XXIII

Saint-Agnan-sur-Erre, un peu plus tard

LLe désordre qui régnait dans la maisonnette située en bout de village, à l’opposé de celle des Leguet, ne surprit qu’à moitié Druon. Comme dans l’église, des feuilles de papier jonchaient le sol de la petite salle d’étude et une corne à encre avait versé sur la table de travail, souillant de noir la plume à écrire.

Il examina une à une les cinq esconces éteintes, leurs réservoirs d’huile secs. Leurs flammes avaient dû brûler jusqu’à étouffer, faute de combustible. Or l’habitude voulait que l’on alimentât les lampes à huile sans tarder, de sorte à ne pas se retrouver soudain plongé dans l’obscurité. En d’autres termes, Jean Le Chauve avait pris l’escampe, sans même les éteindre. Une fuite précipitée. Pourquoi ? Son meurtrier avait-il pénétré céans, le menaçant, le terrorisant ? Ou alors Jean Le Chauve avait-il senti le danger avant qu’il ne fonde sur lui et fuie ?

— Le secrétaire portait-il un mantel ? Qu’avez-vous retrouvé à proximité du corps ? demanda Druon à Anchier Vieil.

— Si fait, un mantel de burel. Nous n’avons rien vu d’autre, ni bougette, ni esconce, ni bâton de marche.

— Connaissez-vous le serf berger ?

— Certes. Enfin… je connais à peu près tout le monde dans ce coin de terre.

— D’honnête réputation ? insista le jeune mire.

Vieil comprit enfin l’allusion et rougit de ce nouvel étalage d’absence de perspicacité.

— Oh, je vois… Non, pas homme à détrousser un cadavre, quoique fort pauvre.

— Si donc Le Chauve possédait quelques valeurs sur lui, elles auraient été dérobées par son assassin. Nous verrons. Revenons à ce que nous savons. Il a donc pris le temps de jeter un mantel sur ses épaules avant de fuir. On peut en conclure qu’il se savait menacé à brève échéance mais pas sur l’instant. En d’autres termes, lorsque le meurtrier a pénétré céans, Le Chauve s’était déjà volatilisé.

— Puissante déduction, approuva Vieil, admiratif.

Ce qui lui valut aussitôt un rayonnant :

— Ne vous l’avais-je pas affirmé ? de la part d’Huguelin.

— Visitons les autres pièces, avant de nous atteler à la lecture des documents, suggéra le mire.

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Ils passèrent dans la salle commune, de taille modeste en dépit de son imposante cheminée. L’ameublement, limité à l’essentiel, une huche1, un buffet2 en bois de piètre qualité et une table flanquée de bancs, trahissait l’austérité du maître des lieux. Le père Simonet ne semblait pas avoir été homme à profiter personnellement des impôts levés par l’Église ou des offrandes récoltées auprès des fidèles, ni même de la fortune familiale dont il avait hérité.

Aussitôt, Druon remarqua le bol de terre posé sur la longue table en bois sombre à côté d’un couteau, d’une demi-miche de pain environnée de miettes rassises et d’un morceau de lard fumé. La cuiller de bois gisait au sol. Il s’approcha. Deux mouches noyées surnageaient sur un fond de soupe épaisse.

— Voici qui nous conforte sur le faible intervalle de temps séparant les deux meurtres. Du lard… hier soir donc, jour gras. Montons aux chambres, voulez-vous ?

Ils grimpèrent les marches d’un bois grisâtre de fréquents lavages à grande eau et débouchèrent sur un palier minuscule au point qu’Huguelin dut rester dans l’escalier, trois personnes ne pouvant s’y tenir. Druon poussa la porte de droite et pénétra dans une pièce qui évoquait une cellule de monastère. D’assez grande taille, seuls un lit étroit au-dessus duquel était suspendu un crucifix, une almaire3 dont l’un des battants était fendu et une petite table de toilette la meublaient. Il entrouvrit l’almaire. Trois chainses usés jusqu’à la trame aux coudes et élimés aux poignets ainsi qu’une soutane qui devait avoir connu des jours plus glorieux trente ans plus tôt y étaient rangés, en plus de quelques caleçons et d’une paire de chaussures de gros cuir cirées avec soin. Dans un coin de la pièce s’empilaient des ouvrages.

Ils visitèrent ensuite l’autre chambre de l’étage, plus petite, celle du secrétaire Jean Le Chauve, au semblable mobilier.

Anchier Vieil, qui s’efforçait de ne pas troubler l’inspection de Druon, n’y tint plus et demanda dans un murmure :

— Qu’en faites-vous, messire ?

— Retournons, je vous prie, dans la salle commune, éluda Druon.

1- Sorte de coffre monté sur quatre pieds. On les a utilisés jusqu’à très récemment pour y protéger la farine ou y faire monter le pain.

2- Sorte de haut vaisselier, que l’on plaçait le plus souvent au milieu des pièces afin d’y ranger vaisselle, condiments, aliments et autres.

3- Armoire.