CHAPITRE XIX
Retour à la Villa des Mouettes
CE QUE faisait François était très simple : il était allé au bord du trou par lequel avaient disparu les mystérieux ennemis, et là, accroupi contre le rocher où avait été fixée la corde, il la dénouait. Un instant plus tard, il se redressait, tirait la corde à lui et l’enroulait autour de sa taille.
Un sourire ironique et satisfait flottait sur ses lèvres.
« Je regrette de ne pas voir la tête qu’ils feront quand ils voudront ressortir et ne trouveront pas la corde », pensait-il en même temps. Puis il s’en fut en courant rejoindre le groupe arrêté pour l’attendre.
« Que faisais-tu ? lui demanda Claude, déjà presque inquiète.
— Je souhaitais bon voyage à nos amis, dit François en riant. Ils en ont besoin, car trois bien mauvaises surprises les attendent au cours de leur excursion.
— Lesquelles ?
— Eh bien, la première sera de ne pas retrouver Guy ; la seconde, quand ils auront bien peiné pour passer sous les éboulis, de ne pas retrouver le sac dans sa cachette…
— Et la troisième ?
— D’être obligés de rester dans le trou jusqu’à ce qu’on vienne les en tirer…, faute de corde pour en sortir ! »
Claude admira son cousin. Elle n’avait pas pensé à cette suprême astuce, et c’était pourtant un moyen aussi simple qu’efficace de capturer les coupables.
On mit assez longtemps à rejoindre la fameuse touffe d’ajoncs où se trouvait encore tout le matériel des campeurs. Guy n’avançait qu’à grand-peine, sautillant sur un pied, et prenant appui d’un côté sur son frère, de l’autre sur Michel.
Mais en apercevant sa bicyclette, Claude eut une idée. Elle la prêta au blessé qui, pédalant avec un seul pied, parvint malgré les touffes de bruyères à maintenir son équilibre. Ce fut lui désormais qui tint la tête de la file. Une autre bicyclette fut prêtée à Hubert et la troisième servit au transport du matériel.
« Nous rentrons aux Mouettes directement, décida François, et nous demanderons à tante Cécile d’appeler les gendarmes par téléphone. Je veux que le sac soit ouvert devant nous…
— J’espère qu’il ne sera pas vide ! soupira Annie. Il est vraiment d’une légèreté inquiétante.
— Il faut attendre pour savoir, riposta philosophiquement François tout en balançant le sac à bout de bras. J’ai grand-peur que ce Paul n’ait joué un double jeu…
— Comment cela ?
— S’il voulait se débarrasser de ses complices, il ne s’y serait pas pris autrement. Leur remettre un plan difficile à interpréter, simuler la folie et les lancer sur la piste d’un sac vide, cela lui donnait tout le temps de partir où il lui plaisait en emportant les vrais documents ! »
Annie, qui n’était pas assez rouée pour imaginer pareilles manigances, prit un air navré.
« Mais alors ! s’écria-t-elle, tout ce que nous avons fait ne servira à rien !
— Si les gendarmes arrivent à capturer les complices, ce sera déjà quelque chose ! riposta François, et si ceux-ci s’aperçoivent que Paul les a trompés, ils le vendront peut-être. Qui sait ? Attendons, nous serons bientôt renseignés ! Comment ça va, Guy ?
— Parfaitement bien, merci ! »
Le jeune archéologue pédalait d’autant plus facilement qu’on avait à présent retrouvé un chemin assez praticable. Il lui fallait même s’arrêter assez souvent pour attendre les autres. Son frère le suivait à la même cadence, sans jamais le quitter des yeux.
« Comment ont-ils pu se fâcher aussi complètement, alors qu’ils s’aiment tant ? » se demandait Annie. Puis elle aperçut la petite maison des Le Meur.
« Est-ce que nous nous arrêtons pour les remercier de leur hospitalité ? demanda-t-elle avec un sourire malicieux.
— Tu es folle ! Nous n’avons pas le temps aujourd’hui, fit François. Nous reviendrons un autre jour… »
La chaumière des Le Meur fut donc dépassée, puis, bientôt, les premières maisons de Kernach apparurent. Les pas se firent encore plus rapides. Dago bondissait de joie, comme s’il était vraiment heureux de rentrer chez lui.
« Nous arriverons trop tard pour le déjeuner, remarqua Michel. J’espère quand même qu’il restera quelque chose à manger, je meurs de faim !
— C’est vrai qu’il est déjà une heure et demie ! Tant pis ! nous dévaliserons le garde-manger de Maria ! Elle grognera tant qu’elle pourra et nous dira qu’on n’a pas idée de rentrer déjeuner sans prévenir, mais elle sera trop heureuse de nous prouver qu’elle ne se laisse jamais prendre au dépourvu. »
La grille des Mouettes apparut enfin. Elle était grande ouverte. Enfants, chiens et bicyclettes se précipitèrent entre ses battants, qui leur parurent plus accueillants que jamais.
« Maman ! hurlait Claude en grimpant le perron de la maison. Maman ! Nous sommes revenus ! »
Rien ne lui répondit.
Toute la bande s’élança dans le vestibule, Dago en tête, et Claude hurla encore plus fort : « Maman ! Nous sommes revenus ! »
La porte du bureau s’ouvrit brusquement et M. Dorsel parut, les sourcils froncés, l’air en colère.
