chapitre xvii
Une grosse femme âgée, brune, aux traits marqués de profondes rides était assise derrière une table supportant plusieurs ordinateurs. Les murs de la pièce étaient tapissés d'écrans de télévision. Elle sourit quand Asano pénétra dans le bureau.
— Bonsoir patron, dit-elle d'une voix enrouée par des années passées dans les bars.
Elle pouvait se permettre cette familiarité car ils se connaissaient depuis quarante ans. C'est lui qui avait guidé ses premiers pas puis lui avait donné à diriger plusieurs établissements.
— Bonsoir, Lisa.
Elle remua sa grosse carcasse pour sortir d'un placard mural une bouteille et deux verres qu'elle emplit.
— C'est du vrai vin de notre pays.
Ils burent en silence savourant l'arôme du liquide rubis.
— Tu as l'air fatigué, patron.
— Quelques problèmes, soupira-t-il. Comment marchent tes affaires ?
— Fort bien, nous faisons un bon chiffre chaque soir. L'idée du psychiatre de prescrire aux curistes des séances de thérapie psychotrope les fait venir ici sans complexe et nombreux sont ceux qui demandent des suppléments.
Elle enfonça plusieurs touches et les écrans s'éclairèrent montrant des chambres où des couples s'ébattaient.
— Le fantasme de Celle-ci, dit-elle en montrant l'image d'une femme se débattant entre deux hommes, est de se faire violer par des inconnus masqués. Depuis une semaine, elle revient presque tous les
soirs.
— Son crédit est-il suffisant ?
— Tu penses bien que je l'ai vérifié. Je ne dirige pas une œuvre de bienfaisance. Je ne suis pas tombée de la dernière pluie. A propos, je suis désolée pour Tania hier soir. Je pensais que cette petite avait plus de conscience professionnelle. Les jeunes d'aujourd'hui ne comprennent rien. Ce soir, je l'ai mise dans le coin des vicieux.
Elle désigna une image montrant la fille nue suspendue par les poignets à un anneau fixé au plafond. Un type maigrichon au visage étroit la frappait avec un martinet à sept lanières. Il visait alternativement le bas du dos et les fesses. Chaque coup laissait des stries brunâtres sur la peau tandis que la malheureuse se tordait de douleur essayant en vain de se soustraire à la morsure des lanières. Le manège amusait son bourreau qui variait les angles de la frappe.
— Ne la laisse pas se faire trop abîmer. Après un bon dressage, elle te rapportera beaucoup d'argent.
— Pas de danger. Les lanières sont en caoutchouc mousse imprégné de colorant qui dessine les marques. Elles cinglent mais ne coupent pas la peau. De plus, il a payé pour cinquante coups seulement. Cela suffit à l'exciter et ensuite il se donne l'impression de la violer.
Elle pointa son gros doigt sur un autre écran dévoilant une grande salle plongée dans une semi-obscurité. Une dizaine de couples s'ébattaient dans des positions variées.
— Ils appellent ça maintenant psychothérapie relaxante de groupe, ricana-t-elle. De notre temps, nous disions simplement partouzes.
Asano hocha la tête avec un petit sourire complice.
— Eteins ton truc, cela ne m'intéresse pas de jouer les voyeurs. Montre-moi tes comptes !
Elle sortit un petit carnet qu'elle dissimulait dans la ceinture de sa robe et le lui tendit.
— Je n'aime pas les ordinateurs car on ne sait jamais s'ils ne seront pas piratés.
— Sage précaution.
Il feuilleta rapidement le carnet et le lui rendit en soupirant :
— Si tout le monde était aussi efficace que toi, j'aurais moins de soucis. Bonsoir, Lisa. Ton vin est toujours excellent.
A la sortie de l'établissement, il aperçut Vincent qui, visiblement, l'attendait.
—: Nous avons retrouvé les deux hélijets mais à l'état de carcasses calcinées. Nous pouvons estimer que Stone et les autres ont enfin trouvé la mort.
— Je veux une certitude, rugit Asano. Vous m'avez déjà raconté qu'il avait été bouffé par une chenille géante puis il reparaît pour liquider le commando de Conway.
— Les épaves sont à plus de deux cents kilomètres d'ici. Même s'ils sont vivants, ils ne pourront franchir à pied cette distance sans aucun ravitaillement.
Peu convaincu, Asano haussa les épaules.
— J'exige que les mesures de sécurité soient maintenues, y compris la surveillance de l'astroport.
