chapitre vi

 

La nuit tombait lentement. Ray et Michka épiaient depuis un quart d'heure la bâtisse qui se dressait au milieu d'un petit terrain vague. Une fenêtre s'éclaira et deux silhouettes se profilèrent.

— Nous passons à l'attaque ? s'impatienta Michka.

— Mes détecteurs ne perçoivent que deux présences et je ne crois pas qu'il existe de détecteur d'alarme.

La porte à doubles battants de l'entrepôt était verrouillée. Ray retint la jeune femme qui, sans fioriture, allait l'enfoncer d'un coup de pied.

— Laisse-moi faire ! Un peu de discrétion n'est pas inutile.

De son laser digital, il découpa délicatement la serrure avant de pousser la porte d'un mouvement sec pour l'empêcher de grincer. Ils pénétrèrent dans un hangar empli d'un matériel hétéroclite, allant des machines-outils à des téléviseurs tri-di.

Un escalier métallique montait au premier étage. Ray appliqua son oreille sur une porte.

— Que font ces imbéciles ? Ils devraient déjà être de retour.

— Sans doute, ont-ils été retardés. La fille devait se terrer dans un coin où il a été difficile de la débusquer. Faites-leur confiance, ils sont d'excellents chas-

seurs. Ils n'ont pas leur pareil pour forcer une proie. Peut-être ont-ils voulu s'amuser un peu. Les grosses sont souvent plus confortables que les maigres.

Ray pesa sur la poignée. Deux hommes discutaient autour d'une table, un verre à la main. L'un était grand, avec un torse puissant dont les muscles saillaient sous sa chemise. L'autre était vêtu avec une certaine élégance et paraissait à peine trente ans. En entendant la porte s'ouvrir, le plus fort se dressa et porta la main à sa poche. Il n'eut pas le temps d'achever son geste. Le poing de Ray le toucha à la pointe du menton avec une redoutable précision. Assommé net, il tomba sur le sol, soulevant un nuage de poussière.

— Qui êtes-vous ? cria l'autre d'une voix aiguë.

Michka avança, massive, les poings sur les

hanches.

— Je crois que vous me cherchiez, Ryder.

— Je ne sais qui vous êtes mais je vous ordonne de ficher le camp d'ici sinon vous vous exposerez à de vifs...

Un lourd revers de main balancé à toute volée par Michka interrompit la phrase. Ryder, sous le choc, alla heurter le mur. Il passa la main sur sa bouche ensanglantée. Son regard brilla de haine.

— Vous avez osé me frapper, dit-il incrédule. Vous n'aurez pas trop de toute votre brève existence pour le regretter. J'appartiens à la Grande Compagnie qui sait protéger ses amis. Tous ses membres auront ordre de vous tuer après vous avoir infligé les pires supplices.

Peu impressionnée, Michka le saisit par le cou et commença à serrer.

— Si tu veux vivre, cligne des paupières.

Ryder tenta de se débattre mais son visage bleuit rapidement. Il battit des paupières. L'étau se relâcha, lui permettant d'aspirer un peu d'oxygène.

— Mais que voulez-vous ? hoqueta-t-il.

— Une question, une seule réponse. Où est Magda ?

— Je ne sais...

L'étau se resserra, implacable. Affolé, Ryder cligna de l'œil à plusieurs reprises.

— Pourquoi l'avoir enlevée ?

— J'en avais reçu l'ordre.

— De qui ?

— Je ne peux le dire...

Nouvelle pression qui acheva de terroriser l'homme.

— Monsieur Milligan ! J'ai remis la fille endormie à deux de ses hommes. J'ignore où ils l'ont conduite.

Le nom avait provoqué une surtension dans les neurones de Ray. Il posa la main sur l'épaule de Ryder pour demander d'une voix douce, trop douce :

— N'aurais-tu pas aussi enlevé le capitaine Stone.

L'homme se méprit devant le calme de son interlocuteur.

— Secret professionnel, ricana-t-il. Ah !

Un cri de douleur dément. Ray d'une ferme pression venait de lui broyer l'épaule.

— Parle ou je te brise l'autre épaule, gronda-t-il.

L'esprit en déroute, la cervelle taraudée par la douleur, Ryder gémit :

— C'était un ordre de monsieur Milligan. Nous l'avons coincé sur la route avec la fille. Nous les avons endormis. Je vous jure que nous ne leur avons

fait aucun mal. Ils étaient bien vivant quand nous les avons confiés aux gardes de la propriété.

