chapitre iv

 

Magda somnolait sur son grabat. Le bruit de l'ouverture de la porte la fit se redresser. Les deux infirmiers aperçus dans la cellule de l'astronef entrèrent. Ils arboraient un air réjoui.

— Nous sommes venus te rendre une petite visite. Tu n'as pas de chance. Le patron vient de recevoir une commande urgente. Un très riche et très influent homme politique qui a abusé du whisky a le foie en capilotade et a besoin d'une greffe urgente. Or, il est du même groupe tissulaire que toi. C'est dire que demain matin, tu subiras une intervention.

Le second poursuivit, hilare :

— Mais avant que tu t'endormes définitivement, nous t'avons réservé une belle gâterie. Profite de l'occasion car ce sera la dernière !

Le visage tendu, Magda fit face aux deux hommes qui s'écartaient pour pouvoir mieux la saisir. Elle avança vers le plus grand, un brun au faciès simiesque qui déboutonnait déjà son pantalon.

— Si je comprends bien, vous voulez me violer.

— Pas de grands mots ! C'est juste une discrète récompense que le chef nous accorde avant les opérations. Le chirurgien ne va jamais vérifier si son cobaye a eu des relations sexuelles avant l'anesthésie.

De toute façon, tu n'auras pas le temps de faire un enfant.

Magda parut réfléchir un instant. Un sourire enjôleur éclaira son visage.

Après tout, pourquoi ne pas s'amuser avec deux beaux garçons comme vous, dit-elle d'une voix chaude. Ce sera un inoubliable souvenir, pour vous.

Elle déboutonna sa veste, geste qui fit apparaître deux seins ronds et haut placés qui n'avaient aucunement besoin de soutien-gorge.

Le spectacle des deux hémisphères nacrés figea de surprise le gorille qui laissa tomber son pantalon. Soudain, la jeune femme attaqua. Sa main gauche s'enroula autour du scrotum qu'elle tordit férocement. La douleur atroce paralysa l'homme, l'empêchant de réagir. La main droite de Magda se crispa sur le cou. Une pince plus dure que l'acier broya le larynx. Le bruit minuscule des cartilages écrasés passa inaperçu.

Le second infirmier qui se débattait aussi avec la fermeture de son pantalon mit une seconde à réaliser la situation. Une seconde de trop. Lâchant sa victime, Magda exécuta une élégante pirouette et son talon percuta le ventre de l'homme avec la puissance d'une ruade de cheval sauvage.

Un cri étouffé et il se plia en deux, le souffle coupé, offrant sa nuque à une sèche manchette. Un craquement sinistre et un éclair devant ses rétines furent ses dernières sensations. Il était déjà mort, la nuque brisée, en arrivant au sol.

A peine essoufflée, Magda regarda le gorille dont le visage avait viré au violet. Allongé sur le dos, les mains crispées sur sa gorge, il tentait désespérément

de faire pénétrer un filet d'air dans ses poumons douloureux.

— Tu n'imaginais pas que la victime pouvait se défendre, ricana la jeune femme. Salue Lucifer de ma part et assure-le que je lui enverrai encore beaucoup de larves comme toi.

Un coup de pied dans la région précordiale mit fin aux souffrances de l'homme. Magda entreprit vivement de déshabiller les deux morts et enfila une tenue par-dessus ses vêtements.

Un regard dans le couloir confirma qu'il était désert. Magda trouva dans une poche une carte magnétique qui servait sans doute de passe pour ouvrir les portes. Elle déverrouilla celle de la cellule voisine de la sienne. Au bruit de la porte, Marc se réveilla en sursaut et resta une seconde immobile en reconnaissant la jeune femme.

— Venez, dit-elle, nous devons essayer de nous évader.

— Il faut d'abord retrouver Elsa.

Par chance, elle était dans la cellule contiguë.

— Vite, lança Magda en lui tendant les vêtements de l'infirmier, enfilez cette tenue. Votre robe du soir est ravissante mais risque de gêner vos mouvements.

Tandis qu'Elsa s'habillait à la hâte, Marc questionna Magda qui partit d'un bref éclat de rire.

— Deux mâles ridicules avaient imaginé assouvir sur moi leurs pulsions sexuelles sans même me demander mes préférences.

— Et qu'est-il advenu ?

— Ils sont morts ! Vous savez que les hommes ne m'ont jamais impressionnée et que j'ai horreur des gestes déplacés.

