CHAPITRE XX
 
L’aventure s’achève comme elle a commencé

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AINSI, le précieux sac était vide ! Pour les enfants ce fut une amère déception. Ils avaient prévu cette éventualité, ils en avaient même discuté, mais au fond d’eux-mêmes, chacun restait persuadé que quelque objet de valeur s’y dissimulait.

Le brigadier de gendarmerie parut surpris et mécontent. Il toisa les enfants d’un air sévère.

« Où avez-vous trouvé ce sac ? demanda-t-il. Comment avez-vous pu croire qu’il contenait quoi que ce soit de précieux ? Et de quels plans parliez-vous ?

— Euh…, bafouilla François embarrassé. C’est une assez longue histoire.

— Je crois qu’il sera nécessaire que vous me la racontiez », fit le brigadier sans se dérider. Et il sortit de sa poche un calepin noir. « Comment tout ceci a-t-il commencé ?

— C’est simple ! s’écria Claudine. Cela a commencé parce qu’il a fallu mettre à Dagobert une collerette de carton… »

Les yeux du brigadier s’agrandirent sous l’effet de la surprise, mais il n’avait pas de temps à perdre. Il se tourna vers François. « Parlez, lui dit-il assez sèchement, vous vous expliquerez peut-être mieux. »

Claudine rougit violemment et ses sourcils se froncèrent de colère. François lui adressa un clin d’œil en guise de réconfort, puis, après avoir invité le gendarme à s’asseoir, il lui exposa les faits aussi clairement et brièvement que possible.

Le brigadier l’écoutait en silence et son visage trahit bientôt un intérêt de plus en plus visible. Il nota quelques mots sur son carnet, en particulier les noms de Paul et de Léo et toutes les particularités que les enfants purent lui fournir sur ces mystérieux personnages. L’accent étranger du chef de bande fut l’objet d’une interrogation assez prolongée, François se révélant incapable de préciser l’origine de cet accent particulier.

L’empreinte de semelle que Mick avait relevée aux abords de la chaumière, et qu’il exhiba fièrement, fit ensuite figure de pièce à conviction d’importance déterminante. Il abandonna à regret, pour les besoins de l’enquête, le morceau de papier sale et chiffonné qui fut soigneusement plié et enfoui dans la sacoche du gendarme.

Lorsque François en arriva à la découverte du sac noir, le brigadier, désormais conquis, parut partager cette fois la déception des jeunes détectives.

« Je ne m’explique pas, dit-il, comment il se fait que ce sac soit vide. Il est anormal que ce Paul ait voulu tromper ses complices, puisque ceux-ci savent où le retrouver. »

En même temps, il reprenait le sac et le secouait.

Rien n’en sortit. Il le rouvrit et se mit à en examiner soigneusement l’intérieur.

Tout à coup il prit son couteau dans sa poche et en glissa une lame sous la doublure qui se souleva lentement.

Alors, sous cette doublure, quelque chose apparut : un papier bleuâtre, soigneusement plié. Un papier couvert de milliers de lignes, d’annotations et de minuscules figures géométriques. Un tel silence suivit cette apparition qu’on entendit une abeille voler au jardin.

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« Que fait ici ce plan ? Non ! c’est impossible. »

Le brigadier laissa échapper un petit sifflement.

« Ainsi, dit-il, le sac n’était pas vide ! Mais je voudrais bien savoir ce que représente ce papier. Les plans de quelque chose, mais de quoi ?

— Papa le saurait peut-être, suggéra Claudine. C’est un savant, vous savez…

— Oui, je sais ! coupa le brigadier. Pouvez-vous lui demander de venir tout de suite ? »

Claudine s’éclipsa et revint presque aussitôt, suivie de son père, dont les sourcils se fronçaient de façon menaçante comme chaque fois qu’un événement imprévu venait l’arracher à son travail.

« Je m’excuse… », commença le brigadier.

Mais M. Dorsel ne le laissa pas finir sa phrase. La simple vue du document déplié sur la table lui avait arraché un cri de surprise :

« Que fait ici ce plan ? Non ! c’est impossible ! Ce ne peut pas être ça… Mais si, pourtant ! »

Tous le regardaient avec des yeux ronds tant sa brusque agitation leur paraissait inexplicable.

« Est-ce donc si important ? demanda le brigadier.

— Important ? Vous avez dit important ? Mais, mon ami, ce document n’existe qu’en deux exemplaires. L’un est dans mon bureau et je l’étudie en ce moment. L’autre est chez le professeur Leroy-Larson. Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir un troisième exemplaire !

— Il y en a un troisième cependant, remarqua le brigadier, puisque le voilà. C’est une évidence qui ne peut être mise en doute.

