chapitre II

 

Marc ouvrit à Elsa la porte du trans. C'était un véhicule se déplaçant par anti-gravité d'un récent modèle.

— Je n'ai pas aimé la dernière remarque de Milligan, grogna-t-il en s'installant au volant.

— Il n'a guère de moyen d'action car, à nous deux, nous verrouillons totalement le capital de la Cosmos Jet.

— Je pensais à une action plus musclée. Je ne vais pas te quitter de vue pendant quelques jours. Demain, je récupérerai Ray qui subit sa révision après notre dernière mission assez pénible.

Ray était l'androïde qui l'escortait en mission mais aussi un ami, son ami. Elsa éclata d'un rire léger.

— Ne dramatise pas la situation. Les financiers sont parfois des requins mais rarement des bandits de grand chemin.

Le trans franchit la grille du parc salué par les deux vigiles qui la gardaient. La propriété de Milligan était isolée en pleine campagne, loin des pollutions de la ville, distante de cent kilomètres. Un luxe que seul le possesseur d'une grosse fortune pouvait s'offrir.

La route privée qui rejoignait l'axe à grande circulation s'étirait bien rectiligne. Soudain, un trans jaillit d'un fossé et s'immobilisa au milieu de la route. Avec

un juron, Marc écrasa la pédale de frein. Avant même que son véhicule soit immobilisé, il enclencha la marche arrière. Trop tard ! Un autre trans barrait la route. Trois silhouettes se profilèrent, brandissant des pistolaser.

— Descendez, ordonna une voix rauque.

La rage au cœur, Marc obéit de peur de mettre la vie d'Elsa en danger. Un homme avança, un curieux pistolet à la main. Stone eut à peine le temps de reconnaître un injecteur. Il perçut un petit sifflement en même temps qu'il ressentait une piqûre à la base du cou. Un vertige le saisit et il sombra dans un trou noir. Elsa avait subi le même sort et gisait sur la route. Une silhouette ordonna :

— Ramassez-les et fourrez-les dans l'ambulance. Attachez-les solidement sur les brancards pour le cas où ils viendraient à se réveiller prématurément. Alex conduira leur trans au lieu convenu. Marco, tu le suivras et le ramèneras à notre base.

Moins de deux minutes plus tard, les véhicules s'ébranlèrent sans laisser la moindre trace.

Marc émergeait lentement du brouillard qui engluait son esprit. La lumière bleue scintillante et l'avertisseur bitonal lui indiquèrent qu'il devait se trouver dans une ambulance. Elsa gisait à sa droite, très pâle. La respiration qui soulevait son thorax prouvait qu'elle n'était qu'endormie. Marc tenta de bouger mais des liens magnétiques serrés le clouaient au brancard, empêchant tout mouvement.

De longues minutes s'écoulèrent avant que le trans ralentisse pour enfin s'immobiliser. La porte arrière fut ouverte et deux hommes vêtus de blanc descen- dirent le chariot sur lequel Marc était attaché. Il faisait nuit mais à l'odeur flottant dans l'air, Stone reconnut l'atmosphère d'un astroport. De fait, la superstructure d'un astronef fut bientôt visible. Un élévateur le hissa dans une soute. Il ferma les yeux pour ne pas être ébloui par la lumière des projecteurs. Le chariot fut poussé dans une coursive pour arriver à une salle d'un blanc éblouissant. Les hommes abandonnèrent le brancard au milieu de la cabine et ressortirent.

Peu de temps après, ils revinrent, poussant le chariot sur lequel Elsa était allongée. Elle dormait toulours. En tournant la tête de l'autre côté, Marc vit un troisième brancard supportant un corps féminin comme en témoignait sa longue chevelure blonde.

Le bruit des propulseurs mis en marche s'éleva soudain. Le sifflement se fit plus aigu et l'astronef décolla en douceur. Une heure plus tard, il plongea dans le sub-espace entraînant un malaise que Marc connaissait bien.

