CHAPITRE XV
Bravo Claudine !
CLAUDINE s’efforça de réconforter le garçon. Elle s’approcha de lui, et l’obligea à s’asseoir sur une pierre pour examiner son genou. Une profonde entaille y avait été faite par un silex tranchant, et tout autour de la plaie la chair était rouge et tuméfiée. « Je vais essayer de te panser, dit-elle. Ne bouge pas et ne pleure plus. Nous ferons tout notre possible pour t’aider. Nous retrouverons Guy… Je crois que nous savons déjà pourquoi il a été enlevé, n’est-ce pas, François ? »
Hubert lança un regard reconnaissant à Claudine et renifla. Elle lui tendit son mouchoir, et en demanda un autre à Michel qui en trouva un dans sa poche, très grand et tout propre. Claudine s’en servit pour panser le genou. « Je te fais mal ? questionna-t-elle.
— Aucune importance », grommela le pauvre garçon et, se tournant vers François, il demanda d’une voix suppliante : « Comment peux-tu savoir pourquoi ils ont enlevé Guy ? Où l’ont-ils emmené ? Peux-tu le sauver ? Oh ! dis-moi que tu peux ! Si je devais ne plus le revoir, je ne me pardonnerais jamais…, je…
— Allons ! Ne trempe pas mon mouchoir ! murmura Claudine apitoyée. Parle-nous plutôt de ces gens qui ont emmené ton frère. Tu les avais déjà vus ?
— Oui, deux d’entre eux étaient venus l’autre jour. Ils avaient cherché à m’éloigner pour chercher je ne sais quoi. Je m’étais mis en colère, vous pensez bien ! et ils étaient partis.
— Ils ne sont pas revenus ?
— Ils ont dû revenir une fois, le lendemain, c’est-à-dire avant-hier ; mais je n’étais pas là, c’est Guy qui les a reçus. Quand Guy fouillait, je m’en allais. Nous ne voulions plus travailler ensemble, vous comprenez ? Nous avions chacun notre planche pour poser les objets que nous avions découverts et nos heures pour fouiller… Nous faisions chacun comme si l’autre n’existait pas… Oh ! c’est affreux ! Je…
— Oui ! je sais ! interrompit François voyant qu’Hubert recommençait à pleurer. Mais dis-moi, ces gens… ? Comment Guy les a-t-il reçus ?
— Aussi mal que moi, certainement ! Je l’ai entendu se mettre en colère. J’étais dans le champ, là-bas ! Je ne me suis pas dérangé… mais ils sont partis très vite !
— Tu es sûr que ce sont les mêmes qui sont revenus ce matin ? Par où, sont-ils partis ?
— Je ne sais pas, répondit Hubert. Ils étaient dans cette tranchée, ici, quand je les ai vus. Après j’ai parcouru tout le camp et les environs sans retrouver la moindre trace. On dirait qu’ils se sont évaporés.
— Ce n’est pas possible ! » affirma Claudine. Elle aurait voulu ajouter quelques mots pour rassurer le pauvre garçon, mais ne les trouva pas. Elle lança un coup d’œil de détresse vers François. Aussi embarrassé qu’elle-même, François se taisait.
Le drame était facile à reconstituer : Guy avait surpris les malfaiteurs retournant les pierres et les dalles de son camp. Il avait voulu les en empêcher. Peut-être même était-il arrivé au moment où les autres avaient enfin découvert ce qu’ils cherchaient. De toute façon, il était un témoin gênant. On n’avait pas hésité à le faire disparaître. À cette heure sans doute il était loin, emporté dans une voiture roulant à vive allure vers une destination inconnue. Mais on ne pouvait pas dire cela à son frère.
« Et Radar ? demanda François enfin.
— Disparu, lui aussi », répondit Hubert.
Mick, depuis un moment déjà, fouillait le camp, cherchant des traces dans les tranchées, repérant toutes les grosses pierres plates qui avaient approximativement la taille des fameuses dalles. Les autres l’imitèrent. Mais ils ne découvrirent rien d’intéressant. Le terrain très sec, après ces trois jours sans pluie, ne retenait aucune empreinte.
