CHAPITRE XVII
 
De surprise en surprise

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« IMPOSSIBLE de l’ouvrir ! » déclara François, après s’être vainement escrimé sur la serrure.

Il prit le sac par le fond et le secoua vigoureusement, dans le non moins vain espoir de voir son contenu se répandre sur le sol. Michel était très déçu.

« Qui sait si ce n’est pas une plaisanterie ? dit-il. Le fameux Paul peut fort bien avoir raconté aux autres qu’il a laissé dans ce sac les documents – ou je ne sais quoi qu’il a volé – et les avoir emportés et mis ailleurs.

— Évidemment, s’exclama Claudine, c’est aux autres qu’il aura voulu jouer cette farce, mais c’est nous qui en serons les victimes ! Je ne veux pas croire que cela puisse être vrai ; il faut l’ouvrir et voir ce qu’il y a dedans !

— Mais comment veux-tu l’ouvrir ?

— Avec un couteau, parbleu ! »

Michel fit un essai, qui se révéla inefficace. Le cuir était si épais que son canif ne parvenait pas à l’entamer.

« Il n’y a qu’un seul remède, dit François avec beaucoup de philosophie : nous dire que les documents sont là, et faire comme s’ils y étaient ! Si nous nous trompons, nous le saurons toujours assez tôt.

— C’est vrai », firent quelques voix mornes. Tous regardaient-avec dépit le sac tentateur. Combien de temps leur faudrait-il attendre avant de savoir si leurs efforts étaient couronnés de succès ou non ?

« Et que faisons-nous maintenant ? questionna Claude d’un ton boudeur. J’aimerais bien sortir d’ici. Un peu d’air frais ne ferait pas de mal.

— Tout à fait d’accord ! » François s’efforçait de cacher sa déconvenue sous un sourire qui ne trompait personne. « Mais avant d’avoir le droit de respirer, il nous faut refaire en sens inverse tout le chemin que nous venons de parcourir, et ce sera long ! »

Claude commençait déjà à dire qu’elle n’en aurait jamais le courage, lorsque Annie l’interrompit.

« Regardez ! s’écria-t-elle, tout ce brouillamini de traits ! Cela doit avoir une signification… »

Son regard fureteur toujours en éveil avait découvert sur la paroi rocheuse de nouvelles flèches à la craie, curieusement tracées : l’une descendait en direction de l’excavation qui leur avait servi d’entrée, et une autre ligne de flèches indiquait, en direction opposée, le mur en face.

« Faut-il croire que ces gribouillages sont destinés à tromper les curieux ? demanda Mick perplexe. Nous savons bien qu’il faut sortir par où nous sommes entrés !

— À moins que l’autre série de flèches n’indique une autre sortie ! »

Claude, qui venait de parler, commença à inspecter la muraille dans cette direction nouvelle. Les autres l’imitèrent, mais personne ne trouva rien.

« Où est Dagobert ? s’écria Annie tout à coup. Il n’est plus ici ! Pourvu qu’il ne soit pas tombé dans le couloir d’en dessous !

— Impossible ! riposta Claudine. Il n’est pas si bête ! Et puis nous l’aurions entendu tomber et gémir. »

Elle se pencha pourtant au-dessus de la cavité, essayant vainement d’en éclairer le fond avec sa lampe de poche. Les autres, plus surpris que réellement inquiets, lançaient à qui mieux-mieux cris, appels et coups de sifflet.

Un aboiement étouffé apporta une première réponse puis, soudain, Dagobert fut là, jailli si mystérieusement qu’on aurait pu croire à un tour de prestidigitation.

En le voyant, Claude poussa un cri de joie et se dirigea vers l’endroit où il était apparu. Presque aussitôt, elle poussa un second cri, de surprise celui-là.

« Oh ! quels idiots nous sommes, dit-elle. Regardez ! Derrière ce pan de rocher, il y a un passage ! Et aucun de nous ne l’a vu.

— C’est vrai qu’il n’est pas large ! remarqua Annie.

— Il n’était pas facile à découvrir, ajouta Michel, admirant combien l’étroite faille se confondait dans l’ombre environnante. Mais cela nous donne une indication précieuse sur le dénommé Paul.

— Laquelle ?

— C’est qu’il n’est pas gras ! Seul un individu du genre anguille peut se faufiler par là ! Je ne sais même pas si François pourra y passer !

— Pourquoi ne pas essayer ? demanda Claude qui avait retrouvé tout son entrain. C’est très certainement une sortie !

— Rien ne prouve que ce chemin sera plus court et plus facile que l’autre ! » objecta François.

Mais Hubert ne partageait pas cet avis.