— Eh bien, moi, j’en doute ! s’écria M. Dorsel de plus en plus troublé. Je serais plutôt tenté de croire que cet exemplaire-ci est celui du professeur Leroy-Larson. Mais comment serait-il venu ici ? Pourquoi le professeur s’en serait-il dessaisi ? Il faut que je le sache. Attendez, je vais lui téléphoner immédiatement. »

Complètement éberlués, les enfants regardèrent M. Dorsel quitter la pièce sans parvenir à formuler la moindre parole. Qu’avait donc de si important ce papier couvert de signes mystérieux pour que son apparition produise un tel effet sur le savant ?

La forte voix de M. Dorsel résonna bientôt au téléphone, d’abord anxieuse, puis se chargeant de surprise et de colère. Enfin une porte claqua bruyamment et le savant revint. Il était assez pâle.

« C’est bien cela, dit-il. L’exemplaire du professeur a été volé. Les conséquences de ce vol peuvent être si graves qu’il n’a pas voulu que la chose soit ébruitée. Il me l’a cachée, même à moi. Volé ! Un plan de cette valeur, volé ! dans son coffre-fort. Sous son nez ! Vous vous rendez compte ! Maintenant il n’en existe plus qu’un seul exemplaire, le mien…

— Pardon ! fit le brigadier, en posant sa main sur le papier étendu sur la table. Il en reste toujours deux. L’autre est ici, ne l’oubliez pas.

— C’est vrai ! je suis si troublé que je n’y pensais plus. Je ne l’ai même pas dit au professeur. Attendez, je vais le… »

Le brigadier le retint par le bras. « Ne le rappelez pas, dit-il. Il semble préférable que cette affaire reste secrète.

— Mais, papa, demanda brusquement Claudine, se faisant l’interprète de tous, que représente donc ce plan ?

— Oh ! fit M. Dorsel d’un air outré, ne compte pas sur moi pour te le dire. Ce n’est pas un jeu pour enfants. C’est un secret intéressant la défense nationale. Une découverte d’une importance capitale. Donnez-moi ce papier, brigadier. »

Mais le brigadier étendit immédiatement sa forte main sur le plan bleu.

« Non, dit-il. Je le ferai restituer secrètement au professeur Leroy-Larson. »Et, comme M. Dorsel ne semblait pas disposé à céder aussi facilement, il ajouta : « Il ne serait pas prudent de laisser les deux exemplaires au même endroit. Supposez que le feu prenne à la maison, ils seraient détruits tous les deux !

— Vous avez raison, gardez-le ! » lança M. Dorsel, puis, se tournant vers les enfants, il ajouta : « Maintenant je voudrais bien que vous m’expliquiez comment il se fait que ce plan soit en votre possession.

— Ces enfants se feront un plaisir de vous raconter leur aventure », fit le brigadier avec un large sourire, mais François l’interrompit en s’écriant :

« Nous te dirons tout, oncle Henri, mais plus tard. J’ai quelque chose de très urgent à dire, que le brigadier ne sait pas encore.

— Quoi donc ?

— Que nous avions finalement vu, tout à l’heure, les trois hommes descendre dans le souterrain au moyen d’une corde et…

— Comment, vous les avez vus descendre et c’est maintenant que vous me le dites ? s’écria le gendarme d’un accent de colère. Nous avions une chance unique de nous emparer de ces voleurs et vous nous l’avez fait perdre ! »

François réprima difficilement un sourire et dit d’une voix qui se voulait calme :

« Rien n’est perdu ! Ils attendent que vous alliez les chercher… »

Le brigadier crut que le jeune garçon se moquait de lui et allait-se fâcher, lorsque Michel ne put se retenir d’éclater de rire.

« François a enlevé la corde qui leur avait servi à la descente, expliqua-t-il. Ils n’ont plus aucun moyen de sortir du souterrain. Si vous voulez que je vous accompagne, je vous montrerai l’endroit… »

L’arrivée précipitée du médecin au moment où le brigadier quittait la villa des Mouettes avec une remarquable promptitude, fut encore un des épisodes amusants de cette étonnante journée. Puis tous se retrouvèrent autour d’un somptueux goûter auquel Maria avait ajouté force sandwiches et mets reconstituants.

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Tous se retrouvèrent autour d’un somptueux gouter.

La brave femme ne comprenait rien à tous ces événements insolites, sinon que, une fois de plus, les enfants étaient venus à bout d’une mystérieuse aventure. Et elle savait bien que pareille situation se traduisait toujours par un redoublement d’appétit.

Les jumeaux Truchet et leur chien partagèrent ce festin avec une joie d’autant plus grande que Mme Dorsel les avaient invités à rester aux Mouettes jusqu’à la guérison totale de la foulure de Guy – une dizaine de jours, avait dit le docteur.

Tous parlaient à la fois, la bouche pleine, s’efforçant d’expliquer aux parents éberlués les multiples péripéties survenues pendant ces quelques jours d’absence, lorsque le téléphone sonna.