— Je n’ai rien vu, mais je crois avoir entendu des gémissements. C’était lointain et ne me parvenait que par bouffées, sans doute lorsque le vent apportait le son de mon côté. Mais Radar avait peur. N’est-ce pas, Radar ? Tu es venu te cacher entre mes jambes.

— Nous avons entendu les mêmes plaintes, dit François, mais très proches. Et nous ayons vu des lumières. »

La conversation roula un certain temps sur ce sujet, mais Guy ne pouvait être d’aucune aide. Il se trouvait beaucoup trop loin des bruits et des lumières.

« J’ai une faim d’ogre, déclara soudain Claudine. Dès que je ferme les yeux, je vois des piles de tartines et des bols de chocolat fumant. Rentrons déjeuner… »

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« Venez vite ! l’eau est délicieuse.  »

On prit congé de Guy et de Radar, en promettant de se retrouver bientôt.

« Eh bien, vraiment, je n’y comprends rien, lança Annie, lorsque le garçon les eut quittés. On peut dire que Guy jouit de tout son bon sens, ce matin ! Qui m’expliquera pourquoi, à certains moments, il le perd si complètement ?

— Regarde donc là-bas, interrompit sa cousine. N’est-ce pas lui qui suit le sentier en courant ? À droite, tu vois ? Comment peut-il être déjà arrivé là ? Nous l’avons vu partir dans la direction opposée. »

La silhouette en costume de bain, qui s’éloignait au grand galop, ressemblait bien à Guy. Elle poursuivit cependant sa course, sans ralentir ni se retourner, malgré les cris que poussaient les enfants, assez bruyamment pour mettre en fuite tous les lapins de la lande.

Claude se frappa le front à petits coups de l’index et tous éclatèrent de rire. Mais un sentiment de gêne subsistait. Pourquoi la conduite de ce garçon était-elle si différente d’une fois sur l’autre ? C’était incompréhensible, dénué de toute logique et de toute raison. Et comme tout ce qui ne s’explique pas, cela engendrait une certaine inquiétude.

Après un copieux petit déjeuner, le Club des Cinq s’en fut explorer la zone où avaient eu lieu les insolites événements nocturnes. François conduisait le groupe, suivant approximativement le trajet fait par lui, dans la nuit. Arrivé à hauteur du bouquet d’arbres qui dominait la lande, face à la chaumière, il s’arrêta.

« C’est d’ici que semblaient provenir les bruits, dit-il, et par ici aussi que flottaient les lumières, à plusieurs mètres au-dessus du sol.

— Tu es sûr que ce ne sont pas des gens qui les portaient, ces lumières ?

— Absolument certain. À moins que les gens en cause soient des géants.

— Ne pensez-vous pas, murmura timidement Annie, que ces arbres ont pu servir à quelque chose ? Si les « gens » avaient grimpé dedans, ils pouvaient de là-haut allumer leurs lumières, et produire leurs bruits avec je ne sais quels instruments bizarres. »

François examina les arbres puis se tourna vers sa jeune sœur avec un regard admiratif.

« Cette brave vieille Annie ! s’écria-t-il. Elle a toujours l’air plus effarouché que tout le monde, et elle y voit plus clair que tous les autres ensembles. Mais bien sûr que tu as raison, Annie ! Je ne sais pas avec quoi ils ont pu émettre ces gémissements sinistres, ni quel genre de pièces d’artifice pouvaient produire ces lumières, mais il s’agissait sûrement d’un truquage de ce genre.

— Et cela expliquerait aussi pourquoi Dago n’a trouvé personne, s’écria Claude. L’ennemi était dans les branches quand il le cherchait au sol ! N’empêche que le ou les types, là-haut, ne devaient pas en mener large en entendant le chien aboyer sous leur refuge. »

Michel se pencha brusquement et ramassa un bout de vessie verdâtre toute molle et ratatinée sur elle-même.

« Et voilà une pièce à conviction, s’écria-t-il gaiement. Un vestige des ballons lumineux !

— Très ingénieux ! apprécia François. J’ai l’impression qu’ils avaient emporté un joli arsenal là-haut en vue d’une représentation grandiose. Ils sont bien décidés à nous mettre en fuite ! Dommage qu’ils se soient donné tant de mal pour rien !

— Ils ont bien failli réussir, reconnut Claude. Nous avons eu vraiment peur, n’est-ce pas ?

— Oui ! mais maintenant, c’est fini. Ils ne nous effrayeront plus, s’écria Annie dans un sursaut de courage bien inattendu. Je me refuse à faire ce qu’ils attendent de nous ! Je ne veux plus partir.

— Bravo, Annie ! s’écria François en donnant une claque amicale sur le dos de sa petite sœur. Bravo ! Nous resterons, puisque tu le veux ! Mais il y aurait encore mieux à faire.

— Quoi ?

— Rester, mais en faisant semblant de partir ! Nous démontons la tente, nous plions bagage ostensiblement, nous vidons les lieux au vu et au su de tous, et, mine de rien, nous nous installons plus loin. Et puis cette nuit, Mick et moi, nous revenons ici, nous nous cachons dans un coin et nous guettons les visiteurs. S’ils viennent, nous trouverons bien le moyen d’apprendre quelle est la chose qu’ils cherchent, et pourquoi ils la cherchent.

— Magnifique ! s’écria Michel ravi, en faisant voler dans l’air la vessie dégonflée. Ces messieurs aiment plaisanter ? eh bien, nous aussi ! »