Marc avait retrouvé ses esprits depuis longtemps quand la porte de la cabine s'ouvrit, livrant passage à deux infirmiers solidement charpentés. Stone ferma les yeux pour ne pas attirer leur attention. Depuis sa rencontre avec la charmante et pourtant bicentenaire présidente de Maralla, Marc avait bénéficié des connaissances biologiques de ce peuple. Les cellules de son organisme se régénéraient dix fois plus vite que la normale et il éliminait les substances toxiques avec la même facilité.

— Maintenant, nous pouvons les détacher, dit une voix grasseyante. Ils ne vont plus tarder à se réveiller. Nous reviendrons les chercher quand nous aurons atterri.

Dès leur départ, Marc descendit du brancard et fit quelques exercices d'assouplissement car son immobilité forcée avait occasionné des crampes. Après s'être assuré qu'Elsa dormait toujours paisiblement, il entreprit d'explorer leur domaine qui ne comportait qu'un bloc sanitaire et un distributeur alimentaire. Il se servit un jus de fruit au goût de synthèse, regrettant l'absence d'une touche de whisky.

Un soupir poussé par Elsa le fit approcher. La jeune femme ouvrit lentement les yeux. Elle sourit en reconnaissant Marc. Plusieurs minutes lui furent nécessaires pour se redresser avec l'aide de son compagnon.

Un juron étouffé traduisit le réveil de l'autre femme qui s'était assise sur son brancard. C'était une grande blonde aux formes sculpturales.

— Magda ! s'exclama Marc. Que faites-vous ici ?

Stone avait rencontré la blonde dans le camp des inadaptés quand il y était allé pour récupérer son neveu. C'était avant la fermeture ordonnée par le Président. Elle était à la tête d'une bande de filles nommées les Zamas. Magda avait d'abord appelé son groupe les amazones mais personne n'ayant de culture classique, cela s'était vite transformé en Zamas. Dans l'univers féroce du camp, chacun tuait, pillait, violait à sa guise... à la seule condition d'être le plus fort ! Bien organisées, Magda et ses filles avaient su imposer le respect dans leur secteur, non sans faire subir quelques sévices très désagréables aux mâles qui osaient les attaquer. Par la suite, Marc l'avait aidée à monter un club de culture physique, naturellement réservé exclusivement à la gent féminine car ces jeunes beautés n'aimaient aucunement les hommes.

— Je l'ignore, Marc. Je marchais sur le trottoir avec Michka, près de notre club. Un trans s'est brusquement arrêté à notre hauteur. Trois hommes en sont descendus. L'un tenait un injecteur. Avant d'avoir pu réagir, j'ai ressenti une piqûre à la base du cou. Toutefois, j'ai encore eu le temps de voir que Michka évitait le jet liquidien et tentait de résister. Dans une demi-conscience, j'ai perçu le sifflement d'un laser. Je crains qu'ils ne l'aient tuée. Et vous ? Pourquoi êtes-vous ici ?

— Apparemment, nous avons contrarié les plans d'un magnat de la finance.

— Avez-vous une idée de l'endroit où nous nous trouvons ?

— Je pense que nous sommes sur un astronef sanitaire. Ce sont ceux pour lesquels les formalités de départ d'un astroport sont réduites au minimum.

— Et quelle serait notre destination ?" intervint Elsa.

— Difficile à dire ! En général, les astronefs sanitaires au départ de l'astroport de New York gagnent la planète Santa.

C'était une planète récemment découverte qui bénéficiait d'un climat idyllique. Néanmoins, l'absence de ressources naturelles avait fait renoncer à l'installation d'une colonie de peuplement. Un groupe financier à but philanthropique l'avait achetée pour y installer une clinique ultra-moderne et un centre de repos et de remise en forme pour malades et hommes d'affaires très fortunés.

— Si nous abordons Santa, nous serons sauvés, dit Elsa. Le directeur d'une de mes sociétés fait une cure en ce moment et il nous aidera à regagner la Terre.

— Espérons-le, soupira Marc, mais je doute que nos kidnappeurs n'y aient pas pensé. Il est peu probable qu'après leur exploit, ils nous laissent nous promener librement parmi les richissimes clients qui te connaissent certainement.