— Il ne nous apprendra rien de plus, dit Michka. Inutile de nous attarder plus longtemps.

— C'est mon opinion. Fais ce que tu voudras.

Ryder était tombé à genoux, tentant de soutenir son

épaule fracturée. Michka approcha et d'un vigoureux coup de poing lui brisa la nuque.

L'autre homme était toujours inanimé sur le sol. Au passage, elle lui enfonça le thorax d'un coup de pied.

— Ce n'était qu'un exécutant, reprocha Ray.

— Un complice ! Si les malfaiteurs n'avaient pas de complices, ils seraient beaucoup moins dangereux. Viens, il nous faut rencontrer ce Milligan.

— Cela risque d'être plus difficile. J'ai déjà eu maille à partir avec des membres de la Grande Compagnie et cela n'a pas été une partie de plaisir. Leurs repaires sont souvent de véritables forteresses. Je pense avoir une idée pour les affoler. Trouve-moi un sac.

Trois minutes plus tard, Michka revint, un sac en plastique transparent à la main. Elle réprima un haut- le-corps en voyant le cadavre décapité de Ryder et Ray tenant la tête par les cheveux. Il la glissa dans l'enveloppe que la jeune femme lui tendait.

Ils regagnèrent leur trans après s'être assurés que la rue était déserte. Ray arrêta son véhicule au premier bureau de poste automatique.

— Va me chercher un emballage, dit-il. Nous allons envoyer un colis.

Après avoir bien calé son sanglant trophée par de la mousse plastique, il inscrivit : « Très urgent. A livrer ce soir. »

Le paquet déposé sur le tapis roulant, Ray déclara :

— Nous avons un peu de temps devant nous. Allons à l'appartement. Tu pourras te reposer pendant

que je te préparerai un dîner.

 

*

 

* *

 

Milligan regardait avec satisfaction ses invités. Le repas s'achevait dans la bonne humeur créée par les excellents vins servis. Plusieurs personnalités éminentes de la bourse côtoyaient un banquier et surtout le chef de cabinet du ministre de l'Industrie. Milligan avait pu s'entretenir avec lui du problème de la disparition de mademoiselle Swenson et du préjudice que causerait à la Cosmos Jet l'absence de direction. Il avait reçu l'assurance que le ministre appuierait sa candidature à ce poste si la présidente ne reparaissait pas dans la semaine.

Il ferma un instant les yeux. Que de chemin parcouru en trois ans ! Grâce à des amis qu'il avait su se faire au bon moment, il avait réussi à s'introduire dans les milieux fermés de la haute finance. Un manque total de scrupules, sentiments réservés aux pauvres ou aux faibles, lui avait permis de réaliser ses premières opérations particulièrement rémunératrices. Ensuite, il avait volé de succès en triomphes, à la grande satisfaction de ses commanditaires. Sa fortune personnelle s'accroissait de jour en jour lui permettant d'envisager le moment où il pourrait se lancer dans la politique. Là encore, il savait qu'il bénéficierait d'appuis aussi secrets qu'efficaces.

Quelques jeunes et jolies filles complétaient la brochette des invités. L'une était sa maîtresse du moment qu'il aimait exhiber et parfois prêter à un client intéressé. Joy savait se plier aux caprices de son amant sans discussions inutiles.

— Un colis très urgent pour monsieur Milligan, annonça un robot serveur.

Joy battit des mains tandis que Milligan fronçait les sourcils car il n'avait rien commandé.

— C'est certainement une surprise, dit-elle. Je les adore. Ouvre vite, Morgan.

Ce dernier hésita un instant mais devant la demande reprise par les invités, il défit les attaches magnétiques. Une sphère roula sur la table et il resta paralysé de stupeur. La tête de Ryder s'immobilisa, le fixant de ses yeux vitreux, grands ouverts.

Les hurlements stridents poussés par Joy le tira de son hébétude. Plusieurs invités s'étaient levés, renversant leur chaise. Maintenant, toutes les filles piaillaient et il eut beaucoup de peine à rétablir un semblant de silence. Avant qu'il puisse l'en empêcher, le banquier sortit en disant qu'il se chargeait d'avertir la police.

Le représentant du ministre ne tarda pas à le suivre, murmurant à Milligan :

— Il serait du plus mauvais effet que mon nom soit mêlé à un scandale. Ne vous dérangez pas, je connais le chemin de la sortie. Je vous appellerai demain. Vous pouvez compter sur mon appui.