CHAPITRE IX
 
Début d’enquête

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LES CINQ étaient encore loin du camp romain lorsqu’ils aperçurent un jeune garçon assis dans l’ombre d’un buisson, un livre sur ses genoux. « C’est lui ! murmura Claude à ses cousins. C’est le fou ! Regardez-le.

— À première vue, remarqua François, il paraît tout à fait normal, très absorbé dans sa lecture, et bien décidé à ne pas s’occuper de nous.

— Je vais lui parler, et tu verras ! » fit Claude avec un petit sourire ironique. Elle fit encore quelques pas, puis, s’adressant au jeune lecteur :

« Re-bonjour, dit-elle. Où est Radar ? »

Le jeune garçon releva la tête, visiblement contrarié.

« Comment connaissez-vous Radar ? demanda-t-il.

— Il était avec vous ce matin », riposta Claude en soulignant d’un clin d’œil destiné à ses cousins l’absurdité de cette réponse.

Le jeune garçon ne le remarqua pas. Il s’entêta dans ses dénégations.

« J’étais seul, ce matin, affirma-t-il. D’ailleurs Radar n’est jamais avec moi ! » Puis d’un air grognon, il ajouta : « Laissez-moi tranquille », et repiqua du nez dans son livre.

Les Cinq s’en allèrent.

« Et voilà, fit remarquer Claude, c’est toujours comme ça ! Ce matin il est venu à la chaumière avec Radar, maintenant il dit qu’il n’est jamais avec lui. Je vous assure qu’il ne sait pas ce qu’il dit.

— Ou qu’il est simplement grossier, observa François. En tout cas, il ne paraît pas présenter le moindre intérêt. Ce qui ne veut pas dire que ses fouilles n’en ont pas. Si nous allions y jeter un coup d’œil pendant qu’il est plongé dans son bouquin ?

— Elles ne m’ont pas paru plus intéressantes que lui, fit Claude, mais allons-y, si tu veux. Dago ! Où est-il encore ? Dago ? »

Il fallut attendre Dago, parti dans une de ses chimériques chasses au lapin et si occupé de ses propres affaires qu’il n’entendait pas les appels de Claude. Puis l’on repartit en direction du camp romain.

Un gai sifflotement et les habituels coups de pic sur les cailloux accueillirent de loin les visiteurs. Annie se pencha au bord d’une tranchée et faillit tomber dedans, tant fut grande sa surprise d’y découvrir le garçon qu’elle venait de quitter un instant plus tôt, sous l’arbre. À présent, pioche en main, il creusait soigneusement le terrain, tout en sifflant gaiement. En apercevant la fillette, il se redressa et écarta d’un revers de main les mèches qui lui tombaient dans les yeux Tous le regardèrent avec stupéfaction.

« Comment pouvez-vous être déjà ici ? questionna Claude. Auriez-vous des ailes, par hasard ?

— Il y a deux heures que je gratte la terre…

— Oh ! il ment encore ! » lança Annie excédée. Mais le jeune archéologue prit fort mal cette injure.

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Tant fut grande sa surprise d’y découvrir le garçon.

Il devint très rouge et aurait peut-être insulté les fillettes si François n’avait habilement détourné la conversation.

« Ce doit être passionnant de faire des fouilles, dit-il d’un ton convaincu. Est-ce que ce terrain t’appartient ? »

Le garçon s’apaisa quelque peu, mais garda un air bougon pour répondre : « Bien sûr que non ! Comment pourrais-je posséder tout cela ? C’est mon père qui a découvert l’endroit il y a quelques années et acheté le droit d’y faire des fouilles. Mais il n’y a pas trouvé grand-chose, et m’a permis de m’y amuser cet été. »

L’intérêt que François portait à ses recherches paraissait si sincère qu’un moment plus tard le jeune garçon se déridait, se livrant plus qu’il ne l’avait jamais fait à l’égard de Claude et d’Annie. Il alla jusqu’à dire son nom : Guy Truchet.

