chapitre viii
Le trans approchait de la ville. Ray arrêta son véhicule devant une cabine vidéophonique. Après avoir consulté l'annuaire électronique, il composa le numéro de la clinique. Une infirmière aux yeux papillotants répondit :
— A cette heure tardive, je ne peux déranger le docteur Wood.
— C'est très urgent, mademoiselle. Dites-lui que c'est de la part de monsieur Milligan.
La recommandation fut efficace car deux minutes plus tard le médecin fut en ligne. Il avait une figure ronde avec un début de calvitie.
— Je suis désolé de vous déranger à pareille heure, docteur, mais Morgan m'a dit que je devais m'adresser à vous. J'ai un ami qui a un urgent besoin d'une greffe.
— Beaucoup de malades sont dans ce triste cas, répliqua sèchement Wood.
— Mais lui est disposé à payer vingt millions de dois.
L'importance de la somme fit passer une lueur fugitive dans le regard du médecin.
— Venez demain matin à mon cabinet, nous en discuterons.
— Il sera peut-être trop tard. Ne puis-je venir maintenant ?
Après une seconde d'hésitation, Wood accepta.
— Prenez l'entrée latérale et l'ascenseur jusqu'au dernier étage. Apportez le dossier médical du patient et... une avance sur les honoraires.
— Nous avons déjà prévu dix millions en liquide.
— Parfait ! Je vous attends.
Le trans redémarra à bonne allure. En raison de l'heure tardive, la circulation était rare mais Ray respectait les limitations de vitesse car il n'avait aucune envie d'être arrêté par un policier zélé.
— Tu as l'art de mentir avec aisance, ironisa Michka, tout comme un homme.
— Attends que cette affaire soit terminée et je te montrerai que je peux me conduire en vrai mâle.
— Je me souviens de la fois où tu avais lâchement profité d'un moment de faiblesse de ma part, murmura-t-elle songeuse.
Arrivé à proximité de la luxueuse clinique, Ray gara son trans dans une rue voisine pour ne pas risquer d'attirer l'attention. Le couple trouva sans difficulté l'entrée qui n'était pas verrouillée et il parvint au bureau de Wood. Ce dernier était petit avec un regard vif. Il examina avec une certaine surprise les arrivants.
— Asseyez-vous, dit-il. Montrez-moi le dossier du patient. D'ordinaire, je ne reçois que les malades adressés par un médecin mais je tiens à être agréable à mon ami Milligan.
Ray plongea la main dans la corbeille à papier qu'il tenait toujours sous le bras.
— Parfait, c'est justement lui qui a besoin d'une
greffe d'un corps complet, dit-il en déposant la tête sur le bureau.
Le médecin hoqueta de surprise et devint livide. Il voulut allonger le bras en direction d'une sonnette placée sur sa table mais Michka, beaucoup plus vive que sa corpulence le laissait prévoir, lui saisit la main qu'elle tordit.
— Assez plaisanté, nous voulons retrouver Magda.
— Et le capitaine Stone ainsi que mademoiselle Swenson, compléta Ray en lui saisissant l'autre main.
Le regard du médecin se fit plus dur.
— Je ne connais pas ces personnes... Aie !
Avec un ensemble parfait, Michka et Ray serrèrent la main qu'ils tenaient.
— Non ! Arrêtez, je vous en prie. Pas les mains, je suis chirurgien...
— Réponds, dit Michka en accentuant sa pression.
Le craquement des os du poignet qu'elle malaxait
fut perceptible, arrachant un hurlement de douleur à Wood.
— Vous n'avez pas le droit, je demande à être traduit devant l'ordinateur judiciaire, souffla-t-il. Pitié...
— Tu n'as aucune pitié à attendre de nous, grogna la femme. S'il le faut, je suis prête à te briser tous les os, un par un et même à en sucer la moelle si cela devait aider mes amis.
Fou de douleur, le médecin cria :
— Ils ont été embarqués dès leur arrivée ici dans un astronef sanitaire. A cette heure, ils doivent approcher de Santa.
— Pour qu'on leur prélève leurs organes ?
— Je ne sais pas ! Le patron, monsieur Asano, voulait d'abord discuter avec eux. Ensuite...
Michka relâcha son étreinte et Wood sentit la douleur diminuer.
— Il ne nous apprendra rien de plus, dit Ray.
Du pouce, Michka désigna le médecin.
— Si nous le laissons en vie, il préviendra aussitôt ses complices sur Santa qui s'empresseront d'éliminer nos amis pour effacer toutes traces de leur forfait. Disparue la preuve, disparue la faute, telle est la règle de la justice.