« Claude ! Combien de fois t’ai-je dit de ne pas faire tant de bruit quand je… »
Mais sa phrase resta en suspens quand il découvrit la bande d’enfants qui se pressaient sur le seuil.
« Qu’est-ce que tout ce monde ? demanda-t-il.
— Oh ! papa ! s’écria Claude. Tu ne vas pas me dire que tu ne reconnais pas François, Michel et Annie ?
— Bien sûr que je les reconnais ! mais je n’ai jamais vu ces deux-là, qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau.
— Oh ! ne dis pas ça, oncle Henri ! s’écria Annie. On les reconnaît très bien maintenant : l’un a un pansement à la cheville, l’autre au genou. »
M. Dorsel ne parut pas apprécier la plaisanterie. « D’où viennent-ils ? demanda-t-il.
— Oh ! papa, commença Claude, c’est tout une histoire et…
— Alors je n’ai pas le temps de l’écouter ! trancha M. Dorsel. Allez jouer dans le jardin et ne faites pas de bruit…, si toutefois cela vous est possible !
— Mais, papa ! nous n’avons pas le temps de jouer ! Il faut que nous téléphonions à la gendarmerie pour faire arrêter des bandits, que nous appelions un médecin pour soigner le pied de Guy, que nous déjeunions parce que nous mourons de faim, que…
— Assez ! Assez ! » suppliait M. Dorsel, cherchant vainement à freiner la volubilité de sa fille. Mais celle-ci était moins que jamais en état de se taire.
« Oh ! papa ! s’écria-t-elle encore, regarde ! L’oreille de Dago est complètement guérie ! »
François pressentit que le moment était venu d’intervenir, s’il voulait éviter que Claude se fasse sévèrement gronder par son père.
« Nous ne voulions pas te déranger, oncle Henri, dit-il. Sais-tu où est tante Cécile ?
— Au fond du jardin. Elle cueille des framboises ou bien des prunes, je ne sais pas. Allez la rejoindre et par pitié laissez-moi tranquille ! » Puis, de nouveau, il laissa sa phrase en suspens et ses regards demeurèrent attachés à la queue mince et frétillante de Radar.
« Quoi ! s’écria-t-il, il y a un second chien maintenant, je…
— Nous partons, oncle Henri ! » reprit François en repoussant précipitamment le groupe vers la sortie.
On entendit la porte du bureau de M. Dorsel se refermer en claquant violemment, et Claude s’élança au-dehors en criant :
« Maman ! Maman ! où es-tu ? »
Mme Dorsel fut très surprise de voir les enfants déjà de retour, et plus surprise encore de constater qu’en trois jours il leur était arrivé tant de choses.
Mais elle ne s’attarda ni à écouter l’histoire de Paul et de ses complices, ni à s’étonner de la présence des jumeaux : elle ne vit que la cheville enflée de Guy et s’écria :
« Mais, mon pauvre garçon, il ne faut pas rester debout avec le pied dans cet état. Viens t’allonger, je vais t’arranger ce pansement qui ne tient pas. » En la voyant si occupée, François prit le parti d’appeler lui-même les gendarmes. On l’entendit émettre quelques phrases d’une voix ferme et claire – presque une voix d’adulte – puis il raccrocha, et un sourire sur les lèvres, vint annoncer :
« Le brigadier a dit qu’il allait venir lui-même, tout de suite.
— Tu serais gentil, lui dit Mme Dorsel, d’appeler aussi le médecin. C’est le 28, demande-lui de passer dès qu’il le pourra.
— Maman, tu ne t’intéresses vraiment pas beaucoup à nos aventures ! remarqua Claude un peu dépitée.
— Mais si, ma chérie, mais il t’en arrive tellement… ! »
Personne n’avait encore eu le temps de s’expliquer qu’un coup violent était frappé à la porte d’entrée. M. Dorsel sortit précipitamment de son bureau.
« Qu’est-ce encore que ce tapage ? » cria-t-il. Puis il reconnut le brigadier, et ses traits se détendirent. « Excusez-moi, dit-il, je croyais que c’étaient les enfants ! Il n’y a pas moyen d’avoir un instant de tranquillité quand ils sont là. Entrez donc, je vous prie. »
François avait chargé son frère d’appeler le docteur. Il tenait à présenter lui-même le fameux sac de cuir noir au représentant de la loi, et les autres se pressaient derrière lui, même Mme Dorsel, surprise de voir que le gendarme s’était déplacé si vite à l’appel de son neveu.
« Ah ! c’est cela l’objet ! dit le gendarme en jetant un regard scrutateur sur le sac. Qu’y a-t-il dedans ? Des objets volés ?
— Nous ne le savons pas au juste, mais ce sont très probablement des plans, dit François. Nous n’avons pas pu ouvrir le sac. Il n’y a pas de clef.
— Donnez-moi ça ! »
Le brigadier sortit de sa poche un petit outil qu’il enfila dans la serrure et, aussitôt, le sac s’ouvrit.
Tous s’approchèrent instinctivement d’un pas et se penchèrent pour voir ce qu’il y avait dans le sac, même Dago.
Mais ils en furent pour leur peine. Le sac était vide. Complètement vide !