« Nous perdons notre temps, dit enfin François. Il faut retourner à Kernach et avertir les gendarmes. »
Michel approuva d’un signe de tête, tandis qu’Annie, toujours pratique, rappelait que le matériel de camp étant resté sous le buisson d’ajoncs, il serait bon de le reprendre au passage.
Claude se contenta de regarder Hubert. Il avait certainement mis beaucoup d’espoir en ses nouveaux amis, car cet aveu d’impuissance parut le décevoir profondément. Il se laissa retomber en larmes sur le bord de la tranchée.
« Allons, tu ne vas pas rester à pleurer ici tout seul, fit Claude en le prenant par le bras. Viens avec nous, tu diras aux gendarmes tout ce que tu sais ! Cela les aidera.
— Tu crois ? Alors, en ce cas, je viens ! Je ferai n’importe quoi pour aider Guy ! Je ne me disputerai plus jamais avec lui…, je…
— Oh ! fit Annie gentiment. Ne répète pas cela tout le temps, tu vas faire pleurer Dago ! Regarde comme il baisse la queue ! »
Hubert lui adressa un sourire pitoyable, et tous se mirent en route en direction de la touffe d’ajoncs qui leur avait servi d’abri pendant la nuit.
Ce ne fut qu’en retrouvant leurs affaires et en entendant tinter les boîtes de conserves qu’ils s’aperçurent qu’ils mouraient de faim.
« Mais… nous sommes à jeun ! s’exclama Mick. Nous sommes partis nous baigner sans rien prendre, et il est presque dix heures ! C’est affreux. Je vais tomber d’inanition avant d’arriver à Kernach !
— S’il reste quelque chose à manger, mangeons-le ! lança Claude. Cela fera toujours ça de moins à porter. »
Hubert, certainement, était plus pressé que les autres de faire sa déposition aux gendarmes, mais il ne dit rien.
« Bah ! il n’y en aura pas pour longtemps ! lui glissa Annie à l’oreille. Et nous n’en irons que plus vite après. »
François s’était emparé du dernier pain d’épice et le découpait en tranches épaisses sans mot dire. Il s’en voulait de ne pas s’être levé lorsqu’il avait entendu Dagobert aboyer. C’était certainement les ennemis qui passaient alors, en route pour le terrain de fouilles. Si François était sorti à ce moment-là, il aurait pu les arrêter, ou tout au moins les suivre et les empêcher d’emmener Guy ! Mais à quoi bon y penser maintenant ! Il était trop tard !
Claude se disait la même chose. Elle était partie en courant, jusqu’à la source, pour y chercher de l’eau. Le bruit de la petite cascade la guidait et elle la retrouva sans peine. « Comme j’aime entendre le bruit de l’eau ! » se dit-elle tout haut pour détourner le cours de ses pensées, et tout à coup ce mot « eau » tinta à ses oreilles avec une insistance étrange.
Qui donc avait parlé d’eau récemment ? Ah ! oui ! c’étaient François et Michel cette nuit. Eau, le mot si mal écrit sur le plan ! Et près de l’eau il y avait une dalle !
Claude sursauta.
Cette construction de pierres plates qui entourait la source, mais c’était aussi des dalles ! Elles étaient trop petites. Quel dommage !
Claude contourna le petit édifice de pierre et eut un nouveau haut-le-corps. Là, cette grande dalle blanche n’avait-elle pas la même dimension que celle de l’étable ? Mais si ! Et soudain la fillette fut certaine d’avoir découvert la clef du mystère.
Elle laissa tomber le seau de toile qu’elle tenait en main et s’élança en courant, criant à tue-tête : « François, François ! j’ai trouvé ! viens vite ! »
François, à ce moment, était en train d’expliquer à Hubert ce qu’il savait des mystérieux agresseurs de son frère. L’accent joyeux de Claude lui fit relever la tête avec surprise.
« Tu as trouvé quoi ? demanda-t-il.