— Non, je vous donne ma parole, gémit Wood, je peux vous offrir une fortune...
Sa voix s'éteignit brusquement. Michka était intervenue avec une cruelle efficacité.
— Viens, dit Ray, nous n'avons pas de temps à perdre.
Le couple sortit de la clinique sans faire de rencontres fâcheuses et il regagna le trans.
Les premières lueurs de l'aube teintaient l'horizon quand le véhicule atteignit l'astroport.
— Penses-tu, Ray, que nous trouverons un astronef en partance pour Santa ?
— Nous utiliserons le Mercure, le vaisseau de Marc. Il est plus rapide que tous les courriers réguliers.
Un quart d'heure plus tard, ils se retrouvèrent dans la cabine de l'astronef après avoir laissé le trans au parking. Ray activa aussitôt le générateur. Heureusement, sachant que Marc pouvait décider de partir à tout moment, Ray veillait à ce que les approvisionnements soient toujours faits dès l'atterrissage. Il alluma la vidéo radio et contacta la tour de contrôle.
— Astronef Mercure. Je demande l'autorisation de décoller.
Le régulateur avait les traits fatigués de celui qui termine une nuit de travail.
— Destination ?
— Vénusia, répondit l'androïde après une infime hésitation.
C'était une planète au climat idyllique qui avait été transformée en centre de loisirs pour touristes très fortunés. Il fallait reconnaître qu'au fil des années, le centre était devenu un gigantesque casino et un lupanar de luxe. En raison des distractions très particulières qu'on trouvait là-bas, les mouvements des astronefs étaient tenus secrets et la police ne pouvait vérifier qui se rendait effectivement sur Vénusia.
— Mercure, vous n'êtes pas sur la liste des départs prévus. Je possède seulement un créneau dans cinq minutes sinon il vous faudra attendre deux heures.
— Nous sommes parés. Vous pouvez entamer le compte à rebours.
— Parfait ! Bon voyage !
C'était dit avec un tel ton hargneux qu'il signifiait le souhait de perdre une fortune au jeu et d'attraper toutes les maladies sexuellement transmissibles connues et inconnues.
A l'instant prévu, l'astronef s'arracha du sol. Michka qui s'était installée sur le siège du copilote se débattait encore avec les sangles magnétiques qui n'étaient pas réglées pour sa volumineuse carcasse. Charitable, Ray vint à son aide.
— Reste allongée jusqu'au passage dans le subespace. La transition entraîne une perte de connaissance mais elle est sans danger.
En émergeant de l'inconscience, Michka vit l'androïde lui tendre un gobelet plastique.
— Bois vite. C'est tonique et revitalisant.
De fait, la jeune femme put bientôt se redresser. Elle étouffa un bâillement.
— Viens, je vais te montrer ta cabine mais auparavant nous passerons par le bloc médical pour refaire ton pansement.
La plaie n'avait pas trop mauvaise allure.
— Je ne suis pas mécontent de mon bricolage, dit- il en pulvérisant un antiseptique et un activateur de la cicatrisation.
A l'instant où elle enfilait son blouson, Ray saisit Michka dans ses bras et l'embrassa dans le cou.
— Non, Ray, je ne veux pas...
— Je sais que tu n'aimes pas les hommes mais moi, je suis un androïde.
— Ce n'est pas raisonnable ! Nous devons nous occuper de nos amis...
— Bien que dotés des meilleurs propulseurs de la Cosmos Jet Corporation, le Mercure a besoin de vingt-quatre heures pour arriver à destination. Tu as mérité de te détendre après tes émotions de ces dernières heures. Je connais des massages relaxants qui te feront le plus grand bien.
Les dénégations se firent moins vives et, en dépit
de son poids, Ray la souleva et la porta vers sa cabine.
*
* *
Vincent entra en trombe dans le bureau de son patron. Le jeune assistant avait le visage rouge et le souffle court pour avoir couru. Asano le dévisagea, la mine courroucée. Il n'aimait pas les arrivées intempestives qui lui rappelaient sa jeunesse, quand une descente de police était toujours redoutée.
— Monsieur, je viens de recevoir des informations télévisées qui datent malheureusement de deux jours en raison de la lenteur des transmissions sub-spatiales quand elles ne sont pas prioritaires.
— Je connais le problème, grogna Asano. Venez- en au fait.
— Un scandale énorme touche Milligan. Il donnait un dîner quand un messager apporta un colis. L'imbécile l'a ouvert devant ses invités.
— Que contenait-il ?
— Une tête humaine récemment coupée ! Sur les images, il ne m'a pas été difficile de reconnaître celle de Ryder.
