CHAPITRE VII
 
Étranges évènements

img27.jpg

DAGO s’arrêta d’aboyer et chercha à échapper aux mains de Claudine, mais elle ne le lâchait pas.

« Qu’est-ce que c’est ? souffla Annie d’une voix tremblante.

— Je ne sais pas, et je n’en ai pas la moindre idée. Peut-être rien du tout, Dago est toujours nerveux quand il y a de l’orage. Attendons un moment, nous verrons bien. »

Claudine ne s’effrayait pas facilement, mais ce violent orage, ce campement dans des ruines, et les aboiements de Dagobert n’avaient rien de rassurant. Elle préférait sentir le chien auprès d’elle et ne lâcha pas son collier.

Un lointain grondement de tonnerre se fit entendre. L’orage revenait ou un autre lui succédait. Claudine se sentit soulagée.

« Ce n’est rien, Annie, dit-elle, rien que l’orage qui énerve Dago. Tiens, le voilà qui aboie encore ! Assez, Dago ! On dirait que ça t’amuse de nous faire peur ! Tu es stupide. »

De nouveaux coups de tonnerre éclatèrent, très proches. Dago s’agitait de plus en plus, tirant de toutes ses forces sur son collier.

« Non ! je ne veux pas que tu sortes, lui cria Claude. Après tu reviendras tout mouillé te coucher sur moi. Je te connais, va !

— Quel orage ! murmurait Annie de son côté. J’espère que cette masure y résistera.

— Bah ! elle en a vu bien d’autres. Où vas-tu, Annie ?

— Jeter un coup d’œil par la fenêtre ! » riposta la pauvre fille qui ne savait plus où se mettre. « J’aime voir le paysage surgir à la lueur des éclairs et disparaître aussitôt. »

Comme si le ciel n’avait d’autre souci que de la satisfaire, un éclair traversa le ciel au moment où elle atteignait la fenêtre. Pendant une fraction de seconde la lande se révéla, illuminée d’une lueur verdâtre.

Annie poussa un cri de terreur et se précipita vers sa cousine.

« Claude ! haletait-elle. Claude !

— Eh bien, quoi ? qu’y a-t-il ?

— Il y a des gens…, bafouilla Annie en s’accrochant aux épaules de Claudine. Plusieurs personnes là… dehors…

— C’est impossible ! Qui serait là en pleine nuit ?

— Je ne sais pas ! Je n’ai pas eu le temps de voir. Mais j’ai aperçu deux silhouettes… peut-être trois… j’en suis sûre. Là, en face. Pas loin du tout !

— Ce sont des arbres, Annie ! Je les ai remarqués tout à l’heure. Des petits arbres rabougris qui se découpent sur le ciel. Tu les as pris pour des gens !

— Non ! ce n’étaient pas des arbres ! »

Claude avait bien du mal à rassurer sa cousine. Elle était persuadée qu’elle s’était trompée, mais comment le lui faire admettre ?

« C’est un genre d’erreur qu’on commet très souvent, disait-elle. La lumière des éclairs est trompeuse, tu sais, et on n’a pas le temps de voir. S’il y avait quelqu’un, Dagobert aurait aboyé…

— Mais il a aboyé !

— Pas pour cela ! Allons, viens regarder avec moi. Tu verras bien qu’il n’y a personne ! » Blotties derrière la vitre, les deux fillettes attendirent un nouvel éclair, qui ne tarda pas. Cette fois, toutes deux poussèrent en même temps un cri d’effroi, tandis que le chien redoublait d’efforts pour se libérer et aboyait comme un forcené.

img28.jpg

« Là ! tu as vu ? murmura Annie.

— Oui ! j’ai vu ! Tu as raison. Quelqu’un était de l’autre côté de la fenêtre et nous regardait. Qui est-ce ? et que diable quelqu’un peut-il faire ici au milieu de la nuit ?

— Ils étaient deux ou trois, je te dis. Ils ont aperçu la chaumière et sont venus voir si elle pouvait les abriter…

— Pourquoi n’entrent-ils pas alors ?

— Ils ont eu peur de Dago, j’espère !

— Mais que peuvent-ils faire tous dehors en pleine nuit ? Rien de bon, c’est sûr ! Oh ! quel dommage que tes frères ne soient pas là !

— Oui, nous n’aurions pas dû venir sans eux. Nous rentrerons aux Mouettes, demain, dis, Claude !

— Demain ? Tu veux dire aujourd’hui ! Il est près de trois heures du matin…

— Si c’est aujourd’hui, tant mieux ! Allons-nous-en !

— Nous ne pouvons pas partir avant qu’il fasse jour ! »

Dans la chaumière sans porte, il aurait été facile d’entrer, mais personne n’entra. Sans doute les inconnus étaient-ils repartis, aussi silencieusement qu’ils étaient arrivés.

L’orage s’était éloigné, et Dago, complètement calmé, somnolait sur le tas de couvertures, indifférent aux angoisses des fillettes. Il savait bien, lui, que tout danger était à présent écarté, et Claude se rassurait à le voir aussi paisible, mais ni elle ni sa cousine n’avaient envie de dormir. Pour passer le temps, elles jouèrent à des petits jeux et les heures glissèrent plus vite qu’elles ne l’auraient cru.

Tout à coup l’aurore fut là, coulant sa lueur rosée à travers la porte béante et les encadrements des fenêtres. Bientôt le soleil se montrerait et cette perspective était si réconfortante que les terreurs de la nuit en parurent soudain presque ridicules.

Claude se leva et alla regarder par la fenêtre. Tout était calme et désert. Aucune ombre suspecte ne se dressait plus entre les touffes de bruyères et d’ajoncs.