*
* *
Marc ouvrit lentement les yeux. Il se sentait la tête lourde comme quelqu'un qui a dormi trop longtemps. Il s'assit et regarda autour de lui. Sagement couchés à ses côtés, il vit ses compagnes qui dormaient encore. Ray, également allongé, cligna rapidement de l'œil pour manifester son parfait état de fonctionnement.
Ils se trouvaient dans une très vaste caverne dont la voûte s'élevait à une vingtaine de mètres au-dessus de sa tête. Les parois irradiaient une lumière bleue qui permettait de distinguer les détails. Un fleuve avait dû autrefois traverser la caverne car le sol était couvert d'un sable fin. Trente mètres plus au fond s'étendait un lac aux eaux phosphorescentes au bord duquel de nombreux arbres étaient alignés.
Elsa reprenait conscience et sourit en reconnaissant Marc penché au-dessus d'elle. Michka manifesta son réveil en lançant un juron sonore, mais elle se tut en voyant le regard ironique de Ray. Elle aida Magda à s'asseoir.
Un arbre avança vers eux. Il progressait lentement sur ses quatre racines qui se mouvaient comme les pattes d'un cheval. Le tronc restait bien vertical oscillant à peine. Il s'immobilisa à cinq pas du groupe.
— Excuse-nous, Terrien, d'avoir dû t'endormir. Pour notre sécurité, je devais sonder ton cerveau. Je suis reconnaissant à ton robot de ne pas être intervenu. Je sais qu'il est porteur d'armes terrifiantes qui auraient pu anéantir notre peuple. Ne vous inquiétez pas, ici, vous êtes à l'abri des recherches de vos ennemis.
La pensée était claire et précise.
— Qui êtes-vous ?
— La réponse est difficile mais je sais que pour qu 'une chose existe, il faut la nommer. Dans notre pensée, nous sommes des Merkas, des créatures que vous qualifieriez de végétales mais douées de mobilité et surtout capables de penser. Nous savions que vous deviez venir mais nous ne vous attendions pas aussi vite.
Devant l'interrogation muette de Marc, il ajouta :
— Nos sœurs nous avaient avertis. Toutefois, elles sont parfois un peu naïves et nous voulions nous assurer de vos intentions. Vous n 'êtes pas venus pour détruire comme l'ont fait les autres Terriens qui ont rasé toute une partie de notre forêt pour s'installer. A l'époque, nous avons craint le pire et avons été soulagés de constater qu'ils se limitaient à la bande côtière.
— Si nous avions connu votre existence, cette planète aurait été interdite à la colonisation.
— Nos sœurs les plus proches ont tenté de communiquer mais elles n'ont lu dans les pensées qu'un désir de destruction.
— Malheureusement, les humains ne sont pas télépathes. Ils ne pouvaient percevoir vos ondes. Maintenant, les choses sont différentes. Dès que j'aurais pu regagner la Terre, je ferai un rapport à mes chefs et nous verrons ce qu 'ils proposeront.
— Je sens que tu te heurteras à beaucoup de difficultés car cet endroit semble plaire à tes compatriotes.
— C'est certain mais il faut au moins essayer. Peux-tu me donner plus de détails sur ta race ?
Le Merka sembla hésiter.
— Non, ce n'est pas un sentiment de méfiance envers toi mais nous n'avons pas d'écriture. Pas encore car, avec ce que j'ai découvert dans ton cerveau, je pense que nous allons nous atteler à cette tâche. Donc, toute notre tradition n 'est qu 'une transmission de récits de génération en génération. A l'origine, nous n'étions que de simples arbres. Puis nous nous sommes progressivement ouverts à la connaissance et nous avons pu communiquer entre nous. Plus tard, nous avons réussi à nous détacher du sol et à nous mouvoir sur de courtes distances, ce que nos cousines que tu as rencontrées n'ont pas encore pu faire.
— Comment vous nourrissez-vous ?
— Quand cela nous est nécessaire nos racines replongent dans le sol et nous fournissent les substances nutritives dont nous avons besoin. Les eaux de ce lac souterrain sont également très riches en sels minéraux indispensables à notre métabolisme. C'est pourquoi, nous ne nous en écartons guère.
Il voulut poursuivre mais Marc l'interrompit.
— Je te demande quelques minutes. Mes compagnons meurent de curiosité car ils ne peuvent suivre notre entretien.
Il résuma sa conversation à la grande satisfaction des jeunes femmes qui commençaient à s'inquiéter de ce long silence. Il termina en disant à Ray :
— Tu peux rebrancher ton récepteur psychique. Je
ne pense pas que nous courions le moindre danger et j'aurais besoin de tes enregistrements pour convaincre le général Khov et les membres de la commission de non-immixtion.