Le trio se retrouva devant la porte grillagée et fermée. La carte ouvrant les cellules se révéla inefficace

sur la serrure.

- Si les infirmiers sont parvenus ici, dit Magda, ils devaient avoir le moyen d'accès.

Elle fouilla ses poches, demandant à Elsa de faire de même. Cette dernière trouva une autre carte qui s'avéra être la bonne. Ils arrivèrent devant un ascenseur.

Lors de notre promenade ce matin, dit Marc, j'ai noté que nous étions au sous-sol. La sortie devrait se trouver au rez-de-chaussée.

Les portes de la cabine s'ouvrirent sur un vaste hall faiblement éclairé. La porte se trouvait une vingtaine de mètres devant eux. Malheureusement, une hôtesse préposée aux renseignements se tenait derrière un comptoir. Pour le moment, elle était en discussion avec un solide infirmier.

— La manière forte ? demanda Magda.

— Je préférerais un peu plus de discrétion, murmura Marc. Restons dans cette zone d'ombre.

Là-bas, la discussion se poursuivait.

— Non, pas maintenant, je suis de service, disait la fille.

— Juste quelques minutes ! La nuit, il ne passe jamais personne et nous sommes toujours avertis des éventuelles urgences. Au pire, tu diras que tu avais un besoin pressant de te rendre aux toilettes.

L'hôtesse finit par se laisser convaincre et suivit l'infirmier dans une pièce voisine.

— Profitons de cet intermède amoureux, sourit Marc.

En silence, ils traversèrent le hall. Parvenus à l'extérieur, ils respirèrent profondément l'air frais et parfumé de la nuit.

L'hôpital avait été édifié au centre d'un vaste parc. Une route bien droite menait à la grille d'entrée, cent mètres plus loin. Le petit groupe avança sur le bas- côté pour profiter des zones obscures.

— Attention, avertit Marc qui s'était immobilisé. La sortie est barrée par une grille. Je distingue deux caméras de surveillance et un robot effectue un va-et- vient incessant. Nous n'avons aucune chance de la franchir sans être immédiatement repérés.

Magda extirpa de sa poche un pisto-laser.

— Mes visiteurs avait aussi cette arme. Je vous la confie car vous êtes certainement plus habile que moi au tir. Attaquons-nous ?

— Voyons s'il n'y a pas moyen de s'éclipser plus discrètement.

Le parc était ceinturé par un grillage électrifïé qui le séparait à l'ouest d'une forêt dense. Après cinq minutes de marche le long de la clôture, Marc murmura :

— Elsa, ta robe est-elle tissée en fils d'or ?

— C'est du moins ce qu'a prétendu le couturier qui me l'a vendue fort chère.

— Donne-la-moi !

Assez interloquée, la jeune femme enleva la veste blanche et fit passer au-dessus de sa tête sa robe du soir particulièrement défraîchie. Une petite lueur brilla dans le regard de Magda quand elle vit le torse dénudé d'Elsa. Tout en l'aidant à enfiler de nouveau sa veste, elle murmura :

— Si un jour Marc vous déçoit, je serai toujours prête à vous consoler.

Ce dernier examinait le grillage qui mesurait environ deux mètres de haut. Il était surmonté de deux fils reposant sur des isolants. Ils étaient sous tension

comme en témoignaient les petites lampes témoins au

 

sommet de chaque poteau.

 

D'un geste sec, Marc lança la robe de manière à ce qu'elle touchât les deux fils en même temps. Un éclair jaillit aussitôt et les lumières s'éteignirent.

Vite ! dit Marc. Le poste de surveillance ne tardera pas à localiser la panne.

Il croisa les mains pour servir de marchepied à Magda qui s'élança la première. Elle se retrouva de l'autre côté une seconde plus tard.

— A toi, Elsa.

Elle s'envola à son tour pour retomber dans les bras complaisants de Magda. Marc se hissa d'une traction et franchit l'obstacle sans encombre. La forêt était toute proche, obscurcissant encore la nuit. Le jeune homme arracha une basse branche et entreprit de décrocher la robe.

— Inutile de laisser cette trace de notre passage.

Il récupéra le malheureux morceau de tissu percé de plusieurs trous noirs.

— Nous nous en débarrasserons plus loin car je ne pense pas qu'Elsa souhaite s'en resservir. Le jour ne va pas tarder à se lever et nous devons tenter de gagner l'astroport avant que notre évasion soit signalée. Comme nous étions ravitaillés par un distributeur automatique, il y a peu de chance qu'on vienne visiter nos cellules prochainement.

