension qui alimentait ses neurones électroniques augmenta brusquement.
Il regagna son trans sans dire un mot au policier qui grommela :
— Toujours pressés, ces gens des villes. Ce n'est pas la politesse qui les étouffera.
Ray prit la direction de la propriété de Milligan sans se soucier des limitations de vitesse. Moins d'une heure plus tard, il s'arrêtait devant la grille du parc. Il se présenta comme le lieutenant Johnson du S.S.P.P. et le gardien peu gracieux répondit :
— Monsieur Milligan est à son bureau de New York et il ne reviendra que ce soir mais il ne pourra vous recevoir car il donne une réception pour d'importantes personnalités. Il a déjà fait sa déposition aux enquêteurs de la Sécurité Galactique. Mademoiselle
Swenson et monsieur Stone ont quitté la propriété peu avant minuit.
Il désigna deux caméras au-dessus du portail.
— Les enregistrements ont été visionnés par la police. Ils montrent avec précision l'heure de la sortie du trans.
— C'est pratique, constata Ray. Pourrais-je voir également les enregistrements des jours précédents ?
— Nous ne les conservons pas sauf si monsieur Milligan nous le demande.
— Hier, il vous l'a demandé ?
Le garde fronça les sourcils et maugréa :
— Je ne sais rien ! Si vous voulez d'autres explications, demandez-les au patron. Moi, j'obéis aux ordres et je ne cherche pas à comprendre. Maintenant, disparaissez !
Ray hocha la tête en murmurant :
— Je reviendrai certainement mais si je découvre que tu es complice de l'enlèvement du capitaine, je jure de t'étriper.
Sa voix était chargée d'une telle haine que l'homme ne put dissimuler un frisson.
De retour à son appartement, Ray consulta le répondeur qui n'avait enregistré aucun message. La télévision commentait abondamment la disparition de mademoiselle Swenson. L'hypothèse de l'accident était le plus souvent évoquée. D'un geste rageur, l'androïde éteignit le poste. Malmenant ses neurones électroniques, il n'arrivait pas à trouver une méthode d'action. Il lui fallait attendre et cette inaction était insupportable.
Un coup de sonnette le fit se lever. Sur le seuil se tenait une femme gigantesque. Un mètre quatre-vingt-
quinze et plus de cent kilos d'os et de viande. Elle avait un visage rond dont la lèvre supérieure s'ourlait d'une discrète moustache.
— Michka ! s'exclama-t-il en voulant la saisir dans ses bras.
La femme esquissa un mouvement de recul inhabituel chez elle. Ray remarqua alors que ses joues ordinairement colorées étaient bien pâles.
— Que t'arrive-t-il ?
— Je suis blessée et j'ai besoin d'aide.
Sans hésiter, Ray lui tendit la main.
— Entre vite.
— Le capitaine Stone est-il là ?
— Il n'est pas rentré, grogna Ray.
Remarquant le sang qui tachait le blouson de
Michka, il l'amena dans sa chambre.
— Déshabille-toi !
Il l'aida à retirer sa veste ce qui fit apparaître un pansement sanglant.
— Hier soir, je marchais avec Magda. Trois hommes nous ont attaquées. Magda s'est effondrée et ils l'ont portée dans un trans. J'avais évité le jet d'un injecteur et j'ai balancé mon poing dans la figure du type qui a valsé jusqu'au trans. Le second a alors sorti un pisto-laser et a tiré sur moi. La douleur m'a immobilisée un instant, ce qui lui a donné le temps de filer avec ses complices. Je n'ai pas pu relever le numéro du trans. Je me suis traînée au club, malheureusement désert en ce moment. Notre amie Debie fait un stage de plongée sous-marine avec quelques clientes. Je me suis confectionné un pansement provisoire avant de m'écrouler sur le lit. La douleur m'a réveillée il y a une heure. J'ai alors songé à vous demander de l'aide.
Pourquoi ne pas être allée à l'hôpital ?
— Je ne veux pas qu'on m'immobilise dans un lit. je dois retrouver Magda.
— Pour l'instant, laisse-toi soigner. Je vais voir ce que je peux faire.
