CHAPITRE XVI
Le passage secret
L’EFFERVESCENCE était telle que les enfants, se jetant les uns dans les autres, s’empêchaient mutuellement de travailler.
François dut intervenir une fois encore : « Soyez raisonnables ! s’écria-t-il. Nous ne pouvons pas travailler à cinq pour élargir ce trou. Deux suffisent largement. Hubert, me prêtes-tu tes outils ?
— Oui, si tu me laisses travailler avec toi », riposta ce dernier. Était-ce l’espoir de découvrir le secret des malfaiteurs qui lui donnait cette énergie nouvelle ? Était-ce sa passion d’archéologue qui s’éveillait à la vue de ce trou plein de mystère ? Il aurait été difficile de le dire, mais ses larmes ne coulaient plus, et il semblait même avoir oublié la disparition de son frère.
Le pic en main, il s’acharna sur les grosses racines qui bouchaient l’entrée, et en quelques minutes celle-ci fut dégagée.
Michel et Claude, pendant ce temps, étaient partis chercher les lampes laissées dans les paquetages. Il y en avait en surnombre, si bien que Hubert en eut une aussi.
« J’entre le premier ! décréta François. Attendez que je vous appelle pour venir ! »
Il se glissa dans l’excavation et, tout d’abord, dut se faufiler à quatre pattes dans un étroit passage. Mais bientôt le tunnel s’élargit, prit de la hauteur. François put alors se déplacer normalement tout en restant plié en deux. Le tunnel à cet endroit mesurait environ un mètre de hauteur.
Il fit quelques mètres et s’arrêta. Le rayon de sa lampe lui montra que la galerie se prolongeait plus loin sous terre, alors il cria :
« Vous pouvez venir ! Mais tenez-vous les uns aux autres et n’oubliez pas vos lampes. Il fait noir comme dans un four. »
Claude s’élança la première, Annie la suivit, puis Mick, puis Hubert fermant la marche. Dagobert s’était faufilé derrière Claude, naturellement, et la poussait, comme s’il était besoin de l’inciter à aller plus vite.
Une indicible surexcitation les animait tous, et aucun d’eux ne pouvait ni se taire ni parler d’une voix normale. Ce n’était que cris perçants et éclats de rire nerveux.
« Tu veux que je te tire ?
— Oh ! qu’il fait noir !
— Dago, ne pousse pas comme ça !
— Je me fais l’effet d’être un renard qui rentre dans son terrier !
— Ah ! enfin ! je peux me relever !
— Oh ! là ! là ! c’est vaste ici !
— Il devait être d’une belle taille, le lapin qui a creusé ce terrier !
— Ne pousse donc pas, Dago !
— Ce n’est pas un lapin, c’est l’eau qui l’a creusé !
— Accroche-toi à ma ceinture, Hubert, ne reste pas derrière ! »
Il dut se faufiler à quatre pattes
Et tous ces cris, toutes ces interjections se croisaient et se confondaient, répercutés par l’écho.
François, plus ou moins courbé selon la hauteur de la voûte, continuait à avancer. La galerie se prolongeait, presque rectiligne, descendant en pente douce et continue. Après un tournant, elle s’élargit encore et il devint possible de se tenir debout.
« Est-ce vraiment le passage que nous cherchons ? demanda Claudine. Il semble ne conduire nulle part.
— Nous ne savons pas ce que nous cherchons ! dit François. Je m’attendais comme toi à trouver plutôt une cachette qu’un passage, mais nous ne saurons si nous sommes sur la bonne piste que lorsque nous trouverons un objet caché, quel qu’il soit. »
La marche en avant se poursuivit, coupée d’incidents divers. De façon bien inattendue des lapins fréquentaient ce lieu, et le bruit de leur fuite sema la perturbation dans le petit groupe, jusqu’au moment où le rayon d’une lampe électrique fit briller, au ras du sol, des paires d’yeux terrorisés.
« Ils ont eu encore plus peur que nous, dit François en riant. Leurs terriers doivent aboutir dans ce souterrain. »
Puis ce fut un bruit d’eau qui surprit tout le monde. Une rivière souterraine – plus filet d’eau que rivière –passait là, traversant le tunnel soudain élargi en une sorte de salle ronde, assez vaste.
Les enfants se tassèrent sur la rive. L’eau sombre gargouillait à leurs pieds au fond d’un lit qu’elle se creusait depuis des siècles, et allait ensuite se perdre mystérieusement, sur la gauche, dans un trou noir.
« Curieux ! » fit Michel ; mais Hubert intervint.
« Oh ! non ! assura-t-il, c’est assez fréquent dans la région. Il y a tout un réseau d’eaux souterraines par ici. Les unes jaillissent en source et les autres aboutissent à des rivières. Il y en a aussi qui vont se jeter directement dans la mer ou se perdre on ne sait où.
— En tout cas, fit remarquer François, le souterrain, lui, semble bien se perdre ici ! »
Des exclamations variées saluèrent cette réflexion que personne ne s’était encore faite.
« Alors, c’est ici qu’il faut chercher la chose ? demanda Annie perplexe.
— Peut-être ! Mais on peut aussi chercher un passage. »
Les cinq enfants se séparèrent, chacun fouillant de son côté. La lueur des lampes faisait briller sur les voûtes immobiles des plaques humides.
Soudain la voix de Michel s’éleva, vibrante : « Ici, criait-il. Ici, il y a une sortie ! »
Et au même moment la voix d’Annie jaillit de l’autre bout de la salle : « Il y en a une par ici aussi !
