chapitre vii

 

Ray avait dissimulé le trans derrière un buisson touffu, à une centaine de mètres de la grille d'entrée de la propriété de Milligan. Il avait vu passer le véhicule postal en ricanant :

— Le service est parfait, il est juste à l'heure.

Bouillant d'impatience, Michka grommela :

— Pourquoi perds-tu du temps ?

— En début d'après-midi, j'ai eu l'occasion d'examiner cette maison. Il existe sur le toit une surveillance radar doublée de caméras de proximité qui balaient les environs immédiats de la maison. Même si nous neutralisons le garde de la grille, nous ne pourrons jamais atteindre la porte d'entrée sans être repérés. J'ai également noté la présence de plusieurs robots qui patrouillent sans arrêt autour de la bâtisse. Je t'ai dit que nous devions agir en finesse.

— Tu penses que la tête de Ryder nous servira de passe-partout ?

— Tout au moins, je l'espère.

La lumière des phares de plusieurs trans roulant à vive allure fut bientôt visible. Les engins franchirent en trombe le portail.

— Les rats quittent le navire, sourit Ray.

Moins de cinq minutes plus tard, deux trans de la police firent leur apparition. Sans s'arrêter à la grille, ils roulèrent jusqu'à la maison.

— Et maintenant, grogna Michka, déçue.

— Encore un peu de patience, murmura Ray.

De fait, après dix minutes d'attente, plusieurs trans aux couleurs de différentes stations de télévisions s'agglutinèrent devant la grille. Une vingtaine de personnes en étaient descendues, discutant véhémentement avec le gardien débordé par cette affluence.

— Nous allons nous mêler à ces travailleurs de l'image, dit Ray.

Il fit démarrer le trans en douceur et se rangea derrière une camionnette de T.V. Galaxie. Dans sa cabine, le gardien discutait au téléphone. Il sortit en agitant les bras pour obtenir le silence.

— Monsieur Milligan accepte de vous recevoir. Suivez la route jusqu'à la maison.

Aussitôt les journalistes embarquèrent et les trans démarrèrent. Ray les suivit sans difficulté aucune. Dans la salle à manger, plusieurs policiers entouraient Milligan très pâle tandis que d'autres filmaient la tête de Ryder restée sur la table. Enfin, le médecin-légiste la glissa dans une enveloppe sous le feu des caméras.

Les journalistes interrogèrent alors Milligan. Parlant tous en même temps, ils créèrent un joli brouhaha. Ray tira doucement Michka par le bras.

— Viens, nous allons essayer de trouver un coin tranquille.

Après avoir inspecté plusieurs pièces vides, ils découvrirent le bureau de Milligan. Malheureusement, un robot apparut aussitôt.

— Vous êtes dans la partie privée de la maison, veuillez sortir.

— Nous sommes journalistes, répondit Ray avec calme tout en examinant au rayon X l'androïde.

C'était un modèle domestique qui possédait toutefois un laser le rendant dangereux.

— Veuillez nous indiquer le chemin de la sortie.

A l'instant où le robot pivotait, Ray activa son laser digital. Le faisceau sectionna les câbles d'alimentation, juste à la sortie du générateur. Privé d'énergie, le robot s'immobilisa. Ray le saisit dans ses bras et le porta dans un placard.

Une demi-heure s'écoula avant que des bruits de moteur soient perceptibles.

— Les charognards repartent avec leur provision de sensationnel, ricana Michka.

Des pas pressés retentirent dans le couloir et la porte fut poussée. Milligan se dirigea directement vers un petit bar et se servit un verre d'alcool. C'est seulement après avoir avalé une solide rasade qu'il découvrit ses deux visiteurs.

— Les interviews sont terminées, rugit-il. Fichez le camp !

Michka scrutait le visage de Milligan. Ses sourcils se froncèrent sous l'effort de réflexion.

— J'ai déjà vu ce type, murmura-t-elle. Oui, je me souviens maintenant. Il était dans le camp des inadaptés en même temps que nous.

Le teint de Milligan vira au vert.

— C'est une folle, je ne l'ai jamais vue !

Ray le saisit par les revers de son élégante veste et le propulsa dans un fauteuil.

— Nous voulons des réponses à nos questions, dit Ray, et tu as intérêt à répondre rapidement.

Milligan se rebiffa et lança :

— Max, à l'aide ! Expulse ces individus !