— Il y a un problème, grimaça Magda. Mes visiteurs nocturnes ont précisé que je devais être privée de mon foie ce matin. Dans peu de temps, les brancar

diers viendront me chercher et découvriront les cadavres.

— Nous devons modifier notre plan, décida Marc. Dès votre fuite constatée, toutes les forces de police dévouées à Asano seront alertées. L'astroport sera bouclé en priorité avant que nous puissions l'atteindre.

— Que proposes-tu ? demanda Elsa.

— Nous allons nous enfoncer dans la forêt et nous cacher pendant un jour ou deux puis nous longerons la côte pour aborder la plage au milieu des baigneurs. C'est dans la foule que nous avons le plus de chances de passer inaperçus. Alors, nous aurons une possibilité d'approcher d'un transmetteur sub-spatial et d'alerter la Sécurité Galactique. En route ! Ne traînons pas. Nous nous reposerons quand le soleil sera levé.

* * *

 

Asano pénétra d'un pas allègre dans son bureau, suivi comme son ombre par son colossal garde du corps. Il découvrit alors son secrétaire, un aimable jeune homme grand, mince, d'ordinaire toujours impeccablement vêtu. Il avait présentement les habits en désordre et était en proie à une vive agitation.

— Que se passe-t-il, Vincent? demanda Frank d'une voix sèche.

— C'est incompréhensible, monsieur. Ce matin, le docteur Sacks avait programmé une greffe urgente. Quand l'équipe des brancardiers s'est rendue dans le quartier des donneurs, ils ont trouvé dans la cellule deux infirmiers morts. La fille s'était envolée.

— Cherchez-la !

C'est ce que nous faisons mais elle est introuvable dans l'hôpital et elle n'est pas sortie. Gina était de permanence et n'a rien vu. Je l'ai personnellement interrogée.

Asano réfléchit rapidement.

— Appelez-la !

Moins de trois minutes plus tard, une accorte bru- nette entra dans le bureau, très impressionnée de se trouver en présence du grand patron. Questionnée par Vincent, elle confirma sa déposition.

— Assez, rugit Asano, si tu ne me dis pas la vérité, je t'expédie à l'étage des donneurs !

La fille éclata en sanglots en bredouillant :

— Je me suis absentée quelques instants pour aller aux toilettes.

— Seule ?

Elle hésita un instant mais la peur qui la submergeait lui fit ajouter :

— Mike m'a tenu compagnie un moment.

— Je vois, ricana-t-il. La fille a eu largement le temps de s'éclipser.

— Dans ce cas, dit Vincent, elle erre encore dans le parc car nul n'a franchi la grille. Les caméras de surveillance sont formelles.

Il s'interrompit, les sourcils froncés.

— Il a été signalé un incident cette nuit. Un court- circuit d'origine indéterminée a interrompu le barrage électrifié pendant quelques minutes dans le secteur ouest.

— C'est par ce coin qu'elle a filé, grogna Asano. Mettez les patrouilles de police en état d'alerte. Qu'on surveille particulièrement l'astroport et les cabines de transmission sub-spatiales. Il serait catastrophique qu'elle puisse joindre la Terre.

Tandis que Vincent distribuait ses ordres dans son téléphone portable, son patron lançait à Gina qui tremblait de toute sa carcasse :

— File ! Nous verrons plus tard pour ta punition mais elle sera salée. Je ne paie pas mon personnel pour batifoler pendant les heures de service.

La fille sortie, il demanda :

— Quelles sont les nouvelles de la Terre concernant notre affaire ?

— J'ai appelé le docteur Wood mais je n'ai pas réussi à le joindre. Je n'ai pas jugé prudent de contacter directement Milligan.

— Vous avez sagement agi. Rappelez Wood pour l'informer que son patient n'a pu être opéré ce matin.

Un soupir sortit de sa poitrine quand il ajouta :

— J'exige que cette fille soit retrouvée aujourd'hui. Faites également disparaître discrètement les corps des infirmiers et infligez une amende à leur supérieur qui les a autorisés à rendre visite à la détenue. Si les hommes ont envie de compagnie féminine, il existe en ville une maison spécialisée. Les membres du personnel ont même droit à d'importantes remises. Je les paie suffisamment cher pour qu'ils puissent satisfaire ce genre de besoin sans avoir à débaucher mon personnel pendant les heures de service.