Il reprit à l'attention du Merka :
— Si je comprends bien, tous vos besoins vitaux sont couverts par la nature.
— C'est pourquoi nous n'avons jamais éprouvé le besoin de créer une agriculture ou un artisanat.
— Comment obtenez-vous cette curieuse lumière qui irradie des parois de la grotte ?
— C'est un mélange de spores de champignons et de fougères. Lorsqu'ils sont en contact en atmosphère humide, ils émettent des rayons lumineux.
— A quoi occupez-vous votre temps, car je suppose que vous vivez très longtemps.
— Trois ou quatre de vos siècles mais le temps ne nous paraît pas long. Nous serions ce que vous appelez des philosophes contemplatifs. C'est difficile à comprendre pour vous, créatures à la vie brève, qui êtes sans cesse en mouvement.
Cette fois, Ray traduisait chaque phrase aux jeunes femmes.
— Est-ce tout ton peuple ? Vous ne paraissez guère nombreux.
Une onde de tristesse déferla sur les neurones de Marc qui poursuivit :
— N'existe-t-il pas d'autres créatures comme vous dans cette immense forêt ?
— Pas à portée de nos ondes psychiques. Au-delà, je l'ignore. Je t'ai dit que nous nous déplacions peu.
— Si j'en ai l'occasion, je pourrais vous aider à pratiquer des explorations.
— C'est aimable de nous le proposer, mais il serait cruel de nous apprendre l'existence de sœurs avec lesquelles nous ne pourrions communiquer. Mieux vaut nous laisser dans l'ignorance et croire que nous sommes les seuls végétaux pensants de cette planète. Maintenant, je te laisse te reposer car je sais que de longs échanges psychiques sont fatigants, même pour nous. Je n 'ai pas de nourriture qui vous convienne à vous offrir et j'en suis désolé.
— Nous avons de petites provisions pour les heures qui viennent mais ensuite nous devrons chasser.
— J'oubliais que vous mangez la chair des animaux et même certains végétaux. Cela a été pour nous une pénible découverte mais c'est la loi de votre nature. Les « zourks » capturent bien les cerfs.
Marc ferma les yeux, pour atténuer les élancements douloureux qui commençaient à traverser son cerveau. La douleur s'estompa rapidement. Ray tendit à chaque Terrien une tablette nutritive qu'ils se mirent en devoir de sucer lentement. Michka ne put s'empêcher de maugréer :
— C'est une bien piètre nourriture pour mon grand corps.
— Elle constitue cependant un apport calorique suffisant pour un être normal. Même si tu perds quelques grammes dans l'aventure, ta silhouette ne sera guère modifiée.
Magda imposa le silence à son amie qui allait protester avec véhémence.
— Laissez Marc se reposer. Il est le seul à pouvoir négocier avec ces créatures les conditions de notre libération.
Une demi-heure s'écoula dans un silence seulement troublé par le discret clapotis des eaux du lac souterrain.
Le Merka revint, accompagné d'un congénère.
— Je voudrais te demander...
La pensée était hésitante, empreinte d'une gêne certaine.
— Que souhaites-tu ?
D'un de ses rameaux, il désigna Michka.
— Ton amie accepterait-elle de se prêter à une expérience ? Je t'affirme qu'elle est sans danger aucun et peut-être même agréable.
— Laquelle ?
— Je ne peux te l'expliquer mais je t'assure que c'est vital pour la survie de mon peuple.
Informée, Michka hésita une minute avant de donner son accord. Elle se leva en disant :
— Que dois-je faire ?
— Il faudrait d'abord qu'elle se déshabille, émit la créature.
— Je ne savais pas qu'ils étaient amateurs de striptease, ricana-t-elle en ouvrant la combinaison empruntée à un garde.
Elle eut quelques difficultés à la faire glisser au niveau des hanches car elle était plus large de bassin que sa victime. D'un œil furieux, elle refusa l'aide que Ray voulait lui apporter. Elle termina en enlevant ses bottes et se dressa. Elle avait un corps beaucoup
plus harmonieux que sa silhouette massive le laissait croire.
— Et maintenant? demanda-t-elle en bombant le torse.
— Suivez notre ami.
Le second Merka posa délicatement une de ses branches sur les épaules de Michka et l'entraîna doucement vers un recoin plus sombre de la caverne. Arrivé près de la paroi, il lui fit signe de s'allonger. Il bascula pour se placer à côté d'elle. Plus curieuse qu'inquiète, Michka attendit. Les branches s'animèrent caressant très lentement le cou et les épaules. Elles étaient douces comme une main avec une multitude de doigts qui se promenaient sur son épiderme, descendant sur le dos et les cuisses. Cela dura plusieurs minutes et elle sentit une sensation de bien-être l'envahir. A son tour, elle posa la main sur le tronc. L'écorce noire n'était pas rêche mais tiède et soyeuse, agréable à caresser.