Il ôta le bandage, faisant apparaître sur la partie droite du torse une large plaie de trente centimètres de long. Elle était profonde, sectionnant les muscles jusqu'aux côtes.
— Tu as eu de la chance, ni la plèvre, ni le poumon n'ont été touchés, dit-il après un rapide examen en vision X.
Ray passa dans la pièce voisine pour bientôt revenir porteur de diverses fioles. Avec la dextérité d'une infirmière, il pulvérisa sur la plaie une solution antiseptique et analgésique.
— Maintenant, il faut suturer. Je ne pourrai faire qu'un travail grossier qui te laissera une cicatrice. Ne préférerais-tu pas l'hôpital ?
— Encore une fois, non ! Mets-toi au travail !
Avec un soupir, Ray posa rapidement une trentaine
d'agrafes automatiques qui rapprochèrent les berges de la plaie. La douleur ayant disparu, Michka plaisanta :
— Tu es très habile. Tu as des doigts de fée.
— Repose-toi pendant que je te cherche un remontant.
— Un scotch serait parfait.
Il versait l'alcool dans un verre quand la porte d'entrée fut brutalement poussée. Deux hommes parurent.
L'un était un solide gaillard blond, l'autre un brun râblé. Ce dernier brandissait un pisto-laser.
— Où est la fille qui est entrée ici ? dit-il.
Prenant la voix métallique des androïdes domestiques, Ray émit :
— Vous faites irruption dans un domaine privé. Vous commettez une infraction à la loi. Je suis en droit de vous chasser.
— Silence, ou je t'expédie à la ferraille. Réponds à ma question !
— Demande illogique. Comment puis-je répondre puisque vous m'ordonnez de me taire.
Le blond émit un ricanement.
— Il se moque de toi, Piet ! Maintenant assez plaisanté. Nous voulons voir ta visiteuse.
Michka parut alors sur le pas de la porte de la chambre.
— Ce sont eux qui ont enlevé Magda !
En la voyant, le brun leva son arme. Ray s'interposa entre lui et sa cible. Le rayon laser, au contact de son champ protecteur, ne produisit qu'un grésillement ridicule. L'homme ne pouvait savoir que Ray était d'un modèle très perfectionné qui pouvait s'entourer d'un champ de force le mettant à l'abri des rayonnements et des projectiles. Pour le percer, il fallait une énergie supérieure à celle de son générateur.
La riposte vint, fulgurante. Avant que le brun appuie une deuxième fois sur la détente, Ray actionna son laser digital. L'arme tomba sur le sol, entraînant un fragment de l'index qui resta accroché au pontet de l'arme. Le blond voulut à son tour prendre son pisto-laser dans sa poche. Il n'eut pas le temps de viser. D'un magistral revers de main, Ray lui fractura
l'avant-bras, envoyant valser le pistolet à l'autre extrémité de la pièce.
Le brun agitait sa main mutilée en hurlant :
Ce n'est pas possible ! Un robot domestique ne doit jamais mettre une vie humaine en danger. C'est inscrit dans tous les règlements !
Une monstrueuse gifle expédiée par Michka le fit luire en le projetant à terre. Saisissant les deux hommes par le col de leur blouson, Ray les propulsa dans un fauteuil.
— Vous allez me dire où est mon amie, gronda Michka.
— Nous ne savons rien, cracha le brun. Tout ce que vous pouvez faire, c'est appeler la police. Elle n'aura à nous reprocher que le bris de la porte tandis que nous porterons plainte contre cette machine pour violences injustifiées.
La jeune femme approcha de lui, le dominant de toute sa masse. Elle le regarda un instant puis sa main s'abattit à toute volée sur le visage, écrasant le nez et fendant les lèvres.
— Vous n'avez pas le droit, hoqueta-t-il en crachant du sang et une dent. Je porterai également plainte contre vous.
— Je pense que tu commets une erreur, dit-elle d'une voix dure. J'ai les mêmes droits que toi quand tu as tiré sur moi et enlevé mon amie. J'exige une réponse rapide !
Une nouvelle gifle partit, lui rejetant la tête en arrière. Le blond se manifesta alors :
— Nous demandons à être traduits devant l'ordinateur judiciaire. C'est la loi !
