CHAPITRE XII
 
Une bonne cachette

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LA JOURNÉE se passa agréablement en jeux et en promenades, puis, vers cinq heures du soir, il fut décidé qu’il était temps de passer à l’exécution du plan prévu et de simuler le départ. « J’ai idée que quelqu’un nous observe, dit Michel. Quel plaisir nous allons lui faire en levant le camp !

— Comment nous observerait-on ? » questionna Annie, jetant un coup d’œil soupçonneux autour d’elle comme si elle s’attendait à voir un espion derrière chaque buisson. « Ce n’est pas possible. S’il y avait quelqu’un, Dago nous le dirait !

— Le quelqu’un en question peut être assez loin pour que Dago ne puisse sentir sa présence.

— Comment nous verrait-il, alors ?

— Annie, commença Michel sur un ton doctoral, je ne sais pas si tu as jamais entendu parler d’un instrument d’optique, communément appelé « jumelles », lequel permet… »

Une bourrade vint interrompre son discours. Annie, rougissant de son manque de perspicacité, le faisait taire et lui disait en même temps :

« C’est bon, je connais ! Pour une fois, tu as raison.

— Je peux même, continua Mick, t’indiquer le point exact où se trouve en ce moment notre observateur. J’ai remarqué à différentes reprises des éclats de lumière – du genre de ceux que produit le soleil en se réfléchissant sur un morceau de verre – au sommet de la colline que tu vois là. Le curieux doit être installé là-haut et fort occupé à nous surveiller. »

Annie se tourna pour regarder le point indiqué, mais François l’arrêta dans son élan.

« Non ! dit-il brièvement. Ne regarde pas par là ! Ni toi ni personne ! Notre observateur n’a pas besoin de savoir que nous savons où il est ! »

Les préparatifs de départ se poursuivirent bon train. Claude reçut l’ordre de charger sa tente sur sa bicyclette en se tenant bien en vue dans un endroit dégagé, afin que tous ses gestes fussent bien visibles. François ficelait très ostensiblement le matériel de cuisine, Annie pliait les imperméables et Michel regonflait ses pneus, lorsque tout à coup Dago aboya.

« Quelqu’un vient ! » souffla Annie.

Toutes les têtes se tournèrent dans la direction qu’indiquaient les aboiements. Chacun s’attendait à voir paraître quelque individu à mine menaçante, mais celle qui parut n’était qu’une paysanne marchant rapidement, un panier au bras.

Un grand châle couvrait sa tête et ses cheveux soigneusement tirés ; son visage n’était ni poudré ni fardé, et ses yeux n’étaient guère dissimulés par ses lunettes à peine teintées. En apercevant les enfants, elle s’arrêta. « Bonsoir, fit poliment François.

— Bonsoir, répondit la femme. Vous venez camper ici ? Vous avez choisi le beau temps.

— Non, répondit François. Nous partons, au contraire ! Nous avions logé dans cette chaumière, mais nous préférons ne pas y rester… Elle est très vieille, n’est-ce pas ?

— Oui ! et elle a assez mauvaise réputation.

— Cela ne m’étonne pas ! Il s’y passe des choses étranges la nuit…

— On la dit hantée… Pour ma part, je n’oserais pas y venir de nuit, fit la femme en frissonnant. Ah ! non, alors !

— On nous l’aurait dit, continua François, que nous n’aurions pas voulu le croire. Maintenant, nous sommes renseignés…, et nous allons ailleurs.

— Vous avez raison ! Et de quel côté comptez-vous vous installer ?

— Nous habitons à Kernach, répondit François, éludant la question.

— Un coin charmant, fit la femme en reprenant sa route. Bonsoir, les enfants, et ne vous attardez pas ici une fois le soleil couché ! »

Un instant plus tard, elle était hors de portée de la voix.

« Reprenez vos occupations, ordonna Mick. L’espion est encore là-haut à nous regarder. »

Claude boucla une dernière courroie sur sa bicyclette et dit à François :

« Pourquoi as-tu raconté tout ça à cette femme ? D’habitude tu n’es pas aussi bavard quand nous sommes en pleine aventure.

— Oh ! Claude, riposta François, es-tu innocente au point d’avoir pris cette femme pour ce qu’elle se donnait l’air d’être ? Elle n’est pas plus fermière que moi, et encore moins originaire du pays.

— Tu crois ? questionna Annie. Elle paraissait bien connaître la chaumière, pourtant !

— Trop bien ! » assura François, tandis que Michel ajoutait :

« Elle avait les cheveux teints, deux dents en or, et ses mains… Vous n’avez pas remarqué ses mains ! Celles d’une vraie fermière sont brunes, tannées et ridées, alors que les siennes étaient blanches, douces et lisses comme celles d’une princesse.

— Je l’ai bien vu, dit Annie, et j’ai remarqué aussi qu’elle avait par moments un accent paysan et, à d’autres, pas du tout.

— Justement, dit François, tous ces indices prouvent que sa petite visite n’était qu’une comédie. Cette femme a partie liée avec la bande qui cherche à nous déloger d’ici. Elle n’est venue que pour s’assurer que nous partions vraiment. Et si elle a cru nous induire en erreur avec son déguisement, c’est bien la preuve que ces gens nous croient plus bêtes que nous ne sommes !