« Serais-tu le fils du célèbre archéologue, Jean Truchet ? » demanda François avec un étonnement admiratif. Sa surprise flatta le jeune Guy qui acheva de se dérider.

« Veux-tu voir ce que j’ai trouvé ? » questionna-t-il en conduisant François vers une planche posée en travers de la tranchée, sur laquelle s’alignaient une douzaine d’objets disparates, dont, un pot cassé, des débris de faïence, quelque chose qui ressemblait à une vieille broche, et un morceau de pierre sculptée où se devinaient les restes d’un visage.

« Magnifique ! » s’exclama François, en examinant l’une après l’autre ces trouvailles. Enhardies, ses cousines l’imitèrent et se passèrent de main en main ces vestiges d’un lointain passé.

« C’est passionnant, expliquait le jeune archéologue, les yeux brillants d’enthousiasme. On pioche pendant des heures, on remue de la terre sans rien trouver, et puis, tout à coup, quelque chose apparaît qui dormait là depuis des siècles. Même si ce n’est qu’un morceau de poterie cassée, on se dit que personne ne l’a vu ni touché depuis qu’un homme des légions de César l’a laissé tomber là… »

Sa passion était si profonde et si communicative que ses auditeurs se sentaient pris de l’envie de manier la pioche à leur tour.

Pendant ce temps, Michel, rebelle aux charmes de ces recherches, s’amusait à observer un jeune lapin. Après bien des allées et venues celui-ci s’était réfugié derrière une grande dalle de pierre, dressée perpendiculairement, et l’on voyait sa tête pointer, tantôt à droite, tantôt à gauche, comme pour narguer son poursuivant. Puis elle disparut définitivement.

Mick s’approcha à quatre pattes, sans bruit, et jeta un regard derrière la dalle. Un large trou lui apparut, bien trop grand pour être le terrier d’un si petit lapin.

Il prit sa lampe de poche et en projeta la lumière sur les parois. La cavité qu’il aperçut était assez large pour qu’un homme pût s’y glisser et assez profonde pour qu’on n’en vît pas l’extrémité. Cela ressemblait à l’entrée d’un souterrain s’enfonçant en pente raide dans la terre.

Mick, très intrigué, alla aussitôt signaler cette découverte à ses amis. Mais le jeune Guy Truchet la connaissait déjà, et n’y portait aucun intérêt.

« C’est une sorte de cave, dit-il, on l’a fouillée sans rien y trouver d’intéressant. Mon père dit que c’était sans doute un abri pour préserver les vivres de la chaleur ou du froid, et qu’il est probablement postérieur au camp romain.

— Et là, qu’est-ce que c’est ? » questionna Claude, remarquant soudain des débris de poterie posés sur une autre planche, au fond d’une tranchée plus éloignée. « Est-ce vous qui avez trouvé cela ?

— Non ! ce n’est pas moi ! répliqua Guy. N’y touchez pas, je vous prie.

— Qui est-ce alors ? » demanda Claude intriguée. Ne recevant pas de réponse, elle se pencha vers un très joli pot de terre cuite, malheureusement ébréché, et le souleva pour mieux l’admirer.

« Laissez cela ! » hurla Guy, si brusquement et si brutalement que Claude faillit en lâcher le pot. « Je vous ai dit de ne pas y toucher. Vous ne pouvez donc jamais faire ce qui vous est demandé ?

— Doucement, intervint François. Tu as fait peur à ton petit chien ! Je crois que… nous ferions mieux de partir, n’est-ce pas ?

— Oui ! Je n’aime pas être dérangé quand je travaille et il y a toujours des gens pour venir vous ennuyer. Je ne dis pas cela pour toi…

— Des gens ? » questionna François, songeant aux visiteurs nocturnes signalés par ses cousines. « Quel genre de gens ?

— Oh ! des curieux, stupides et bavards, qui posent des questions ridicules et s’offrent pour m’aider. Ce qu’il peut y avoir de badauds dans une lande déserte, c’est à ne pas croire !

— Et cette nuit, avez-vous eu des visiteurs ? questionna Claude.

