chapitre xviii
Vincent attendait Asano devant la porte de son bureau. Dès qu'il le vit apparaître, il annonça :
— Les appareils de la Guilde sont arrivés mais le commandant Li-Ko veut vous parler personnellement.
Asano approuva de la tête. Il connaissait bien Li-Ko, un être dur et sans scrupule mais terriblement efficace. C'était l'homme qu'il lui fallait dans la situation actuelle.
— Appelez-le et faites passer la communication dans mon bureau.
Trois minutes plus tard, un visage se dessina sur l'écran de la vidéo radio. Des traits fins, réguliers, un épiderme de couleur indéfinissable, témoin d'un mélange d'une dizaine de races. Les yeux très noirs brillaient comme des diamants.
— Salut, vieux pirate, dit Asano. Je suis content que la Guilde t'ait désigné.
— J'étais disponible et la prime promise n'est pas inintéressante. Quel est ton problème ?
— Je crains une attaque de notre astroport.
— Par la Sécurité Galactique ?
— Non, ces petits rigolos sont toujours sur Terre. Plus probablement des indépendants qui recherchent leur patronne que Morgan m'avait envoyée.
— Dans ce cas, il n'y aura pas de problème. Je veux que tu restes autour de Santa pour surveiller l'astroport et éventuellement vérifier s'il y a un astronef posé clandestinement dans un coin. L'autre appareil explorera les environs pour s'assurer qu'il n'y a pas d'intrus caché autour de la cinquième planète.
— Entendu, patron. Nous prenons position. N'oublie pas de préparer notre prime. Si nous détruisons ton indésirable, je ne serais pas hostile à une petite virée dans une de tes boîtes. J'ai gardé un excellent souvenir de ma dernière escale. Tes filles sont superbes et très dociles.
— Si tu me débarrasses de mes soucis, tu auras accès gratuitement à tous les établissements. Les filles s'occuperont de toi jusqu'à ce que tu cries grâce.
— Elles auront du travail, ironisa-t-il avec un air suffisant. Je ne suis pas une petite nature et elles devront s'y mettre à plusieurs.
L'écran éteint, Vincent se manifesta de nouveau.
— Le docteur Sacks demande à vous voir. Il paraît furieux.
— Fais-le entrer !
Le chirurgien était grand, l'allure distinguée, le visage avenant avec une calvitie naissante qui donnait un air sérieux de bon aloi. Dès son arrivée dans le bureau, il hurla :
— La situation est intolérable. J'ai trois greffes urgentes programmées et je n'ai plus de donneur. Où est la fille dont je devais prélever le foie ?
— Nous ne l'avons pas encore retrouvée. Prenez quelqu'un d'autre parmi ceux qui sont en réserve.
— Aucun n'est compatible ! J'avais déjà attiré votre attention sur la nécessité d'ouvrir une autre salle dans mon service. Nous avons une clientèle de plus en plus importante qui se développe rapidement. Il importe de la satisfaire. Enfin, aucun astronef sanitaire n'a amené de nouveaux donneurs. Il faut en faire venir d'urgence. J'ai une réputation à préserver. Deux clients risquent de claquer s'ils ne sont pas greffés rapidement. Ce sont d'éminentes personnalités et leur mort porterait un coup sévère à la crédibilité de notre établissement et entraînerait une perte financière sensible.
— Désolé, docteur, mais aucun astronef ne se posera ici avant plusieurs jours. Faites avec les ressources locales. Prenez quelqu'un de votre personnel si besoin.
Sacks sursauta violemment.
— Ce... Ce n'est pas possible ! J'ai besoin de tous mes collaborateurs.
— Débrouillez-vous, ce n'est pas mon problème pour l'instant.
— Prévenez au moins le docteur Wood. Il vous expliquera l'importance de notre travail.
— Je crains qu'il n'en ait plus l'occasion. Il est mort ! Espérons que la police ne fouillera pas trop dans ses dossiers.
Le chirurgien pâlit fortement.
— La police ne peut consulter ces dossiers. Ils sont protégés par le secret médical.
— Sauf en cas de meurtre et Wood a été sauvagement trucidé. Maintenant, retournez à vos problèmes, les miens me suffisent.
Sacks sortit, perplexe, et un sentiment d'inquiétude s'infiltrait dans son cerveau. Qui avait pu assassiner
Wood ? La police oserait-elle venir enquêter sur Santa?
* * *
Marc ouvrit les yeux et vit qu'Elsa était couchée près de lui. Elle s'était habillée et dormait paisiblement. Son visage était serein, calme. Seules de minuscules gouttes de sueur perlaient encore à son front. Il la regarda un long moment en silence. Enfin, elle s'éveilla et se redressa.
— Comment te sens-tu ?
— Très détendue. L'expérience était curieuse et non dépourvue d'un certain agrément. Je te la raconterai peut-être un jour, dit-elle avec un air malicieux.
