chapitre xvi

 

Les derniers rayons du soleil couchant pénétraient à flots par la grande baie vitrée qui éclairait la pièce. Asano arpentait son bureau d'un pas rageur. Il ne comprenait pas ce qu'il se passait. Son instinct de vieux fauve le mettait en garde mais il n'arrivait pas à cerner le danger. Ceci avait le don de l'irriter. Il avait connu des moments difficiles dans sa carrière mais ses adversaires étaient identifiés. Ce n'était pas le cas aujourd'hui. Il aurait préféré cent fois affronter la Sécurité Galactique dont les réactions et les méthodes étaient prévisibles. Maintenant, il avait en face de lui un ennemi sans visage, féroce, qui n'hésitait pas à employer ses propres méthodes sanglantes. Un soupçon traversa son esprit. Ne serait-ce pas un concurrent désireux de l'éliminer pour le remplacer à la tête de l'organisation? Il repoussa l'idée car il pensait avoir ses réseaux bien en main.

Rageusement, il appela son secrétaire. Vincent ne tarda pas à arriver, la mine défaite. Il répondit aussitôt à la question de son patron :

— Nous ne contrôlons plus les événements. Conway avait signalé qu'il avait retrouvé la piste des fugitifs et qu'il allait leur tendre une embuscade. Depuis, il n'a plus donné de nouvelles. Il en est de même de l'hélijet et également de celui de combat que j'avais envoyé par prudence en couverture. Aucun ne répond à nos messages. Il semble qu'ils se sont perdus. C'est totalement incompréhensible ! Un homme et deux femmes perdus dans la forêt, sans arme et sans ravitaillement, ne peuvent lutter avec des commandos entraînés au combat.

— Cela prouve qu'ils ne sont pas seuls ! grogna Asano. Le module qui a été abattu leur a amené des secours.

— Ils ne pouvaient être importants car l'appareil a été rapidement descendu.

La sonnerie du téléphone portable retentit. Vincent écouta en silence son interlocuteur puis il énonça d'une voix étranglée :

— Un hélijet a exploré la zone où Conway avait situé les fuyards. Ils ont retrouvé six cadavres dont celui de Conway. Seul le pilote portait une blessure par laser. Les autres paraissent avoir été tués à main nue.

— Comme les deux infirmiers dans la cellule de la blonde. Je veux que vous fassiez une enquête sur elle. Tâchez de savoir pourquoi Milligan l'avait fait enlever.

— Quant aux hélijets, ils sont toujours portés disparus.

Le poing nerveux d'Asano s'abattit sur la table.

— J'exige que dès demain matin les recherches reprennent. Deux appareils resteront en permanence en l'air pour surveiller le moindre mouvement en forêt.

Vincent hasarda timidement :

— Entre les aléas de la brousse et les fuyards, nous avons déjà perdu douze hommes sans compter les équipages des deux hélijets. Je ne sais si les autres gardes accepteront de continuer la chasse. Ils ne croient plus à la simple évasion d'un fou.

— Je ne leur demande pas leur avis ! Je les paie pour travailler. Informez-les que ceux qui refuseront d'obéir seront immédiatement renvoyés sur Terre et mis à la disposition de la police. Presque tous sont recherchés pour un bon nombre de délits ou crimes. Ils comprendront vite où se trouve leur intérêt. De plus, je veux quatre hommes en permanence de garde dans le hall de l'hôpital.

Vincent eut un haut-le-corps avant de murmurer d'une voix étranglée :

— Stone est loin, vous ne pensez tout de même pas qu'il reviendrait nous attaquer.

— Je l'ignore mais je préfère prendre mes précautions. Les astronefs de la guilde sont-ils arrivés ?

— Pas encore mais cela ne saurait tarder.

— Informez-moi dès qu'ils émergeront du subespace.

* * *

 

Une bonne odeur de grillé éveilla les Terriens. Ray faisait cuire sur des braises de longues tranches de viande. La lueur du feu éclairait la scène car le jour n'était pas encore levé. Elsa s'étira en grimaçant pour dérouiller ses articulations.

— Je regrette mon matelas anti-gravité et je donnerais une fortune pour avoir accès à un bloc sanitaire.

C'est quand on en est privé qu'on mesure l'importance du confort domestique.

— Je partage entièrement votre avis, dit Magda.

Regardant Marc qui passait machinalement la main

sur sa barbe de trois jours, elle ajouta :

— Les hommes qui manquent de finesse sont beaucoup moins gênés que nous.