— Je n’ai vu personne, mais Radar a aboyé comme un forcené. C’est peut-être l’orage, bien qu’en général les orages le laissent indifférent. »

Tout en parlant, Guy Truchet avait repris sa pioche et recommençait à creuser le sol. Malgré son affirmation polie, il était difficile de ne pas comprendre qu’il mettait les Cinq du Club au rang des importuns. Ceux-ci prirent rapidement congé et s’en allèrent.

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« Rien de bien intéressant par ici, conclut François, et ce champ de fouilles est plutôt sinistre. Où poursuivons-nous notre enquête maintenant ?

— À la chaumière, s’écria Mick.

— Nous avons déjà tout inspecté, Annie et moi, remarqua Claudine avec une moue. Si nous allions nous baigner dans l’étang, ce serait plus amusant, ne croyez-vous pas ?

— Ouah ! » approuva Dago, et tous s’étant trouvés de son avis, il fallut peu de temps pour qu’ils se retrouvassent, vêtus de leurs costumes de bains, courant sur la bruyère en direction de l’étang.

« Tiens ! Guy est en train de se baigner ! » s’écria Michel surpris.

Claude reconnut aussitôt la tête et les mèches blondes du jeune archéologue émergeant au-dessus de l’eau. Habituée à ses surprenantes volte-face, elle ne s’étonna pas de le voir là et lui cria de la berge :

« Hé ! Guy ! on se baigne ensemble ! »

Mais Guy sortait déjà de l’eau, par la berge opposée. Michel, croyant qu’il ne les avait pas entendus, cria plus fort encore :

« Hé ! Guy ! ne t’en va pas ! nous venons prendre un bain avec toi ! »

Le garçon se retourna. Il avait son air le plus bourru.

« Laissez-moi tranquille, dit-il. Je n’ai pas envie de me baigner avec vous, et je ne m’appelle pas Guy ! » Puis, sans se soucier des quatre enfants qui le regardaient sidérés, il s’enfuit en courant à travers la lande. Il y eut un moment de silence, puis François résuma l’opinion générale :

« Tout bien pesé, dit-il, c’est un fou ! »

Après un long bain dans l’eau tiède de soleil, une longue sieste sur les rives de l’étang pour se sécher et un excellent goûter pour combler le trou creusé par ces efforts physiques et les nombreuses surprises de la journée, François décida d’explorer méthodiquement la chaumière.

Il monta même à l’étage, où il trouva deux chambres, si l’on peut appeler « chambres » des éboulis envahis de rosiers grimpants où, sur des murs presque inexistants, quelques rares poutres évoquant, seules, le toit disparu.

« Rien d’intéressant, conclut-il en descendant l’escalier. Allons visiter les communs, ou, du moins, ce qu’il en reste ! »

Ce nouvel examen ne révéla rien d’autre que ce que les fillettes avaient déjà découvert ; mais, tout à coup, comme on allait quitter l’étable, Claudine poussa un cri de surprise.

« Oh ! regarde, Annie ! cette dalle a été soulevée depuis notre dernier passage ! »

C’était exact. Une des dalles de pierre qui formaient le revêtement du sol reposait maintenant un peu de travers dans son alvéole. Sur ses bords, la mousse avait été arrachée, laissant paraître, comme une traînée noirâtre, la terre mise à nu par ce déplacement.

« Hum ! fit Michel, tu dois avoir raison ! Quelqu’un s’est intéressé récemment à cette pierre…, ou à ce qui se trouve dessous !

— Et ce quelqu’un, ajouta Claude, c’est certainement un de nos visiteurs de cette nuit. Ils sont venus dans l’étable pendant que nous étions dans la maison. Et c’est pourquoi Dagobert ne cessait d’aboyer.

— Mais que venaient-ils chercher ici ? questionna Annie.

— Ce n’est pas difficile à savoir ! rétorqua gaiement François. Il n’y a qu’à soulever cette dalle… Au travail, les enfants ! La clef du mystère repose dessous ! »

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