Magda se manifesta, le regard brillant.
— Si j'avais à mon club de telles masseuses, je ferais rapidement fortune. J'avoue que je n'ai pas résisté au plaisir d'une deuxième reprise.
— Et moi de trois, intervint Michka.
Encore nue, elle avait les traits ravagés de fatigue, les yeux cernés et le corps couvert de sueur. Les femmes se lancèrent un regard de connivence et éclatèrent de rire.
— Ne pouvez-vous demander à votre ami, dit Magda, si nous pouvons nous plonger dans le lac. Un bon bain effacerait nos fatigues.
Appelé, le Merka approuva en prévenant que l'eau serait sans doute froide. Tandis qu'elles approchaient de l'eau, il reprit contact avec Marc. Il ne pouvait dissimuler une énorme allégresse.
— Tes amies ont été merveilleuses.
— J'ai cru comprendre que l'aventure ne leur avait pas été désagréable, grimaça Marc.
— L'avenir de notre race est désormais assuré. Crois bien que, cette fois, nous serons vigilants. Les graines seront semées par groupe de cinquante à intervalle régulier. Dès que les sujets seront devenus autonomes, nous les persuaderons de profiter de leur jeunesse pour fournir de nouvelles graines. Ainsi, notre communauté prospérera comme elle n'aurait jamais dû cesser de le faire. Vous nous avez sauvés et nous vous en serons toujours reconnaissants.
— Je pense pouvoir affirmer que les humains ne viendront plus vous menacer.
Voyant Elsa émerger de l'eau, Marc approcha pour lui tendre ses vêtements. Comme elle frissonnait, il lui frotta doucement le dos. Elle s'appuya contre lui.
— Effectivement, c'était bien froid mais agréable, surtout si tu me réchauffes.
Leur intimité fut brisée par l'arrivée des deux autres femmes.
— Il est temps de partir si vous voulez trouver à vous ravitailler, intervint le Merka. Suivez-moi, je vais vous guider.
La créature se mit en route de sa démarche lente et cahotante. Un quart d'heure fut nécessaire pour voir apparaître un rayon lumineux et atteindre la sortie.
Dehors, ils fermèrent les yeux, éblouis par le soleil à son zénith.
— Adieu, ami, émit le Merka. Remercie encore tes compagnes. Tu as beaucoup de chance d'avoir trois épouses comme elles.
Marc ne put retenir un éclat de rire qui intrigua ses amies. Elles demandèrent une explication à cette hilarité que leur situation ne justifiait pas.
— Il nous souhaitait seulement bonne chance, éluda-t-il.
Après avoir respiré l'air chaud qui montait de la forêt cent mètres au-dessous, Elsa remarqua :
— Après ce pittoresque intermède cavernicole, nous sommes ramenés au problème précédent.
Marc regarda le sommet de la colline. De rares buissons s'acharnaient à pousser, et vers le sommet apparaissaient les rochers à nu.
— Ray, quelle est la hauteur du sommet ?
— Environ mille mètres.
Il corrigea aussitôt :
— Exactement neuf cent soixante-douze mètres.
— Cela devrait être suffisant pour faire écran aux ondes radar.
— A la seule condition de rester dans un secteur très limité et de ne jamais dépasser neuf cents mètres d'altitude. C'est impossible avec la télécommande.
— Je pense avoir une idée, mais pour cela il faut se trouver de l'autre côté.
Se tournant vers le petit groupe, il lança ironiquement :
— Mesdemoiselles, je vous invite à une belle promenade en montagne.
— Tu veux nous obliger à monter là-haut ? soupira Elsa.
— Et même à redescendre de l'autre côté et ceci avant la tombée de la nuit. En route !
Deux heures plus tard, ils n'avaient encore franchi que la moitié de la distance les séparant du sommet. Elsa commençait à peiner et Marc lui tendit la main
pour l'aider à avancer. Si Magda suivait aisément, Michka se traînait en fin de colonne. Elle transpirait d'abondance et son visage était écarlate.
— Une faible femme accepterait-elle de l'aide, ironisa Ray. Voilà ce que c'est de se rouler dans la débauche même pour rendre service à des arbres.
Elle lui lança un regard furibond mais saisit la main offerte. Ils atteignirent enfin le sommet après avoir gravi une pente particulièrement raide.
— Vous avez mérité une pause, concéda Marc, mais pas plus d'un quart d'heure.
— Il n'y a aucune chance de trouver du gibier sur ce coin pelé, nota Michka. Nous nous passerons certainement de dîner.
— Jeûne et abstinence constituent un excellent régime, dit Ray d'un ton sentencieux.
Le versant opposé à celui qu'ils venaient de gravir, était tout aussi désert et la forêt recommençait à mi- pente. Un peu avant le début des arbres, se trouvait un espace presque plat, d'une cinquantaine de mètres de diamètre.