Michka se plaqua contre le Merka dont les branches caressaient maintenant les fesses et le haut des cuisses. Elle sentait une curieuse chaleur envahir son ventre. Instinctivement ses lèvres se plaquèrent sur la sphère noire tandis que des frissons la secouaient. Il lui sembla que de petits frémissements agitaient le Merka. La jeune femme écarta lentement les cuisses que les branches caressaient de plus en plus fort. Michka palpait maintenant avec vigueur toute l'écorce noire, la serrant contre elle pour mieux sentir le contact soyeux contre sa peau et ses seins. Une merveilleuse sensation qui semblait s'infiltrer par tous les pores de son épiderme !
Michka avait perdu la notion du temps. Seule comptait cette impression de milliers de doigts qui caressaient tout son corps avec une douce fermeté. Des mouvements convulsifs animèrent son bassin, de plus en plus forts, de plus en plus agréables. Elle rejeta la tête en arrière et ne put retenir un cri quand un orgasme monstrueux la secoua tout entière.
Elle resta allongée de longues minutes, attendant que s'apaise la tempête qui l'avait submergée. Progressivement sa respiration retrouva un rythme plus lent et plus régulier. Dans la semi-obscurité, elle regarda le Merka qui avait replié ses branches autour de son tronc. Il lui sembla que la sphère qui rappelait une tête, remuait doucement tandis que le tronc était toujours animé de frémissements.
Près d'une heure s'écoula sans qu'elle osât bouger. Les tremblements du tronc augmentaient. Inquiète, elle lança :
— Marc ! Marc, venez vite, je ne comprends pas ce qu'il lui arrive.
Le jeune homme fut vite près d'elle, l'aidant à se relever. Il tenta un contact psychique mais n'obtint qu'une sensation de douleur mêlée à une joie immense. Il porta son regard sur le Merka. A la partie moyenne du tronc un orifice apparaissait, fendant l'écorce sur plusieurs centimètres. Une sphère noire en jaillit soudain, de la taille d'une balle de ping-pong. Elle fut vite suivie d'autres qui roulaient lentement. Le phénomène ne semblait pas devoir s'arrêter. La pensée de son premier interlocuteur l'atteignit alors. Elle témoignait d'une immense satisfaction.
— C'est merveilleux, notre expérience a réussi. Notre sœur expulse ses graines. C'est la première fois
qu'un tel événement survient depuis de très nombreuses années.
Devinant l'incompréhension de Marc, il expliqua :
— Pour nous reproduire, nous élaborons des graines dans notre intérieur. Toutefois, pour qu'elles soient expulsées, il faut un stimulus intense. Par indifférence, insouciance et, avouons-le, par égoïsme, nous ne nous sommes pas intéressés à la question pendant très longtemps. Lorsque nous avons enfin voulu assurer notre descendance, nous avons découvert que l'âge avait affaibli nos possibilités, émoussé nos sensations. Nous nous connaissions trop bien pour être sensibles à des sollicitations.
Il désigna le Merka toujours étendu sur le sol.
— Notre sœur a pensé alors qu 'une créature extérieure pouvait nous aider à redécouvrir des sensations perdues. Son idée a été couronnée de succès car votre amie s'est montrée très coopérante. Sentir le plaisir qui l'envahissait a été un puissant stimulant.
Un autre Merka ramassait avec précautions les boules noires. Avec une hésitation nettement perceptible, la créature reprit :
— Si tes amies voulaient, elles aussi... Le salut de notre race serait définitivement assuré...
Quand il transmit la proposition, Elsa eut un haut-le-corps puis elle éclata de rire.
— Pourquoi pas ? Plus vite nous en aurons terminé, plus vite nous regagnerons l'air libre.
— Je partage votre opinion, approuva Magda qui se débarrassa aussitôt de ses vêtements.
Elsa l'imita et apparut en pleine nudité, terriblement belle et désirable. Marc eut un petit pincement
au cœur quand il vit un Merka enlacer doucement la taille de son amie et l'entraîner dans un coin discret.
Le jeune homme s'allongea sur le sable mais il fut lent à trouver le sommeil et il dut se boucher les oreilles pour ne pas entendre les soupirs et les légers gémissements qui s'élevaient parfois du fond de la grotte.