« Nous avons été stupides, marmotta Claude. Nous avons pris peur pour rien ; je n’ai plus aucune envie de rentrer à la maison. Tout le monde se moquerait de nous…

— Cela m’est bien égal ! s’insurgea Annie. Je ne resterai pas une nuit de plus, ici ! Non ! rien à faire ! Si les garçons étaient là, je ne dis pas, mais qui sait quand ils arriveront ?

— Bien ! bien ! je ferai ce que tu voudras ! Mais par pitié, tu diras à tes frères que c’est toi qui as voulu rentrer. Pas moi !

Je le leur dirai ! Compte sur moi, mais promets-moi de rentrer et laisse-moi dormir un peu ! Je tombe de sommeil !

— Moi aussi, avoua Claude. Nous avons tout le temps de nous reposer avant qu’il soit une heure décente pour sortir dans la campagne ! »

Les deux fillettes reprirent possession des couvertures après en avoir chassé Dago, et sombrèrent dans un profond sommeil. Elles étaient si fatiguées qu’elles auraient peut-être dormi jusqu’au soir si un bruit ne les avait réveillées, bruit de petits pas pressés tournoyant autour d’elles.

« Oh ! c’est Radar ! s’écria Annie en ouvrant les yeux. Radar qui vient nous dire bonjour. Qu’il est amusant ! »

Radar, se voyant agréé, se coucha sur le dos pour se faire caresser, et aussitôt Dagobert lui sauta dessus, avec la mine de vouloir le dévorer tout cru.

Une voix s’éleva du dehors, puis le garçon parut dans l’encadrement. Il avait son sourire des meilleurs jours.

« Alors, les paresseuses ! dit-il. On dort encore ! Je sais que j’avais promis de ne pas venir, mais je voulais savoir comment vous aviez passé la nuit… Pas eu peur de l’orage, non ?

— C’est gentil à vous d’être venu, fit Annie en se levant et brossant sommairement sa jupe. Nous allons bien, mais la nuit a été mouvementée. Nous… »

Un coup de coude de Claude vint lui couper la parole. Claude ne voulait pas qu’elle parle des visiteurs nocturnes. Pourquoi ? Pensait-elle qu’ils avaient un rapport quelconque avec le garçon fou ? Annie n’insista pas et laissa sa cousine diriger la conversation à son gré.

« Quel bel orage ! disait-elle. Comment vous en êtes-vous tiré ?

— Oh ! moi ! je n’avais rien à craindre. Il y a des amorces de souterrain partout dans le camp. J’étais à l’abri là-dedans comme un lapin dans son terrier. Puisque vous n’en avez pas souffert non plus, tout va bien ! Viens, Radar ! on s’en va !

— Merci d’être venu ! » lança Claude, puis, dès que le visiteur eut disparu, elle se tourna vers sa cousine. « Il a l’air tout à fait normal, ce matin, lui dit-elle. Il n’a même pas cherché à nous contredire ! S’il était toujours comme ça, souriant et poli par-dessus le marché, je le trouverais sympathique.

— Crois-tu que cela durera ? » demanda Annie qui partageait cette opinion, mais demeurait méfiante.

Elle avait raison de l’être.

img29.jpg

Un quart d’heure plus tard, les fillettes, ayant rejoint leur camp, se confectionnaient de larges tartines de confiture pour réparer leurs forces, quand elles entendirent quelqu’un approcher en sifflotant.

« C’est encore lui », fit Annie, et c’était le garçon en effet.

« Bonjour, dit-il, je ne viens pas vous déranger. Je voulais seulement savoir comment vous aviez passé la nuit. Quel orage, hein ? »

Les fillettes le regardaient, si ahuries qu’elles ne trouvaient plus rien à dire. Enfin Claude s’écria :

« Oh ! je vous en prie ! ne recommencez pas à faire l’imbécile ! Vous savez bien comment nous allons. Nous venons de vous le dire !

— Vous ne m’avez rien dit du tout, et je ne savais rien ! Je venais par politesse, mais si c’est pour être reçu avec des injures, je m’en vais. Au revoir, les folles ! »

Et il s’en alla.

« C’est vraiment trop bête ! s’écria Annie vexée. Il ne peut pourtant pas être aussi idiot qu’il s’amuse à nous le faire croire. Quel plaisir prend-il à ce jeu ?

— Il le croit peut-être spirituel, fit Claude non moins vexée de s’être si bien trompée dans son jugement. D’ailleurs, ça n’a plus d’importance puisque tu veux partir ! Dès que la tente sera sèche, nous la démonterons, et adieu l’idiot ! »

À midi, les sacs à dos bourrés étaient fixés sur la bicyclette. Claude, mécontente de ce qu’elle appelait une désertion, commençait à arracher les piquets de la tente, lorsque Dagobert se mit à faire le fou. Il aboyait frénétiquement, agitait la queue en tous sens, bondissait de droite à gauche, et, soudain, il fila comme un dard en direction du chemin.

Un instant, Claude ne comprit pas ce qui lui arrivait. Puis elle poussa un cri. Un bruit de voix masculines s’élevait du chemin, une sonnerie de bicyclette retentit.

« Non, ce n’est pas…, s’écria-t-elle, ce ne peut pas être François et Michel ! » Elle s’élança comme une folle à la suite du chien, et Annie les imita.

Des hurlements de joie s’élevèrent.

C’étaient bien François et Michel. Des sacs sur le dos, des colis sur les bicyclettes et des sourires qui leur fendaient le visage ! Hourra !

Le Club des Cinq se retrouvait au complet. Enfin !