chapitre x

 

Le colonel Still marchait dans le couloir aussi vite que ses courtes jambes le lui permettaient. Il était petit, ventripotent, grassouillet, avec de bonnes joues rouges. Seuls, ses yeux bleus très clairs démentaient cette impression de bon père de famille inoffensif. Après avoir frappé à la porte, il pénétra dans le bureau de son supérieur. Le grand amiral Neuman était la réplique contraire de son subordonné. Grand, mince, avec un visage austère surmonté d'une chevelure grisonnante, il consultait son ordinateur. Il tourna la tête à l'arrivée de son subordonné et lui désigna du menton un fauteuil.

— Je voudrais, amiral, vous entretenir d'une curieuse histoire. Tout a commencé lors de la découverte par la police des cadavres de deux petits truands. Nous ignorons où ils ont été tués mais l'autopsie affirme que les corps ont été transportés dans la rue peu de temps après leur mort.

Sentant le peu d'intérêt de Neuman pour l'affaire, il s'empressa d'ajouter :

— Nous savions qu'ils travaillaient souvent pour un certain Fred Ryder fiché dans nos services comme membre de la Grande Compagnie. Aussi, deux inspecteurs ont souhaité l'interroger. Ils n'ont trouvé dans son antre qu'un garde mort et le corps décapité de Ryder. C'est sa tête qui a été envoyée à Morgan Milligan.

Une petite lueur s'alluma dans le regard sombre de l'amiral.

— J'ai vu un flash d'information à la télévision à ce sujet. Le monde financier va être en émoi. Que dit Milligan ?

— Les policiers arrivés très peu de temps avant les journalistes n'ont pu recueillir qu'une brève déclaration car il semblait assez choqué. Il ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait. Toutefois, dès le lendemain matin, une équipe est retournée sur les lieux. Là, régnait l'affolement. Milligan avait été assassiné dans la nuit et également décapité.

Maintenant très attentif, Neuman demanda :

— Que savons-nous sur lui ?

— Peu de chose. Il n'est pas fiché dans notre ordinateur. Le scandale sera énorme car il était un des personnages les plus en vue de la bourse, un de ces golden boys qui fait rêver les pauvres et attire toutes les jalousies de ses collègues. Les autorités officielles ne vont pas tarder à venir nous tarabuster pour que nous résolvions rapidement cette affaire car la police locale semble désemparée.

L'amiral resta un moment songeur avant de murmurer :

— Je pense que la tête coupée ne tardera pas à reparaître.

— C'est fait ! Je viens d'en être informé.

— Qui est la nouvelle victime ?

— Le docteur Wood ! Une infirmière a découvert son corps mais lui, avait encore sa tête sur les épaules.

Pendant une longue minute Neuman parut s'absorber dans la contemplation du plafond. Sa mémoire aussi fidèle et précise que celle d'un ordinateur retrouvait des éléments déjà anciens mais précis. Le colonel poursuivit :

— Nous n'avons aucun indice nous permettant de situer l'assassin, à supposer qu'il s'agisse d'un seul homme.

— Je ne sais si nous pouvons dès maintenant lui donner le qualificatif d'assassin, soupira l'amiral.

Ignorant le haut-le-corps de son adjoint, il poursuivit :

— Celui qui est derrière tout cela nous fait jouer à un curieux jeu de piste.

Le regard chargé d'incompréhension de Still lui fit préciser :

— Il sait que nous savons que Ryder est membre de la Grande Compagnie. Il expédie sa tête à Milligan pour nous faire réfléchir.

— Milligan n'a aucun lien avec la pègre, protesta le colonel.

— Je suis prêt à parier le contraire ! Vous allez devoir fouiller son passé et éplucher minutieusement ses mirobolantes transactions. Puis une tête arrive chez Wood, ce qui le désigne comme complice. Là encore, vous allez devoir enquêter sur ses activités. Le fait qu'il ait gardé sa tête m'intrigue.

— La piste s'arrête donc ici.

— A moins qu'on veuille nous faire comprendre qu'il faille chercher plus loin.

— Mais où ?

— Wood était un actionnaire important de la société qui exploite la planète Santa.

Le colonel poussa un soupir.

— L'enquête risque d'être difficile. La clientèle très huppée qui fréquente les différents établissements de cure de cette planète n'appréciera pas d'être dérangée.