— Ce devrait être possible, murmura Marc, à condition qu'il fasse encore jour.
Il se leva d'un bond, sourd aux récriminations féminines où revenaient les mots de bourreau, tyran et macho. Désignant le petit plateau, il ajouta :
— Voici votre lieu de campement.
La descente s'effectua assez rapidement mais Ray dut retenir deux fois Michka que son poids entraînait trop vite dans la pente.
— Je sais, grogna-t-elle, je n'ai pas l'expérience de la montagne. J'ai passé toute ma vie dans des villes où les arbres avaient oublié de pousser.
Toutefois, ils parvinrent à l'endroit fixé par Marc assez rapidement.
— Il reste deux heures de jour, c'est parfait pour ce que je veux faire. Reposez-vous mais surtout ne me parlez pas avant que je vous le dise.
Il s'assit un peu à l'écart et ferma les yeux. Il resta ainsi près d'une heure. Intriguée, Elsa ne pouvait s'empêcher de lancer de fréquents regards sur son ami. Les traits de son visage étaient tendus et des gouttes de sueur perlaient à son front comme s'il effectuait un terrible effort.
Soudain, un discret sifflement fut perceptible et un petit module de liaison apparut, volant au ras des arbres. Il se posa en douceur à quelques mètres du groupe. Marc se leva en riant.
— Voilà, ce n'était pas plus difficile que cela.
— Comment est-ce possible ? demanda Elsa.
— Je te l'expliquerai plus tard. Pour l'instant, embarque !
Il ne tenait pas à clamer que les créatures qui lui avaient donné le Mercure l'avaient pourvu de commandes psychiques. Il avait ainsi réussi à piloter le module en le maintenant à une altitude suffisamment basse pour échapper au radar de l'astroport. Ray se manifesta alors :
— Il y a un problème. Cet appareil de secours n'a que trois places. Comment procédons-nous ?
— Emmène Elsa et Magda jusqu'au Mercure puis tu reviendras nous chercher.
— Je n'aime pas te laisser seul. Pourquoi ne piloterais-tu pas à ma place ?
— Tu es beaucoup plus adroit que moi dans le vol en rase-mottes. Grouille-toi, je promets de ne pas pro- fîter de mon tête-à-tête avec Michka pour tenter de la violer. De toute manière, elle est beaucoup plus forte que moi.
Le module ne tarda pas à décoller et Marc eut la surprise d'entendre Michka murmurer :
— Avec vous, Marc, je ne sais si je me défendrais très énergiquement.
Il éclata de rire et lui plaqua un baiser sonore sur les deux joues.
— C'est très gentil de votre part, tout au moins de me le dire.
* * *
Quand Marc escorté de Michka pénétra dans la cabine salon du Mercure, il vit Elsa et Magda attablées devant des assiettes presque vides.
— C'est la première fois dit Elsa, que je prends plaisir à avaler la nourriture insipide des distributeurs automatiques. Je te laisse ma place et je fonce vers le bloc sanitaire. J'espère que tu as un stock de tenues propres.
Une heure plus tard, chacun était repu et débarrassé de la crasse, la sueur et la poussière accumulées au cours des derniers jours. Elsa avait sorti la bouteille de vieux scotch et pourvu chacun d'un verre.
— Maintenant que nous sommes à l'abri, il faut avertir la Sécurité Galactique.
Marc secoua la tête, la mine préoccupée.
— Je ne crois pas que ce soit la bonne solution de le faire maintenant. Après les fantaisies tranchantes de Ray, les sbires d'Asano sont certainement à l'écoute des messages de la Sécurité Galactique. S'ils décou-
vrent que j'émets à partir de cette planète, ils se mettront à notre recherche et nous ignorons de quelles forces ils disposent. Enfin, se sachant démasqué, Asano s'empressera de faire disparaître toutes les preuves compromettantes et de s'évanouir dans la nature.
— C'est effectivement un risque. Que proposes- tu?
— Nous allons filer discrètement et plonger dans le sub-espace. A ce moment, nous pourrons contacter directement Neuman.
Ray, qui avait suivi la conversation depuis le poste de pilotage, intervint :
— L'idée est excellente mais il y a un problème de taille. Un astronef est en orbite très haute autour de Santa.
— C'est certainement un pirate appelé par Asano mais ce ne sera pas la première fois que nous combattrons ces vermines.
— Tu oublies un détail d'importance. Nous n'avons plus que six missiles. J'ai utilisé les autres contre l'astronef qui m'avait attaqué.
— C'est fort fâcheux. Il faudra donc filer en douceur. Etudie soigneusement la trajectoire du pirate pour voir s'il n'existe pas une fenêtre obscure par laquelle nous pourrons nous glisser. En attendant, un somme dans un lit confortable s'impose.
La proposition fut adoptée à l'unanimité.