CHAPITRE VIII
Le Club des Cinq, enfin réuni
L’ARRIVÉE des garçons déclencha une telle effervescence que, tout d’abord, personne ne parvenait à se faire entendre.
Dago aboyait et rien ne pouvait l’arrêter, Claude hurlait, François et Michel riaient, Annie leur sautait au cou, fière de retrouver des frères si bien bronzés et de si belle allure.
« Quelle chance de vous revoir ! criait Claude, incapable de maîtriser son allégresse. Nous n’espérions vraiment pas vous revoir avant plusieurs jours !
— La cuisine espagnole en est la cause, affirma Mick, avec une grimace comique. Elle n’a pas du tout réussi à François… Et puis il faisait vraiment trop chaud !
— Je crois aussi que nous pensions beaucoup trop à Kernach, aux Mouettes, à la lande, à la plage, à Dagobert. Peut-être même à deux filles qui devaient trouver le temps long, ajouta François en donnant une bourrade amicale à Claude. Nous avons plié bagage plus tôt que prévu.
— Et quand êtes-vous arrivés ?
— Hier soir ! Nous avons passé la nuit à la maison avec papa et maman, et, ce matin, nous avons pris le premier train pour Kernach et couru jusqu’aux Mouettes pour apprendre que vous n’y étiez pas !
— Heureusement, poursuivit Mick, tante Cécile avait une notion de l’endroit où nous avions des chances de vous retrouver. Nous avons aussitôt ramassé notre matériel, et nous voici… Oh ! Claude très chère, ne crois-tu pas que tu pourrais faire taire ton chien ? J’ai peur de devenir sourd.
— Silence, Dago ! ordonna Claude. Laisse les autres aboyer un peu. As-tu vu sa collerette, François ?
— Elle est difficile à ne pas voir ! s’exclama François. Oncle Henri nous en avait parlé ; j’avais cru qu’il exagérait, mais je me trompais ! Mon pauvre Dago ! Tu es encore plus grotesque qu’on ne le dit ! »
Michel, de son côté, regardait le chien d’un air soucieux, et, du ton d’un praticien qui énonce son diagnostic, il déclara gravement : « Pauvre bête ! il a une tête à faire rire les chats ! »
Annie jeta un coup d’œil sur sa cousine. Dans quel état allait-elle se mettre en entendant François et Michel se moquer si impitoyablement du pauvre Dagobert ? Mais, loin de se fâcher, Claude se contenta de sourire, d’un sourire tout juste un peu forcé. « C’est vrai qu’il a l’air ridicule, dit-elle, mais, lui, ça ne le gêne pas ! »
Heureuse de constater ces dispositions pacifiques, Annie entra dans la voie des révélations. « Vous savez, commença-t-elle, que nous sommes venues camper ici parce que Claude… »
Elle n’alla pas plus loin. Un regard suppliant de sa cousine venait de la réduire au silence.
Si Claude avait accepté les plaisanteries des arrivants, c’est parce qu’elle tenait à leur estime plus qu’à toute autre chose au monde. Elle se vantait d’être elle-même capable de se conduire comme un garçon, et un brusque pressentiment l’avertissait que ses cousins la traiteraient de « fille » s’ils apprenaient tous les chichis qu’elle avait fait au sujet de l’oreille de son chien.
François parut ne rien comprendre de ce petit drame. Il admirait le lieu de camp et remarqua soudain : « On dirait que vous vous prépariez à partir…, que se passe-t-il ?
— Oui, nous allions partir, fit Claudine. Nous nous sentions un peu isolées et Annie… »
Ce fut au tour d’Annie de lancer à sa cousine un regard suppliant. « Je ne t’ai pas trahie, disait ce regard. Ne me trahis pas non plus. Ne dis pas que j’ai eu peur. »
« Euh ! reprit Claude, Annie et moi avons remarqué des choses bizarres. Nous ne nous sentions pas de taille à les affronter toutes seules. Mais puisque vous êtes là, la question ne se pose plus !
— Quelles choses bizarres ? questionna Mick.
— Eh bien, voilà : cela a commencé…
— Oh ! fit François, s’il y a une histoire à raconter, ne vaudrait-il pas mieux la savourer en même temps que le déjeuner ? Nous n’avons rien mangé depuis six heures du matin, Mick et moi.
— Cela paraît invraisemblable, mais c’est l’exacte vérité », affirma Michel en s’empressant de déficeler les colis attachés à sa bicyclette. « Et j’ai si faim que je me sens capable de manger sans l’aide de personne toutes les provisions que j’apporte.
— Oh ! tu en as apporté ! Quelle bonne idée ! s’écria Claude. Nous n’avions plus grand-chose.