« Il ne peut pas être plus long, fit-il remarquer d’une voix douce. Pour autant que j’ai pu me repérer dans ce boyau tordu, nous ne devons plus être loin du camp romain. C’est vraisemblablement là que conduit ce nouveau passage, quoique je n’aie aucune idée de l’endroit exact où il peut aboutir. »

Michel se souvint à ce moment du grand trou caché par une dalle plate qu’il avait découvert dans le camp, grâce à un petit lapin. Qu’avait dit Guy à ce sujet ? que c’était une cave qui avait servi à entreposer des provisions ?

Il demanda l’avis d’Hubert.

« Je n’y avais pas pensé, dit celui-ci. Laisse-moi réfléchir. Oui, ces caves avaient souvent un double emploi : stockage des denrées et passages secrets permettant de se rendre d’un point à un autre à l’insu de l’ennemi. Je crois que tu as raison, Michel. Il peut fort bien y avoir un souterrain aboutissant à ces caves. Pour des archéologues, cela ne présente aucun intérêt, mais pour nous c’est différent. Si nous pouvons sortir par là, nous nous épargnerons bien des pas inutiles.

— Alors, allons-y ! décréta François. Essayons ! »

Et, le premier, il se glissa dans l’étroite cavité. Les parois étaient si rapprochées l’une de l’autre qu’il faillit y renoncer.

« Tu ne devrais pas manger tant ! plaisanta Michel. Faut-il que je te pousse ? »

François ne répondit que par un grognement étouffe. Au prix de quelques écorchures à sa peau et déchirures à sa culotte, il parvenait à gagner du terrain.

Le passage difficile était heureusement très court. Venait ensuite une sorte de couloir en ligne droite où il était possible de se déplacer normalement.

« Vous pouvez venir ! cria François. Il y a assez de place ici pour que je règle son compte au premier qui osera parler de mon appétit. »

Malgré cette menace, tous, en riant, se précipitèrent à sa suite et, étant plus jeunes et plus minces, éprouvèrent fort peu de difficulté pour le rejoindre.

La marche dans les ténèbres reprit ensuite sans incident pendant une centaine de mètres, pour devenir soudain plus difficile. Le terrain s’abaissait en pente raide. Les enfants culbutaient les uns par-dessus les autres, et Dago, entraîné par son poids, ne pouvait s’empêcher de courir. Et puis tous s’arrêtèrent.

Un infranchissable obstacle se dressait devant eux. Non pas cette fois une paroi rocheuse, mais, plus inquiétant encore, un éboulement de terrain.

« Cette fois ça y est, grogna Mick. Nous sommes bloqués ! »

L’éboulement était impressionnant à voir. Des blocs de rochers, mêlés de terre et de cailloux tombés de la voûte, obstruaient complètement le passage. Il n’y avait aucun espoir de franchir cet amoncellement de pierraille. Une seule solution restait possible : faire demi-tour et s’en retourner en sens inverse.

« Quelle déveine ! » s’écria Mick en donnant un violent et bien inutile coup de pied dans les déblais.

« Ne nous attardons pas ici, ordonna François. La pile de ma lampe est presque morte et celle de Claude ne vaut guère mieux. Repartons par où nous sommes venus et ne perdons pas de temps. »

On lui obéit à contrecœur. Après s’être cru si près de la sortie, il était dur de penser à tout le chemin qu’il fallait refaire, avec tant de passages difficiles, d’escalades, de pentes et de croisements, avant de retrouver la clarté du soleil.

« Allons, viens, Dago ! » cria Claude, voyant que son chien ne la suivait pas.

Mais Dago refusa d’obéir. Il se tenait face à l’éboulis, l’air inquiet, la tête inclinée de côté, les oreilles droites. Puis, soudain, il émit un aboiement, qui se répercuta sous la voûte de si étrange façon qu’il fit sursauter tout le monde.

« Silence ! Dago ! ordonna Claude, presque en colère. Qu’est-ce qui te prend ? S’il y a un crapaud, laisse-le tranquille et viens ! nous sommes pressés ! »

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François essayait d’entraîner le chien.

Mais Dago ne venait pas. À coups de pattes rapides, il attaquait le formidable tas de pierrailles devant lui, en émettant des petits jappements brefs : « Ouaff ! ouaff ! ouaff ! »

« Qu’est-ce qu’il a ? » murmura Claudine surprise, tandis que François essayait d’entraîner le chien en le saisissant par son collier.

Dagobert n’en tint aucun compte. Fébrilement, de ses pattes de devant, il continuait à gratter la terre qu’il rejetait au loin, c’est-à-dire sur ceux qui l’entouraient.