— J'ai surtout plus d'expérience, rétorqua Marc, un brin vexé. Sur les planètes primitives que j'explore, l'hydrothérapie se résume souvent à un seau d'eau froide.

Ray interrompit leur dialogue en annonçant que le déjeuner était prêt.

— Heureusement que je ne suis pas végétarienne, lança Elsa. Toutefois, je ne sais si de la viande à tous les repas constitue une nourriture équilibrée.

Michka qui en était déjà à sa troisième tranche, émit :

— Mieux vaut beaucoup de viande que pas du tout de déjeuner.

— Excellente maxime, approuva Marc. Sur une planète sauvage, il faut profiter de toutes les occasions de nourriture qui vous sont offertes car vous ne savez jamais quand vous prendrez un autre repas.

Leurs agapes terminées, les Terriens se mirent en route au moment où apparaissaient les premières lueurs de l'aube. Ils marchèrent plusieurs heures, Marc ne leur accordant qu'une brève pause de dix minutes. Sur la fin de matinée, Ray leur fit signe de s'immobiliser.

— Des hélijets, souffla-t-il.

De fait, deux appareils avançaient lentement à une centaine de mètres d'intervalle.

— Espérons que ceux-ci n'ont pas de détecteurs biologiques, grogna Marc.

Cela ne semblait pas être le cas car ils s'éloignèrent sans modifier leur régime de croisière.

— Nous pouvons nous offrir une petite halte mais il serait prudent de ne pas faire de feu. Nous devrons attendre ce soir pour le repas.

Ils s'assirent sur un tapis de mousse et les femmes apprécièrent cette période de repos en se massant les mollets, non sans lancer un regard d'envie à Marc que la longue marche ne semblait pas affecter. A la remarque que lui fit Magda, il répondit ironiquement :

— Je mène une vie saine et ne me roule pas dans le stupre et la débauche.

— Ou vous avez de grandes facultés de récupération, ricana-t-elle.

L'aspect de la forêt s'était modifié. Les chênes faisaient place à de grands sapins. Le sous-bois était clairsemé et nul buisson brun n'était visible. Il en était de même des entités végétales qui leur avaient conseillé d'avancer dans cette direction.

Toutefois, un ruisseau qui serpentait non loin leur permit d'étancher leur soif. L'eau était claire et surtout le courant était assez fort.

— Le terrain est légèrement en pente, nota Marc, nous devons nous trouver au pied d'une colline.

Les Terriens reprirent leur progression, ralentie par une pente qui devenait de plus en plus forte. Une heure plus tard, ils émergèrent de la forêt. Une colline rocheuse se dressait devant eux, seulement piquetée de rares buissons de différentes couleurs.

Une dizaine d'arbres étaient groupés cinquante mètres devant eux. Ils avaient une forme très curieuse. Un tronc cylindrique noir d'un mètre cinquante environ de haut pour cinquante centimètres de diamètre, était supporté par quatre racines de la taille d'une cuisse se ramifiant à la terminaison. Le tronc était surmonté d'une sphère également noire et, à la partie moyenne, il en partait quatre rameaux verts d'environ un mètre. Ils étaient terminés par une vingtaine de tiges qui s'effilaient à leur extrémité.

— C'est la première fois que je vois de telles plantes, dit Marc.

— Exact, confirma Ray, elles n'ont jamais été répertoriées dans les archives du service. De plus, l'une vient de bouger.

— Sous l'effet du vent ?

— Non, elle s'est avancée vers nous de plus d'un mètre.

Brutalement, une onde psychique atteignit les neurones de Marc, d'une puissance extraordinaire.

— Dormez... Dormez...

Déjà, les paupières de ses amies s'abaissaient et elles dodelinaient de la tête. Il tenta de résister, de dresser un barrage mental, mais il était trop tard. Une immense fatigue s'emparait de lui. Un dernier sursaut d'orgueil le fit résister quelques secondes encore puis son esprit se dilua dans un trou sombre.

Ray avait été également atteint par l'onde psychique. Néanmoins, la notion de sommeil n'entrait pas dans les concepts d'un robot, ce qui lui donna le temps de débrancher son récepteur. Il hésita un instant sur la conduite à tenir. Devait-il utiliser son désintégrateur ? Mieux valait attendre que le danger pour ses amis se précise. Il imita Marc, oscilla un instant puis se laissa tomber sur le sol.

Deux minutes s'écoulèrent. Certains de l'immobilité des humains, les arbres avancèrent lentement. Ils saisirent les corps qu'ils soulevèrent sans difficulté et se dirigèrent vers une anfractuosité qui apparaissait entre deux rochers.