— Ça se complique ! s’écria Claude en riant. Laquelle faut-il prendre ?
— S’il y a deux chemins possibles, riposta François, il est probable que l’individu – comment s’appelle-t-il ? Paul – a laissé des indications sur la route à suivre. Sinon, comment aurait-il pu espérer que d’autres retrouvent la chose ?
— Exact ! » approuvèrent des voix émanant des deux extrémités de la grotte.
Quelques secondes s’écoulèrent puis, de nouveau, la voix de Michel retentit.
« C’est le mien qui est le bon ! il y a une flèche blanche tracée à la craie sur la paroi.
— Bravo ! s’exclama François en se rapprochant. Cette flèche est doublement précieuse. D’abord elle nous indique la route à suivre. Ensuite et surtout, elle nous prouve que nous sommes sur une véritable piste qui doit conduire à quelque chose. »
La file se reforma et repartit, plus ardente que jamais.
Le nouveau boyau était large et facile à suivre. Les glouglous de la petite rivière ne furent bientôt plus perceptibles.
« Quelqu’un a-t-il une idée de la direction que nous suivons ? » questionna François, toujours en tête.
Hubert sortit de sa poche la boussole qu’il avait déjà consultée plusieurs fois.
« Plein sud, dit-il. Je crois que nous nous dirigeons vers le camp romain. Et cela n’a rien d’étonnant. Papa nous a montré, à Guy et à moi, une reconstitution du camp tel qu’il devait être autrefois. Plusieurs souterrains y étaient sommairement indiqués. Mais il nous avait défendu de nous y aventurer, à cause du danger des éboulements… »
Claude admira le garçon qui avait pu résister à l’envie d’explorer un souterrain, mais un nouvel incident de route vint détourner ses pensées. Le passage bifurquait en deux tronçons. L’un très large, l’autre très étroit. François sans hésiter s’était engagé dans le plus large et il venait de s’arrêter, stoppé par une paroi de roche, sans aucune faille.
« Demi-tour ! cria-t-il. Nous nous sommes trompés. Il fallait prendre l’autre passage. »
Ce demi-tour donna à Dagobert l’idée qu’il pourrait bien, lui aussi, mener la file, et il bouscula tous les explorateurs l’un après l’autre, au risque de les faire tomber.
Hubert, dernier devenu premier, rejoignit en même temps que lui la bifurcation et éclaira la paroi du passage le plus étroit : une flèche blanche y apparut très distincte.
« Sommes-nous bêtes ! s’écria Michel. Si nous ne regardons même pas les poteaux indicateurs, comment arriverons-nous au but ? Passe devant, François, et sois plus attentif. »
François s’engagea dans ce nouveau tunnel. Il était vraiment très étroit, et on ne pouvait y avancer sans se cogner les coudes et les chevilles. Il y eut des « Ah ! » et des « Oh ! » de détresse, mais la file continua sa progression.
Tout à coup, nouvel arrêt.
« Encore une impasse ! s’écria François.
— Ce n’est pas possible ! riposta Michel, regarde bien !
— Il doit y avoir une flèche quelque part ! ajouta Hubert. Cherche ! »
Il y eut quelques instants de silence, puis François leva la tête et poussa un cri : « La suite du passage doit se trouver à l’étage au-dessus. Je vois une flèche. Elle est tout là-haut, en direction d’une ouverture. »
Claude, qui était derrière lui, le repoussa impatiemment.
« Il doit y avoir un moyen d’y accéder, dit-elle. Tiens, regarde ! là ! Il y a comme des marches creusées dans le mur. Et elles montent jusqu’au trou !
— Tu as raison ! On doit pouvoir se hisser par là ! Et puisque c’est toi qui as découvert le chemin, passe la première. Je t’aiderai ! »
Claude était enchantée de cette permission. La poignée de sa lampe entre les dents, elle s’agrippa des mains et des pieds, et commença l’escalade.
L’aide que lui apportait François en la poussant était appréciable ; en fort peu de temps la fillette se retrouva rampant sur le sol d’une petite plate-forme à deux mètres au-dessus de ses compagnons.
Elle éclaira rapidement les lieux et cria :
« Venez ! Il y a quelque chose de noir sur un rebord là-haut, ça doit être ce que nous cherchons. Venez vite ! »
L’un après l’autre, tous se hissèrent aussi vite qu’ils purent au long des marches et se retrouvèrent, pleins de joie et couverts de poussière, dans une sorte de petite grotte.
Dago lui-même avait été poussé et tiré le long de la paroi, et ce fut lui qui donna le plus de mal à se hisser. Ses pattes dérapaient en tous sens. Hubert, malgré son genou blessé, s’était montré très habile à ce sport, qu’il avait maintes fois pratiqué avec son père et son frère.
Quand ils furent tous en haut, Claude dirigea le rayon de sa lampe sur la chose noire qu’elle avait remarquée au fond d’une anfractuosité.
Une grande flèche blanche avait été tracée au-dessus pour attirer l’attention de ce côté. La fillette n’eut qu’à enfoncer son bras et triomphalement elle ramena l’objet : un vieux sac de cuir.
« J’espère qu’il y a quelque chose dedans ! s’écria-t-elle. Il paraît bien léger.
— Ouvre ! Ouvre vite ! » hurlaient les autres.
Mais Claudine ne pouvait ouvrir le sac.
Il était fermé à clef, et il n’y avait pas de clef.