« Il y a quelque chose qu’il veut atteindre derrière ce remblai, marmonna Mick, quelque chose ou quelqu’un… Si seulement tu pouvais l’empêcher d’aboyer, Claude, nous pourrions écouter et peut-être entendre ce qu’il a entendu. »

Il fut difficile de faire taire le chien, mais Claude y parvint. Pendant quelques secondes, le silence s’établit dans le souterrain, puis très vite il fut rompu par un autre bruit, lointain et étouffé, mais sur la nature duquel il était impossible de se méprendre : c’était un jappement de chien.

« Radar ! hurla Hubert. C’est Radar ! Et si Radar est là, Guy n’est pas loin ! Il ne le quitte jamais ! Guy ! Guy ! m’entends-tu ? »

Mais si la réponse vint, on ne put l’entendre. Les cris d’Hubert avaient déchaîné Dago qui donnait de la voix tant qu’il pouvait, et se remettait à gratter la terre plus frénétiquement que jamais.

« Qu’est-ce que Guy peut faire là ? demandait Hubert. Est-il blessé ? » Mais nul n’entendait ses anxieuses questions auxquelles nul, d’ailleurs, n’aurait su que répondre.

La voix de François, hurlant de toutes ses forces, domina un moment tous les autres bruits.

« Puisque nous entendons Radar, disait-elle, c’est qu’il n’est pas très loin. L’épaisseur de l’éboulement est sans doute moindre qu’elle ne paraît. Essayons de le déblayer. Nous pouvons travailler à deux à la fois en nous relayant. Pas plus, parce que le passage est étroit. »

Dagobert ne céda pas sa place, mais à côté de lui Hubert et François pouvaient, en se serrant un peu, s’acharner sur les blocs de roches et parvenir à les faire glisser. Puis Michel et Claude les remplacèrent. Les doigts s’écorchaient vite sur les arêtes tranchantes des pierres, et le travail était pénible ; mais il eut un résultat plus rapide que prévu : un affaissement se produisit qui dégagea le sommet de l’éboulis.

Michel se précipita à l’escalade. François le retint.

« Attention, espèce d’âne ! lui dit-il. La voûte n’est pas solide à cet endroit. Si tu provoques un nouvel éboulement, tu te feras enterrer dessous… »

Il n’avait pas fini sa phrase qu’une petite silhouette apparut au sommet du talus et glissa vers eux, jappant joyeusement, et agitant sans répit une longue et mince queue.

« Radar ! oh ! Radar ! où est Guy ? » cria Hubert, tandis que le petit fox se frottait à ses jambes et lui léchait les mollets.

« Guy ! hurla François. Es-tu là ? »

Une voix éteinte lui répondit : « Oui ! Qui est-ce ? » Trois mots qui déclenchèrent une cacophonie de voix joyeuses mêlées d’aboiements non moins enthousiastes :

« C’est nous ! C’est moi ! Nous arrivons ! Ce ne sera pas long ! »

Dagobert, comme pour indiquer le chemin, avait déjà monté et descendu tant de fois le talus que le passage y était tout tracé. Chacun l’escalada en riant et se coula prudemment sous la voûte en évitant de l’effleurer.

La lueur des lampes éclaira l’autre versant de l’éboulis.

Comme il était facile de le prévoir, le souterrain s’y poursuivait, égal en hauteur et en largeur à ce qu’il avait été jusqu’alors. À quelques mètres plus loin, Guy se tenait assis contre la muraille, le regard brillant, la figure très pâle.

« Oui ! cria-t-il en réponse aux questions qui pleuvaient sur lui du haut du talus. Je vais bien ! sauf ma cheville, mais ce n’est pas grave ! Comme je suis content de vous voir tous ! Venez vite ! »

À peine arrivé, Hubert se jeta sur son frère.

« Oh ! Guy ! Guy ! criait-il. Que t’est-il arrivé ? Dis que tu me pardonnes. Je m’en veux tellement… »

François le prit par l’épaule et l’écarta doucement.

« Fais attention à ce que tu fais, lui dit-il. Regarde-le ! il s’est évanoui ! Tu lui parleras plus tard. Sois raisonnable. » En même temps, il agitait son mouchoir, en guise d’éventail, sur la tête du blessé qui ne tarda pas à rouvrir les yeux.

Il sourit faiblement.

« Ce n’est rien, dit-il. C’est passé. Mais j’espère que je ne rêve pas… Vous êtes ici… c’est bien vrai !

— Vrai de vrai ! assura Michel. Et pour preuve, voilà. un bout de chocola, mange-le ! c’est le meilleur moyen de t’assurer que tu ne rêves pas ! »