Une tape sèche sur le crâne, administrée par Ray, le fit taire.
— Tu parleras quand nous t'interrogerons.
Le nommé Piet saignait de la bouche et du nez. Stupidement, il regardait les gouttes qui tombaient sur ses genoux. Dans sa carrière, il avait souvent tué, torturé, violé mais il n'avait jamais imaginé qu'il serait un jour du mauvais côté de la matraque.
— Nous perdons du temps, s'impatienta Michka. Où est Magda ?
— Je l'ignore !
Une main brutale ouvrit son blouson et saisit entre le pouce et l'index le mamelon. Une torsion brusque arracha un cri de douleur à l'homme.
— Je ne sais pas. Je ne sais pas !
— Dans ce cas, tu ne présentes plus aucun intérêt, dit Michka d'une voix glaciale.
Elle saisit la tête entre ses bras puissants. Une torsion brusque et le bruit écœurant des vertèbres brisées fut perceptible.
— Vous... Vous l'avez tué, souffla le blond incrédule.
— Evidemment ! Croyez-vous que nous jouons à la marelle ?
— Mais pourquoi ?
— Tentative de meurtre sur ma personne, complicité d'enlèvement et probablement quelques dizaines d'autres crimes que j'ignore. Maintenant, voyons si tu seras plus loquace.
Devant cette montagne de chair qui avançait vers lui, le blond se tassa dans son fauteuil. Une peur panique le submergea. De grosses gouttes de sueur perlèrent à son front. Déjà la main se levait, énorme, monstrueuse.
— Non ! Non ! hurla-t-il. Je ne sais pas où est votre amie actuellement. Nous ne sommes que des exécutants.
— A qui obéissez-vous ?
Un instant d'hésitation que la main levée dissipa vite.
— A Ryder, Fred Ryder. Nous lui avons remis la blonde. Quand il a su que nous vous avions manquée, il nous a ordonné de se mettre à votre recherche. Nous vous attendions en bas de votre domicile et, quand vous êtes sortie, nous vous avons suivie.
— Pourquoi ce rapt ?
— Je l'ignore. Je crois que le patron exécutait un contrat. Il commande et nous obéissons sans discuter. C'est la meilleure manière de ne pas avoir d'ennuis.
— On en a parfois en suivant de mauvais ordres, ricana Ray. A votre avis, que voulait-il à Magda ?
— Parfois nous enlevons des personnes que Ryder nous désigne et nous les lui amenons. Je ne sais ce qu'elles deviennent mais elles ne reparaissent jamais.
— Où peut-on trouver Ryder? s'impatienta Michka.
— Il possède un entrepôt au 4225 de la 126e Rue. C'est la seule adresse que nous lui connaissons.
— Merci !
Soudain, son poing s'abattit sur le crâne de l'homme, accompagné d'un bruit d'os fracturés.
— C'était inutile, nota Ray d'un ton désapprobateur.
Le regard dur, elle rétorqua :
— Il a enlevé Magda. Coupable ! Je suis à la fois enquêteur, juge et... bourreau.
Ray hocha la tête. Il avait eu la même réaction autrefois quand il avait cru son ami mort. Il consulta sa montre.
— Je pense qu'une visite s'impose. Où as-tu laissé ton trans ?
— Dans la rue, en face de ton immeuble.
— Nous l'utiliserons car je crois me souvenir qu'il est plus rapide que le mien. Toutefois, avant de partir, il convient d'effectuer le ménage. Deux cadavres font désordre dans un salon bien tenu.
— Où veux-tu les mettre ?
— Nous les emmenons et nous les jetterons dans la fange d'un ruisseau qui les a vus naître.
— Et qu'ils n'auraient pas dû quitter, ricana Michka.
Elle voulut ramasser le corps de Piet mais esquissa une grimace en portant la main à son côté.
— Laisse, ironisa Ray, ce n'est pas un travail pour une faible femme ! Va chercher ton trans, nous nous retrouverons dans le parking au premier sous-sol.
Il prit un corps sous chaque bras et gagna la porte sous le regard furieux de Michka.