Le grand amiral eut un petit geste négligent de la main prouvant qu'il ne se souciait nullement des susceptibilités locales.

— Avant de nous lancer dans une enquête délicate, reprit Still, nous pourrions explorer une autre piste. J'ai retrouvé dans les archives les traces de crimes identiques perpétrés par des membres de la Grande Compagnie. A l'époque, il avait été conclu à une série de règlements de comptes entre malfaiteurs.

Un très discret sourire étira les lèvres minces de Neuman. Il se souvenait de l'épisode dont certains éléments étaient restés secrets et non confiés aux archives. Soudain, il tressauta.

— Le capitaine Stone et mademoiselle Swenson ! dit-il.

— La police locale poursuit les recherches mais, jusqu'à présent, les corps n'ont pas été repêchés. Demain, une nouvelle équipe de plongeurs doit explorer toutes les cavités rocheuses sur plusieurs kilomètres.

— Ils ne trouveront rien, grogna l'amiral. Faites immédiatement chercher Ray, l'androïde du capitaine Stone.

Tandis que Still donnait les ordres nécessaires, Neuman alluma un des ordinateurs posés sur son bureau. Il enfonça une série de touches. Un discret sifflement lui échappa lorsque l'écran s'illumina.

— Quand avez-vous consulté la liste des membres de la Grande Compagnie pour la dernière fois ? demanda-t-il.

— Il y a environ une semaine, amiral. Elle ne comporte qu'une dizaine de noms de petits exécutants.

— Maintenant, elle s'est singulièrement étoffée, ricana Neuman. Regardez !

Le visage du colonel trahit la plus profonde stupéfaction.

— Nous avons un informateur qui a une étrange manière de se manifester, reprit l'amiral.

— Mais c'est impossible, geignit Still. Cette liste était sous double protection.

— Vous ne féliciterez pas les informaticiens, railla l'amiral.

— Je vais demander un changement immédiat du code d'accès.

— Attendez quelques jours, il est inutile de compliquer la tâche de notre bénévole informateur.

Still qui étudiait la liste inscrite sur l'écran, murmura :

— Des vérifications seront nécessaires mais si ces renseignements sont exacts, nous allons pouvoir procéder à une série d'arrestations qui frappera la Grande Compagnie à la tête et surtout au portefeuille. Quelques beaux scandales en perspective à voir le nombre de personnalités qui se sont prêtées au recyclage d'argent sale !

— Inutile de perdre du temps, je suis prêt à parier mon poste que cette liste est authentique. Agissez dès aujourd'hui. Les arrestations devront être minutieusement synchronisées pour éviter que notre gibier ne se perde dans la nature. Nous n'aurons pas souvent une aussi belle occasion de surprendre ces malfaiteurs.

Un discret bourdonnement sortit du communicateur de Still qui le porta à son oreille. Il écouta un instant en silence avant de dire :

— C'est curieux, amiral. L'androïde n'est pas au domicile du capitaine. Il semble qu'il s'est envolé à bord du Mercure, le yacht privé de Stone.

— Pour quelle destination ?

— La tour de contrôle a noté Vénusia. Vous savez qu'il est difficile de vérifier. Si vous pensez la chose d'importance, je peux contacter notre agent là-bas.

— C'est inutile ! Un robot même très perfectionné n'a que faire des plaisirs frelatés de cette planète.

— Alors où est-il ? Je le croyais très attaché à son maître. Il devrait participer aux recherches des plongeurs depuis la découverte du trans.

— Je connais fort bien les liens très particuliers qui l'unissent à Stone. S'il n'est pas au bord de la mer, c'est qu'il est certain que le capitaine est ailleurs.

— Mais où ?

Neuman réfléchit une minute avant de murmurer :

— Santa ! C'est le seul lien logique avec le docteur Wood.

Sans plus d'explications, il consulta son ordinateur.

— Le colonel Parker qui commande le croiseur Orion se trouve dans un système solaire distant seulement de quelques parsecs de Santa. Ordonnez-lui de gagner cette région et de se dissimuler autour de la cinquième planète. Qu'il observe santa et attende mes ordres. Toutefois, s'il recevait un appel de Stone ou du Mercure, qu'il y réponde immédiatement. De même, il est autorisé à prendre toutes initiatives en cas de circonstances imprévues.