— Nous leur prouverons le contraire ! s’exclama Michel, plein de feu. Ils reviendront cette nuit, ici. Ils retourneront autant de pierres qu’ils voudront et, toi et moi, nous prendrons du bon temps à les regarder faire !

— Mais vous serez prudents, implora Annie. Où vous cacherez-vous ?

— Nous ne le savons pas encore, dit François. Mais nous trouverons une bonne cachette ! L’important, maintenant, c’est de partir très ostensiblement.

— Partons ! s’écria Claude. Laissons-les croire que nous avons peur… Mais moi, je n’ai pas peur du tout ! Et je reviendrai avec vous. Annie pourra très bien rester avec Dago. Elle ne risquera rien !

— Non ! dit François. Ce n’est pas possible. Tu resteras avec Annie et Dagobert. Moins nous serons nombreux, mieux cela vaudra. »

Claude, mécontente, fronça les sourcils et prit son air boudeur. François éclata de rire.

« Quelle jolie grimace ! s’écria-t-il. Une des plus réussies que je te connaisse ! Tu ne la fais pas souvent, mais elle te va bien. Tâche de l’accentuer encore un peu, ce sera parfait ! »

Cette plaisanterie arracha à Claude un sourire involontaire. Puis elle s’efforça de faire contre mauvaise fortune bon cœur. François avait raison. Il valait mieux être peu nombreux cette nuit ! Mais il était dur d’être écartée au moment même où l’aventure promettait de devenir palpitante.

« Où allons-nous nous installer ? demanda-t-elle, en s’efforçant de cacher sa déception.

— Pas trop loin, répondit François conciliant.

— Assez loin pourtant, objecta Michel, pour que l’espion de la colline ne puisse pas voir où nous nous arrêterons !

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— Je crois que l’espion a quitté son poste, remarqua Annie. Il y a un moment que je ne vois plus d’éclats de lumière là-haut. Notre fausse fermière a dû le rassurer en lui affirmant que nous étions décidés à partir.

— Je connais un endroit ! s’écria soudain Claude. De l’autre côté de la source, à deux ou trois cents mètres plus loin, il y a près du chemin une énorme touffe d’ajoncs. Je l’ai regardée de près. Elle forme comme une voûte au-dessus d’un creux de terrain où l’on pourrait très bien se cacher.

— Allons voir, dit François. Si ce n’est pas trop piquant, ça doit pouvoir faire l’affaire. »

Claudine, un peu rassérénée, prit la tête de la petite troupe. Dagobert venait le dernier, sa collerette de carton, sale et déchirée, lui donnant un air plus comique que jamais.

On marcha quelque temps, puis Claudine s’arrêta.

« Nous ne devons plus être très loin, dit-elle. Je me souviens que j’entendais encore le bruit de la source quand j’ai découvert l’endroit. Ah ! voilà ! »

C’était en effet une énorme touffe d’ajoncs, verte et hérissée d’épines, portant encore quelques fleurs jaunes au bout des branches. Le tronc principal fortement incliné couvrait une dépression du sol assez profonde pour abriter deux ou trois personnes.

François, s’enveloppant la main dans un morceau de papier d’emballage pour la protéger, souleva les branches et inspecta l’intérieur de cette cachette. L’examen lui parut satisfaisant. Le fond était sec, tapissé de brindilles comme un nid.

« Vous serez très bien là-dedans, dit-il, s’adressant aux filles, et il y aura même assez de place pour loger Dagobert.

— Pas avec sa collerette ! gémit Claude. Elle va se prendre dans toutes les branches.

— Eh bien, enlève-la-lui ! dit François. La coupure est bien cicatrisée maintenant, et même s’il la gratte, il n’y fera pas grand mal. »

Claude vérifia une fois de plus l’état de la blessure, et admit que son cousin avait raison.

« Bien, dit-elle, je l’enlève ! » Et elle se mit en devoir de couper les fils retenant ensemble les deux extrémités du col de carton.

« Pauvre Dago ! murmura ironiquement Michel. Nous n’allons plus te reconnaître sans collerette ! »

Le chien, lui, avait l’air immensément surpris. Quand Claude eut libéré son cou et jeté au loin le carcan de carton, il balança doucement la queue, comme pour la remercier, mais en même temps ses grands yeux interrogateurs se posaient sur elle, semblant dire :

« Alors quoi ? Tu me l’avais mis et tu me le retires ? Je ne comprends pas ce que tu veux, mais je te laisse faire… »

« Oh ! Dago ! s’écria Annie, tu as l’air tout nu maintenant. Mais je t’aime mieux comme ça ! Tu sais, mon vieux Dago, nous n’aurons que toi pour nous défendre cette nuit ! Tu veilleras bien sur nous, dis !

— Ouah ! » fit Dago, agitant énergiquement la queue, et ce « ouah » là voulait dire : « Je sais qu’il y a du danger et tu peux compter sur moi ! »