— Qui est-ce ?
— Le responsable de notre service intervention de New York. Il nous a fourni nombre de donneurs et Milligan faisait souvent appel à lui pour liquider ceux qui gênaient ses affaires.
Les yeux noirs d'Asano parurent lancer des éclairs.
— Que dit Milligan ?
— Je n'ai pas osé le contacter directement de peur que la Sécurité Galactique soit à l'écoute de ses communications.
— Demandez à un de nos correspondants sur Terre de le faire. Je veux rapidement des nouvelles précises et récentes.
Après un instant de réflexion, Asano marmonna :
— Est-ce Ryder qui a enlevé Stone et mademoiselle Swenson ?
— C'est probable. Il était tout désigné pour ce type d'intervention.
Vincent sursauta quand le poing de son patron s'abattit sur la table.
— Faites chercher Stone ! Il sait certainement quelque chose. Je n'ai pas aimé sa réflexion sur les accidents qui arriveraient à nos amis après sa disparition.
— Pensez-vous que la Sécurité Galactique...
Asano l'interrompit aussitôt.
— Ce n'est pas dans son habitude de décapiter les cadavres. Cela me rappelle des accidents fâcheux survenus il y a quelques années.
Deux minutes après l'appel de Vincent, le visage affolé d'un infirmier apparut sur l'écran du vidéo phone.
— C'est incompréhensible ! La cellule de Stone est vide ainsi que celle de mademoiselle Swenson. Ils ont dû s'évader en même temps que l'autre fille.
Asano poussa un juron retentissant.
— Vous n'aviez pas vérifié toutes les cellules après l'évasion ?
— Pas celles-là. Vous nous aviez ordonné de les maintenir en isolement complet.
D'un geste rageur, le patron interrompit la conversation avant de se tourner vers son assistant.
— La surveillance de la ville et de l'astroport n'est pas suffisante. Il faut les poursuivre en forêt.
— S'ils ne veulent pas crever de faim, nos fugitifs seront obligés de regagner rapidement la ville, nota Vincent. On ne peut vivre longtemps dans un milieu aussi hostile.
— Tu oublies que Stone est un spécialiste des planètes primitives. Il peut rester plusieurs jours dans la nature, attendant sans doute l'aide de complices.
Enfin, le maintien permanent d'un état d'alerte finira par intriguer nos clients du centre de repos et une indiscrétion n'est pas à éliminer. J'exige qu'ils soient retrouvés avant demain. Envoie une patrouille de huit gardes.
— Ils ne pourront pas ratisser toute la forêt.
— Prenez mon ypax.
C'était une sorte d'hybride entre le loup et le léopard au pelage noir avec une énorme tête carrée et une impressionnante mâchoire garnie de dents acérées. Surtout, il était doué d'un flair extraordinaire et était capable de suivre une piste pendant plusieurs jours sans trêve ni repos.
— Menez-le d'abord dans la cellule de Stone pour qu'il repère son odeur. Ensuite, prenez sa piste à partir de la zone où le court-circuit s'est produit.
Vincent revint dix minutes plus tard.
— J'ai envoyé Conway avec sept hommes. Il connaît bien votre ypax dont il s'est souvent occupé. Je me demande toujours lequel est le plus féroce des deux.
— Dans certain cas, il sait être très efficace.
— Ce petit safari semblait l'amuser. Toutefois, je lui ai précisé que vous vouliez Stone vivant.
— Parfait ! Tenez-moi informé régulièrement.
Asano se renversa dans son fauteuil. Il se souvenait
de sa première rencontre avec Conway. C'était encore un jeune homme mince, mais il avait été frappé par l'éclat de son regard. Le gosse demandait avec inconscience à travailler pour la Grande Compagnie. Le hasard avait fait qu'Asano avait des démêlés dans son secteur avec un groupuscule qui refusait de payer la redevance exigée pour pouvoir vendre la drogue dans ce quartier. Il avait donc promis de l'embaucher définitivement s'il le débarrassait des récalcitrants.
Une semaine plus tard toutes les chaînes de télévision retransmettaient les images d'un entrepôt où quatre cadavres étaient pendus par les mains au plafond. Ils avaient été étripés et leurs entrailles traînaient sur le sol.
Depuis cet exploit, Conway était rentré dans l'organisation. Il servait à régler les litiges, toujours en faveur de son patron. Quand Asano s'était installé sur Santa, il avait tout naturellement emmené son homme de main, d'autant que les filets de la police commençaient à se resserrer autour de lui.
— Conway va me les ramener avant ce soir, sourit-il.