XXVII

Saint-Agnan-sur-Erre, le même jour

IIls se promenèrent une bonne demi-heure dans le village, à pas lents, en silence. N’y tenant plus, inquiet, le garçonnet osa le rompre :

— La cervelle vous bout-elle, mon maître ?

— Épineux encombre que le mien, admit Druon. Roture1 nous sommes. Je ne puis aller chatouiller la susceptibilité du seigneur d’Errefond en exigeant de lui des éclaircissements. Il serait en droit de me faire bastonner et jeter dehors.

Huguelin se figea au bon milieu de la ruelle et s’enquit d’un ton de conspirateur :

— Auriez-vous découvert l’une de ses confessions ? Honteuse ? Infâme ?

— Tu ne dois pas me poser ce genre de questions, car je m’interdis d’y répondre. Disons simplement que ce monsieur m’intéresse vivement.

— P’tèt… euh, peut-être pourriez-vous, en habileté, interroger dame Blandine, qui m’a paru en savoir à son sujet. De fâcheuses histoires, j’en gagerais.

— Mon sentiment, à l’égal. Cependant, comment procéder avec doigté ? Je ne tiens guère à embarrasser notre charmante hôtesse, la pousser à confidences qu’elle regretterait.

— Oh, que n’y ai-je pensé ! Grandir n’est pas tâche aisée ! J’en apprends tant que je m’étonne que ma tête ne déborde pas.

— Certaines têtes bien faites sont voraces d’apprentissage et ne débordent jamais. Au contraire, plus on les gave de connaissances, plus elles développent leur faim, sourit le mire. Marchons. Fais silence, gentil compagnon, il me faut réfléchir.

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Huguelin se le tint pour dit, réglant son allure sur celle de son protecteur, nez au vent, certain que Druon trouverait une issue, détaillant de droite et de gauche les éventaires, les badauds, jetant des regards timides aux jeunes donzelles qu’ils dépassaient. Préférait-il les blondes, les brunes, les châtaines ? Les minces ou les dodues ? Les grandes ou les petites ? Bah, il ne savait. Tant étaient si jolies qu’on les aurait croquées.

Une question lui revenait souvent à l’esprit depuis quelque temps, lui qui avait jusque-là pensé que les filles étaient avant tout capones mais querelleuses. Toutefois, son maître, ou plutôt sa maîtresse, ne correspondait pas du tout à ce dévalorisant portrait. De plus, alors qu’il les avait toujours évitées avec prudence, les jeunes filles commençaient à lui tirer le regard et il se sentait parfois rougir à leur contemplation. Oh, il savait fort bien pour quelle raison, les répugnantes exigences charnelles de la tenancière du Chat-Huant ne lui ayant laissé aucune illusion. Mais l’aubergiste n’était qu’une abjecte truie en chaleur, pas une damoiselle. L’insistante question le harcelait donc : comment convenait-il de se comporter avec une jeune fille ? Que lui dire ? Il interrogerait son maître à ce sujet. Plus tard.

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Les pensées de Druon suivaient un tout autre cheminement, bien moins badin. Sans en avoir vraiment conscience, il s’immobilisa devant l’éventaire du mercier, et détailla rubans et peignes de cheveux, chausses de femme2, troussoirs de vil métal ou d’argent, incrustés de pierres ou de perles, songeant que son travestissement masculin lui avait ôté tant de menus plaisirs de donzelle. Aussitôt, une petite femme aussi ronde que haute, à la mine réjouie, sortit en trombe de l’échoppe en beuglant :

— Ça, votre mie vous picorera le bec de mamours si vous lui offrez un cadeau. Qui sait… peut-être même mieux, ajouta-t-elle dans un clin d’œil complice et un brin escrillard3. Allez, j’aime les amourettes et vous fais bon prix. Choisissez, messire.

Il fallut quelques instants à Druon pour comprendre et se remettre dans la peau d’un jeune chevalier mire itinérant.

— C’est que… maîtresse, je n’ai point de… (Se tournant vers Huguelin, il demanda :) Un joli présent pour notre gracieuse hôtesse ?

— Belle idée !

Ils choisirent un peigne de cheveux, en corne claire, découpé de fines volutes.

1- De ruptura : briser, retourner la terre, donc à l’origine les paysans puis les non-nobles.

2- Sorte de mi-bas que l’on serrait sous le genou.

3- Nous a laissé « égrillard ».