— C’est ta mère qu’il faut féliciter, pas moi ! riposta Michel en exhibant un jambon de belle taille. Elle a été si heureuse à l’idée d’être débarrassée de nous qu’elle s’est surpassée ! Avec ce jambon, elle est sûre de ne pas nous revoir d’ici longtemps ! Ah ! non, Dagobert ! ce n’est pas pour toi ! Grrrr ! »
Claude se sentait si réconfortée par la présence de ses cousins qu’elle aurait voulu chanter à tue-tête. Annie, moins exubérante, ne pouvait tenir fermée sa bouche qui souriait malgré elle.
Le soleil reparu avait complètement séché la lande, et il ne fallut guère de temps aux cinq membres du Club pour se retrouver assis en rond sur la bruyère autour d’un alléchant repas.
« Si nous ne voulons pas que Dago mange tout le jambon, il faut le servir en premier, dit Michel.
— Où est la viande que nous avons apportée pour lui ?
— Ici, riposta son frère. Hum ! Elle sent fort. Tu serais bien gentil, mon cher Dago, d’aller la déguster dans un coin retiré… »
Et immédiatement Dago s’assit tout contre François. « Ne fais pas exprès de désobéir ! lui dit François en le repoussant doucement.
— Mais non ! il ne désobéit pas, s’écria Claude, pouffant de rire. Il ne sait pas ce que veut dire « déguster » et « coin retiré », voilà tout ! Dago, va-t’en ! »
Ce vocabulaire-là, Dagobert le comprenait fort bien. Il s’éloigna, emportant son morceau de viande, et les autres convives purent entamer le jambon.
« Oh ! s’écria Annie, à la troisième bouchée, ce jour ressemble bien peu à cette nuit…
— Tu parles comme La Palisse en personne », dit Mick en ricanant, la bouche pleine, tandis que François, plus compréhensif, se tournait vers sa petite sœur en lui disant :
« Eh bien, vas-y ! c’est le moment de nous raconter ton histoire ! »
L’histoire dura longtemps comme on peut s’en douter, mais avant la fin du repas les garçons avaient compris tout ce qu’il y avait à comprendre dans l’aventure des deux cousines.
« Fort intéressant, conclut Michel en crachant un noyau de prune. Une chaumière en ruine, un chien borgne, un garçon fou, des promeneurs nocturnes, des vestiges romains et des visages derrière les fenêtres en pleine nuit d’orage… Voilà de quoi nous distraire un moment si nous voulons tirer au clair tout cet imbroglio.
— Ce qui m’étonne, c’est que vous n’ayez pas plié bagage plus tôt, toutes les deux ! remarqua François. Je ne vous aurais jamais crues capables d’être aussi braves en notre absence ! »
Claude lança un coup d’œil en coin à sa cousine, qui rougit très fort. « Claude ne voulait pas partir, dit celle-ci. Pour moi, je ne serais pas restée une nuit de plus si vous n’étiez pas arrivés.
— Arrivés, oui, nous le sommes ! Mais dans les conditions que vous nous décrivez, il n’est pas certain que nous allons rester. Qu’en penses-tu, Michel ? Avons-nous peur ou n’avons-nous pas peur ? »
Tout le monde se mit à rire.
« Eh bien, si vous partez, dit Annie, je resterai seule. Pour vous faire honte !
— Brave vieille Annie ! fit Mick. Nous resterons ensemble, bien sûr ! Tout cela n’est peut-être rien, mais peut aussi bien être quelque chose. Quoi qu’il en soit, nous ne partirons pas sans savoir.
— La première chose à faire, c’est d’aller regarder de près les fouilles romaines ! déclara François.
— Non, dit Claude. C’est la seconde. Il faut d’abord ranger les provisions !
— Oh ! alors, si tu le prends comme ça, c’est la troisième. La première, c’est de remettre en place tout ce que tu as déjà chargé sur ta bicyclette. Pendant ce temps, Michel et moi, nous déballerons aussi nos affaires !
— Et où les mettrons-nous ? demanda Michel. Nous n’avons pas de tente.
— Il ne me paraît pas prudent de laisser le jambon sous celle de Claude ! remarqua François. Elle n’est pas étanche, et, de plus, il y a un fou en liberté et un chien borgne dans les parages !
— Oh ! on ne peut pas davantage le laisser en plein soleil, au milieu des ajoncs ! se récria Annie.
— Et si nous installions nos pénates dans la chaumière en ruine ? suggéra François.
— Cela vaudrait mieux que d’avoir tout à transporter en pleine nuit sous la pluie, affirma Claudine.
— Pas d’opposition ? Alors en route. Nous élisons domicile dans la chaumière hantée ! Ce que ça va être drôle ! »
Il fallut une petite heure pour s’installer convenablement dans les ruines ; mais on parvint à un résultat satisfaisant.
Claude déposa les vivres sur les planches subsistantes en haut d’un placard défoncé, où certainement Radar n’irait pas les chercher. Elle se méfiait de lui, malgré ses allures amicales et son œil unique.
Quand tout fut en place, François s’écria :
« Et maintenant, Club des Cinq, en avant ! Sus aux fouilles du fou ! »