— Si vous appelez la casserole ambulante qui était dans le couloir, je crains qu'elle ne réponde pas. Un malheureux court-circuit l'immobilise, ricana Ray.

— Assez perdu de temps, gronda Michka.

Son énorme main s'abattit sur la joue droite de Milligan.

— Vous venez de commettre une faute qui vous coûtera la vie, cria-t-il. J'appartiens...

Une seconde gifle lui coupa la parole, tandis que Ray soupirait :

— Nous connaissons la rengaine sur ton appartenance à la Grande Compagnie et les sévices qui nous serons infligés. Ryder nous a débité ce boniment mais cela ne l'a pas empêché de perdre la tête puisque tu l'as reçue ce soir.

Les joues de l'homme prirent une teinte grisâtre à l'exception des pommettes rougies par les coups. Des gouttes de sueur perlèrent à son front.

— Maintiens-le sur son siège, ordonna Michka.

Tandis que Ray pesait sur les épaules de l'homme,

elle déboucla la ceinture et arracha le pantalon, dénudant le bas-ventre. Ses gros doigts jouèrent un instant avec les testicules.

— Je me souviens parfaitement de toi, dit-elle. Dans le camp des inadaptés, tu avais rejoint la bande des chiens fous, un ramassis de sadiques qui tuaient pour leur simple plaisir.

Elle pressa une glande, arrachant un cri de douleur à Milligan.

— Là-bas, poursuivit-elle, je faisais partie des Zamas. Tu as sûrement entendu parler de nous. Nous savions nous défendre contre les hommes. J'avais commencé une jolie collection de ces petites boules ridicules. Ce soir, j'ai bien envie de la compléter.

Maintenant, le visage de Milligan ruisselait de transpiration.

— Mais enfin que voulez-vous ? gémit-il d'une voix implorante. De l'argent ?

— Où est mon amie Magda ?

— Je ne sais de quoi vous parlez. Ah !

Un hurlement sortit de sa gorge. Michka écrasait un testicule entre le pouce et l'index.

— Vite, une réponse, ordonna-t-elle. Nous savons que Ryder l'a menée ici et l'a remise à tes gardiens.

— Arrêtez ! Elle n'est pas dans cette maison. Ils l'ont conduite à la clinique du docteur Wood.

— Pourquoi l'avoir enlevée ? intercala Ray.

— Un malencontreux hasard. Nous nous sommes croisés à une réception. A son regard, j'ai tout de suite compris qu'elle m'avait reconnu. J'étais au camp pour une erreur de jeunesse et j'avais réussi à m'évader au moment de l'évacuation par la police. J'ai refait ma vie sous une autre identité et je ne pouvais risquer de voir mon existence bouleversée par une résurgence de mon passé. J'ai travaillé très durement...

Une nouvelle pression interrompit la phrase.

— Ne crois pas nous faire pleurer avec ton histoire de rédemption du malfaiteur repenti. N'oublie pas que nous savons que tu travailles pour une organisation criminelle, ricana Ray. Où sont le capitaine Stone et son amie ?

Une seconde de silence mais l'hésitation de Milligan fut de courte durée car la douleur irradia de nouveau dans son bas-ventre.

— Ils sont aussi chez le docteur Wood. Ils avaient refusé de me vendre la Cosmos Jet. Cependant, je leur en offrais un très bon prix. Une proposition financièrement des plus intéressantes qui leur aurait permis de doubler en un an leur capital. Je ne comprends pas qu'ils aient pu refuser une telle fortune !

— Sont-ils toujours dans cette clinique ? s'impatienta l'androïde.

— Je vous jure que je l'ignore. D'ordinaire, Wood envoie très vite ses prisonniers sur Santa.

— Dans quel but ?

Milligan ne répondit pas. Il fallut la très ferme pression des doigts qui malaxaient ses testicules pour obtenir :

— Je ne sais... Il a toujours besoin de donneurs pour ses greffes d'organes...

Un véritable rugissement sortit de la gorge de Michka.

— Tu veux dire qu'il va débiter mon amie en morceaux pour les greffer à ses clients.

— Lâchez-moi, j'ai trop mal, geignit-il. Ce n'est pas ma spécialité. On me demande seulement de contribuer au recrutement de la clinique mais ce n'est qu'un travail accessoire pour moi.

— Ton véritable travail est de blanchir l'argent sale, grogna Ray. Où conserves-tu tes archives ?

Tout ressort brisé par la douleur qui se propageait dans son corps, il répondit d'une voix faible :

— Dans l'ordinateur...