– La dalle, voyons ! viens vite ! »
Tous étaient déjà debout, pleins d’excitation.
« Ce n’est pas possible ! Où ? montre ! »
En une ruée frénétique tous se précipitèrent vers la source. Dago avait fait trois fois le chemin avant que les autres y soient arrivés. Hubert l’atteignit le dernier à cause de son genou qui le gênait pour courir.
Hors d’elle, Claude criait, le bras tendu :
« Là, cette dalle blanche ! Vous voyez ! Si le mot qu’on ne pouvait pas lire sur le plan était bien EAU, et si la taille de cette dalle est celle…
— Tu as peut-être raison ! » murmura Michel saisi, tandis que François sortait de sa poche la ficelle qui lui avait servi à mesurer les pierres. Il vérifia les dimensions de celle qu’avait remarquée Claudine et lança d’une voix entrecoupée par l’émotion :
« C’est bien cela ! même longueur et même largeur ! Il faut la déplacer ! Il n’est pas impossible du tout qu’elle cache un passage secret. La source peut provenir d’une rivière souterraine et alors…
— Alors nous sommes sauvés ! » hurla Mick cherchant à ébranler la pierre.
Mais elle était solide et résista à tous ses assauts.
François vint à la rescousse, puis Hubert. Les filles criaient. Dago aboyait. Mais la pierre ne bougeait pas.
« François ! François ! J’ai trouvé !
viens vite ! »
« Nous n’y arriverons pas ! fit Michel, rouge et soufflant. Elle est trop lourde et trop bien encastrée ! Il va falloir demander de l’aide !
— Nous y arriverions si j’avais mes outils, dit Hubert. J’en ai remué à moi seul de plus grosses que celle-là ! Attendez, je vais les chercher ! »
Il était déjà parti, boitillant et sautillant, mais avançant aussi vite qu’il le pouvait.
« Je viens avec toi ! » lui cria François. En un rien de temps il l’eut rejoint et, soutenant le blessé, il l’entraîna presque en courant.
Les autres, n’ayant plus rien à faire, s’assirent ou plutôt se laissèrent tomber sur le sol.
« Ouf ! fit Michel. Quel travail pour un jour où il fait aussi chaud ! »
Annie se tamponnait le front d’un air songeur. « C’est drôle que Hubert et Guy soient des jumeaux, dit-elle, et c’est vraiment bête que nous ne l’ayons pas deviné !
— Ce n’est pas notre faute ! c’est la leur ! se récria Claude. Ils se conduisaient comme des imbéciles ! Pourquoi ne nous ont-ils rien dit ? Ils voyaient bien que nous les prenions l’un pour l’autre.
— Il fallait qu’ils soient réellement fâchés pour vouloir s’ignorer à ce point, reprit Annie après un long silence. Comme je comprends le chagrin d’Hubert ! Je voudrais pouvoir lui dire que son frère ne risque rien !
— Nous ne savons pas ce qu’il risque, fit Michel. Mais si nous trouvons dans ce souterrain ce que ces gens y cherchent, ce sera sûrement le meilleur moyen d’aider la police à retrouver Guy ! »
François revint bientôt, chargé d’une bonne douzaine d’outils, pics, pioches, pinces, leviers, et Hubert prouva qu’il savait les manier. En un rien de temps la pierre s’ébranla, glissa, culbuta.
Un trou béant apparut à l’emplacement qu’elle avait occupé. Les cinq enfants le contemplèrent un instant, pleins d’une silencieuse émotion, puis se précipitèrent tous à la fois. On entendit des têtes se cogner, et François cria :
« Arrière ! Laissez-moi regarder. »
Il frotta une allumette et sa flamme éclaira un trou d’ombre dont on ne voyait pas le fond.
« C’est un souterrain ! s’écria Michel jubilant. Est-ce qu’on l’explore tout de suite ?
— On ne peut pas, riposta François, avant d’avoir élargi l’entrée. Il y a des racines qui bouchent le passage.
— Faisons vite alors ! hurla Claude. Quelle chance ! Nous avons trouvé l’entrée avant eux ! »