— Le code d'accès ?

— Frankie, c'est le prénom du patron.

Ray alluma l'ordinateur et frappa vivement sur le clavier.

« Accès refusé », s'imprima sur l'écran.

— Notre ami nous fait des cachotteries, Magda.

La fille impatientée tordit sauvagement le scrotum,

ce qui arracha à Milligan un hurlement de bête à l'agonie.

— II... D faut ajouter la date du lendemain.

Cette fois une liste de noms et de chiffres apparut.

— C'est une lecture qui passionnera la Sécurité Galactique, murmura Ray.

— Non, non, vous ne pouvez donner cela à la police. Ce serait me condamner à mort !

— C'est déjà fait, grinça Michka qui regarda Ray.

L'androïde hocha seulement la tête. La jeune

femme lâcha le scrotum qu'elle serrait toujours, amenant un très léger soulagement aux souffrances de Milligan. Soudain, ses mains saisirent la tête.

— La sentence est prononcée, reste à l'exécuter.

Un craquement et l'homme plongea dans un miséricordieux néant.

— Filons, dit-elle sans que son visage manifeste d'émotions devant le corps qui glissait lentement du fauteuil.

— Attends, j'ai à préparer une surprise pour les flics.

Il pianotait à une vitesse extraordinaire sur le clavier. Trois minutes s'écoulèrent avant qu'un sourire étire ses lèvres.

— Les informaticiens de la Sécurité Galactique manquent singulièrement d'imagination. Ils ont à peine modifié le code d'accès à leur fichier depuis plusieurs années.

Sur l'écran s'affichait: «Organigramme de la Grande Compagnie ». Il ne comportait que peu de

noms mais celui de Ryder y figurait avec la liste de ses méfaits passés et supposés.

— Une belle fripouille, indigne de vivre, constata Michka. Je pense avoir fait une œuvre utile en l'expédiant en enfer.

— Tu remarqueras que Milligan n'était pas soupçonné. Nous allons ajouter son nom et celui de ses complices.

Il manipula plusieurs touches puis, satisfait de son travail, il éteignit en disant :

— Le premier qui consultera la liste aura une agréable surprise. Maintenant, il est temps de filer mais il reste un détail à régler, un souvenir à emporter.

Il ramassa près du bureau une élégante corbeille à papier en cuir véritable orné de motifs dorés. Un mouvement vif de l'index sectionna la tête de Milligan qui tomba dans la corbeille. Tenant son macabre colis sous le bras, il s'engagea dans le couloir désert suivi de Michka.

Le couple eut la chance d'atteindre la sortie sans rencontrer de serviteurs ou des robots de surveillance. Ils s'installèrent dans leur trans rangé sur le côté de la maison et Ray démarra aussitôt.

La grille du parc avait été refermée et le garde ne semblait pas vouloir ouvrir. L'androïde pénétra dans la loge où l'homme regardait un film tri-di. Un solide hercule blond rendait un vigoureux hommage à une jeune fille à qui ce jeu ne semblait pas déplaire s'il fallait en croire les cris ravis qu'elle poussait.

Le gardien se retourna en entendant Ray lui ordonner d'ouvrir. Un éclair de méfiance parut dans son regard.

— Vous n'êtes pas des journalistes. Je dois demander des instructions au patron.

Ray le saisit par le devant de son blouson et le souleva. Le tenant à bout de bras, il le secoua en murmurant d'une voix glacée :

— Souviens-toi, j'avais dit que je t'étriperais si j'apprenais que tu avais participé à l'enlèvement du capitaine Stone.

La peur s'inscrivit sur le visage de l'homme.

— Je ne comprends pas...

— Inutile de mentir, le coupa Ray. Ton patron nous a précisé que tu l'avais conduit à la clinique du docteur Wood.

— Je ne faisais qu'obéir aux ordres, gémit-il.

— L'adresse, cela me fera gagner du temps !

— 3832, 7e Avenue.

— Merci ! Tu as de la chance que je ne sois pas trop rancunier. Tu garderas tes tripes en place. Toutefois, je n'aime pas qu'on se moque de moi.

Il lâcha sa proie et lui administra un violent revers de main qui écrasa le nez et la bouche, immédiatement suivi d'un sec uppercut à la pointe du menton qui le plongea dans l'inconscience. Il bascula ensuite un interrupteur pour commander l'ouverture de la grille.